Entretien avec Michel Chomarat (Mathias Quéré)

Retranscription entretien avec Michel Chomarat :

 

 

Mathias : Ma première question, ça serait pour comprendre un peu comment tu es venu au militantisme, c’est quoi un peu ton parcours, trajectoire, de quelle famille tu viens…

 

Michel : Je commence par ma famille. Contrairement à ce que l’on croit en général, ma famille est d’origine populaire. Mon père travaillait chez Berliet (fabricant de camions) et a été résistant communiste sous l’Occupation. Il a été arrêté et emprisonné pendant 8 mois, à la prison Saint-Paul, avant de rejoindre les FTP (Francs Tireurs Partisans) avec mon oncle, maquisard dans l’Ain. A la Libération, il était syndicaliste CGT. Je pense que c’est lui qui m’a donné la fibre militante, bien qu’il m’ait toujours dissuadé de faire de la politique et de m’engager. Quant à ma mère, elle travaillait à domicile, elle était tulliste. Elle faisait des voilettes pour les femmes du monde (ou du demi-monde)… Ils étaient tous les deux homophobes, je crois sans le savoir vraiment, mon père par rapport au discours du PCF (« Pas ça chez nous ! », « Le vice de la bourgeoisie », etc…) et ma mère par rapport à la religion catholique qu’elle pratiquait. C’est tout à fait un couple de l’après-guerre. Le 23 Novembre 1948, ils ont eu des jumeaux, Bernard, mon frère, et moi…

Nous habitions en face du cimetière de la Guillotière à Lyon. Je pense que ça été décisif plus tard, quant à mon rapport à la mort et à la mémoire. En 1962, j’ai commencé à travailler à 14 ans, en apprentissage, comme compositeur typographe, dans un atelier de graphisme, dirigé par Jean Besacier. Son père avait été l’imprimeur clandestin de « Témoignage Chrétien » sous l’Occupation à Lyon. Très ouverts, ils m’ont permis, en 1967, alors que j’avais 19 ans, de lancer une revue historique, qui s’appelait « Documents Anarchistes », 12 numéros édités, entre 1967 et 1970. J’ai publié plusieurs numéros spéciaux sur Bakounine, la bande à Bonnot, la Franc-Maçonnerie, Caserio et l’assassinat du président Carnot, Mai 68, etc… Les milieux anarchistes lyonnais m’étaient très hostiles car ils rejetaient à la fois mon intérêt pour la « propagande par le fait » (les attentats anarchistes), et l’esthétique très graphique de ma revue, à laquelle ils n’étaient pas du tout habitués.

En Juillet 1968, un mois après les événements de Mai, je me suis mis en couple alors que j’étais mineur (à l’époque, la majorité était à 21 ans). Mon copain ayant cinq ans de plus, il était passible de poursuites pour détournement de mineurs… Nous habitions ensemble dans un quartier très bourgeois, et pendant 10 ans, nous n’avons eu aucun problème, aucune réflexion désagréable. Ça paraît étonnant aujourd’hui, car à l’époque, les gays étaient, pour la plupart, cachés dans le placard, et souffraient en silence… Mai 68 a été le déclencheur des premières revendications homosexuelles.

Dans cette vie très homo-normée, (le charme discret de la bourgeoisie de province…), le déclic militant est intervenu, pour moi, la première fois – en Juin 1975 – avec la révolte des prostituées qui ont occupé, pendant une semaine, l’église Saint-Nizier à Lyon. Elles protestaient contre l’acharnement répressif de la police à leur égard, avec notamment des PV pour racolage sur la voie publique. A l’époque, tout le monde ignorait que les PD étaient également taxés de PV – pour le même motif – lorsqu’ils draguaient sur la voie publique, comme les quais du Rhône et de la Saône.

Spontanément, je m’y suis rendu seul, à l’église Saint-Nizier, car en 1975, il n’y avait rien au niveau de  la militance homosexuelle, pour soutenir les prostituées, et les autres minorités… Il faudra attendre fin 77, pour la création du GLH Lyon.

Sur place, j’ai réalisé, avec un marqueur, un dazibao avec ce texte :

« La répression s’abat également sur les homosexuels – qui paient également des PV à 16 F – qui sont également poursuivis par la police à Lyon. Nous exigeons la libre disposition de notre corps. Nous sommes de ce fait solidaires de la juste cause des femmes ».

Il est intéressant de noter que j’avais récupéré, à mon compte, le slogan du MLF et du FHAR : « Nous exigeons la libre disposition de notre corps »…

A Lyon, la nuit, putes et pédés, avaient les mêmes problèmes d’agressions, de contrôle, et de fichage avec la police. Mais, il y avait aussi une certaine complicité entre exclus de la société. Je me rappelle, comme j’avais une voiture, avoir ramené, à leur hôtel, tard dans la nuit, plusieurs prostituées…

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