Les lesbiennes au cours des années de guerre (1940-1944)

Les lesbiennes au cours des années de guerre (1940-1944)

Les historiennes françaises Isabelle Sentis, Suzette Robichon, Florence Tamagne, Marie-Joseph Bonnet, les historiennes allemandes Claudia Schoppman et Insa Eschebach, la USC Shoah Foundation, le Centre norvégien d’études de la Shoah et des minorités, le Dutch Institute of War Holocauste and Genocide Studies et l’Institut Leo Baeck Institut à New York ont effectué des recherches sur les femmes en 1940-1944. Des témoignages comme ceux de Germaine Tillon Marie-Josée Chombart de Lauwe, Françoise Kahn, Jacqueline Péry d’Alincour, Odette Fabius, Lucia Amato, Felice Schragenheim, Frances Gelhart ou de Theresa Gerike ont été précieux. Le colloque Homophobie une devianz du Mémorial de Ravensbrück en 20 t 12 a été une occasion de faire le point sur ces recherches.

De nombreuses femmes qui aiment les femmes ont vécue dans de grandes difficultés ces années de guerre, beaucoup d’entre elles, résistantes ou non, juives ou non, résistantes ou non, ont subi le harcèlement, l’arrestation, l’exil ou la déportation. Certaines lesbiennes ont été internées dans les camps en France avec des accusations d’atteinte à l’ordre moral par exemple suite à des dénonciations. Elles ont été contraintes à la discrétion et parfois à se conformer aux normes de genre en se mariant. Elles ont été internées, elles ont pu être déportées dans des camps de concentration, qualifiées d’asociales, d’antifascistes, etc. On ne trouve que de rares traces de leur présence dans les camps, où elles furent souvent victimes d’humiliations et de viols, certaines furent contraintes à se prostituer dans le bordel des camps, sous promesse d’être ensuite libérées. Mais les amitiés entre femmes, par exemple à Ravensbrück étaient sévèrement punies si découvertes. Les prisonnières lesbiennes pouvaient souffrir d’ostracisme de la part des leurs codétenues (comme le rapportera Germaine Tillion).  Certaines d’entre elles ont collaboré avec l’Occupant.

En Autriche qui pénalisait le lesbianisme, une forte hausse des condamnations s’est produite après l’Anschluss.

Leurs noms méritent d’être cités :

  • Claude Cahun (1894-1954, Lucy Schwob), artiste surréaliste française, photographe et écrivaine, et Marcel Moore (Suzanne Malherbe, 1892-1972) qui avaient apporté leur soutien à la revue Inversions en 1924, puis à l’Amitié, à Paris, elles s’impliquent dans la résistance à Jersey où elles sont installées depuis 1937, elles sont arrêtées en 1944, condamnées à mort et libérées le 9 mai 1945 grâce à la libération de l’île de Jersey
  • Annette Eick (1909-2010), juive allemande aisée, à Berlin, elle vit en exil en Grande Bretagne
  • Felice Rahel Schragenheim (1922-1944) berlinoise, résistante, déportée, elle mourra lors Marche de la mort
  • Vera Lachmann (1904-1985) berlinoise, vit en exil aux USA
  • Ruth Peter Worth (1915-1997) originaire de Habelstadt en Allemagne, à 23 ans elle a fui avec sa mère de Berlin pour Paris, estampillées juives elles sont internées à Gurs, elle connaît un flirt avec une des gardes et de l’administration du camp qui l’aide ensuite à en sortir avec sa mère ; elle vit en exil aux USA, elle fait d’Esther Newton son exécutrice testamentaire, laquelle confiera ses papiers à la Beack Institute, centre d’archives de l’Histoire et de la Culture juive à New York
  • (Gertrude Stein (1874-1946) américaine vivant en France, elle a une attitude ambigüe en traduisant les discours du maréchal Pétain)
  • Sylvia Beach, américaine, compagne d’Adrienne Monnier, qui a ouvert la librairie Shakespeare & Cy à Paris en 1919, internée au camp de Vittel libérée en mars 1943
  • Ursula Katzenstein, juive, née en 1916 à Berlin, autour de 1934 ses parents l’incitent à émigrer en Palestine ; en 1936 elle est arrêtée du fait de son engagement politique aux côtés des communistes, expulsée vers l’Allemagne, arrêtée par la police française en octobre 1939, transférée au camp de Rieucros ; elle arrivera à émigrer aux USA en septembre 1941 ; elle a commencé à tenir son journal dans un cahier d’écolier depuis le 7 décembre 1939 ; elle note sa perception des relations avec les femmes du camp, les conflits et les solidarités, elle a eu un rôle de médiatrice entre les déléguées des baraques, s’efforçant d’arriver au consensus respectant les unes et les autres ; elle évoque 3 amies filles de Berlin, dont Taddy la plus âgée, et Häschen qui apparemment vivent ensemble depuis plusieurs années, entre dispute et jalousie, ainsi que Sylta Busse
  • Sylta Brusse costumière berlinoise en exil en URSS puis à Paris, arrêtée au début de 1940 et internée à Rieucros dont elle réussit à s’enfuir à l’automne 1940 grâce à la complicité de son mari qui réside à Paris ; Sylta fait de nombreuses esquisses de prostituées et d’autres internées qui lui servent de modèle, elle parle de l’artiste Jeanne Mammen ; sa correspondance pendant son internement sera conservée aux archives de l’Académie des Beaux-Arts de Berlin
  • L’artiste allemande Jeanne Mammen a peint et dessiné des lieux nocturnes affectionnés par les lesbiennes berlinoises et fait leurs portraits, elle dessine des illustrations pour les Chansons de Bilitis (écrites par Pierre Louÿs en 1894)
  • Elisabeth Eidenbenz née à Zurich en 1913, ille d’un pasteur suisse, elle s’engage auprès du service civil international à Madrid auprès de personnes âgées, puis à Valence auprès d’enfants isolés ; après la Retirada elle choisit de continuer son engagement auprès de femmes et d’enfants en exil ; elle crée la maternité d’Elne dans les Pyrénées orientales de 1939 à 1944, elle a permis à des milliers d’enfants et leurs mères de toutes nationalités et de classes d’âge différentes, juives en particulier, de survivre, elle se rebelle face au règlement de la Croix-Rouge internationale en accueillant des femmes juives, l’une d’entre elles, Lucie, est arrêtée à l’été 1943 ; certaines d’entre elles viennent du camp de Gurs en 1943, elle a obtenu l’accord du préfet pour les soigner ; on saura qu’elle avait une compagne autrichienne ; elle recevra en 2002 la médaille des Justes à la maternité d’Elne, en présence de femmes qu’elle avait vu naître
  • Ans van Dijk (1905-1948), juive néerlandaise, qui collabore avec les nazis et sera exécutée en 1948
  • Ruth Maïer (1920-1942) autrichienne ; les journaux intimes, la correspondance, des aquarelles de la jeune autrichienne juive Ruth Maier. Elle avait fui en Norvège le nazisme. Elle fut déportée d’Oslo pour être assassinée au camp d’Auschwitz en 1942, à l’âge de 22 ans. Ses archives ont été conservées durant plus de 50 ans par sa compagne Gunvor Hofmo. En 2014, ses archives ont été intégrées au patrimoine norvégien. En 2020, elles ont été numérisées à l’occasion des 100 ans de sa naissance et diffusées sur le portail du Centre norvégien d’études de la Shoah et des minorités
  • Gertrude Stein (1874-1946) vit en province depuis plus de 30 ans avec la même compagne, elle est protégée par un collaborateur vichyste
  • Mary Pünjer, juive allemande, s’est mariée avec Fritz Pünjer en 1929, arrêtée, elle est incarcérée pendant 3 mois à la prison de Fuhlsbüttel de Hambourg et en octobre 1940 à Ravensbrück, qualifiée de « lesbienne très active », elle est sur les listes du Dr Mennecke et sélectionnée pour « traitement spécial 14f13 » (assassinat des « Minderwertigen », les individus de moindre valeur) ; elle décède au centre d’euthanasie de Bernburg le 28 mai 1942
  • Felice Schagenheim juive allemande dont l’histoire berlinoise sera contée dans un livre et dans le film Aimée et Jaguar
  • Henny Schermann (1912-1942) lesbienne engagée dans des mouvements de résistance et déportées à Ravensbrück en 1940 comme juive apatride et asociale, qualifiée de lesbienne obsédée par le psychiatre Friedrich Mennecke (responsable de l’euthanasie de centaines de patients), elle meurt dans une chambre à gaz du centre d’exécution de Bernbourg en mai 1942
  • Marguerite Chabiron (1902-1967) française de Gironde, athée de culture catholique, pharmacienne à Verdelais, elle héberge en 1943 les sœurs Louisette et Lucienne Abraham, membres du réseau Ker, alors qu’elles sont en fuite vers l’Espagne en compagnie de Christiane Moreau, résistante dans le même réseau, les 4 femmes sont déportées à Ravensbrück dans des convois différents
  • Les deux amies Suzanne Leclezio (1898-1987) et Yvonne Ziegler (1902-1998), couple de résistantes françaises déportées à Ravensbrück qui fut soutenu tout au long de leur déportation par d’autres résistantes françaises.
  • Elsa Conrad (1887-1963) qui a tenu le Verona-Diele sur la Wilmersdofer Strasse jusqu’en 1925, puis plusieurs bars lesbiens, puis le cabaret le Monbijou de l’Ouest à Berlin avec sa partenaire Mali Rothaug, un club privé qui compte près de 600 membres, issues de milieux artistiques et enseignants essentiellement. Elle est alors une figure de la scène lesbienne. Elle était juive par sa mère, Bertha Rosenberg, son père est inconnu, elle s’est mariée en 1910 avec Wilhelm Conrad avec qui elle reste jusqu’en 1931. Il semble qu’elle n’ait jamais caché son aversion pour Hitler. Elle a été dénoncée. L’ordre de détention indique « … les propos de la juive Conrad révèlent la manière infâme et calomnieuse dont elle exprime son aversion envers le gouvernement actuel. ». Elsa Conrad est condamnée en décembre 1935 pour « outrage au gouvernement du Reich » par le premier tribunal spécial de Berlin. Elle purge sa peine dans les prisons pour femmes à Berlin. C’est donc à la fois son opposition politique, sa classification comme « demi-juive » et son lesbianisme qui ont entraîné sa condamnation. Le 14 janvier 1937, elle est internée à Moringen, où se trouve le « camp central de concentration pour femmes » (politiques, juives, témoins de Jéhovah et asociales). Libérée en février 1938, elle doit choisir entre être incarcérée ou partir à l’étranger, elle choisit de partir pour Nairobi au Kenya en novembre 1938. Bertha Stenzel (1892-1979), ancienne amante d’Elsa Conrad, fait tout pour lui procurer le nécessaire : l’argent pour le billet de bateau, et le passeport. Son amie Mali Rothaug est comme elle persécutée et contrainte de quitter le pays. Elsa reviendra en Allemagne en 1961, sans le sou. Elle meurt à Hanau en 1963.
  • Hertha Stern, rescapée juive d’Auschwitz a été dénoncée comme lesbienne par sa logeuse auprès de l’organisation en charge des victimes du fascisme. Cet organisme a jugé que le comportement d’Herta porté atteinte à la dignité des victimes du fascisme en étant lesbienne, elle a perdu sa carte et son statut de victime du nazisme.
  • Ruth Jacobsen enfant fut cachée avec ses parents juifs allemands par la Résistance néerlandaise
  • Clara Schröder est classée « perversité » par le service de biologie criminelle de l’établissement pénitentiaire de Hambourg
  • Margarete Rosenberg (1910-1985), conductrice de tramway, ancienne prostituée, ainsi que Elli Smula (1914-1943) dénoncées en septembre 1940 par leur employeur pour conduite dissolue, déportées comme politiques et comme lesbiennes à Ravensbrück le 30 novembre 1940
  • Rosetta Kersten (1910-1963), coiffeuse, est accusée par Adolf Spehr, amant de Heinrich Roth (1907-1945) avec qui Kersten avait été fiancée, d’avoir des relations homosexuelles (Roth est lui-même déporté)
  • Martha Mosse (1884-1977), première femme commissaire de police de Prusse en 1926, en charge de la censure, elle est renvoyée en 1933 comme juive, elle travaille pour l’association des Juifs du Reich jusqu’à sa déportation en juin 1943 à Theresienstadt, elle y bénéficie d’un statut privilégié et y retrouve sa compagne Erna Stock en 1945
  • Chawa Zloczover (1891-1943), polonaise, émigre aux USA change de nom pour Eve Adams et rencontre Emma Goldman et d’autres activistes intellectuelles anarchistes, en 1925 elle ouvre à New York l’Eve Adams’Tearoom, elle est arrêtée par la police qui ferme le lieu, elle est accusée de turpitude morale et d’avoir publié un livre indécent Lesbian Love, elle est condamnée à 18 mois de prison et expulsée vers la Pologne en 1927 ; dans les années 1930 elle change à nouveau son nom en Eva Kotchever et vit à Paris où elle se lie à Hella Olstein, immigrée polonaise juive, en 1943 elle sont arrêtées à Nice, internées à Drancy et déportées à Auschwitz le 17 décembre, où elles sont assassinées dès leur arrivée
  • Lotte Hahn (1890-1967) participe à la création de l’association des travestis d’Eon en 1929 à Berlin, inquiétée en 1933, déportée à Moringen en 1935, elle poursuit ses activités militantes après-guerre
  • Marion Pritchard, née à Amsterdam en 1920, elle apprend la danse, son père, juge, lui a demandé de respecter les homosexuel-les danseurs et danseuses, et lui donne à lire le roman The Well of Loneliness, de l’anglaise Radclyffe Hall, qui à sa sortie en 1928, fait scandale car il parle de l’amour entre femmes (à 78 ans elle évoquera ce souvenir, son père lui avait demandé de ne pas parler de ce roman à sa mère pour ne pas la contrarier) ; elle est internée au camp de Westerbork au Pays-Bas
  • Anne-Marie Bournier et Anne Noury, couple de résistantes françaises du réseau Hector, déportées dans le même camp, mais séparées

D’un autre côté :

  • Ans van Dijk (1905-1948)), lesbienne juive néerlandaise collabore avec les nazis et participe à la traque et la déportation de nombreuses personnes juives en leur proposant des services de passeuse ; jugée elle sera condamnée à mort et exécutée le 14 janvier 1948 aux Pays-Bas

Christian de Leusse Août 2021

 

Voir en particulier Isabelle Sentis La Shoah et la rencontre des cultures 18 septembre 2017

et Les lesbiennes 1940-1944 En savoir plus