source : Georges Chauncey Gay New York 1890-1940
Depuis 1890, le monde gay masculin se retrouve dans des saloons, bars et speakeasies (bars clandestins pendant la Prohibition)
Le Bowery devient un centre de vie gay
Les gays sont des personnages très visibles (le New York Times écrit en 1918 : « Nos rues, nos plages sont envahies par les tantes »), mais compte tenu des risques encourus les gays cachant leur homosexualité à leurs collègues de travail, ce qui conduit à un système très sophistiqué de codes (linguistiques, culturels, comportementaux)
La pression sociale se lie à la haine de soi intériorisée
Le jugement médical fait d’eux des malades mentaux
Le monde gay le plus visible est dans le monde ouvrier, les quartiers où vivent les noirs et les immigrants irlandais et italiens
L’enclave gay et lesbienne de Greenwich Village, de la classe moyenne, se développe au milieu d’un quartier populaire d’immigrants italiens
C’est un temps où les bals travestis ne séparent par les hommes en « homosexuels » et « hétérosexuels » (ce n’est que beaucoup plus tard que la culture populaire désignera le comportement homosexuel) ; c’est le temps du caractère central de l’efféminement de la « tante » permettant à de nombreux hommes d’allure masculine d’avoir une activité sexuelle développée avec d’autres hommes sans risquer d’être stigmatisés
C’est le temps des « fairies » (tantes)
En 1846, une loi a été promulguée dans l’Etat de New York interdisant d’être déguisé ou costumé en public, afin de mieux surveiller les fermiers qui protestent contre les prix de location des terres à la campagne et essaient parfois ainsi d’échapper aux autorités. A la fin du siècle la police utilise cette loi pour harceler les hommes et les femmes qui portent des vêtements de l’autre sexe dans les rues des villes.
A la fin des années 1890, Columbia Hall (ou Paresis Hall) sur le Bowery, au coin de la 5ème rue est le repaire principal des « dégénérés » de New York et il y a au moins 6 établissements du même type sur le Bowery, le Little Bucks, le Manilla Hall, le Jumbo, le Palm Club de Chrystie Street et le Black Rabbit sur Bleecker Street, le Armory Hall dans Hester Street, entre les 5ème et 6ème Avenues se trouve le Club artistique de Samuel Blickard. Ils sont soumis à des vagues de répression. Il y a aussi le bal du Walhalla Hall du Lower East Side où danse des centaines de couples de même sexe.
Le Bowery – ainsi que le Tenderloin – est le centre du commerce du sexe, à la grande horreur des Juifs et des Italiens respectables de ce quartier.
Le Slide dans Bleecker Street, fermé en 1892, permet aux homosexuels masculins de rencontrer des hommes (le mot slide restera dans l’argot comme des lieux où des homosexuels masculins habillés en femmes rencontrent des hommes). Et il existe cette année-là des bordels, comme au Pleasure club, où les hommes peuvent rencontrer des tantes de manière plus privée.
Il y a des tantes prostituées comme Loop-the-Loop à Brooklyn en 1906.
En 1910, le terme trade (utilisé par les clients des prostituées) désigne un homme normal qui répond aux avances d’un homme gay.
L’idéologie des classes moyennes se veut de retenue sexuelle et le dévouement à la famille, par opposition aux classes pauvres et laborieuses qui se caractériseraient par l’absence de contrôle et la dépravation, leur pauvreté étant déjà un signe de dégénérescence.
La ségrégation géographique du vice s’efforce de tenir les prostituées visibles à distance.
Même si les hommes des classes moyennes vont volontiers s’encanailler dans les établissements du Bowery et du Tenderloin pour passer une nuit sans tabous, même lorsqu’ils parlent avec dédain de « bas-fonds » et de lieux de « dépravation ».
Ces établissements rivalisent pour offrir spectacles scandaleux (scènes sexuelles entre un homme blanc et une femme noire, entre deux femmes, une femme et un homme habillé en femme), boissons, danse et musique, et accès aux femmes et aux tantes (maquillées ou pas, travesties ou pas) des classes inférieures. La presse voyeuriste parle volontiers de ces « pervers », de ces « infamies » provoquant la « nausée ».
Dans les années 1890, les visiteurs commentent les visages maquillés et poudrés des tantes du Bowery, à l’heure où la mode est à Oscar Wilde. Au Bowery dans les bars et les bals populaires, les tantes sont en fait tolérées et intégrés à la culture populaire. Souvent dans des quartiers éloignés de leur lieu de vie pour éviter d’être identifiées.
Les tantes se prêtent à la plaisanterie, mais ne sont pas disposées à laisser celle-ci aller trop loin. Certaines d’entre elles ont une force physique qui leur permet de réagir rapidement, d’autres savent qu’elles sont une proie facile pour les bandes de jeunes qui contrôlent les rues. Les violences de ces derniers se situent à l’intersection d’une hostilité de genre et d’une hostilité de classe, face à des « bourgeois » qui sortaient s’encanailler. Les hommes considèrent les tantes avec tolérance, désir et mépris.
Mais plus largement les marqueurs les plus subtils du genre sont surveillés. Les tantes parlent volontiers d’elles au féminin. Elles sont des anomalies plus amusantes que repoussantes. Leur représentation d’elles-mêmes comme sexe intermédiaire rendait plus facile pour les hommes d’avoir des rapports avec elles, dans la mesure où aucun doute ne pouvait planer sur qui jouerait le « rôle masculin » dans ces rapports. Il n’y a pas encore de norme unique régissant le comportement « féminin » ou « masculin », les injonctions normatives sont encore variables selon les classes sociales et les groupe d’immigrants.
Les tantes sont volontiers assimilées aux prostituées, appelées « les femmes délurées », qui sont souvent dans les mêmes lieux, elles pratiquent des actes sexuels (comme la fellation) considérés ailleurs comme inconvenants, « dégoutants » et « pervers ».
Les bars fréquentés par les hommes des classes populaires sont un élément central de la vie sociale, pour échapper aux logements surpeuplés ou, pour les célibataires, à la solitude, manger à bas prix et discuter de mille choses dans la tradition masculine des pays d’origine. Les arrière-salles, les 1ers étages ou des cabines en sous-sol permettent aux tantes ou aux jeunes prostitués de rencontrer des clients et même d’avoir des rapports sexuels.
Des clubs informels se créent comme le Cercle Hermaphroditis qui loue une salle au-dessus du Paresis Hall de manière permanente.
Le monde gay s’intègre bien dans ces quartiers populaires.
La subculture « masculine » des jeunes marins célibataires, des manœuvres et des travailleurs itinérants est omniprésente dans les années 1900. Leur relation avec des tantes ne met pas en danger leur statut d’« hommes normaux » s’ils conservent le rôle actif dans la relation sexuelle.
De nombreux traités rédigés par des médecins ou des intellectuels expliquent volontiers que les invertis sont des femmes, ou que dans un corps d’homme ils ont un cerveau de femme, ou encore justifient l’existence d’un 3ème sexe, ou que le bisexuel est à la fois un homme et une femme. Aussi de nombreux gays choisissaient d’adopter l’identité de tante qui prenait place aisément dans ces théories. Ils choisissent volontiers des pseudonymes féminins (princesse de ceci ou de cela, vedettes de cinéma) symboles de leur double vie et arborent des tenues flamboyantes. Mais les lois contre le travestissement les obligent à se vêtir dans des lieux relativement sûrs. Tout au moins, ils se parent de cravates excentriques ou de tel ou tel vêtement peu commun afin de se distinguer.
Il y a une diversité des cultures sexuelles, ainsi les relations sexuelles tante-trade sont davantage propres aux classes populaires et aux immigrés irlandais et italiens, la tolérance des relations homosexuelles varie en fonction des différences ethniques (noirs, juifs, italiens) et les mœurs sexuelles sont influencées par les différences de genre, de classe ou d’origine régionale. Ainsi vers 1900 parmi le nombre d’hommes arrêtés pour faits d’homosexualité, les Italiens viennent en tête. En 1901 des prostitués masculins travaillent dans 2 bars italiens du Lower East Side, à Elisabeth Street et en 1908 le saloon de Vito Lorenzo, près de Baxter (sur Canal Street) est un exemple de « bar à tantes », alors que la situation est très différente dans les quartiers juifs. La religion joue un rôle, la religion juive stigmatisant d’avantage l’homosexualité, la religion catholique insistant sur les dangers des relations hommes-femmes. La structure démographique de l’immigration aussi, célibataires italiens de 14-40 ans d’un côté, familles juives de l’autre. La différence des modes de vie joue aussi un rôle, avec une forte séparation des sexes dans les quartiers italiens.
C’est le temps où de nombreux gays allemands ou britanniques voyagent en Italie du sud pour y chercher un climat plus tolérant.
La subculture célibataire est représentée par les marins et hommes de mer, les travailleurs saisonniers (agriculteurs, bucherons, coupeurs de glace, ouvriers du bâtiment), et les manœuvres et travailleurs de force, c’est une immense armée de travailleurs itinérants qui chutera avec les années 1920.
C’est le temps de la camaraderie masculine, mais aussi de la nécessité de prouver constamment sa virilité. Tout homme est en danger d’être désigné autrement. Il ne peut être efféminé, chochotte ou même tapette. Dans la mesure où la virilité est quelque chose à conquérir, elle peut également être perdue. La virilité est une sorte de mise en scène permanente. (Erving Goffman et Judith Butler parleront de « performance ».
Et la théâtralité du comportement des tantes peut coexister avec la théâtralité du comportement des « vrais mecs ».
Avant 1920, les hommes ne sont pas stigmatisés comme « pédés » s’ils fréquentent des tantes (si c’était le cas ils auraient davantage recherché des relations avec des prostituées). Les codes moraux les retiennent des fréquenter des femmes « pures » (sans relations sexuelles avant le mariage) alors que les femmes « impures » (les putains) sont recherchées souvent avec agressivité. La domination phallique et sa satisfaction est une préoccupation primordiale. La tante peut être l’objet de viol collectif, ou autre pratique phallocratique (ainsi Loop-the-Loop doit subir 33 hommes un jour de 1906 dans une chambre de Brooklyn), à la fois satisfaction sexuelle et solidarité entre hommes. Parfois ils contraignaient des jeunes hommes pour se « soulager » (en les pénétrant ou en se faisant masturber).
La satisfaction sexuelle a plus d’importance que le sexe ou l’identité de la personne. D’autant que les gays proposent certains actes sexuels (comme la fellation, considérée comme « perverse » car non centrée sur la reproduction) que les prostituées répugnent à pratiquer (c’est souvent pour elles une perte de leur statut). Les « suceurs » ne sont pas nécessairement méprisés par les jeunes irlandais ou italiens, ni même par les marins. Ils ne sont pas considérés comme porteurs de maladies vénériennes, comme le sont les femmes (comme dans les campagnes d’éducation officielles lancées avant la 1ère guerre mondiale ou après, qui insistent davantage sur le danger des femmes que sur les préservatifs, appelés « protecteurs »).
Certains hommes, souvent italiens, ont des préférences pour les tantes ou des « mômes » (punk), qu’ils rémunèrent, protègent (ou soumettent), y compris dans une relation durable, de type « mariage », au vu et au su des autres, puisqu’il joue le rôle conventionnellement défini comme masculin. Ce sont des « loups » (wolf) ou des « jockers », ils respectent les normes de la masculinité mais manifestent une préférence marquée pour des partenaires sexuels masculins ou efféminés (« suceurs de bites »). Ce sont en particulier des marins, des prisonniers et des travailleurs itinérants. Le « loup » était jusque-là plutôt un prédateur à la recherche de jeunes femmes et de jeunes gens (« mômes », « punks », « agneaux » ou « gamins »). Le travailleur itinérant est souvent accompagné d’un garçon plus jeune que lui sans qu’il y ait nécessairement de signification sexuelle.
Le plaisir phallique passe avant la binarité homosexuel-hétérosexuel.
L’émergence du concept « homosexuel » sera lié à l’émergence du concept « hétérosexuel ». Les cadres sociaux et les attentes culturelles qui avaient formé leur identité personnelle en tant qu’hommes sont mis en question ou fragilisés.
Le contexte économique et social à la fin du XIXème siècle a joué un rôle important, avec la réorganisation et la centralisation de l’économie américaine, les hommes sont de plus en plus nombreux à perdre leur indépendance économique en devenant employés d’autres hommes (le nombre des salariés et travailleurs non indépendants a été multiplié par 8 de 1870 à 1910), un nombre toujours plus grand de femmes travaillait, diminuant le statut du domaine masculin, et la revendication du vote par les femmes, contre l’alcool comme vice masculin, contre les bars et les lieux de divertissement masculin, a diminué le monopole masculin dans la sphère publique. La contestation des classes populaires contre l’autorité de la classe moyenne et des hommes anglo-américains met en question la masculinité des chefs et les fils de la bourgeoisie, et a accru leurs inquiétudes. Théodore Roosevelt s’est fait élire en 1899 sur la virilité, la revitalisation nationale et la suprématie internationale. La guerre américano-espagnole de 1898 a renforcé l’esprit militariste.
Dans les années 1890 début des années 1900, les plus pauvres n’ont pas le choix, ils ne peuvent pas amener leurs partenaires masculins dans leurs appartements collectifs surpeuplés, les dépositions pour procès de sodomie indiquent une grande diversité de lieux (charriot bâché, fourgon à glace, plate-forme de chargement dans une rue industrielle à 3h du matin, entrée d’immeuble à l’écart, terrains vagues, toilettes, caves, toit, escalier sans éclairage, bosquets et buissons). La police constate de nombreuses rencontres dans les coins à l’écart dans les parcs dans les années 1900-1905.
La municipalité a installé de nombreuses toilettes publiques à la fin du XIXème siècle afin d’offrir une alternative aux bars aux hommes des classes populaires (en 1925 il y en aura 18 à Manhattan), en 1896 une vague d’arrestation auprès de ces toilettes témoignent qu’elles sont vite devenues des lieux de rencontres homosexuelles, certaines conquièrent une réputation mieux établie (comme celles de City Hall Park) que d’autres. Les policiers usent de stratagèmes pour observer ceux qui utilisent les urinoirs pour de telles rencontres. Les coupables sont souvent condamnés des peines de 30 à 60 jours de maison de travail, avec révélation à la famille, à l’employeur, au propriétaire.
La plupart de ceux qui fréquentent les « salons de thé (les pissotières) ne sont pas des « folles flamboyantes » mais des hommes d’apparence « normale », venant de différents milieux sociaux.
Un témoin, Martin Goodkin, évoquera cette période où avec toutes ses toilettes publiques « New York semblait être un vaste lieu de drague », c’était une sensation électrisante et rassurante… un vaste monde secret, avec ses territoires et ses codes particuliers, dont l’existence apportait la garantie de ne plus jamais se sentir seul »
Au début du XXème siècle, les conditions d’existences des jeunes hommes et des jeunes femmes dans des logements surpeuplés les amenaient à déambuler en masse dans les rues à la recherche de rencontres, les gays ne sont pas les seuls à utiliser l’espace public. Des couples mixtes et des couples de même sexe se forment et les classes moyennes – qui souhaitent une stricte délimitation des sphères privée et publique – jugent aussi choquantes les comportements des uns et des autres.
En 1914 la Russel Sage Foundation stigmatise la culture désordonnée de la rue à Hell’s Kitchen, « terrain de jeu des garçons du West Side », caractérisé par « le vice, l’alcoolisme, les jeux d’argents omniprésents » et leurs conséquences dangereuses sur « de jeunes esprits », avec la présence de « nombreux pervers sexuels », les « expériences entre garçons » qui « finissent pas créer des dégénérés » avec la pratique courante de la masturbation » ou de « la sodomie dès l’âge de 7 ou 8 ans ».
Pour la police, contrôler l’utilisation des lieux publics par les gays c’est définir les frontières entre la sphère publique et la sphère privée.
L’excès de civilisation et la féminisation des hommes américains est stigmatisée. De nombreuses associations à vocation virile se créent (des Chevaliers du roi Arthur aux Boy-Scouts d’Amérique en 1912), les romans d’aventure, le culte de la vie sauvage et la culture physique sont en vogue. La glorification du boxeur et du travailleur exprime l’ambivalence des hommes des classes moyennes quant à leur propre statut sexué est glorifié. Et les homosexuels s’inscrivent dans ce courant à leur façon. C’est la culture de la musculature et des body builders, destiné à marquer les différences avec les femmes, stigmatisant les trop civilisés – les garçons – qui ne cultivent pas le corps (au début du XIXème siècle, traiter les noirs de garçons était une insulte), à la fin du XIXème siècle les hommes commencent à s’oppose à tout ce qui est « doux » et « féminin ».
La « tante » devient la principale catégorie dépréciative, elle sert à tracer la frontière du comportement masculin acceptable. L’apparence sexuée des autres hommes est stigmatisée avec violence. La tante provoque une grande inquiétude et un grand mépris chez les hommes des classes moyennes, elle incarne tout ce qu’ils redoutent quant à leur masculinité. Et l’intérêt sexuel manifesté par les tantes à l’égard des hommes est encore plus troublant. La célébration du corps de l’homme et la sociabilité masculine exige au contraire un contrôle nouveau de l’intimité masculine et l’exclusion de tout désir sexuel entre hommes.
La diffusion de revues de culture physique et de corps masculins body buildés s’accompagne de discours hostiles à l’égard des désirs des lecteurs masculins et d’affirmation du désir pour les femmes.
Au début du XIXème siècle les jeunes hommes dormaient fréquemment ensemble et pouvaient le cas échéant s’exprimer un amour passionné (ainsi que l’a observé Anthony Rotundo qui a étudié de nombreux journaux intimes de jeunes gens des classes moyennes). Ainsi Abraham Lincoln et Joshua Stead ont partagé de même lit pendant des années, selon Rotundo de telles relations ne peuvent pas être regardées comme homosexuelles, car le concept n’existait pas. Ainsi les hommes normaux ne deviendront hétérosexuels qu’à la fin du XIXème siècle.
Le passage au XXème siècle est marqué par un déclin des amitiés romantiques entre homme, elles sont peu à peu stigmatisées comme homosexuelles, les relations entre hommes sont soumises à un contrôle de plus en plus grand.
Les médecins et les savants accompagnent cette évolution, ils cherchent à renforcer l’organisation sociale existante des rapports entre les races, les classes et les sexes en affirmant leur caractère biologique et leur inéluctabilité.
En 1905 Freud dans ses Trois essais sur la théorie de la sexualité distingue le but sexuel (rapports génitaux et oraux, actif ou passif) et l’objet sexuel (le désir sexuel pour le même sexe ou pour autre chose). Il rompt avec les théories admises jusque-là qui ne mettent pas l’accent sur l’objet sexuel, mais sur le caractère actif ou passif, ainsi pour Freud la virilité psychique est compatible avec le désir homosexuel (l’inversion masculine).
En 1913 Havelock Ellis va dans le même sens dans une déclaration à l’Académie de médecine de Chicago. Ainsi l’homme homosexuel commence à émerger comme une figure médicale différente de celle de l’inverti.
En 1900 se crée le Comité des Quinze, association de lutte contre le vise pour éradiquer la prostitution dans les saloons de New York, il envoie des enquêteurs pour savoir s’il y a des prostituées, mais ils tombent sur des établissements où se réunissent les tantes (Paresis Hall sur le Bowery, Billy’s Place sur la 3ème Av.). Ces tantes sont l’emblème de la modernité et de la disparition des formes de vie traditionnelles, les médecins l’expliquent par le développement des villes, le caractère de plus en plus « étranger » de la ville, la fatigue nerveuse, la neurasthénie liée aux exigences de la culture industrielle urbaine, la fin de la famille et des liens sociaux qui assuraient le contrôle sur les comportements individuels.
En 1904 le Comité des Quatorze succède au précédent, il veut contribuer à comprendre et contrôler la culture urbaine.
La ville apparait avec une subculture gay organisée en plusieurs strates, avec ses de réunion, son langage particulier, son folklore et ses codes moraux. Les sociologues et les « réformateurs » constatent une désorganisation (déclin de la force de la famille, du voisinage, de la paroisse et des autres institutions de contrôle social) mais ils sont incapables de percevoir le fait que de nouvelles formes sociales sont en train d’émerger.
Les gays utilisent la complexité de la vie urbaine pour construire une alternative gay à l’ordre social.
En 1903 un dessinateur industriel est arrêté lors d’une descente de police aux Ariston Baths, les témoignages (de son employeur et de ses collègues) insistent sur le fait qu’il est impossible de l’accuser d’homosexualité mais le jury le condamne à plus de 7 ans de prison.
Les revues médicales attestent que nombre d’homosexuels ont quitté leurs régions d’origine pour pouvoir aller vivre leurs désirs homosexuels à New York où ils peuvent se libérer du contrôle familial, se cacher dans la ville et rejoindre des réseaux de connaissances homosexuelles.
En 1904 Bernarr Macfadden éditeur de journaux de body-building dénoncent les tantes maquillées qui se promènent sur Broadway, Tenderloin, les parcs ou la 5ème av. et en 1915 un témoin dénoncera « nos rues et nos plages envahies par les tantes ».
Dans les années 1880 George Beard pensent que de nombreux invertis vivent à New York. En 1913 le psychiatre A.A. Brill estime qu’il y a plusieurs milliers d’homosexuels dans cette ville, de toutes classes sociales.
Dans les années 1880 les immigrants d’Europe du Nord sont dominants, dans les années 1890 ce sont les immigrants d’Europe du Sud et de l’Est.
En 1910 près d’1/3 des habitants de Manhattan sont des juifs nés à l’étranger ou des Italiens. Et les Américains (la classe moyenne anglo-américaine) ont peur de perdre de contrôle de leurs villes et même de toute la société. Les conflits se développent fortement, ils deviennent peu à peu des conflits de classe dans la mesure où les ouvriers sont de plus en plus des immigrés. Conflits de classes, d’ethnicité et de « races » s’entremêlent.
La crainte se répand que la ville représente une menace pour la moralité des individus et pour la société américaine dans son ensemble. Et un nombre considérable d’individus et de groupes entreprennent de réformer ma morale et l’organisation urbaine. Ce n’est alors pas la culture gay qui est visée, mais elle est concernée par contre-coup. La police est stigmatisée, car trop inféodée à la direction politique de la ville et exposée à la corruption.
Dans les années 1880 la société pour la prévention du crime du révérend Charles Parkhurst fondée en 1887, s’efforce d’obliger la police à appliquer les lois et à rendre publics les liens de corruption avec les « repaires du vice ».
La société pour la suppression du vice fondée en 1872 – sous les auspices de l’association chrétienne des jeunes hommes de New York dirigée par Anthony Comstock jusqu’à l’année de sa mort en 1915 – lutte pour faire interdire les livres et les spectacles « obscènes »
Le Comité des Quatorze, fondé en 1905, prend la tête du combat contre la prostitution, c’est la plus importante et la plus efficace de ces associations jusqu’à sa disparition au début de la Dépression.
La société pour la prévention de la cruauté contre les enfants, fondée en 1872 par Eldridge Gerry, émanation de la société pour la prévention de la cruauté contre les animaux, cherche à protéger les enfants en général. Elle agit avec « cruauté » pour écarter les enfants des familles immigrés accusées de négligence ou de maltraitance. Les campagnes contre l’ordre moral des classes populaires et les femmes célibataires sont de grande ampleur. La Ligue antibar organise une attaque frontale contre les bars qui sont une institution majeure de la sociabilité masculine. Le Comité des Quatorze adopte une définition large de la prostitution, regardant la façon dont se négocient les relations au sein des classes populaires comme une forme de prostitution, ainsi non seulement les bordels, mais les bars, cabarets et toutes les modalités de rencontre hors « normes victoriennes » pouvaient être visées.
Le 15 décembre 1910 deux hommes sont arrêtés à Union Square, 2 policiers sont à l’affut et les suivent à l’hôtel, le plus âgé est inculpé pour sodomie et condamné à un an de prison. C’est le moment où la police new-yorkaise ajoute la surveillance des homosexuels souvent qualifiés de « prostitués masculins » à leurs tâches de poursuite des prostituées.
En 1915 Terence Harvey sera spécialisé dans les affaires de perversion, chargé de patrouiller dans les lieux de rencontres hétérosexuels et homosexuels, il sera responsable au 1rer semestre de 1921 d’un 1/3 des arrestations pour homosexualité.
Au nom de la pureté sociale et de la nécessité d’éviter les transgressions de frontières raciales, en 1912 le comité s’efforce de fermer l’hôtel Marshall (53ème rue Ouest) où le mélange de races est synonyme de danger dans les « classes ordinaires ». Les écrits et études, « scientifiques », « artistiques » ou » sérieux » sur le contrôle des naissances, sur l’homosexualité, les thèmes lesbiens ou non orthodoxes sont pris en chasse.
L’objectif est pour eux de reconstruire un monde moral et de délimiter les formes acceptables de sociabilité et de discours public. Et pour cela certaines associations obtiennent des assemblées de l’Etat des pouvoirs de quasi-police ou arrivent à faire pression sur les propriétaires de meublés, les gérants d’hôtel et les brasseurs de bière, pour fermer des lieux.
Les quartiers d’immigrés sont davantage surveillés, les tenues portées et les danses permises dans les clubs fréquentés par les immigrés, les bohèmes ou les gays sont observées de près. Leurs enquêtes populaires dans années 1870 à 1920 jouent un grand rôle dans le contrôle de la moralité publique.
Les lois contre la sodomie et le crime contre nature, héritage des codes anglais, sont peu appliquées par l’Etat au cours du 1er siècle de l’indépendance, les ligues antivices en exigent l’application. Les chercheurs Timothy Gilfoyle et Michael Lynch ont montré qu’il y a eu 22 cas de poursuite pour sodomie à New York entre 1796 et 1873. Leur nombre augmente désormais considérablement, 14 à 38 hommes sont inculpés chaque année au cours des années 1890, puis plus de 50 personnes chaque année dans les années 1910 (plus de 100 en 1917). Et il y en aura de 75 à 125 dans les années 1920.
Les archives judiciaires permettent de voir que l’association pour la prévention de la cruauté contre les enfants est à l’initiative de 40% au moins des poursuites engagées (et jusqu’à 90%).
En 1899 la Ligue urbaine de la vigilance surveille et dénonce les prostitués masculins de Paresis Hall, mais cela se passe dans le cadre de leur campagne contre la corruption de la police. En effet, jusqu’à la 1ère guerre mondiale, les ligues ne considèrent pas l’homosexualité come un problème social menaçant.
En 1900 Anthony Comstock président de la Société pour la suppression du vice assure au cours d’un procès contre des individus « pervertis » et « sodomeurs » qu’il a eu affaire à un grand nombre d’individus de ce genre, mais la question de l’homosexualité n’est pas encore un problème spécifique pour cette association.
En 1900 une propriétaire suspicieuse de la 13ème rue Est entre par surprise dans une chambre où se sont installés un Allemande de 21 ans et un Américain de 17 ans et les voit en train de faire l’amour, elle les fait arrêter, le jeune Allemand sera condamné à 1 an de prison.
Des associations ouvrent des hôtels spécialement destinés à offrir des logements de meilleure moralité que les asiles de nuit ou les chambres meublées. Elles veulent ainsi éviter les risques de fréquentations des jeunes gens et des jeunes femmes avec des gens de mauvaise réputation. C’est le cas du Seamen’s Church Institute créé par un groupement d’églises afin d’accueillir les marins, loin des logements situés sur les quais. Des marins gays et des gays qui s’intéressent aux marins ont trouvé là une opportunité d’aller à la rencontre des marins qu’ils recherchaient.
De la même façon, les immeubles construits dans Bleecker Street, en 1896, par le philanthrope Darius O. Mills afin d’offrir les logements de bonne moralité à des travailleurs célibataires – l’un d’entre eux à l’emplacement de l’immeuble qui avait abrité le célèbre bar de tantes, le Slide – ont finalement hébergé des homosexuels (en témoigneront des arrestations effectuées en 1920)
Et les YMCA (Young Men’s Christian Association), à partir des années 1840-1850, destinés à réformer le comportement moral des hommes, avec bibliothèques, groupes de lecture et salles de culture physique, sont aussi détournés par les gays à leurs propres fins. L’YMCA de New York construit des dortoirs dès 1896.
En 1896, la loi Raines oblige les bars à fermer le dimanche afin de lutter contre l’alcoolisme mais surtout de contrôler la sociabilité masculine, elle autorise en revanche les bars des hôtels (à condition d’offrir un minimum de 10 chambres) qui attirent une clientèle masculine plus respectable, aussi pour ne pas perdre cette clientèle de nombreux bars se transforment en hôtel en louant des chambres attenantes. En 1906, on estimera que 1 200 des 1 400 hôtels enregistrés à Manhattan sont des hôtels de la loi Raines, et la majorité des propriétaires des bars ont trouvé plus rentable de louer chaque chambre plusieurs fois par nuit à des couples non mariés ou à des prostituées avec leurs clients.
Le Comité des Quinze en 1900est créé par des réformateurs moraux, en particulier en réaction face à ce détournement de la loi. Leur étude, The Social Evil, rédigée en 1902, sur la base d’enquêtes dans les bars, dénoncent ces hôtels de la loi Raines comme des foyers de prostitution qui ont répandu le vice dans toute la ville. En 1905 une réunion du City Club crée le Comité des Quatorze pour la suppression de loi Raines et lancent une campagne contre ces hôtels, il conclura en 1912 que ses efforts ont été couronnés de succès et se transforme en société de lutte contre la prostitution, visant tous les lieux de divertissement qui créent une promiscuité permanente entre hommes et femmes.
En 1909 le Comité des Quatorze a aidé à réduire de moitié le nombres des hôtels et a obligé près des ¾ des 690 restant à ne recevoir que des hommes. Ce qui entraine un retour massif de la prostitution vers les immeubles locatifs bon marché et les maisons de chambres meublées, mais n’a pas de conséquence pour les couples d’hommes en quête d’une chambre.
En 1910-1911 les agents du Comité identifient le bar-hôtel du 36 Myrtle Av., près de Brooklyn comme un « établissement pour les prostituées et leurs clients, typiquement un hôtel de la loi Raines », ils persuadent le brasseur qui le soutienne de lui retirer son aide., ils obtiennent ainsi la fermeture de plusieurs bar choquants. Mais ils comprendront par la suite que l’exclusion des femmes de ces hôtels développera un autre marché. Ainsi 4 ans plus tard, en 1917, l’hôtel réouvert accueillera régulièrement des « pervers » notoires accueillant des marins et d’autres hommes « à des fins immorales ». Et ce sera le cas dans bien d’autres hôtels d’Union Square, Battery Park Brooklyn Navy Yard, Ouest Central Park et Chatham Square, qui refusent des couples hétérosexuels non mariés, mais acceptent des couples d’hommes à l’allure honorable, éveillant moins de soupçons que les couples mixtes. Ainsi Charles Tomlinson Griffes amène un homme sans difficulté à l’hôtel Longacre près de Times Square en 1910. La lutte contre la prostitution féminine donne aux gays une grande liberté de mouvement dans ces hôtels mais aussi dans beaucoup de restaurants où ils se retrouvaient volontiers, ce qui n’exclut pas que d’autres lieux plus publics des couples d’hommes se fassent remarquer et soient harcelés par mes enquêteurs.
Certains restaurants bon marché dont le nombre augmente rapidement à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, fonctionnent comme des portes principales d’accès au monde gay pour les uns, de convivialité et d’informations multiples pour les autres. Les pensions de famille se transforment de plus en plus en garnis, obligeant les clients à prendre leurs repas ailleurs, en particulier dans les deux chaines de cafétérias Childs et Horn & Hardart, immenses salles avec spectacles, créées dans les années 1889-1898. Pendant la 1ère Guerre mondiale et après-guerre les enquêteurs font la chasse aux prostituées et à leurs clients qui se retrouvent vers 2-3h du matin dans les restaurants Childs. Les gays se retrouvent dans ces restaurants, ils y travaillent parfois, testant les limites de la tolérance des directeurs. Les restaurants à distributeurs automatiques de Horn & Hardart conviennent à ceux qui sont désargentés.
Avec la guerre de 1915-1918 le Comité des Quatorze et les autres ligues arrivent à la conviction que la guerre favorise un développement important de la vie gay et de sa visibilité. Des centaines de milliers de soldats passent dans la ville, entre 5 000 et 10 000 soldats chaque jour et deux fois lus en week-end, en particulier dans le quartier d’Union Square, dans la rue MacDougal dans le Village, ou encore sur les quais (Riverside, Battery Park) qui sont des lieux de drague gay et de prostitution. Les ligues craignent une crise morale d’une ampleur alarmante elles parlent de décadence urbaine, désorganisation sociale, anomie, délitement des liens familiaux. Les soldats, bons garçons naïfs de la campagne et innocents à l’étranger, doivent être protégés des maléfices de la ville, des tentations, des pratiques qui ruinent la vie des femmes et des enfants, des maladies vénériennes et de l’immoralité urbaine.
La guerre provoque une hystérie antiallemande et anti-immigrés, la Prohibition apparaît comme un coup décisif porté à la culture non américaine. Le bordel est le symbole de la décadence urbaine.
La guerre, davantage que la découverte de la France et de l’Allemagne, a un impact considérable sur les soldats, avec l’éloignement du contrôle familial et le milieu monosexuel.
Le Comité des Quatorze consacre désormais des ressources sans précédent à la surveillance de l’activité homosexuelle, dépêchant des agents dans les principales rues de drague (Broadway, Riverside Drive, 5ème Avenue, Central Park Ouest). Jamais ces lieux n’avaient connu une telle surveillance.
Pendant la guerre, la Société pour la suppression du vice se consacre spécifiquement à l’homosexualité et joue un rôle très actif. Pendant les 40 années de présidence d’Anthony Comstock, des descentes de police dans les clubs où se produisent des artistes gays et dans les librairies présentant cette littérature, sont orchestrées par l’association. En 1915 John Summer prend la présidence de cette association, la question de l’homosexualité est sa passion personnelle, il lance une campagne avec la police contre tous les lieux que ceux-ci fréquentent, en particulier 3 descentes dans les saunas Everard et Lafayette de 1916 à 1919.
La police continuera à s’intéresser à l’homosexualité et le nombre d’homosexuels condamnés à Manhattan pour racolage homosexuel se multiplie par 8 en 4 ans, passant de 92 en 1916 à 238 en 1918 et à plus de 750 en 1920.
Les bains publics qui apparaissent dans les années 1890 (une expérience en 1852 avait tourné court par manque de clients), ils offrent pendant la 1ère moitié du siècle un environnement sûr dans lequel les gays peuvent rechercher les relations d’amour ou d’amitié, comme les rencontres sexuelles (cf le tableau de Charles Demuth Bains turcs en 1916).
En 1888 s’ouvre l’Everard, qui sera un refuge pour les gays plus d’un demi-siècle, à partir du début du XXème siècle (détruit par le feu en 1977), l’établissement a été ouvert par un homme d’affaires et politicien, James Everard, dans une ancienne église, près de Broadway, au cœur du Tenderloin (entouré de théâtres, restaurants et établissements louches, comme le Haymarket et la French Madam’s, et certains des plus grands bordels de la ville), il a la réputation d’être fréquenté par une clientèle aisée (en 1920 il sera considéré comme l’un des 8 principaux bains turcs de Manhattan.). Le 5 janvier 1919 la Sté pour la suppression du vice y organise une descente au cours de laquelle le directeur et 9 clients sont arrêtés, et la police y effectue une nouvelle descente en 1920 et arrête 15 clients. Ce sont des clients blancs, des classes moyennes, qui ont la trentaine, certains venus du New Jersey ou de Philadelphie. L’acteur britannique Amlyn Wiliams parle en 1927 de sa célébrité auprès des gays européens.
Dans les années 1910, il y a aussi sur Broadway, le Produce Exchange Baths et le Lafayette Baths. Le Lafayette est le plus important, apprécié du compositeur Charles Tomlinson Griffes et du peintre Charles Demuth. Il fera l’objet de descentes de police en 1916 et en 1929, les personnes arrêtées ont le même profil sociologique que ceux du Everard, les habitants de Manhattan ne représentent que 50% des clients.
Au cours de la guerre de 1914-1918 plusieurs d’entre eux seront de véritables institutions. Ils sont mixtes au début puis certains deviennent exclusivement gays. Il y a 3 catégories, ceux qui ont été d’abord par les « réformateurs » pour améliorer la propreté dans les quartiers de logements populaires (ils sont un enjeu des élections municipales de 1894, puis 11 bains publics sont construits à Manhattan au cours des années 1900, il y en aura 16 en 1915), les bains religieux (destinés à la toilette rituelle juive, il y a un bain juif en 1880 mais plus de 30 en 1897) et les élégants bains turcs, romains ou électriques créés par des entrepreneurs à destination d’une clientèle aisée. Dans les 2 premiers cas, la surveillance est rigoureuse, le temps de présence et l’espace sont limités, le cas d’un couple pris sur le fait a entrainé la condamnation du plus âgé à une peine de 3 à 5 ans de prison. Les bains russes ou turcs répondent mieux aux besoins de la clientèle gay, dans les années 1920 il y en aura 57 à Manhattan, il y a les bains ouverts à une clientèle mixte dont certains sont tolérants à l’égard des gays (dans les vestiaires ou les espaces sombres des bains de vapeur) ou avec des créneaux destinés aux gays (dans une ambiance proche des YMCA), mais avec des visites épisodiques d’enquêteurs du Comité des Quatorze ou de la Sté pour la suppression du vice. Deux établissements sont connus comme lieux de rendez-vous homosexuels (Stauch’s et Claridge) ; en 1903 les Ariston Baths, situés en sous-sol d’un hôtel d’appartements meublés de 12 étages, ont commencé à cultiver une clientèle homosexuelle chique, les témoignages que récolte la police sur son organisation sociale et spatiale sont précis, sur les services qu’ils offrent (manucure, pédicures, masseurs, café, cigares, boissons fraîches, fauteuils, salle de gymnastique, nombreux vestiaires personnels avec lits de camp) ; la police a pris soin de n’arrêter que des hommes contre lesquels ils avaient accumulé des preuves pour convaincre des jurys méfiants à son égard, le directeur est inculpé pour contravention aux bonnes mœurs et 4 employés de violation à la loi sur les alcools, mais ne sont pas condamnés, 6 clients sont inculpés et condamnés pour troubles à l’ordre public, 12 sont inculpés de sodomie, ce sont les condamnations les plus fortes, par la suite il n’y aura plus de condamnations pour sodomie.
En 1916 le directeur des Lafayette Baths se suicide au cours de son procès, sans doute car il ne supporte pas que son activité soit publiquement révélée. La société de suppression du vice mène alors une campagne contre l’homosexualité en temps de guerre.
En 1916 le compositeur Charles Tomlinson Griffes rencontre le musicien Ira Gershwin au Lafayette, il en est le nouveau gérant (il semble que Gershwin ait évité que me Lafayette ne redevienne un établissement gay aussitôt après sa réouverture).
Si la police laisse les bains tranquilles, sans doute du fait de pots-de-vin perçus, toutefois entre 1900 et 1930 cinq descentes de police sont réalisées à l’instigation des sociétés de lutte contre le vice (en 1903 au Ariston, en 1916 au Lafayette et en 1919-1920 à l’Everard), mais ces associations n’interviennent pas beaucoup car elles ne peuvent pas arguer facilement d’une visibilité du « trouble l’ordre public »
Après-guerre la marine réalise une enquête à la Naval Training Station de Newport qui démontre que de nombreux marins se sont forgé une identité de pédé ou de tante après avoir rencontré des marins gays pendant la guerre ou ne se reconnaissant pas comme homosexuels s’étaient familiarisés avec le monde gay et avaient eu des expériences homosexuelles.
De nombreux soldats sont restés à New York après la guerre, en témoignera la visibilité croissante des institutions gays locales dans les années 1920.
Dans les années 1920-1930, il y a un déferlement de littérature et de théâtre gay
C’est le temps de 3 quartiers gays très différents Greenwich Village, Harlem et Times Square
Apogée de la fascination populaire pour la culture gay, en témoigne l’assistance aux bals costumés.
En 1910-1920, d’autres quartiers que le Bowery, deviennent des centres de vie gay. Dans les années 1920-1930 Greenwich Village, réputé comme un quartier ne se souciant guère des conventions bourgeoises, est devienu un refuge pour les homosexuels.
Et Harlem est bientôt considéré comme plus excitant, le seul quartier où les gays noirs pouvaient accéder aux établissements commerciaux, aux cercles littéraires novateurs et aux caves de blues. Les Noirs y organisent la plus grande manifestation gay de New York, le bal de la Hamilton Lodge Ball, qui attirent des milliers de participants blancs et noirs.
Les 1èrs enclaves lesbiennes de New York apparaissent au même moment que les enclaves gays dans le Village et à Harlem. Ils-elles vivent dans des univers séparés mais se retrouvent dans certains bars clandestins. Dans les années 1920 l’ouverture d’établissements ouverts aux gays et aux lesbiennes favorise l’émergence de la catégorie de l’« homosexuel ».
Les subcultures gays façonnent la culture dominante du Village et de Harlem.
Le Village était, à l’origine, un refuge au nord des frontières de la ville pour les riches qui voulaient échapper à l’insalubrité, mais en 1900 l’élite sociale partie, le Village est incorporé à la ville, avec une prédominance des immigrés italiens, la bohème des écrivains, artistes et radicaux, natifs américains, comme alors à s’installer, désignant le quartier le Village. Le charme ancien monde et la vie bon marché attirent cette communauté bohème dans les années 1910-1920, avec ses chambres meublées pour hommes et femmes célibataires et son non-conformisme (ouvert à l’amour libre et l’antimatérialisme). Les hommes du quartier sont volontiers qualifiés de non virils, non américain, et qualifier quelqu’un d’artiste est souvent synonyme d’homosexuel. En 1929 un article de journal accuse les femmes de la bohème de vouloir créer un 3ème sexe, en voulant ressembler aux hommes et revendiquer leurs privilèges de femmes. Et un artiste n’apprécie que moyennement que des courriers lui soient adressés à 42 Queer Street au lieu de 42 King Street.
En 1916 John Summer, successeur d’Anthony Comstock à la tête de la Société pour la suppression du vice, attaque le journal radical du Village The Masses parce qu’il aborde la question de l’homosexualité. C’est le moment où la librairie de Dell – plutôt critique lui-même à l’égard de l’homosexualité – qui diffuse The Masses vend des classiques de la pensée nouvelle sur les sexualités Love’s Coming Age du britannique homosexuel Edward Carpenter et The Sexual Question du sexologue suisse Auguste Forel. Summer effectue une descente dans la librairie qui diffuse The Sexual Question l’accusant d’« approuver l’homosexualité » alors que ce livre attaquait les écrits de Karl Heinrich Ulrichs, de Magnus Hirschfeld et d’autres auteurs allemands, et considérait l’homosexualité comme une perversion.
De leur côté l’anarchiste Emma Goldman défend les droits des homosexuels et le club féministe Heterodoxy, auquel participe de nombreuses lesbiennes, accorde autant de respect aux lesbiennes qu’au mariage.
Carl Van Vechten, gay marié, l’un des plus importants romanciers blancs, contribue à faire connaitre la Harlem Renaissance au public blanc. Il organise les salons de Mabel Dodge Luhan réunissant socialistes, anarchistes, freudiens, partisans de l’amour libre, artistes, militants. Les peintres homosexuels Charles Demuth et Marsden Hartley sont parmi les proches du dramaturge Eugène O’Neill dans le Village et à Provincetown (celui-ci crée le personnage efféminé de Charles Marsden dans Stange Interlude). Et Margaret Anderson et son amante habillée en homme Jane Heap publient dans le village l’influente revue Little Review rassemblant autour d’elles des gays et des non gays.
L’enclave gay est le résultat d’une extension et d’une réorganisation du Village pendant la Première Guerre mondiale et dans l’immédiat après-guerre, puis il perd son caractère de petit espace intime et le demi-monde des bars clandestins va apparaître avec les lieux gays qui vont s’y développer. Le Village se transforme (lignes de métro, élargissement des avenues), il devient facilement accessible, son charme Ancien monde attire les hommes d’affaires, les loyers grimpent, des immeubles se construisent, des associations de contribuables agissent pour son « nettoyage » ; la Prohibition en fait une destination attrayante à partir des années 1920, les commerces se diversifient et on peut se procurer de l’alcool dans ses bars clandestins, sa réputation d’amour libre et de non conformisme attire, ses salons de thé sont des endroits de prédilection, les décors de théâtre des établissements, le Pirate’s Den, les clubs de jazz, le Julius’ (rendez-vous des étudiants et des « femmes libérées ») ; le caractère intime, de fermentation intellectuelle et de bohème d’avant-guerre s’est perdu, c’est désormais un lieu de divertissement bon marché (comme Coney Island) pour fuir les conventions bourgeoises ; le fossé se creuse entre l’Amérique de la Prohibition et la New York de l’ère du jazz (la ville est dénoncée comme la Sodome et Gomorrhe de la nation).
Et le Village prend une signification toute particulière pour les Gays et les lesbiennes, fuyant des villes moins tolérantes. Mais les journaux titrent de plus en plus sur la dépravation, la perversion et la décadence, du quartier. En 1936 la revue médicale Current Psychology and Psychoanalysis publie un article sur les « dégénérés de Greenwich Village ». Le film Call her Savage en 1932 montre cette évolution du quartier. Les gays s’emparent des possibilités créées par la culture bohème, commercialisation et « homosexualisation » se développent ; l’afflux des bourgeois vers les bals du quartier va de pair avec la réputation du Village comme quartier bohème ; l’amour libre et l’homosexualité attirent, un enquêteur souligne l’importante présence d’hommes extraordinaires (gays flamboyants, hommes habillés en femme, etc.), l’attrait de ces lieux est d’autant plus fort, des spectacles sont donnés comme celui où Horace Mann joue le rôle d’esclave amoureux de la déesse Isis dans un bal du Liberal Club en février 1917 (avec 2 000 spectateurs). Dans les années 1920 la présence des gays et des lesbiennes au Village est établie, avec les bals du Webster Hall, les restaurants italiens, les cafétérias et salons de thé bon marché, et les gays et les lesbiennes ouvrent leurs propres bars et salons de thé clandestins, il y a environ 20 restaurants et salons de thé « accueillant l’élément fantasque » (sur Washington Square, Christopher Street, Charles Street, est et sud du Square, MacDougal Street, ouest Sixième Avenue et Sheridan Square), en particulier le Flower Pot de Dolly Judge et le Red Mask de Jackie Mason ; le 4 juillet 1922 au Jungle, Cornelia Street, les gays et les lesbiennes se sentent en sécurité pour voir les spectacles de Rosebud et la Comtesse, artistes travestis, d’autant que la police en assure la protection… En 1924-1925 la police ayant reçu toutes sortes de plaintes devient plus exigeante, 2 propriétaires d’établissements sont condamnés en 1925, un autre est envoyé au pénitencier de l’Etat, la police réussit a faire fermer tous les établissements sauf trois mais plusieurs autres ouvrent rapidement ; des « clubs personnalisés » se créent (avec poésie, lectures, débats et atmosphère chaleureuse), Polly’s Restaurant tenu par Paula Holladay devient la cantine officieuse du Liberal Club et ouvre la voie à d’autres établissement comme le restaurant italien Paul and Joe’s qui accueille désormais des numéros improvisés de travestis, avec Jackie Law par exemple qui ouvrira bientôt le Studio Club ou Gene Malin dont la boite de nuit va jouer un rôle important lors de la vogue des « tapettes » dans les années 1930, ils s’installent leur restaurant loin du Village pour échapper à la répression policière, possédant des salles à l’étage pour des soirées privées et recevant des célébrités dans leur nouveau « quartier général », mais l’intervention du Comité des Quatorze les contraint à fermer en 1927.
Après la répression de 1925 un périmètre animé se développe au sud de Washington Square.
Plusieurs bars clandestins tenus par des lesbiennes dont Eve Addams (Eva Kotchever), juive polonaise immigrée, se sont développés, mais elle aussi est contrainte de se reconvertir en créant un salon de thé, à grand succès, fréquenté après les spectacles, les hommes y sont tolérés. Elle est pourtant arrêtée en juin 1926 pour avoir écrit un livre « obscène » Lesbian Love et pour trouble à l’ordre public, et condamnée à un an de travail d’intérêt général et expulsée en décembre (arrivée en France elle aurait ouvert un club lesbien à Montmartre).
Bobby Adwards, du Greenwich Village Quil, tenant du « vrai Village », critique à l’égard de la vie homosexuelle et hostile à l’égard des lesbiennes, semble avoir joué un rôle pour entrainer cette fermeture qui demeurera longtemps regrettée. La pièce de théâtre Modernity, inspiré de Lesbian Love, a 3 ans plus tard un grand succès, mais s’interrompt soudain par crainte d’une descente de police. L’écrivain Parker Tyler écrira The Youg and Evil s’inspirant du salon de thé de Eve Addams, qui devra être publié à Paris.
Puis, d’autres salons de thé ouvrent le Black Rabbit, sur MacDougal Street, salon lesbien fermé par la police en 1929, le Louis’Luncheon sur la même rue, mêlant écrivains et danseuses, le Bubgalow, bar clandestin dirigé par un ancien boxeur, ainsi qu’un restaurant dirigé entre autres par Julian. Un grand nombre de petits journaux se créent pendant la Dépression accordant une attention à la vie gay.
La vie homosexuelle est plus animée parmi les classes populaires de Harlem, avec ses spectacles de travestis ouverts toute la nuit, dans le contexte de ségrégation raciale un vaste monde gay existe dans la communauté noire, avec encore plus de visibilité (port de la robe longue, danse entre hommes, travestis), le Hamilton Lodge reçoit des milliers de spectateurs. Dans les années 1900-1910 Harlem est devenu le principal quartier noir de New York. La spéculation immobilière de la fin du XIXème a construit les immeubles alignés le long des rues et l’effondrement du marché de 1904 y a attiré les noirs chassés des 30ème et 40ème rues Ouest, lors de la construction de Pennsylvania Station. La guerre de 14-18 consolide ce rôle dominant de Harlem pour a population noire, avec la Grande Migration vers les emplois industriels du Nord, la mobilisation militaire des travailleurs blancs et la diminution de la migration européenne. Dans les années 1920 Harlem devient à l’Amérique noire ce que le Village devient à l’Amérique blanche. La métropole noire voit surgir des cathédrales noires, un commerce très actif, un large éventail s’associations t d’organisations, le mouvement militant noir de Marcus Garvey, des night-clubs élégants, des caves à jazz, des bars clandestins, avec poètes écrivains et artistes, c’est la Harlem Renaissance et le Nouveau Nègre (New Negro). Une partie de la 7ème Avenue devient le carrefour du monde nègre (avec noirs d’Afrique, d’Antilles et noirs du sud des USA). En 1929 Variety titre « la vie nocturne de Harlem dépasse désormais même celle ce Broadway ». Les visiteurs blancs sont attirés par l’alcool et les spectacles mais aussi l‘effervescence. La publication en 1926 de Nigger Heaven de Carl Van Vechten caricaturant la lascivité noire et leu image sexualisée, provoque une tempête de protestations. Certains Blancs vont s’encanailler à Harlem (jazz, spectacles sophistiqués, chant, danse, sens du rythme), mais beaucoup y observent les bouffonneries noires, « quelque chose de primitif, d’animal et de grâcieux ». L’image du Sud est recréée à travers le Cotton Club, le Everglades ou d’autres thèmes du Sud, entre transgression des frontières et confirmation de celles-ci.
Une vaste industrie du vice (bars clandestins, bordel) se développe, en grande partie contrôlée par des Blancs, mais le Comité des Quatorze consacre moins d’efforts à ce quartier qu’aux quartiers blancs, contribuant ainsi à la concentration du « vice » dans Harlem. De ce fait une très importante vie gay se développe dans cette terre de liberté, avec le désir de s’affranchir des petites communautés du Sud. En 1930 les hommes noirs âgés de 35-44 ans sont 3 fois plus nombreux à être célibataires à Harlem qu’en Caroline du Nord.
Les travestis sont simplement acceptés au Cyril’s Café, le quartier de Harlem leur accorde un haut degré de tolérance ; mais cela exige un haut degré de courage de la part de ces travestis, harcelés par des jeunes et contrôlés par la police irlandaise. En février 1928 trente hommes sont arrêtés en 2 semaines pour travestissement. Quatre travestis (18-21 ans) sont arrêtés un dimanche matin et condamnés à 60 jours de workhouse. Dans un appartement-buffet (appartements privés accueillant les locataires payants, devenus peu à peu des bars clandestins, avec parfois des sex shows), 27 hommes sont arrêtés dont une hemme de 42 ans habillé en femme qui saute par la fenêtre du 2ème étage.
Les chanteuses de blues, immigrées, trouvent un travail dans les bars clandestins, nombre d’entre elles sont lesbiennes Ma Rainey, Bessis Smith, Ethel Waters, Alberta Hunter ou encore Gladys Bentley (habillée en smoking et chapeau haut de forme qui épousa sa compagne). Un petit nombre de « pédales notoires » deviennent célèbres, comme l’artiste travesti Gloria Swanson installée à New York vers 1930. Les bals travestis de la Hamilton Lodge sont célèbres et « le genre des individus de plus en plus incertain ».
Les plus célèbres clubs de Harlem sont concentrés entre 5ème et 7ème Av. (130ème et 138ème rues) avec le Cotton Club, le Connie’s Inn, Barron’s ou le Lenox attirant largement la clientèle blanche, dans le même secteur que le Savoy Ballroom ou le Small’s Paradise davantage fréquentés par un public noir. Quelques clubs (le Hobby Horse, Tillie’s Kitchen et le Dishpan) sont gays et lesbiens et des clubs réputés (comme le Small’s Paradise) accueillent le public gay et lesbien.
Les artistes déclarent rarement leur homosexualité, ils font plus souvent des allusions codées. Excepté Gloria Swanson et la lesbienne la plus visible Gladys Bentley chanteuse de blues qui se produit au Hansberry’s Clam House, dans un autre club de la Jungle Alley et à l’Ubangi Club. Mais leur visibilité est haïe par les gardiens de la morale, les noirs qui fréquentent les Eglises les voient comme des indésirables nuisant à la réputation du quartier et à « la race » toute entière. Adam Clyton Powell, pasteur de l’Abyssinian Baptist Church de 1908 à 1937, membre du clergé noir le plus célèbre des USA, militant des droits civiques et leader de l’Urban and National Association for the Advancement of Coloured People même une campagne infatigable contre l’immoralité dans la société noire, contre les maisons de jeux et la prostitution à proximité de son église. Le New York Age du 16 novembre 1926 apporte un soutien massif à Powell lorsqu’il engage son offensive contre l’homosexualité dans la communauté noire avec son « réquisitoire cinglant contre la perversion pratiquée par de nombreux dégénérés moraux » yc membres du clergé. Un philanthrope blanc manifeste son soutien à Powell. La presse augmente la menace en diffusant les ragots sur les hommes arrêtés pour travestissement ou racolage.
Les bals du Hamilton Lodge sont le plus grand rassemblement annuel des gays et lesbiennes de Harlem, le Masquerade and Civic Ball depuis 1869 est communément appelé le Faggots Ball dans les années 1920, lorsque les tantes représentent près de la moitié des participants, la plupart des participants sont noirs. En 1938 pendant le bal 17 personnes sont arrêtées pour racolage homosexuel, parmi eux 2 journaliers, 2 chômeurs, un plongeur de restaurant, un domestique, un garçon d’ascenseur, un employé, un infirmier, un musicien, un artiste et un animateur de cabaret, 50% a moins de 30 ans. La popularité du bal augmente au début des années 1930 avec « la vogue des tapettes » (800 personnes en 1925, 1 500 en 1926, 3 000 en 1929, 4 000 en 1934, 7 000 personnes en 1935 et 8 000 en 1937), les spectateurs s’ajoutant de plus en plus aux participants. De nombreuses célébrités, écrivains d’avant-garde et femmes de la bonne société viennent y assister. Les, journaux en font de longs comptes-rendus, avec photos et interviews. Les journaux des années 1930 changent d’attitude par rapport à ceux des années 1920, ils marquent leur admiration et leur étonnement devant l’extravagance et l’inventivité des costumes. Et la présence de travestis blancs inverse les rapports habituels puisque des Blancs se donne en spectacle pour les Noirs. Chacune des zones et racialement mixte mais sexuellement différenciée. Les bals deviennent un lieu de projection et d’inversion des identités raciales aussi bien que des identités de genre (Noirs travestis en célébrités blanches – Jean Harlow, Gloria Swanson, Mae West ou Greta Garbo – mais pas l’inverse). Pour la 1ère fois en 1931 un Noir, Bonnie Clark, remporte le prix, puis à nouveau en 1932.
En même temps l’élite sociale et l’intelligentsia de Harlem interdit à l’homosexualité toute participation à la société respectable (cf le licenciement du directeur commercial du journal The Crisis, arrêté pour racolage homosexuel). L’avant-garde du mouvement littéraire la Harlem Renaissance dans les années 1920 est contraint à une certaine discrétion, même si elle est soutenue par les réseaux gays et les deux mécènes gays Alain Locke et Carl Van Vechten, et même si plusieurs d’entre eux sont gays ou bisexuels (Countee Cullen, Wallace Thurman, Bruce Nugent, Claude MacKay ou encore Langston Hugues) – Countee Cullen a autour de lui « une petite troupe de Noirs gays assez charmants… chez Caska Bond’s » note un artiste gay français – , des soirées gays sont organisées par Bonds, Clinton Moore, Eddie Manchester et des soirées mixtes extravagantes sont organisées par l’héritière millionnaire A’Leila Walker et Van Vechten. Leurs romans, leur poésie, la revue Fire !! illustrent cette vie homosexuelle. Mais la plupart des écrivains noirs des classes moyennes restent cachés et des mariages dissimulent leurs vrais désirs.
Dans les années 1920, les gays donnent à leur style culturel le nom de camp (façon de dire « tu es très drôle, un vrai feu d’artifice »), une perspective critique sur le monde, une posture par rapport au monde, née de l’expérience que les gays se faisaient d’eux-mêmes comme déviants, et l’humour des travestis est le plus haut degré du camp.
La tradition des bals masqué est très vivante à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, le French Ball jouit de la plus mauvaise réputation entre 1866 et 1901, fréquemment dénoncé par les ligues de vertu, en particulier lors de l’enquête de la commission Lexow sur la corruption de la police. En 1931 la police délivre des autorisations pour 173 bals masqués, et de nombreux autres se tiennent sans autorisation.
En 1920-1921 la Société pour la suppression du vice présidée par John Summer contribue à l’arrestation de 200 hommes sous l’accusation de trouble dégénéré à l’ordre public, dans les lieux qu’ils avaient surveillés (cinémas, toilettes de métro, restaurants). A la fin de 1921, l’association cesse de concentrer son action sur la vie gay souterraine, mais continuera pendant 2 décennies d’attaquer les représentations théâtrales de l’homosexualité (à Broadway en particulier) et les spectacles de strip-tease avec des scènes homosexuelles.
A partir de 1921, la police s’intéresse davantage à la prostitution, pourtant une moyenne de 500 condamnations d’homosexuels se maintiendra tout au long des années 1920. Pour les ligues de vertu, ces chiffres renforcent l’idée que la perversion s’est développée pendant les années d’après-guerre.
A l’automne 1921 une réunion de très haut niveau est consacrée à la question homosexuelle avec le Comité des Quatorze (Frederick Whitin), le tribunal municipal (juge Corrigan), le Comité municipal d’hygiène mentale (le Dr Salmon) et l’association américaine d’hygiène sociale (MM. Johnson et Worthington). Ils s’alarment des tentatives des « pervers » de s’approcher des soldats (privés de relations sexuelles dans leurs bases militaires), utilisant ainsi les succès de la lutte contre la prostitution féminine. Ils incriminent la mauvaise influence de la France et des grandes villes américaines sur les militaires. Ils se prononce en faveur d’une action pour améliorer les procédures judiciaires à l’encontre de l’homosexualité, mais aucun plan d’action n’est mis en place.
Les médecins sont confrontés au fait que de plus en plus souvent les gays se disent fiers d’être des « dégénérés ».
Les gays emploient moins la métaphore du « placard » et davantage celle du « monde gay » ; on emploie la notion de « coming out » par analogie aux débutantes qui entrent dans la société WASP. Et ce n’est plus le « coming out of the closet » mais le « coming into the gay world » (y compris, littéralement, dans les bals du Savoy, du Rockland Palace à Harlem, l’Astor Hotel et le Madison Square Garden).
La Grande Dépression oblige des millions de familles urbaines et d’hommes célibataires à partir de chez eux pour trouver un travail et New York est rempli d’hommes et de femmes célibataires qui ont quitté leurs familles (issus du sud de l’Europe et du sud des USA)
A partir des années 1930, la distinction entre « homosexuels » et « hétérosexuels » prend consistance, reléguant en arrière la division entre « tantes » et « hommes normaux » ; les classe moyenne définissent de plus en plus comme celle d’un homme normal le comportement d’hétérosexualité exclusive.
Dans les années 1920-1930, un journal populaire publie régulièrement des caricatures qui se moquent des efforts des tantes pour accoster des marins et d’autres hommes su Riverside Drive. Les parcs et les rues sont des lieux de drague (cruise), ce sont les premiers lieux pour rencontrer quelqu’un pour celui qui arrive dans la ville (Central Park, Gladstone Square, Bryant Park, Prospect Park…). 33 personnes sont arrêtées près du zoo de Central Park au 1er semestre 1921 et en 1947 Harvey Milk y sera arrêté à l’âge de 17 ans. En 1944 le maire La Guardia fermera Bryant Park. Les plages, comme Coney Island, attirent des foules considérables avant l’installation de l’air conditionné dans la ville, elles ont leur géographie soigneusement différenciée. Ce ne sera qu’après la 2nde Guerre mondiale que la police y interviendra.
Les rues ont aussi leur organisation sociale, liée à la présence des bars et restaurants.
En 1923 l’assemblée législative de l’Etat de New York définit le racolage homosexuel (une personne qui sollicite des hommes dans l’intention de commettre un « crime contre nature ou un acte obscène »), c’est la 1ère loi à qualifier le comportement spécifiquement homosexuel comme un crime (le qualificatif de trouble « dégénéré » à l’ordre public art.722 §8 ne pouvant concerner que ce cas), la police et les ligues morales y voit désormais un problème social particulier. La brigade des mœurs s’occupe des affaires homosexuelles, les assimilant à la prostitution féminine. Un policier en civil se fait souvent passer pour un homme normal pour pincer les dégénérés racolant les hommes normaux.
En 1921 une étude évalue à 89% le nombre de condamnations parmi les personnes interpellées qui faisaient les folles ou ne cachaient pas leur homosexualité (au Koenig par exemple) ; et 650 hommes en moyenne sont condamnées chaque année à Manhattan pour conduite dégénérée.
A la police et aux lignes de vertu, s’ajoutent des bandes de jeunes qui maintiennent « leur » rue sous surveillance, ceux-ci manient les remarques et les sifflets hostiles mais aussi l’agression. Des pères de familles viennent parfois en renfort ou encore un groupe de marins et de civils en bras de chemise.
Un ¼ des hommes arrêtés en 1920-1921 pour fait d’homosexualité sont mariés et beaucoup d’entre eux ont des enfants.
En 1941 Thomas Painter racontera que demander du feu à quelqu’un à New York est devenu synonyme de draguer, les romanciers des années 1930 se plaisent à parodier ce genre de scène (comme dans Going somewhere de Carl Van Vechten en 1933).
Les gays créent leur carte gay de la ville, mais ils doivent tenir compte des autres groupes, parfois hostiles qui créent aussi leur carte de la ville. La drague se concentre sur les quartiers des magasins.
En 1914 Hirschfeld décrivait Union Square comme l’un des centres de l’activité homosexuelle à New York. En 1930 la 14ème rue lieu de drague important, devenu selon un auteur « une rue très vulgaire, pleine d’affamés de sexe » est supplanté par Times Square. Times Square qui était un foyer très actif de la prostitution féminine devient l’un des hauts lieux de la prostitution masculine dans les années 1920, avec des prostitués bien habillés.
Les regroupements d’hommes gays dans les lieux publics sont désormais criminalisés, ainsi leurs pratiques culturelles (danser ensemble, faire les folles, porter des vêtements de l’autre sexe), qualifiés de comportements dégénérés. Les établissements font l’objet de descentes de police.
Certaines cafétérias comme le Life et le Stewart’s, rendez-vous gay très connus du Village pendant 20 ans, font de la résistance. Et à l’été 1926 le Childs de la 48ème rue jouit du calme et de la tranquillité. Les restaurants gays développent des stratégies pour échapper à la police, le Koenig’s lui graisse la patte, le Jack’s dispose de 3 salles, la dernière est pour les hommes et un enquêteur y a vu des tantes une nuit de 1921 mais le patron a insisté sur le fait qu’il n’avait rien à voir avec eux. On encore les gays choisissent de se faire très discrets dans les restaurants où ils ont leurs habitudes, qu’ils se mêlent à la clientèle ou qu’ils soient les seuls clients (comme au Louis’ fréquenté par des gens de théâtre ou au Jewel). Mais le Louis’ finira par être repéré (mentionné en 1924 comme un rendez-vous de clientèle pédé chic par une feuille de potins de Braodway) sans entrainer de sanction.
Cette loi sera utilisée après la prohibition en 1933 pour interdire la réunion d’homosexuels dans ls lieux publics.
Avec la prohibition de nombreux locaux commerciaux, destinés aux bars, se transforment en restaurants, ainsi les deux chaines de cafétérias Childs et Horn & Hardart, jouent un rôle important dans la vie gay dans les années 1920. A la faveur de la Dépression Horn & Hardart voit le nombre de ses restaurants à distributeurs automatiques (Automat) se développer, il y en aura 40 à Manhattan. Ils sont des refuges pour les gays désargentés, à l’écart de la surveillance. Dans les années 1920-1930 les 2 cafétérias du Village, la Stewart’s et la Life Cafeteria, sur Christopher Street (au niveau de Sheridan Square), sont transformés en spectacle par la présence excentrique des gays (un peu comme les établissements du Bowery en 1900). L’Automat de la 42ème rue devient particulièrement célèbre et bruyant et Vanity Fair signale en 1931 que le Childs du Paramount est particulièrement intéressant parce qu’on y trouve « une touche de mauve ». A la fin de 1933, le Broadway Brevities rapporte qu’un restaurant de Sheridan Square est devenu « un lieu de réunion pour un clan nocturne, les membres du 3ème sexe. Gousses, pédales, tapettes, lesbiennes et autres du même genre se retrouvent là le soir, faisant étalage de leurs jalousies et de leurs affaires de cœur ». Dick Addison qui, à l’âge de 16 ans, se rend pour la 1ère fois en 1939, à la Life Cafeteria parle d’un « vrai repaire pour des gays de tout le pays, très maquillés et cheveux longs ». Les gays utilisent une stratégie pour conquérir un espace, celui d’en accentuer la théâtralité, rendant ainsi la scène moins scandaleuse et moins menaçante.
En 1939 il y aura 44 cafétérias et restaurants Childs à Manhattan, et d’autres chaines apparaissent.
Parfois avec la complicité du gérant qui se rend compte que les choses sont allées trop loin, la police e les ligues morales interviennent, ainsi en février 1927 le Ligget’s, drugstore de la 42ème rue, fait l’objet d’une intervention de la police qui arrête un nombre de clients suffisant pour remplir 2 fourgons.
Sur dénonciation du Comité des 14 qui développe sa campagne anti-homosexuelle, un soir de 1920 l’hôtel Koenig (4ème rue, près de la 1ère Av.) connu comme un repaire de gays et de prostituées fait l’objet d’une descente de police, parmi les hommes blancs et jeunes arrêtés, dont ¼ sont avec un compagnon, très peu habitent le quartier ; dans un accès de sévérité 23 personnes sont inculpées et condamnés à des charges lourdes 10 jours de travail et les autres à des amendes de 50 $, au nom du délit de « trouble dégénéré à l’ordre public ».
Dans les années 1920-1921 sur les 200 hommes arrêtés pour homosexualité, avec l’aide de la Société pour la suppression du vice, 39 travaillent dans un restaurant. Frederick Whitin, secrétaire général du Comité des Quatorze, suppose en 1921 que cela peut être lié au fait que ls gays s’étaient tournés, comme les prostituées, vers les restaurants, après la fermeture des bars, pour en faire leurs repaires principaux.
En 1926 le sociologue Walter Reckless parle de la « désorganisation personnelle » qui aboutit à affranchir « les pulsions et les désirs… des chemins socialement approuvés ».
Des lois sont adoptées dans les années 1930 qui proscrivent les bals travestis les plus importants, censurent l’image des gays et des lesbiennes dans les films ou les pièces de théâtre et interdisent les emplois aux homosexuels dans les restaurants, bars et clubs.
L’artiste de cabaret Harry Richman est dénoncé par la presse en 1933 pour ses tenues de couleurs « gaies », son costume vert, ses sous-vêtements de couleurs vives, son amour de la soie et des bijoux. D’autres sont stigmatisés pour leur coiffure, leurs sourcils épilés ou leur démarche. A l’inverse, un témoin déclarera : « Au début des années 1920, il fallait être très efféminé pour être identifié ».
Au cours du 1er semestre 1921 au moins 67 hommes sont arrêtés pour racolage homosexuel dans les cinémas de Manhattan
En 1928 Augustus Granville Dill, militant de la National Association for Advancement of Colored people et directeur commercial du journal The Crisis, dandy très estimé dans les cercles de Harlem est arrêté dans les toilettes d’une station de métro, il est aussitôt licencié de son journal.
Les hommes qui fréquentent les toilettes publiques sont en général relativement pauvres, en 1938 et 1940 sur les détenus homosexuels détenus dans la prison municipale souvent arrêtés dans ces toilettes, près de 50% sont des travailleurs sans qualification, 13% sans emploi, et 1/3 habitent avec leur famille dans des immeubles sociaux, seuls 3 à 5% appartiennent à des professions libérales ou habitent dans des logements « supérieurs ». Le métro et ses toilettes est le lieu de rencontre pour tous.
En 1927 Times Square Building est apprécié des marins qui se font sucer. En 1938 des enquêteurs du bureau des alcools remarquent que parmi les marins d’un bar de Brooklyn certains partent avec des filles d’autres avec des tantes ; ils recommanderont à l’Etat de fermer le bar parce qu’il « permet aux tapettes de s’y rassembler » au milieu des prostituées.
L’Etat construit un placard obligeant peu à peu les gays à y rester.
C’est le temps des « fag » (pédale, tapette) et « faggot » pour désigner les gays normaux, des « queer » (bizarres et anormaux, qui veulent se distinguer eux-mêmes ainsi des gens normaux) et des efféminés (« flaming faggots », « fairies », « she-man », « nances », « queen » et « sissy »), ainsi que des « bull daggers » (gouines). Ils aiment « tout ce qui est « camp » agréable à regarder selon eux.
Ils se distinguent eux-mêmes des « trade » de vrais hommes (marin, soldats et idéaux masculins) qui ne sont pas homosexuels mais acceptent les avances des « queers ».
Le mot « gay » concerne plutôt les bars que les personnes
Les hommes qui organisent les énormes bals travestis s’approprient les rituels de la culture dominante (bals masqués et bals des débutantes) les dotant d’une signification nouvelle. De son côté le monde normal se définit en opposition au monde « anormal », déterminant peu à peu ce qui est normal et anormal (comportements et pratiques physiques, signification de chaque partie du corps).
En 1929 une descente de police dans la sauna Lafayette est très brutale, plusieurs personnes sont battues dont un Suédois qui a 2 côtes cassées.
Dans la prison municipale de New York (Welfare Island) les « tapettes » sont emprisonnés à l’écart, mais cela ne met pas de terme aux relations homosexuelles en milieu carcéral, entre « loups », sodomites actifs, qui restent considérés comme des hommes normaux et sont même valorisés, et « punks ». Et des bagarres éclatent entre hommes ayant des pratiques homosexuelles à propos d’une tante.
Le Comité des Quatorze jouera un rôle majeur dans les campagnes contre le vice jusqu’à sa disparition en 1932.
1933 le roman gay Better Angel présente un personnage gay entièrement bienveillant, qui proteste contre « l’étrange agressivité de l’homme normal contre les gens comme nous. Nous sommes tous, pour lui, comme la tante des trottoirs de Times Square, fardée, zézayante et ondulante… une racoleuse ». Il refuse en quelque sorte de se penser comme une « tapette flamboyante » ou un membre du « 3ème sexe ».
Dans les années 1930, nombreux sont ceux qui refusent de se couler dans le moule de la « tante » (« faggot », « fairy » et « queens »). Certains se contentent du rôle de « trade », d’autres refusent toute étiquette, et se comporter comme une « tante », et prendre plaisir au travestissement (passage obligé de la culture du Bowery) était désormais une étape, suivi d’un rejet.
Dans les années 1930-1940, apparaissent les bars à clientèle exclusivement gay.
D’autres manières d’être gay se découvrent, le choix d’une vie moins désordonnée et plus discrète jouent un rôle. Et le harcèlement policier pèse alors moins fort. Et ils bénéficient comme le dit Samuel M. Steward, à propos des années 1920-1940, d’un « extraordinaire parapluie : l’ignorance et la naïveté du public américain. ». Le public n’a pas conscience de ce qui se passe et que « ce qui est gay n’est pas soupçonné de l’être ». Peu à peu même les « tantes » sont l’objet de critiques à cause de leur comportement trop voyant qui nuit à l’image de tous les homosexuels. Et certains sont dans la hantise d’être perçus comme une tante lorsqu’ils se promènent dans la rue, même si nombre de pédés ne se comportent pas de manière si différente des tantes lorsqu’ils se trouvent dans un cadre sûr.
Sous l’influence des traités sexologiques de Havelock Ellis (1859-1939), certains homosexuels croient savoir qu’ils sont happés par un amour « féminin » sous une apparence masculine. D’autres rejettent ce raisonnement et, à l’image de Walt Whitman (1819-1892) prônant « l’amour viril des camarades », affirment que l’amour pour les hommes est davantage « masculin » que l’amour pour les femmes.
Les pédés des classes moyennes – du Village, de Harlem et de Times Square – imputent l’hostilité à l’égard des gays à l’incapacité des tantes – des quartiers populaires du Bowery, des quais et de Harlem – de à se conformer aux conventions hétérosexuelles bourgeoises de la bienséance dans leur vêtement et leur allure (de la même façon que l’« extranéité » des juifs orthodoxes et l’ « arriération » des noirs, les rendaient incapables de s’assimiler).
Les uns se construisent volontiers un personnage sophistiqué et maniéré, voire marqué par l’élégance et l’esprit attribué à l’aristocratie anglaise – avec toutefois un grand soin pour ne pas détoner sur les gens normaux dans la vie courante – les autres un personnage démonstratif et très efféminé.
Les gays sont attirés par les hommes normaux très virils (qui ont habituellement les femmes comme partenaires sexuels), c’est le « culte du jeune homme normal du peuple, c’est-à-dire des basses classes » comme dit l’écrivain Glenway Wescot, ils sont plus virils mais aussi plus disponibles que les jeunes hommes des classes moyennes. Alfred Kinsey dans ses enquêtes des années 1930-1940 constatera cette disponibilité plus grande (c’est pour eux une forme de sexualité, un besoin humain naturel, acceptable car non censuré par des préceptes moraux).
Le mot « queer » (différent) utilisé dès les années 1920 exprime ce refus du moule.
Le mouvement de fond existe depuis le début du XXème siècle, les hommes des classes moyennes imaginent de plus en plus que leur virilité dépend exclusivement de l’intérêt sexuel exclusif qu’ils portent aux femmes.
Fondés sur des récits de vie des années 1930 et 1940, les travaux de Kinsey indiqueront que 4% des hommes interviewés racontent avoir été exclusivement homosexuels et 37% au moins disent avoir eu à l’adolescence une relation homosexuelle allant jusqu’à l’orgasme.
Les impératifs de l’hétérosexualité et de l’hétérosociabilité sont de plus en plus évidents dans les classes moyennes. Les relations homosociales cèdent le pas à une sociabilité hétérosociale au fur et à mesure que se multiplient des lieux de divertissement accueillant les hommes et les femmes (des parcs d’attraction aux dancings). Les guides matrimoniaux se développent dans les années 1910-1920, donnant davantage de place aux femmes (égalité des sexes, mariage d’amour, intimité affective et satisfaction sexuelle de chacun) à l’inverse de la période précédente qui mettait l’accent sur les hommes et leur capacité de nourrir leur famille. Les bars clandestins de la Prohibition dans les années 1920 encouragent l’atmosphère mixte.
Près de 50% des femmes qui ont obtenu un diplôme universitaire dans les universités féminines à la fin du XIXème siècle sont restées célibataires, prises entre deux feux (la maternité et leur travail), mais dans les années 1920 le % de femmes qui se marient augmente, et elles rejoignent les organisations professionnelles et politiques (dominées par les hommes) qui peuvent davantage (que les organisations proprement féminines) faire avancer leurs causes, mais elles souffrent de stigmatisation lorsqu’elles vivent sans hommes et la révolution sexuelle portée par les mouvements féminins des années 1910-1920 apparaît alors comme une contre révolution hétérosexuelle.
Du côté des hommes, l’installation de l’hétérosexualité comme précondition de la normalité masculine dans les classes moyennes entre en confrontation avec le comportement des hommes des classes populaires plus enclins à avoir des rapports homosexuels.
Les études de Kinsey indiqueront que plusieurs générations d’hommes des classes moyennes avaient considéré le contrôle sexuel de soi comme déterminant pour l’image de gentleman et comme moyen de se distinguer des hommes des classes populaires. Et ils pensent de plus en plus que tout homme qui pratique l’homosexualité peut être considéré comme « étant » un homosexuel.
En 1916, un médecin s’en prend aux femmes qui cherchent à restreindre les prérogatives sexuelles masculines, considérées comme des prédatrices lesbiennes.
Les médecins distinguent fréquemment 2 catégories, les invertis (dotés de caractères féminins, ils sont attirés par les hommes) et les pervers (hommes masculins, ils pervertissent leurs pulsions sexuelles normales en répondant aux avances de quelqu’un qui est anatomiquement homme, éventuellement inverti).
En 1921 le Dr Perry Lichtenstein établit un rapport sur les homosexuels du pénitencier de New York, il voit les tantes comme des « monstres de la nature » qui ne cherchent pas à avoir des rapports avec d’autres tantes mais avec des hommes normaux, lesquels répondent à leurs avances à cause d’une perversion délibérée. Et s’il exprime de la sympathie pour ces « tantes », il n’a aucune pitié pour les hommes « normaux » qui les fréquentent.
Les célibataires constituent 40% ou plus des hommes de plus de 15 ans habitant Manhattan au cours le 1er tiers du siècle. En 1928 le New York Times considère que New York est la ville des célibataires, avec 900 000 hommes et 700 000 femmes non mariés.
Des enclaves résidentielles et commerciales gays se développent dans le Bowery, à Greenwich Village, Times Square et Harlem. Ce sont les principaux secteurs où se trouvent les chambres meublées pour hommes célibataires. La location à des gays, dénoncée par des « réformateurs » moralistes, n’est pas refusée par les propriétaires qui y trouvent leur compte financier.
La Prohibition permet au monde gay de se développer considérablement et de devenir plus visible.
Dans les années 1930 une puissante campagne contre la vie gay est lancée.
En 1932 Henry Gerber, fondateur de la Société pour les droits de l’homme, revenu d’Europe où il est parti à la suite de la dissolution de cette association, stigmatisera dans Modern Thinkers l’attitude américaine incapable de laisser les homosexuels vivre librement, les contraignant au monde souterrain et à la perversion.
En 1920, l’YMCA de New York accueille plus d’un millier de jeunes hommes dans 7 résidences. Durant la 1ère guerre mondiale ces YMCA ont acquis une réputation de centre de vie sociale et sexuelle chez les gays, des marins de Newport en véhiculaient discrètement l’information. Lors de la Grande Dépression cette réputation se développe et lorsqu’en 1930 deux nouvelles résidences hôtelières sont construites, elles deviennent vite célèbres dans le monde homosexuel. Sloane House, 34ème rue Ouest angle Neuvième Avenue, qui offre 1 500 chambres en courte durée à des jeunes gens de passage, a une réputation de « colonie gay », et la West Side Y, 63ème rue angle Central Park Ouest, qui offre des logements à long terme, est qualifié par un visiteur de « bordel élégant ». En plus des chambres, des salles de culture physique, des piscines (où l’on peut se baigner nu), des restaurants sont disponibles. Ce sont des lieux d’initiation pour les nouveaux arrivants à New York. Les gays aiment raconter que YMCA signifie « Why I’m so gay ». Des directeurs de YMCA se sont efforcé de réduire les comportements non désirés en assignant des militaires à certains étages, en répartissant les classes d’âge ou en interdisant la venue de visiteurs, mais en général ce sont les inclinations personnelles des réceptionnistes ou des services de sécurité qui permettaient ce laxisme. Les gays connaissent les risques mais ils les limitent en respectant les règles.
Le Bachelor Appartments (48ème rue Est) et l’Hermitage Hotel (42ème rue) sont spécifiquement destinés aux célibataires aisés. Ils contribuent au développement monde gay bourgeois et offrent des logements convenant à ceux qui ne vont plus en YMCA et vivent hors du système familial. Ainsi une enclave résidentielle gay bourgeoise se forme dans l’Upper East Side, au cours des années 1930-1950. Une autre, moins prospère, se forme dans la 40ème rue à l’Ouest de la Huitième Avenue, dans les immeubles bon marché de Hells Kitchen.
L’hôtel Saint George à Brooklyn est « presque entièrement gay » en 1940 selon un témoin qui s’y installe à l’invitation d’amis qu’il a rencontré au Red’s, un bar très fréquenté de la Troisième Avenue, au coin de la 50ème rue qui attire la clientèle gay depuis les années 1920.
En quelques années l’hôtel Saint George est occupé en majorité par des gays, un processus analogue se produit dans d’autres immeubles (ainsi un immeuble d’une rue entre la 50ème et la 60ème devient entièrement gay dans les années 1950). Ces chambres meublées destinées à des travailleurs saisonniers offrent tous les avantages aux homosexuels. Leurs locataires prennent leurs repas à l’extérieurs développant ainsi leurs relations sociales. Pour sauver les apparences, les locataires s’y tiennent à un comportement « acceptable ».
Dans les années 1930 et 1940, les établissements de bains qui ne sont pas fréquentés par une clientèle gay déclinent. L’Ariston et le Lafayette sont fermés mais remplacés par d’autres ciblant cette clientèle. Et la plupart d’entre eux subsisteront jusque dans les années 1970. Dans les années 1930 l’Everard a acquis une réputation de bains le plus chic, le plus sûr et le plus fréquenté, réputé pour « appartenir » à la Ligue sportive de la police.
Le Penn Post Baths ouvert dans les années 1920, au sous-sol d’un hôtel de rendez-vous miteux, est fréquenté le soir, surtout après la fermeture des bars, avec une clientèle diversifiée du fait de son prix d’entrée bon marché, il a mauvaise réputation chez les gays des classes moyennes. La plupart des bains refuseront la clientèle noire jusque dans les années 1960.
Le Mount Moris Bath, ouvert en 1893 à Harlem, est le seul à admettre une clientèle noire, devenu un établissement gay apparemment dans les années 1920. Il est également fréquenté par des blancs.
Le St. Mark’s Bath, ouvert en 1915 dans l’East Village, est à l’origine un établissement juif, pendant la Seconde guerre mondiale il commencera à attirer la clientèle gay le soir venu.
En 1930-1931, sous l’influence de la Prohibition, la vogue des tapettes culmine dans les night-clubs de New York, une profusion de romans, de films et articles de journaux maintiennent les tapettes sous le regard du public.
Mais au terme d’une décennie au cours de laquelle la présence des gays et, de manière plus limitée, des lesbiennes, était devenue très ostensible dans les boites, les rues, les journaux, les romans et les films, un puissant retour de bâton se fait jour contre la vogue des tapettes. La réaction antigay s’intensifie entre le début et le milieu des années 1930, alors que se déclenche une réaction plus générale contre les expérimentations culturelles de la Prohibition et contre la mise à mal de l’ordre sexué par la grande Dépression. En septembre 1931 la police organise « une rafle des homosexualistes présumés » qui se réunissent dans la 42ème rue, près de Bryant Park. Et l’élection de Fiorello La Guardia, comme maire de New York, connu pour son moralisme renforce le mouvement antigay.
La Prohibition a été un échec à New York, criminalisant une bonne partie de la vie nocturne, menant de nombreux entrepreneurs à la faillite et conduisant à la fermeture de nombreux restaurants et hôtels célèbres, sans empêcher les gens de boire et de se réunir de manière peu respectable. Elle a abouti à la création d’une économie clandestine contrôlée par les syndicats du crime et a entrainé une révolte populaire contre l’application de la loi. Elle a créé un demi-monde de bars clandestins au sein duquel les frontières de la sociabilité publique acceptable a été reconfigurée par le mélange sans règle des classes et des sexes.
Le président Franklin D. Roosevelt associe l’annonce de la fin de la Prohibition à un appel national à un effort pour empêcher « un retour des saloons que ce soit dans leur forme ancienne ou sous un masque moderne »
Le Bureau des alcools mène une lutte acharnée contre les bars fréquentés par une clientèle gay, si les bars gays prolifèrent dans les années 1930, 1940 et 1950, leur durée de vie excède rarement quelques mois, les gays sont obligés de changer constamment d’endroit.
En 1939 propriétaire du Times Square Garden & Grill, Morris Horowitz, n’a pas cherché à attirer la clientèle gay est devenu depuis le milieu des années 1930, l’un des principaux du secteur des bars gays et de la prostitution masculine. A l’approche de la Foire internationale, il a pris contact avec la police, il a été soumis à la surveillance de la police et du Bureau des alcools, ainsi que de l’armée, au-delà de ce qu’il imaginait, une descente de police chasse les clients et l’oblige à fermer. Par la suite le propriétaire du bar perd son procès.
Dans les années 1940-1950
Cette répression s’intensifiera après-guerre avec le maccarthysme.
La guerre produit une sortie de placard à l’échelle de la nation, en libérant les hommes du contrôle de la famille et de leurs voisins, en les plaçant dans un milieu monosexuel, en augmentant les chances des militaires en mouvements de rencontrer des gays.
Il y a prolifération des bars et des restaurants gays, apparition de réseaux nouveaux de sociabilité gay.
Les entrées compliquées et bruyantes permettent d’avoir les informations nécessaires sur les dangers encourus pour accéder aux toilettes (ou « salons de thé »). Ainsi dans les années 1940, pour accéder à l’un des « salons de thé ») les plus célèbres, au 8ème étage du RCA building au Rockfeller Center, il faut franchir plusieurs portes dans un long couloir et ceux qui sont déjà dans les toilettes sont aisément avertis que quelqu’un approche.
Ainsi un mouvement politique gay né de la subculture gay qui s’est développé pendant la guerre (deux décennies avant Stonewall)
Le monde gay continue à prospérer mais la vie gay devient moins visible dans les rues et les journaux, les lieux gays sont circonscrits et dissimulés, il est plus risqué de les fréquenter
La Guerre froide s’accompagne de la censure de toute étude sur la culture gay, et les études pionnières sur l’histoire gay et lesbienne se font hors de l’université (avec Jonathan Katz et Joan Nesle)
Le terme de « gay » (à l’origine concernant les plaisirs immoraux des femmes prostituées) devient dominant parmi les qualificatifs antérieurs.
Le mot « queer » est désormais considéré comme dégradant, le mot gay lui est peu à peu préféré.
Désormais la frontière entre homosexuel et hétérosexuel s’établit de façon rigoureuse, et une aventure homosexuelle pour un hétérosexuel devient stigmatisante.
Dans les années 1940 et 1950 ce seront les Noirs et les Portoricains qui seront les cibles principales des poursuites, en vertu des lois anti-vices.
Le harcèlement des bars gays par la police et le Bureau des alcools s’intensifie pendant les années d’après-guerre. Mais les fermetures et arrestations pour trouble à l’ordre public ont souvent des conséquences catastrophiques pour les propriétaires (amendes, prison) et pour les établissements.
En 1954, soit 15 ans après l’affaire du Times Square Garden & Grill, les tribunaux commencent à s’inquiéter du zèle déployé par le Bureau des alcools dans sa volonté de punir les bars qui avaient servi un verre à un gay ou une lesbienne, dans la mesure où cela finit par mettre en péril la stabilité même du commerce des débits de boissons.
Pendant plus de 30 ans après la fin de la Prohibition, les efforts légaux des bars gays pour combattre l’interdiction qui les frappait restent dans une impasse.