Guy Hocquenghem

Les vies de Guy Hocquenghem (1946-1988)

source : Antoine Idier, 2017

1946 : naissance, fils de Madeleine Deschênes et du flamand Alexis Hocquenghem, normaliens et agrégés, il a 9 frères et sœurs, Joani et Anne naissent après lui en 1949 et 1951

1960 : Gilles Sandier – que Guy connaitra quelques années plus tard –  écrit un roman épistolaire L’an n’aura plus d’hiver, mêlant relations hétérosexuelles et homosexuelles, qui est jugé excellent par la revue Arcadie

1961 : 15 ans, sa mère lui demande : « Tu ne serais pas homosexuel, au moins ? », il a alors une liaison  avec un homme beaucoup plus âgé que lui

Juillet 1963 : il passe son bac en philosophie, mention bien

1963-64 : en hypokhâgne au  lycée Henri IV, prépa à l’Ecole normale supérieure il présente un exposé sur le théâtre de Sophocle, il est primé en philosophie, en géographie, en histoire et en physique

1963 : parution en France d’Eros et civilisation d’Herbert Marcuse

 

1964 : Guy y fonde le cercle des Jeunesses communistes, oppositionnel  (pour l’indépendance de l’Algérie) à la ligne du PCF (pour la paix en Algérie), mais le PCF reprend peu à peu  le contrôle de l’UEC (en janvier 1966 le secteur lettres de la Sorbonne, animé par Alain Krivine est dissous) et Guy rejoint la JCR (jeunesse communiste révolutionnaire) à Pâques 1966 ; il rédige de nombreux textes théoriques pour la JCR et  pour la Grande Encyclopédie Larousse les articles sur la révolution russe ; il participe à la fondation de l’AGEP (association des étudiants préparationnaires), il milite à l’UNEF et à la MNEF

1964 : Guy fait la connaissance de son professeur de philosophie René Schérer (né en 1922, frère du cinéaste Eric Rohmer, agrégé de philosophie, membre du PCF dans les années 1950, exclu pour homosexualité) : « L’homme qui lui a tout appris, le sexe et la politique, à une époque où c’était les seules préoccupations profondes » ; plus tard ils feront cours ensemble à Paris VIII Vincennes « sur l’enfance, l’esthétique moderne, la gnose chrétienne et la découverte du Nouveau Monde » ; il voit dans Jean-Paul Sartre un « maître »

 

1965 : Guy échoue au concours de prépa à l’ENS, et redouble sa khâgne

1965 : la Revue française de psychanalyse explique que l’homosexualité est « un mécanisme de défense fréquent utilisé contre l’anxiété paranoïde »

1966 : il est admissible, il se distingue en philo et en histoire ancienne, il est admis à l’ENS (34ème ex-æquo) ; membre des JCR, il est en opposition aux maoïstes de l’UJC(ml)  majoritaires, liés à Althusser, passés aussi par l’UEC ; encore au placard, mais vivant plus ou moins librement son homosexualité, il est souvent soupçonné publiquement d’être homosexuel, ce qu’il vit violemment

1966 : Guy aime aller au « Moulin » (maison de campagne dans le Berry des frères Pierre et Georges Sallet, où Gilles Sandier – Georges – est professeur de lettres et critique de théâtre au Nouvel Observateur, ils « rassemblent autour d’eux une cour de folles mondaines, avocats, directeurs de société, gens de théâtre » écrira Guy) ; grâce à Gilles Sandier Guy fait la connaissance de Patrice Chéreau et du directeur de théâtre de Nancy, Jacques Lang, il rencontre aussi son « 1er amour » Rémy Germain, acteur de Chéreau, né en 1945

7 octobre 1966 : la promotion de Guy est accueillie par le directeur de l’ENS, Robert Flacelière (parmi eux Laurent Fabius) ; désormais salarié, Guy va en profiter pour …cesser toute activité universitaire dira-t-il plus tard

 

1967 : à Nanterre, l’occupation par des étudiants du bâtiment des filles à la résidence universitaire se fait après une conférence sur Wilhelm Reich (celui-ci formé à Vienne par Freud a fui le nazisme pour les USA, sa conciliation du marxisme et de la psychanalyse a été l’objet de vives criques de la part du parti communiste allemand)

1968 : parution en France de l’Homme unidimensionnel d’Herbert Marcuse traduit par Monique Wittig

3 mai 1968 : lors des barricades du Quartiers latin, Guy est interpellé parmi 574 personnes (parmi lesquelles plusieurs futures « personnalités » Cohn-Bendit, Sauvageot, Krivine, Weber)

 

Mai 1968 : Guy réalise avec Daniel Bensaïd la feuille d’information de la JCR Aujourd’hui, son article « Pourquoi nous nous battons ? » paraît dans le 1er n° d’Action du 7 mai 1968

Un Comité d’action pédérastique révolutionnaire apparait à la Sorbonne, ses affiches son très rapidement arrachées. Ce Comité est fondé par Guy Chevalier.

Automne 1968 : Guy rompt avec le courant majoritaire de la LCR emmené par Henri Weber et Daniel Bensaïd, il l’un des meneurs de la 3ème tendance ; ils sont contre les « esthètes de la révolution », visant en particulier Daniel Cohn-Bendit et son frère, pour « la rigueur organisationnelle fondée sur l’autodiscipline et l’exigence militante », il fustige l’attitude « bureaucratique » et « la myopie du fétichisme organisationnel » (dans cette tendance il y a entre autres, son frère et sa sœur, Jean-Michel Grassi, Marc Hatzfeld, Michel Besmond, Françoise Renberg), ils sont presque tous exclus au début de 1969 lors d’une AG à l’école de médecine, Guy est traité de mao-spontex (spontanéiste, d’inspiration libertaire et anti-organisationnelle) ; Guy, à l’image de Jean-Paul Sartre qui devient directeur de La Cause du peuple en 1970, est séduit par la révolution culturelle en Chine (déclenchée en 1968) et par les mobilisations qui s’en inspirent (en faveur des prisonniers, des foyers d’immigrés, des femmes, des combattants du Viêt-Nam, etc.)

 

Pâques 1969 : Guy fait un voyage en Grèce accompagné de son camarade de l’ENS Michel Besmond, hétérosexuel dont il est amoureux (Péloponnèse, rives de l’Attique, Delphes, Epidaure, Mycènes et Olympie), Guy spécialiste en épigraphie grecque est passionné par la Grèce antique

Guy préfère suivre les cours de Jean-Pierre Vernant à l’EHESS (Ecole des Hautes études), agrégé de philosophie à la jonction du structuralisme et du marxisme, plutôt que ceux du conservateur catholique Flacelière

Eté 1969 : Guy voyage aux USA avec Michel Besmond et sa compagne Hélène Feldhanler, ils rencontrent des Black Panthers, des hippies à San-Francisco, des indiens au Mexique, Jerry Rubin et Abbie Hoffman fondateurs en 1967des Yippies qui font le lien entre contre-culture et politique révolutionnaire

28 novembre 1969 : Guy est dispensé d’agrégation, de justesse, par la commission des études ; dès lors Guy est payé en 1969-1970 pour écrire sa thèse de 3ème cycle

 

Début 1970 : Guy qui vit en communauté à Chatenay-Malabry, emménage avec ses proches (son frère et sa sœur, Besmond et sa compagne, Hatzfeld et Aïda Kebadian) à la villa des Roses  à Ivry sur Seine

7 mars 1970 : Guy avec une trentaine de militants de VLR (vive la révolution) effectue un raid sur la mairie de Meulan dont le bureau d’embauche participe à l’exploitation de travailleurs immigrés

Guy  et ses proches se lie à la base ouvrière de l’usine Renault de Flins, avec un groupe lié à VLR, moins rigide que la GP (gauche prolétarienne) qui a refusé de les accueillir aux usines Peugeot de Sochaux ; Guy qui milite plutôt aux usines Renault de Billancourt ne sera pas accepté par les camarades de Flins de crainte que la présence d’un pédé ne « choque les ouvriers » (ni Tiennot Grumbach, chef de la base ouvrière de Flins, ni Roland Castro leader de VLR n’interviennent en sa faveur)

 

Avril 1970 : Guy anime le groupe le base Censier, où se retrouvent les exclus de la LCR ; dans l’article qu’il publie dans le bulletin Faire la Révolution, il fait référence à Mao pour contester la maoïsme français (« marxisme-léninisme ossifié », « contrefaçon du maoïsme », « Khrouchtchev chinois français »), il veut une progression morale individuelle du militant et une révolution culturelle large (qui touche les institutions et mœurs bourgeoises, la culture, les mœurs, la famille, la fonction parentale, la médecine, l’université, la vie quotidienne, etc.) ; pour lui l’« établissement » en usine préconisé par le PCMLF n’est qu’un conformation à « l’ordre petit-bourgeois progressiste » et une « idéologie autopunitive du sacrifice individuel »

Mai 1970 : un groupe de femmes publie Combat pour la libération des femmes, ce sont Gille et Monique Wittig, Maria Rothenburg et Namaskar Shaktini, elles affirment : « Nous sommes le peuple »

 

Juin 1970 : Guy est condamné avec d’autres, suite à l’occupation en janvier de locaux de l’Education surveillée, à 6 mois avec sursis et 500 francs d’amende

26 août 1970 : manifestation des femmes au pied de l’Arc de Triomphe où elles déposent une gerbe « il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme » ; acte fondateur du MLF (mouvement de libération des femmes)

Automne 1970 : Guy rejoint comme chargé de cours en philosophie l’université expérimentale de Vincennes, le département a été fondé par Michel Foucault, assisté d’Alain Badiou, qui fait venir Gilles Deleuze, François Châtelet (jusque là professeur de khâgne à Louis le Grand),  Jean-François Lyotard et René Schérer ; c’est après qu’en janvier 1970, le ministre de l’Education nationale Olivier Guichard ait supprimé l’habilitation nationale des diplômes de philosophie, jugés marxistes-léninistes, de cette université (avec ses intervenants comme Jacques Rancière, Etienne Balibar ou Judith Miller) ; Châtelet qui prend la suite de Foucault en 1970 est très proche de Guy, alors que les proches de l’UJCML Badiou interrompent volontiers les cours de l’anarcho-désirant Deleuze qu’il qualifie aussi de gauchiste petit-bourgeois qui est sur la voie du « ralliement électoral à la clique Mitterrand-Marchais »

 

Octobre 1970 : lancement du journal Tout !; le projet de VLR est d’en faire un « France Soir rouge » en particulier en direction des jeunes, à l’intersection du marxisme-léninisme , des libertaires et de l’underground, il est tiré à 50 000 exemplaires, vendu à 25 000, Sartre -quoique plus proche de la GP – en est le directeur de publication, parmi les rédacteurs, outre Guy, Jean-Marie Léon, Roland Castro, Jacques Barda, Pierre Gangnet ; Sylvina Boissonnas, héritière Schlumberger, qui finance de nombreuses publications gauchistes et féministes, soutient le journal ; Guy cite Rubin auteur du livre Do it ! (« Ne gardez pas vos rêves pour demain ») ; le journal existera pendant 10 mois, il tient une place majeure dans le gauchisme français en offrant une tribune au MLF, au FHAR, au Front de libération des jeunes ou aux luttes des immigrés ; un texte d’Huey Newton , militant noir, co-fondateur du Black Panther Party, est publié : « rien ne nous permet de dire qu’un homosexuel ne peut pas être lui aussi un révolutionnaire … bien au contraire. » ; Tout ! tout en couleurs, caricatures et collages, se démarque du noir et rouge de La Cause du peuple diffusé par la GP et des autres journaux gauchistes

Décembre 1970 : dans L’Idiot Liberté Guy rend hommage à Jimi Hendrix et Janis Joplin

 

Début des années 1970 : Guy fait la connaissance de Copi, une relation intense et passionnée ; Copi est arrivé jeune à Paris, il est fils de sénateur argentin, petit-fils de directeur de journal, sa mère a une très forte personnalité

1971 : Guy parle d’une « conception homosexuelle du monde… vivre notre homosexualité ne s’arrête pas à coucher avec des garçons » ; à propos de Mai 1968, Guy écrit « Ce qui vient de se passer n’est pas une affaire de politique mais une affaire de civilisation, de changement de civilisation. »

Février 1971 : Guy publie un long article sur les drogues ; son frère, Hatzfeld et Aïda Kebadian  ont ramené du haschisch d’un voyage en Afghanistan et Guy s’est initié au LSD

10 février 1971 : la conférence du Pr Lejeune est chahutée, du mou de veau incarnant un fœtus est jeté sur le Pr opposé à l’avortement

Mars 1971 : Guy réunit une trentaine de personnes dans sa petite chambre, surtout des femmes, féministes et lesbiennes, qui ont chahuté la conférence du Pr Lejeune

Mars 1971 : Hatzfeld et Guy écrivent dans Tout ! un article les émeutes contre la réforme administrative en Calabre ; Guy voyage en Europe, en RFA il rencontre Daniel Cohn-Bendit, en Italie il noue des relations avec Lotta continua

5 mars 1971 : un meeting de l’association Laissez-les-Vivre est perturbé à la Mutualité

 

10 mars 1971 : les militantes (« des homosexuels assez âgés un peu folles et des lesbiennes » dira Guy) interrompent l’émission de Ménie Grégoire sur RTL sur l’homosexualité diffusée en direct de la salle Pleyel, il y a en particulier Monique Wittig, Christine Delphy, Elisabeth Salvaresi, Antoinette Fouque, Anne de Bascher ; le soir même le nom du FHAR (front homosexuel d’action révolutionnaire) est créé, grâce à « la brèche ouverte par le MLF » dira Guy, « le féminisme crée les conditions d’une nouvelle compréhension de ce qu’on appelle les luttes », et Monique Wittig dira que le marxisme a empêché les femmes « de se penser et de se constituer comme une classe pendant très longtemps » ; ces actions (de février et mars) sont menées par un groupe de femmes formé autour d’Anne-Marie Fauret (Anne-Marie Grelois) à l’intérieur d’Arcadie, constitué de Françoise d’Eaubonne (née en 1920), Namaskar Shaktini et Marie-Jo Bonnet (née en 1940), rejointes par Pierre Hahn (né en 1936), Laurent Dispot et Guy Chevalier, tous exclus par André Baudry président d’Arcadie. Guy Chevalier rejoint le FHAR par l’intermédiaire de Jean-Hedern Hallier, il a participé au Gay Liberation Front aux USA, il rapporte à Guy une brochure The Gay Manifesto de Carl Wittman qui préconise de « sortir du placard » et d’aller dans la rue ; Marie-Jo Bonnet a rencontré Anne-Marie Fauret et sa compagne Maryse dans le cadre du groupe fondé par l’étudiante américaine Namaskar Shaktini, les Polymorphes perverses. Les Gouines rouges regroupent des lesbiennes du MLF, Marie-Jo Bonnet refuse alors que le MLF  distingue l’« oppression générale » que subissent les hétérosexuelles de l’oppression prétendue « particulière » des homosexuelles (un débat qui agitera le MLF au cours des années 1970 dans le cadre de la revue Questions féministes ; avec le FHAR, il est soudain possible de parler de sa vie, de sa sexualité de soi, de « déplaire aux gauchistes respectables », de dire sa « rage » y compris contre les gauchistes, les militants de gauche sont qualifiés d’« hétéro-flics » ; Michel Cressole (né en 1948) a hâte de fuir la violence qu’il a enduré à Lutte ouvrière, Daniel Guérin (né en 1904) décrit sa « terreur permanente » car « se déclarer révolutionnaire et s’avouer homosexuel ne sont pas compatibles » ; Guy se réjouit de l’absence d’une « base politique minimale » ou de « manifeste » du FHAR, seul « le bordel des AG est constitutif », il permet de prévenir toute « prise de pouvoir » ; le Rapport contre la normalité, recueil de textes publié cette année-là par Champ Libre, s’ouvre sur une « adresse à ceux qui se croient normaux » de Guy, et ceux qui défendent « l’image virile de l’ouvrier ». Les animateurs de Lutte ouvrière qui fustigent « l’individualisme petit-bourgeois » des écrits du FHAR et de Jean Genet, sont traités de « gauchistes puritains… nos pires ennemis »

 

Avril 1971 : Guy exprime son amertume devant la gêne que ressentent ses proches quand il embrasse un garçon devant eux, y compris ses amis les plus proches de sa communauté de vie

 

23 avril 1971 : parution du n°12 de Tout ! consacré à la libération homosexuelle, il annonce la 1ère réunion homosexuelle aux Beaux-Arts le jeudi à 20h, il sera vendu lors du défilé du 1er mai, bénéficiant ainsi d’une large audience ; Anne-Marie Fauret écrit que la place des lesbiennes est « à l’intersection des mouvements qui libèreront les femmes et les homosexuels » ; le Manifeste des 343 est détourné « Nous sommes plus de 343 salopes, nous nous sommes fait enculer par les Arabes, nous sommes fiers et nous recommencerons » ; parmi les autres contributeurs Jean-Jacques Lebel et Bernard Kagane ; Jean Le Bitoux dira que c’est « un des grands éclairs qui ont traversé sa vie » ; le numéro fait scandale parmi les membres de VLR, chez les libraires et la police le saisit, le député Jean Royer dépose plainte contre J-P Sartre directeur de la publication (les militants du FHAR iront protester dans sa ville chantant « Le maire de Tours est un certain Royer / qui n’a jamais pu se faire …hé hé hé ») ; le n°13 témoignera de la grande diversité des réactions, un n° sera consacré à la prise de parole des féministes, puis il y aura la dissolution de VLR et l’arrêt du journal

26 avril 1971 : salle Pleyel débat sur l’avortement organisé par le club du Nouvel Observateur qui vient de faire paraître le Manifeste des 343, du nombre de femmes qui affirment avoir avorté illégalement ; des féministes interrompent le débat, Guy fait partie des perturbateurs, il parle à la tribune et vend le n°12 de Tout, le journaliste François Paul-Boncour lui propose de recueillir son témoignage

 

1er mai 1971 : le FHAR participe à la manifestation aux côtés du mouvement féministe, « on dansait, on s’embrassait, on se caressait »

Au cours de l’année 1971 : parution du journal maoïste J’accuse, proche du GIP (groupe d’information sur les prisons) fondé par Michel Foucault, Pierre Vidal-Naquet et Jean-Marie Domenach (de la revue Esprit) de faire parler ceux qui sont réduit au silence, soit 60% des Français (se rapprochant ainsi de la démarche du FHAR)

Eté 1971 : séjour au Maroc de Guy Hocquenghem, Loïc Natral, Michel Cressole, Finet et Rémy Germain, en Simca 1301 break commerciale, ils restent plusieurs semaines dans une maison louée à Marrakech, puis Guy et Loïc retrouvent à Casablanca Christian Belaygue et Jean-Michel Zurfluh, ils dorment dans un cabanon sur la plage de Mohammedia, puis partent vers le sur, Erfoud et Rissani. Une autre fois Guy voyagera avec Jean-Denis Seince et séjournent dans le grand hôtel de Marrakech, La Mamounia (ils y rencontrent le futur secrétaire d’Etat à la Culture Michel Guy), et une autre fois à Sidi Bou Saïd près de Tunis où  « on a trouvé notre thébaïde » écrira alors Guy.

Automne 1971 : les Gouines rouges ont peu à peu déserté les AG des Beaux-Arts, Marie-Jo Bonnet dira « On a découvert à quel point on ne comptait pas : ils ne nous écoutaient pas »

 

1972 : parution de l’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari qui parlent des « machines désirantes », référence majeure qui nourrit les 1ers livres de Guy ; Bernard-Henry Lévy le qualifie de « l’un des livres essentiels de ces dernières années » (mais il changera d’avis en 1977 dans La Barbarie à visage humain)

1972 : le communiste Pierre Juquin affirme que « la couverture de l’homosexualité ou de la drogue » représente « le contraire du mouvement ouvrier » et Gérard Filoche de la Ligue communiste dit que si la lutte homosexuelle est « justifiée » les « organisations d’homosexuels » en ont toutefois « donné une image caricaturale »

10 janvier 1972 : 1er coming out public en France par une tribune dans le Nouvel Observateur « La révolution des homosexuels » : « Je m’appelle Guy Hocquenghem. J’ai 25 ans…Il a fallu trois ans, après Mai 1968, pour que l’auteur de ce témoignage et d’autres hommes  qui aiment les hommes osent lutter à la fois pour la liberté de tous et pour la leur. » ; Guy parle de ses amis homosexuels : Patrice Finet, Michel Cressole, Copi, Hélène Hazera, Gilles Châtelet, Loïc Jouan, Loïc Natral ; l’appartement des parents de Michel Cressole, rue Mazet, est devenu le quartier général d’un groupe informel du FHAR les Gazolines, extravagantes, situationnistes et surréalistes, parmi elles Hélène Hazera, Philippe Genet, Paquita Paquin, Jean-François Briane ; Jean Daniel a hésité à publier l’article et Daniel Guérin souligner le boycott dont Jean Daniel fait preuve à l’égard de ses propres écrits au prétexte qu’il « compromettrait les idées de gauche » ; au FHAR les critiques accusent le « vedettariat » de Guy

 

17 janvier 1972 : Guy est arrêté lors de l’occupation du ministère de la Justice par le GIP (groupe d’information sur les prisons) à laquelle participent Foucault, Deleuze, Sartre, Claude Mauriac, Daniel Defert et Glucksmann, en soutien à la mobilisation des détenus de la centrale de Melun

3-5 février 1972 : après son sursis d’incorporation, Guy participe aux opérations de sélection militaire au centre de Vincennes, il est exempté le 8 mars, il a eu recours à un psychiatre complaisant, ce qui lui permet de présenter un certificat attestant qu’il est « maniaco-dépressif »

25 février 1972 : lors de l’enterrement de Pierre Overney, militant maoïste chez Renault, tué par un vigile, les Gazolines jouent les « pleureuses » (Daniel Guérin est outré) ; lors d’un spectacle des Mirabelles elles manifesteront leur énervement, Yves Navarre les insultera, Guy qui n’est pas membre des Gazolines, agressera sur Navarre

Mars 1972 : parution de l’Anti-Œdipe de Gilles Deleuze et Félix Guattari, salué comme un événement, avec son analyse libidinale du capitalisme

5-7 avril 1972 : le FHAR se rend à San Remo pour perturber le Congrès international de sexologie « Les déviations sexuelles et leur thérapeutique »

Juin 1972 : Alain Fleig et le Groupe 5  fait paraître le 1er  n° du Fléau social

Juillet 1972 : parution de l’article de Guy Aux pédérastes incompréhensibles dans la revue trotskiste Partisans, il écrit qu’il se sent « relativement extérieur » au FHAR qu’il juge « institutionnalisé » dont les militants sont « enfermés dans une perpétuelle répétition »

25 septembre 1972 : Gérard Grandmontagne se suicide en prison à Fresnes, il a 31 ans, il a été condamné quelques mois auparavant à 8 jours de mitard pour relations homosexuelles avec un codétenu ; Guy qui accuse Foucault d’avoir laissé de côté la dimension homosexuelle du drame, dédie son livre Le désir homosexuel à Grandmontagne

 

Automne 1972 : Le désir homosexuel (réédité en 2000) ; en protestant « contre le découpage œdipien »  il soulève la question de la place de la psychanalyse et critique l’image de Sodome popularisée par le Dr Eck qui donne des rescriptions pour prévenir l’homosexualité et incite à la compassion  – Tony Duvert, né en 1945, et Renaud Camus, né en 1946, ont été l’un et l’autre, conduits par leurs parents chez le psychiatre et psychanalyste catholique Marcel Eck  – ; Guy accuse Reich d’être réactionnaire car il considère l’homosexualité comme « l’effet d’une inhibition très ancienne de l’amour hétérosexuel » alors qu’il voit davantage de compréhension chez Freud qui analyse le « désir polymorphe pervers » ; lors de la sortie du livre Guy se justifie : « Notre problème aujourd’hui, c’est de guérir les hétérosexuels, ça n’est plus de nous affirmer ni de nous justifier. » ; dans la Quinzaine littéraire Antoine Orezza parle d’un « très beau livre, très riche, traversé d’un vent impitoyable, qui renverse ce monde de statues, de bourreaux et de décors de théâtre » , dans Psychologie , Marcel Turbiaux se demande « si la virulence du FHAR ne traduit pas en fait le masochisme lattent mais présent chez beaucoup d’homosexuels », Arcadie réagit sévèrement, Marc Daniel (Marcel Duchein) souligne « un jargon le plus effrontément obscur » une lecture « particulièrement éprouvante », une « logomachie » servant à « habiller une pensée parfois bien fluette », il ne comprend pas le lien que fait Guy entre « désir homosexuel » et « société capitaliste » : « Il n’y a aucun lien nécessaire entre la libération politique et sociale dont rêve les gauchistes et la destruction des tabous sexuels. », à l’inverse Daniel Guérin fait dans Arcadie l’éloge de l’utopie sexuelle de Charles Fourier que cite souvent Guy dans son livre

Septembre 1972 : Schérer et Guy interviennent dans le 1er colloque international sous la direction d’Henry Lefebvre consacré à Fourier, opposant celui-ci à Marx ils soulignent son ouverture à la vie et au désir

 

5 février 1973 : parution du 1er n° de Libération

Mars 1973 : Guy publie son enquête sur la vie quotidienne des « dirigeants gauchistes et intellectuels révolutionnaires » dans Actuel, il a posé 70 questions, Deleuze qui a refusé de répondre critique son goût pour la  « provocation, la publication et les aveux publics »

Mars 1973 : n°12 de la revue Recherches intitulée « Trois milliards de pervers » elle affiche un ours prestigieux (Sartre, Foucault, Guérin, Genet, etc.) mais cela n’empêche pas qu’elle soit saisie par la police le 4 avril , la revue fait l’objet d’un procès pour outrage aux bonnes mœurs ; la revue du CERFI (centre d’études, de recherches et formations institutionnelles) née en 1966 au sein de la gauche révolutionnaire parisienne est dirigée par Félix Guattari, celui-ci travaille à la clinique de la Borde en charge des psychotiques, il a participé à la revue La Voie communiste qui a soutenu le FLN contrairement au PCF ; Guy coordonne ce numéro avec Anne Querrien, il se divise en 6 sections Arabes et pédés, masturbations, dragues, pédophilie, sado-maso et pédés et institutions, parmi les contributeurs Georges Marbeck, Christian Maurel, Bernard Kagane, Jean-Jacques Lebel

Les Cahiers du GRIF (périodique féministe fondé en 1973 par Françoise Collin) critiquent Trois milliards de pervers soulignant son obsession du pénis et de « la zone anale » : « Nous sommes assez loin des revendications de la sexualité féminine, ou de la sexualité tout court ». Cathy Bernheim a participé à sa rédaction, à travers le texte  Anna et la discussion collective féminine sur la drague (avec Anne Querrien, Catherine Deudon, Rachel Mizrahi, Christiane Rochefort et Evelyne Rochedereux), mais elle  rompt avec le groupe des rédacteurs. Lors d’un week-end à Orléans, elles ont vu les hommes partir les vendredis et samedis soir pour aller draguer en ville, lorsqu’elles expriment leur malaise face à cette sexualité rapide et éphémère, elles s’entendent traiter de « chiantes » et « bourgeoises ». la divergence est décisive sur ce qu’est la libération sexuelle. Déjà en 1971 Anne-Marie Fauret questionnait les garçons sur  leur façon d’évoquer constamment la domination et la violence. Et dans le n°15 de Tout ! les féministes de VLR et du MLF ont répliqué au n°12 « Votre libération n’est pas la nôtre » en donnant toute la place à la jouissance, « le plus jouir ». Guy répond qu’il ne faut pas confondre le plus jouir pour soumettre les femmes et l’homosexuel qui brise un tabou social. Mais il y a bien deux conceptions qui s’opposent dit A. Idier (l’auteur de la biographie de Guy), une libération sexuelle pensée en termes de sexe et une autre pensée en termes de domination masculine.

 

6-12 juin 1973 : Guy est à Berlin avec Anne Querrien et Gilles Châtelet pour le rassemblement Homosexuelle Action Westberlin

23 juillet 1973 : la circulaire du ministre Fontanet introduit « une information sur la sexualité » dans les programmes de l’enseignement

Octobre 1973 : Guy se rend au Palace avec les Gazolines lors de la 1ère de Luxe d’Alfredo Arias, il est en robe du soir verte à traîn

Décembre 1973 : Guy et Schérer créent une filière de sexologie à Vincennes, de 3h par semaine, ils sont soutenus par Châtelet, Deleuze, Lyotard, Georges Lapassade (psycho-sociologue spécialisé en analyse institutionnelle), Claude Alzon (enseignant en sciences politiques), Denis Guedj (enseignant en athématiques), Guattari et le Pr Milliez (médecin engagé en faveur de l’avortement) ; c’est l’année où est parue l’Encyclopédie de la vie sexuelle qui est un grand succès de librairie, Guy s’insurge contre « ceux qui prétendent  détenir le savoir sur le sexe », en particulier les médecins, avec Schérer il défend une « sexologie critique » faisant appel à l’histoire et au « mécanisme de répression », ils défendent les laissés pour compte (enfants, jeunes, déviants sexuels, transsexuel-le-s), ils recrutent Boris Fraenkel (traducteur d’Eros et civilisation d’Herbert Marcuse, paru aux USA en 1955, en France en 1963), deux anciens du FHAR, Guy Chevalier et Hélène Hazera, mais le 26 mars 1974 Minute écrit un article odieux « A Vincennes, le prof de sexe est un travesti ! » qui l’amène à cesser de travailler ; c’est aussi l’année où parait le livre de Tony Duvert Le Bon sexe illustré en réaction à l’Encyclopédie de la vie sexuelle, il critique aussi un « ordre » assuré par l’éducation sexuelle, une « idéologie » qui « détourne notre corps entier, notre énergie entière, capte et aliène nos résidus de désir et de liberté, et les enferme dans des codes »

 

1974 : René Shérer fait paraître L’Emile perverti, sur « l’idéologie pédagogique » ; son 1er cours à Vincennes porte sur la « critique de l’idéologie pédagogique »

1974 : parution du livre de John Lauristen et David Thorstad The Early Homosexual Rights Movement qui inspirera à Guy pour le film Race d’Ep !

1974 : parution de Après-mai des faunes, c’est le contrecoup de Mai 68 : « Nous sommes tous soudés, suicidaires en chaine, égarés du sens, perdus de révolution, effeuillés de nos rêves, face au grand hiver qui commence », « l’ordre à nouveau se fige » ; c’est le temps du « désœuvrement » , du « désespoir » et des « croyances en ruine » ajoute l’ancien de la GP (gauche prolétarienne) Olivier Rolin qui connaitra 7 années de dépression (de son côté Robert Linhart fondateur de l’UJCML, puis membre de la GP, établi en usine par conviction politique, fera une tentative de suicide en 1981) ; le livre paraît avec une préface de Gilles Deleuze dans la collection Enjeux dirigée chez Grasset par Bernard-Henry Lévy qu’il a connu à Normale Sup par l’intermédiaire de Laurent Dispot  et Philippe Nemo (d’autres livres paraissent alors dans cette collection, de Gisèle Halimi, Thierry Lévy, Christiane Rochefort) ; la presse est nombreuse et chaleureuse, avec des articles de Gilles Anquetil, Roger-Paul Droit, Isabelle Doutreligne, un article dans France-Soir, toutefois une vive discussion entre Guy et la féministe Annie Leclerc est publiée dans la Quinzaine littéraire

1974 : Guy s’installe dans les Cévennes,  il écrit Faux printemps dans lequel il préconise une « rupture » avec Mai ; puis il choisit de voyager, il partira pour le Mexique en 1975

Guy habite désormais dans le XIVème arr. avec Solange et Jean-Michel Gerassi, Loïc Natral et Malika Khelfa, en même temps il loue avec Jacques Barda et Lisette Mourot, la conciergerie d’une belle propriété à l’orée de la forêt de Fontainebleau, à Nanteau, où Michel Cressole, Loïc Natral, Rémy Germain et Copi viennent lui rendre visite, il leur arrive d’aller au Rocambole, une boite gay de Villecresnes, Guy s’occupe d’un jardin potager et d’un poulailler ; Guy quittera Nanteau au printemps 1978, lorsqu’il achètera avec René Schérer une maison de campagne, et il quittera le XIVème arr. pour un meublé partagé avec Rémy Germain, près de la place de la Concorde au début 1977

 

14 janvier 1974 : Guy soutient à Vincennes son doctorat d’Etat en philosophie, il obtient la mention très honorable sous la direction de François Châtelet (il use à cette occasion de la possibilité de soutenance sur travaux qu’offre de loi d’orientation de l’enseignement supérieur du 12 novembre 1968)

14 avril 1974 : procès pour outrage aux bonnes mœurs à la suite de la publication de Recherches, Guattari défendu par Me Georges Kiejman parle de « procès politique » : « nous avons voulu donner la parole directement aux homosexuels et on nous reproche cette inconvenance », Guattari est condamné à 600 francs d’amende, 1 115,23 francs de dépens et les exemplaires saisis doivent être détruits, Bruno Frappat dans Le Monde se dit d’accord avec le jugement ; à la suite du procès une seconde édition est réalisée diminuée d’une centaine de pages

13 juin 1974 : un groupe qui se réclame du FHAR investit les locaux de la Société française de sexologie clinique qui vient de se créer, inspirée par les travaux de William Masters et Virginia Johnson aux USA

Juillet 1974 : le Congrès international de sexologie médicale se tient à Paris

 

1975 : Michel Foucault qui fait paraître Surveiller et punir qualifie ses livres de « petites boites à outils » destinées à « court-circuiter, disqualifier, casser les systèmes de pouvoir »

1975 : à l’université de Vincennes, les relations se tendent entre enseignants en sexologie, entre sciences de l’éducation autour de Georges Lapassade (1924-2008, ancien des AG du FHAR et co-auteur de Trois milliards de pervers), et philosophes autour de Schérer et de Guy, si bien que ces derniers se proclament « antisexologues » et renomment leur filière « curant pluridisciplinaire de critique de l’économie sexuelle »

Février 1975 : l’affaire Meignant cristallise les conflits à Vincennes, le Dr Meignant recruté par Lapassade se réclame d’une sexologie humaniste, il s’oppose au Dr Gérard Zwang qui est un homophobe violent, mais un article du Nouvel Observateur déclenche une polémique à son propos, Schérer prend la défense de Meignant tout en contestant sa prétention à être sexologue

 

Printemps 1975 : parution de L’Antisexologue écrit par Guy et Schérer contestent les travaux sur la bio-énergie auxquels Lapassade a consacré un livre, inspiré par Wilhelm Reich et son disciple Alexander Lowen, la bio-énergie propose de libérer l’énergie sexuelle et met en cause l’éducation qui fait du corps libidinal un « corps productif », Guy et Schérer – indisposés par les écrits homophobes de Reich –  accusent cette théorie d’être « très conforme à l’idéologie dominante… aux antipodes de la libération du corps désirant » (Chatelet a mis aussi en cause cette « idéologie du désir… passablement autoritaire »)

3 juillet 1975 : Guy publie un de ses premiers articles dans Libération sur Jean-Paul Sartre et l’écriture d’après-mai ; il en publie d’autres peu à peu le 18 août sur le spectacle India de Marcia Moretto ; puis en 1976 et 1977 sur Pasolini, l’homosexualité et le viol

31 juillet 1975 : Guy est à l’origine de la Chronique des flagrants délires à Libération avec Christian Hennion et Alain Jaubert (sur les petits délinquants de la 23ème chambre du TGI de Paris)

Décembre 1975 : parution de Fin de section, recueil de nouvelles difficiles à comprendre et pas très soigné ; il expliquera « il n’y a pas eu d’écrivain ni d’écriture révolutionnaire depuis Mai » (c’est aussi un moment où Guy tire le diable par la queue)

 

1976 : parution du livre de Xavière Gauthier Dire nos sexualités, elle propose une critique féministe du discours de l’homme de science qu’est le médecin « substitut du Père tout puissant et représentant de la Loi », elle propose de « rendre à chacun sa sexualité »

1976 : parution du 1er tome de l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault La Volonté de savoir  interpellé par le mouvement de libération gay, il cherche à répondre à « l’injonction d’avouer ce que l’on est » ; Guy reprend ses analyses, après un siècle de psychiatrie il parle du « chamboulement silencieux » qui est déclenché par les féministes et les homosexuels, il considère toutefois qu’ « il n’y a pas d’homosexualité sans aveu » et stigmatise « le pédé coincé » dans La Dérive homosexuelle

Mars 1976 : dans Libération Guy titre « Tout le monde ne peut pas mourir dans son lit », il souhaite pour lui-même et ses proches une mort à la Pasolini et vitupère contre « la respectabilisation » et la « neutralisation » de l’homosexualité

 

4 mai 1976 : publication de Co-ire, n° spécial (n°22) de la revue Recherches sur l’enfance, dont les auteurs sont Guy et René Schérer ; Co-ire explore « le système qui a créé l’enfance moderne, l’a définie, compartimentée, et a maintient moins dans un état de sujétion et de contrainte que de consentement et de torpeur » ; le texte commence par « L’enfant est fait pour être enlevé, nul n’en doute. Sa petitesse, sa faiblesse, sa joliesse y invitent. Nul n’en doute, à commencer par lui-même. » ; les auteurs sont proches de Charles Fourrier, de Michel Foucault et de Fernand Deligny, ils prennent leurs distances avec Ivan Illich, Gérard Mendel ou Maud Mannoni ; le tirage de la revue est de 4 800 exemplaires, avec en mai 1977 un retirage de 4 100 exemplaires, les articles de presse sont nombreux et la revue est traduite en plusieurs langues ; les milieux féministes réagissent plus ou moins durement, ainsi Pascale Werner et Anne Querrien, plusieurs d’entre elles dans Les Temps modernes critiquent « le bloc du patriarcat mâle sans distinction d’âge de nationalité, de pratique sexuelle », Cathy Bernheim est cinglante ; Nancy Huston stigmatisera en 1979 la « pédophilosophie » et « une sexualité infantile idéalisée, entièrement composée d’hypothèses – ou fantasmes – d’hommes adultes. »

23 juin 1976 : Guy écrit dans L’ensaignement  n°23 sur l’école primaire, un texte sur le roman d’enfance à propos d’Henry James et Louis Stevenson

Juillet 1976 : le Nouvel Observateur présente Guy comme  un des « nouveaux gourous », enfant de Mai 68, à l’image des philosophes Jean-Paul Dollé, André Glucksmann, Jean Baudrillard, Jean-Marie Benoist ou Nikos Poulantzas, et les rapproche du « Nouveau philosophe » Bernard-Henry Lévy ; mais Guy prend ses distances à l’égard de la Nouvelle philosophie, autant que BHL prendra ses distances dans La Barbarie à visage humain en 1977 à l’égard de L’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari (« idéologie du désir, figure de barbarie, mode de décadence ») paru en 1972, et de Co-ire de Schérer et Hocquenghem qui vient de paraître ; Guy aura davantage de sympathie pour le livre de Glucksmann Les Maîtres Penseurs qui paraitra en 1977

 

1977 : une réunion de la commission de révision du Code pénal auditionne Guy et Schérer, ainsi que Michel Foucault, l’avocat Alexandre Rozier, et l’écrivain Gabriel Matzneff ; le débat porte sue l’âge à partir duquel un mineur est présumé en mesure de donner son consentement à une relation sexuelle avec un majeur, à l’heure où l’article 331 al.1 du Code pénal fixe l’âge de la « majorité sexuelle » à 15 ans et où l’article 331 al.3 prévoit un âge du consentement différent si la relation est hétérosexuelle (15 ans) ou homosexuelle (21 ans avant 1974, puis 18 ans)

1977 : publication de la nouvelle Oiseau de la nuit– dans le livre coécrit avec l’écrivain et critique de cinéma de 27 ans plus âgé, Jean-Louis Bory, Comment nous appelez-vous déjà ? – Guy trace son autoportrait « chouette clairvoyante perchée dans un jardin public et modulant sans trêve sa rengaine de bas-fonds, de nostalgies, invoquant les sourdes envies qui émanaient sous lui de la ville assoupie et tourmentée de mauvais rêves », il fustige aussi le « nivellement progressiste » des homosexuels à « l’enivrement stupide devant le petit bout de normalité toute neuve qu’on leur concède » ; parlant de « ségrégation dans la correction » il s’attarde sur la transformation de la géographie parisienne homosexuelle qui est passée dans les années 1960 du Saint-Germain-des-Prés de l’après-guerre (espace de mélange) à la rue Sainte-Anne (lieu de ghetto) ; Guy cite d’autres « oiseaux de nuit » (Jean Lorrain, Rachilde, Francis Carco ou le baron Charlus) il met ainsi en avant ceux qui fréquentaient  des individus de classes sociales inférieures et transgressaient les valeurs de leurs propres milieux ; s’appuyant sur Florence Tamagne, Antoine Idier note la parenté de cette démarche avec celles de Marcel Jouhandeau, Christopher Isherwood, E.M. Forster ou Daniel Guérin ; Guy avait déjà souligné le lien entre homosexualité et criminalité chez le Vautrin de Balzac, « une nécessité et peut-être une chance pour la libération homosexuelle », « le caractère spécifique de l’homosexualité », qui « fait des homosexuels un groupe d’irrécupérables »

Janvier 1977 : un projet de pétition de soutien à trois inculpés pour relations sexuelles avec des mineurs essuie les refus d’Hélène Cixous, Marguerite Duras et Xavière Gauthier, mais recueille la signature de Simone de Beauvoir, Françoise d’Eaubonne et Christiane Rochefort (dans Les Enfants d’abord, Christiane Rochefort accorde une attention au consentement du mineur à une relation avec un adulte)

 

Mars 1977 : Guy écrit avec Schérer un texte sur la prostitution des garçons dans le n° 26 de L’ensaignement qui porte sur le thème « Femmes folles de leurs corps »

Mai 1977 : le Lettre ouverte à la commission de révision du Code pénal est signée de 80 personnalités du monde intellectuel, culturel et scientifique demande l’abrogation de l’article 331 al.3 réprimant l’homosexualité, estime que « l’entière liberté des partenaires d’une relation sexuelle est la condition nécessaire et suffisante de la licéité de cette relation » et préconisent « une reconnaissance du droit de l’enfant et de l’adolescent à entretenir des relations avec des personnes de son choix »

Automne 1977 : parution dans La Dérive homosexuelle d’un recueil d’articles, il parle de « se défaire homosexuel », il met en avant un fantasme criminel (celui du Vautrin de Balzac) qui le rapproche du fantasme ouvrier des oiseaux de nuits qu’il mettait en avant ; dans plusieurs de ses textes, il dit combien il se sent proche du Jean Genet (du Journal d’un voleur, d’Un Captif amoureux, de Querelle de Brest, des Bonnes et de L’Enfant criminel) de la « traîtrise », du « crime », du « désordre amoureux », de l’« assassin de vieilles dames de Pigalle », des « bas-fonds », de « sa fascination pour les marginaux », il voit le désir homosexuel comme « subversif », il se dira fils spirituel du Genet proche des Arabes et des Black Panthers, et de Pasolini ; il critique les « associations respectables » qui exigent que la police et la justice « reçoivent les plaintes d’homosexuels », il craint les « effets ambigus » de la disparition de la répression qui peut conduire à une « institutionnalisation homosexuelle », il pense en particulier à l’« aggravation de la spécificité de la protection de l’enfant contre les séducteurs » ; il critique aussi, et de façon véhémente, le « féminisme revendicatif et moralisateur » qui s’insurge contre le viol, considérant que la « bite » ne peut pas être considéré comme un instrument contondant (ce qui lui vaudra des volées de bois verts de la part des féministes, des lesbiennes et des militants homosexuels) ; pour ce qui le concerne, Guy commence à se lasser de sa position d’« homosexuel public », cette libération qu’il manifeste constamment ne lui paraît plus pour autant un affranchissement, il parlera dans l’Amphithéâtre des morts de son impression de « Double Vie » (la vie de façade de l’homosexuel militant et la vie intime)

 

1978-1982 : journaliste à Libération, grâce à Jean-Luc Hennig, Guy fera entrer Hélène Hazera, Maud Molyneux (ancienne Gazoline qui se fait appeler aussi Louella Interim et Dora Forbes) et Michel Cressole, l’esprit mordant des Gazolines apparaît dans leurs articles (sur les émissions de télévisions en particulier), y compris en direction de leurs confrères ; Jean-Luc Hennig a été suspendu de l’enseignement pour avoir faire lire à ses élèves « Trois milliards de pervers » ; ils sont rejoints bientôt par d’autres anciens du FHAR Philippe Houmous et Jean-François Briane ; Schérer, Soukaz et Gilles Chatelet écriront aussi dans le quotidien

Janvier1978 : festival du film homosexuel organisé par Lionel Soukaz, les films sont de Andy Warhol, Kenneth Anger, Jean Genet, Adolfo Arrieta, etc. ; il se voit refuser ses visas de diffusion par le ministère de la Culture au prétexte que les demandes ont été envoyées trop tard ; des nervis d’extrême droite interrompent la projection de La loi du plus fort de Fassbinder ils emportent la caisse et font 6 blessés dont le cinéaste Guy Gilles ; le 27 janvier la police saisit 17 films dépourvus de visas ;  le 1er février Guy, Schérer, Glucksmann, Gérard Fromanger et les journalistes Elisabeth Salavesi et Michel Cyprien, se rendent au ministère de la Culture mais Michel d’Ornano choisit de les faire emmener par la police ; Guy et Glucksmann signent alors une tribune dans Le Monde « La reine Victoria a encore frappé »

27-29 janvier 1978 : Guy se rend à Berlin – en camionnette avec Luc Rosenzweig, Elisabeth Salvaresi et Numa Murard – pour le rassemblement Tunix (Tue nichts : ne fait rien) organisé à l’initiative de militants alternatifs, où se retrouvent aussi Foucault, Deleuze, Guattari, Glucksmann et Cohn-Bendit, dans un article paru dans Politique Hebdo Guy critiquera ce symbole de la politique d’après-mai

 

14 février 1978 : Guy témoigne au procès de deux homosexuels arrêtés lors d’une manifestation contre la censure

23 février 1978 : Guy publie dans Libération un article sur le livre de Daniel Guérin Le Feu de sang ; Guy publie plus de 300 articles de 1978 à 1982, il se plaint que ses articles attendent souvent longtemps avant d’être publiés, ce qui est un peu trop « sexuel » hérisse sa hiérarchie (Péninou, Bouguereau, Kravetz), les féministes se plaignent aussi ; il écrit beaucoup sur les films et fait des reportages

12 mars 1978 : un peu à son corps défendant (poussé par Jean le Bitoux) Guy est candidat de « Différence homosexuelle » aux élections législatives, il ne veut pas être la candidat il est suppléant d’Alain Secouet ; Jean Le Bitoux, leader du GLH-PQ est l’autre candidat, avec François Graille comme suppléant ; Jean Le Bitoux recueille 30 voix, Alain Secouet 45 ; pendant la campagne électorale l’appartement de Guy (place des Abbesses) héberge Radio Fil Rose, fondée par Pascal Navaro, ainsi que la radio féministe Les Radioteuses

Avril-mai 1978 : parution du 1er n° de La Revue que Guy a fondée avec Elisabeth Salvaresi, avec pour thème « La nuit », Guy écrit un Eloge du pompier, une rencontre dans l’Alexandrie antique qui s’achève par une fellation le jour de l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie ; le 2ème n° aura pour thème « La reine », le 3ème « La jungle » paru à l’automne 1978 (avec des contributions de Copi, Michel Butel, Bayon-VXZ 375, Martine Barrat, Bazooka), puis sera abandonné faute de disponibilité

4 avril 1978 : l’émission Dialogues de France Culture (enregistrée en 1977), avec Michel Foucault et l’étudiant en droit Jean Danet, Guy résume : « Ce dont nous demandons l’abrogation, en fait, c’est la présomption de non-consentement. »

9 mai 1978 : Guy salue dans Libération le courage du sénateur Caillavet qui propose la suppression des articles anti-homosexuels du Code pénal

 

1979 : parution de La Beauté du métis sous titré Réflexions d’un francophone, dans lequel Guy affirme sa passion de l’étranger « j’ai eu plus d’amants, plus d’amis, à l’étranger, que ce que je n’en aurai jamais parmi mes compatriotes » ;  plusieurs critiques dénoncent la dimension  « racialiste » du livre (la critique le blesse d’autant qu’elle vient après les propos concernant la supposée proximité avec la Nouvelle droite) ; plus qu’au métis Guy s’intéresse au métissage, critiquant  l’« intouchable altérité » et la « difficile assimilation » et attaquant « la xénophobie » fondée sur le « patriotisme civilisateur » ; parmi les journalistes, seul Philippe Boucher du Monde (à qui il dédie le livre) trouve grâce à ses yeux, à l’heure où il est attaqué par le ministre de la Justice Alain Peyrefitte

1979 : dans le n°37 de Recherches « Fous d’enfance. Qui a peur des pédophiles ? » paraissent la transcription du débat sur France Culture et des contributions de Schérer, Matzneff et Hennig avec des photos de Bernard Faucon

1979 : dans un article de Libération, Guy prend la défense de Jacques Dugué, moniteur sportif à Saint-Ouen, inculpé d’attentat à la pudeur sans violence sur mineurs de 15 ans

1979 : Guy rencontre Roland Surzur avec lequel il vivra à partir de 1980

 

Avril 1979 : parution du n°1 de Gai Pied, Guy écrit l’article sur Marinus van der Lubbe, l’incendiaire du Reichstag en 1933

20 avril 1979 : Guy est invité à l’émission Apostrophes entouré de 3 grandes figures des media (Jean Daniel, Georges Suffert, Jean-François Revel), Guy s’engueule avec Suffert à propos d’Henri Curiel

21 juillet 1979 : dans Libération Marc Kravetz interviewe Armand Gatti qu’il admire, Guy moque le « lyrisme ampoulé » de Kravetz, à la fin du mois d’août après d’autres accrochages (sur la Nouvelle droite, sur le film Holocauste, sur Céline, etc.) excédé Kravetz demande de virer Guy « et ses petits copains » ; le critique de cinéma Serge Daney, homosexuel discret, parlera du véritable « travail d’agitation culturelle » de Guy et de sa lassitude des « folles de la télévision », il parlera pourtant 15 ans plus tard de l’« attitude formidable » de Guy et de Cressole « qui consistait à tout regarder, sans aucun esprit de système, avec comme seul critère : on aime ou on n’aime pas »

 

24 octobre 1979 : sortie de Race d’Ep ! réalisé avec Lionel Soukaz, film sur l’histoire de l’homosexualité ; le 12 octobre la commission de contrôle des films le classe X (pornographique pour salles spécialisées) équivalent d’une interdiction totale ; de nombreuses signatures prestigieuses (Foucault, Deleuze, Guattari, de Beauvoir, Duras, Fernandez, Barthes, Chéreau, Fromanger, Châtelet, Cooper, Guérin, Journiac, Lang) protestent auprès du ministre Jean-Philippe Lecat, après plusieurs coupes le film est interdit au moins de 18 ans et projeté par MK2 (Marin Karmitz), en 3 semaines il fera plus de 16 000 entrées et sera projeté dans plusieurs villes en France et aux USA ; le film, davantage un film manifeste qu’un film historique, parcourt le XXème siècle (von Gloeden, Hirschfeld, la déportation homosexuelle, la révolution sexuelle d’aujourd’hui), la découverte de la déportation des homosexuels a été un choc pour Guy, l’objectif est celui de l’affirmation à travers l’histoire et la culture

10 novembre 1979 : le Figaro Magazine écrit que les homosexuels  déportés et exterminés « sont morts pour rien «  et « morts deux fois » car « personne ne s’en souvient » et « personne ne témoigne » ; 3 ans auparavant l’Amicale d’Auschwitz retenait plutôt qu’il y eut « de nombreux homosexuels parmi les SS et les kapos »

 

1980 : Leila Sebbar publie Le Pédophile et la Maman, après avoir critiqué en 1978 les « pédophiles qui écrivent habituellement dans Libération », elle stigmatise « la pédophilie » comme une « exclusion  radicale de la femme, du féminin maternel, de la mère-origine », et « ces jésuites qui honorent et défendent la prostitution et la pornographie des enfants » visant en particulier Jean-Luc Hennig (qui vient d’écrire Les Garçons de passe) et René Schérer ; Benoît Lapouge et Jean-Luc Pinard-Legris publient L’enfant et le Pédéraste, ils soulignent que l’enfant « n’a d’autre issue que de faire sien le cheminement qu’on lui propose et qu’on lui fait miroiter comme sa chance de libération », ils visent Co-ire mais aussi à Tony Duvert et Gabriel Matzneff

1980 : dans Libération Guy blâme la « nouvelle bigoterie gay… la soif impérieuse de a respectabilité simplificatrice » et « les Tartuffes du conformisme gay » ; Antoine Idier souligne qu’à ce moment-là Guy, comme Monique Wittig, oppose les débuts des mouvements féministes et homosexuels à ce qu’ils sont devenus, alors qu’aux débuts le « nous » primait dans leurs propos, désormais ils se démarquent des parodies de ceux qui se perdent dans les palabres et le carnaval et de la disparition de toute contestation sociale derrière les termes de révolution homosexuelle, Wittig vit aux USA et a rompu avec Questions féministes, Guy ne participe pas aux GLH ; Wittig et Guy érigent leur propre radicalité en modèle

 

1980 : parution de Gay Voyage, recueil de reportages parus dans Libération, à Berlin, Amsterdam, et les villes américaines (San Francisco, New York et la grande manifestation de Washington le 14 octobre 1979) qui le fascinent, il y rencontre David Thorstadt et Edmund White ; à la fin des années 1970 la majorité de ses articles concerneront les USA, il opposera le « mouvement gay » français à la « communauté gay » américaine « qui est la base pour quoi que ce soit d’autre » ; il parle aussi de Raoul Lugo, aveugle new-yorkais, militant et gay

1980 : sortie du film de Soukaz La Marche gay à propos de la marche de Washington, dans lequel figurent Kate Millet et Allen Ginsberg

Juin 1980 : Guy signe un article dans Libération à propos du déménagement de l’université de Vincennes à Saint-Denis il parle d’autodissolution du « territoire de l’Utopie » et note la faible mobilisation qui semble témoigner de la « volonté majoritaire de rentrer dans le « rang, la fatigue de dix ans de rébellion » Lapassade et Shérer le défende, mais Châtelet est furieux de cette prise de position

Eté 1980 : Libération publie un entretien avec David Thorstadt (membre de la North American Men Boys Love Association) qui parle d’une « croisade anti-pédéraste des lesbiennes » qui sont aujourd’hui les adversaires les plus acharnées de la libération sexuelle des jeunes »

 

1981 : dans la revue Masques, Guy considère que « le meilleur du monde homosexuel est fini » et que tous les problèmes qui se posent au mouvement gay « ont été posés à la 1ère réunion du FHAR »

1981 : Guy préface les souvenirs de Heinz Heger Les Hommes au triangle rose, livre qu’il a découvert aux USA ; cette préface lui vaut les attaques d’Alain Finkielkraut (pour qui la véhémence de Guy rejoint l’antisémitisme des négationnistes…) et de Bernard-Henri Lévy (qui accuse les « salopards ricanant » qui par un « nouvel antisémitisme » veulent « détrôner les juifs ») ; lorsqu’en mai 1985 Gai Pied publiera une interview de Finkielkraut, Guy s’insurgera ; les estimations courantes considèrent qu’il y a eu plusieurs dizaines de milliers de déportés homosexuels (évaluation concernant le nombre d’homosexuels déportés dans les territoires du Reich), ce n’est que dans les années 2010  que des études historiques permettront d’estimer le nombre de déportés homosexuels français à une soixantaine

Février 1981 : lancement du journal Libération n°2, Guy fait partie de la nouvelle équipe mais plusieurs de ses amis n’y sont pas ; Guy exprime à Serge July sa reconnaissance de lui avoir permis de faire du journalisme

Eté 1981 : dans Libération, Guy écrit une enquête en 6 volets sur le festival d’Avignon, stigmatise les « culturocrates » et « l’idéologie culturelle nationale »

Octobre 1981 : J.L.Hennig et Guy anime une émission sur Europe 1, Il suffit de le dire, ils tireront des témoignages recueillis le livre Les Français de la honte ; ils animeront d’autres émissions jusqu’en 1983  Qu’est-ce que je dois faire ? et Classé X

 

1982 : faute d’agrégation Guy devient assistant à l’université, alors que tous ses anciens camarades sont déjà maîtres-assistants

1982 : René Shérer est mis en cause à tort dans l’affaire du Coral

13 janvier 1982 : L’Amour en relief dans lequel la vie d’un jeune tunisien bascule à la suite d’une rencontre avec des « folles » parisiennes ; Michel Tournier en fait l’éloge (« grand roman », « grand sujet »)

12 février 1982 : Guy passe à Apostrophes, il explique qu’il voulait avec l’Amour en relief faire un « feuilleton romanesque, un vrai roman »

Eté 1982 : Guy quitte le journal Libération dont il critique la nouvelle mouture et toutes ses composantes (pleins pouvoirs à Serge July, hiérarchie des salaires, actionnaires extérieurs, publicité) ; son dernier article porte sur la question de la dépénalisation de l’homosexualité en cours de discussion au Sénat ; il jette pour la 1ère fois le journal qu’il a acheté, lorsque Libération parle du « cancer gay » ; il reprochera à Michel Cressole et à Hélène Hazera d’être restés

Eté 1982 : Guy dit qu’il a « horreur à vomir » des gays américains, il ne supporte pas « le nouveau style homosexuel importé des USA … les pédés à moustaches et désodorisants » (ce langage le rapproche des propos d’André Baudry qui cette année-là dissout Arcadie, l’un et l’autre sont alors peu ou prou des prophètes de malheur)

13 octobre 1982 : la police investit le Coral, dans le Gard, un lieu de vie communautaire qui traite les troubles psychiques d’enfants et d’adolescents par des méthodes alternatives, son fondateur Claude Sigala se réfère à Félix Guattari, David Cooper, Fernand Deligny et René Schérer ; Sigala, un éducateur et un médecin seront inculpés d’attentat à la pudeur sans violence sur mineur de moins de 15 ans et d’excitation de mineurs à la débauche ; le « scandale pédophile » va rapidement se révéler une machination (à partir de documents fournit par un homme qui a travaillé pendant quelque temps dans ce lieu de vie, Jean-Claude Krief, qui prétendra avoir été manipulé pour « abattre » Sigala), la presse s’en donne à cœur joie (autour des noms de Gabriel Matzneff, du juge Jean-Pierre Rosenczveig, et du directeur de cabinet de Jacques Lang) , Schérer est inculpé d’excitation de mineur à la débauche, puis innocenté ; 7 personnes seront condamnées mais pour des faits bien antérieurs ou étrangers à cette affaire, parmi eux Sigala (3 ans de prison dont 30 mois avec sursis) sur la base de déclarations « révélatrices de la permissivité qui régnait au Coral »

20 octobre 1982 : Guy dénonce dans Libération un « procès d’ensemble d’une opinion libérale en matière de mineurs » et qui a discrédité René Schérer sur la base de « pétitions et manifestes » qu’il a signés

 

1983 : parution de Les Petits garçons – qui paraît d’abord sous forme de feuilleton dans Gai Pied Hebdo -, c’est un roman à clef sur l’affaire du Coral qui est pour lui une affaire Dreyfus « en miniature », l’injustice dont est victime René Schérer, le comportement du juge, le même qui avait instruit le dossier à charge contre Jacques Dugué , et l’attitude partiale et tendancieuse du journaliste du Monde; l’arrivée de la gauche au pouvoir l’amène à cibler les « renégats », les « hypocrites » et les « traîtres », sujet qu’il développera en 1986 avec sa Lettre ouverte, il en veut à Serge July de ne part défendre suffisamment Schérer, à tous ceux qui se manifestent timidement, à Michel Foucault aussi ; Guy évoque aussi la lutte des femmes « contre la criminalité pédophilique » aux USA ; Guy tentera de réaliser un livre blanc qui enquête sur l’origine du faux document policier qui a déclenché l’affaire du Coral, en réunissant une commission d’intellectuels (à l’image du GIP ou du Secours rouge) mais y renoncera, en l’absence des contributions de Guattari, Deleuze et Foucault

1983 : les éditions Persona (qui édite la revue Masques) publient deux livres de Copi 

1983 : Copi habite alors dans le même immeuble que Guy et Roland Surzur (10 rue Cauchois), à un moment où Bernard-Marie Koltès habite à côté (10 rue Cauchois) ; les soirées entre amis sont nombreuses (Gabriel Matzneff les retrouvent avec d’autres comme Gilles Châtelet ou Hugo Marsan), Guy apprécie d’avoir autour de lui une « société d’amis » dira Jean-Luc Hennig

Avril 1983 : Guy devient assistant titulaire

 

1984-1985 : Guy écrit des chroniques dans Gai Pied ; il a des mots cinglants pour « le militant homosexuel type (qui) est en général un être entièrement borné, frustré, quelqu’un qui a une psychologie contradictoire, dure pénible, qui donne des conseils de moralité, est organisateur de sécurité, d’identité », il dit pourtant « Les homosexuels ont besoin d’être défendus sur le plan collectif car il existe toujours des oppressions et de dures discriminations », mais il dit aussi « Les pédés m’ont souvent fait penser à des rats »

1985 : dans Masques Guy refuse d’être un « écrivain gay », il ironise sur Renaud Camus, Hervé Guibert et Yves Navarre et cette « reconversion professionnelle massive qui fait de l’homosexualité un moyen d’acquérir un rôle éditorial »

 

Eté 1985 : Guy apprend sa séropositivité ; Guy est convaincu que « la majorité, bientôt la totalité des gays est séropositive », il dira quelque mois plus tard : « dans 10 ans on sera tous mort » ; depuis juin 1985 seulement les tests Elisa sont disponibles, 573 cas de sida seront dépistés en France en décembre 1985 dont 274 décès, les préservatifs ne seront en vente libres qu’en 1987

Août 1985 : parution de  La Colère de l’Agneau (chez Albin Michel qui espère avoir trouvé un prix Goncourt), 550 pages sur les premiers temps du christianisme ; le livre répond à une commande des éditions Ramsay, Guy est passionné par « la première modernité », il veut retrouver « l’état naissant des choses », Jean l’Evangéliste est « l’Aimé… le disciple que préféra le Christ… le prédicateur à la Voix de Tonnerre… l’ascète intransigeant », Guy se réfère à Quo Vadis ? (de Henryk Sienkiewicz de 1896), il a fait d’importantes recherches pour écrire ce livre (la bibliothèque de la rue d’Ulm, le théologien orthodoxe Oliver Clément, les Origines du christianisme de Renan) ; il se déclarera « johannite », il dira « Je ne suis pas devenu croyant . Je suis croyant. » ; le livre rencontrera un vaste succès et sera en lice pour le Goncourt

Automne 1985 : sortie du film Tino de Lionel Soukaz et Guy, de 26mn, réalisé avec peu de moyens, un jeune tunisien recueilli par des touristes américains se rêve en Antinoüs, favori de l’empereur Hadrien

2 décembre 1985 : Michel Tournier écrit à Guy pour faire l’éloge de La Colère de l’agneau ; en 1986 Guy qui admire profondément Tournier comme romancier, rapprochera Tournier et Genet « les deux plus grands de la littérature française contemporaine » ; Patrick Grainville fait l’éloge des livres de Guy ; le 17 octobre 1985 Guy fera sur TF1 l’éloge de Casanova, Henry James, Robert-Louis Stevenson, il avait fait auparavant l’éloge de Tony Duvert et de Pierre Guyotat en raison des thèmes qu’ils abordent, en revanche il critiquera Philippe Sollers le «petit marquis stakhanoviste »

 

1986 : Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, préface de Serge Halimi : « Je pense à toi Chéreau, Andromaque de pissotière, à tes émois crépusculaires, à ton romantisme de carton-pâte et ton esthéticaille de banlieue. », Guy stigmatise à la fois maoïstes et lacaniens : « Mao et Lacan, la psychanalyse barrée de maoïsme, voilà la croix de cette génération, sur laquelle elle s’est clouée, croix faite de culpabilité et de machiavélisme » ; il sera republié en 2003 avec succès (8 500 exemplaires vendus de 2003 à 2012) ; comme Deleuze et Guattari, comme Gilles Châtelet, Guy voit dans les années 1980 un effondrement de l’espérance soulevée par Mai 68, il stigmatise le climat politique créé par l’élection de François Mitterrand et met dans le même sac July (premier visé), Glucksmann, , Coluche, Lang, Bizot, Debray, BHL, Bruckner et Kouchner , mais d’autres sont ciblés Patrice Chéreau, Jean-Edern Hallier, Roland Castro, Philippe Némo, Marguerite Duras, Simone Signoret ou encore Marin Karmitz et Yves Montand ; seul Serge Halimi déclare se retrouver tout à fait dans cet ouvrage ; Guy renie aussi Jean-Paul Sartre

1986 : parution de l’essai philosophique l’Ame atomique co-écrit avec René Schérer – à la mémoire de Guy Pasquier mort à 20 ans le 18 juillet 1983 – sur le « désenchantement » et la « disparition des idéaux », les auteurs veulent « rendre une âme » à une époque qui a perdu la sienne, leur figure tutélaire est Walter Benjamin qui nourrit les séminaires qu’ils donnent à Saint-Denis, ils veulent « planter une écharde messianique sur notre contemporanéité amorphe », ils se réfèrent aussi à la « morale esthétique » de Michel Foucault ; à Homophonies, Guy déclare : « Nous cherchons une philosophie qui échappe au coinçage entre marxisme et antimarxisme arriviste »

 

1986 : Guy fait la connaissance du sociologue brésilien Rommel Mendès-Leite, par l’intermédiaire du sociologue Michel Maffesoli

24 janvier 1986 : Guy et Gabriel Matzneff déjeune chez Roger Peyrefitte ; Guy a écrit un article dans Gay Pied Hebdo sur le livre de Peyrefitte sur Voltaire et l’a interviewé dans Paris Match

Mars 1986 : Guy renonce à un voyage en Egypte compte tenu de la dégradation de son état de santé, il est hospitalisé pour une septicémie, désormais soigné par Willy Rozenbaum, il est atteint d’une pneumocystose

23 mai 1986 : Guy passe à Apostrophes, en même temps que Laurent Dispot (journaliste, ancien du FHAR auquel l’oppose de nombreuses passes d’armes), Pascal Bruckner et Bernard Tapie, attaqué par les deux premiers  il dénonce la « dictature à l’optimisation, au positif »

6 novembre 1986 : Gabriel Matzneff note : « Il a horriblement maigri, yeux exorbités, sa voix n’est qu’un souffle » ; Guy fait partie des 64 patients traités expérimentalement à l’AZT

24 novembre 1986 : Matzneff parle d’une « résurrection miraculeuse », mais Guy souffre de nombreux effets secondaires

 

1987-1988 : Guy anime à Saint-Denis un enseignement sur la découverte du Nouveau Monde

1987 : parution du livre Génération de Patrick Rothman et Hervé Hamon, sur la génération Mai 68, Guy qui a refusé un entretien avec les auteurs, leur reprochera d’avoir « soigneusement gommé les aspects de libération féministe et homosexuelle »

Avril 1987 : un peu rétabli, Guy voyage à Marrakech et Fez

 

26 août 1987 : parution de Eve, un cocktail rassemble plusieurs personnes (écrivains, éditeurs), plusieurs personnes qui l’ont éreinté à tel ou tel moment sont visés (Angelo Rinaldi, Claire Gallois), Adam – inspiré de Copi – fait part de son dégoût pour ce milieu, il s’en veut d’avoir « glissé de compromis en compromis », pris dans la contradiction entre carrière littéraire et engagement militant ; le livre est en partie écrit à l’hôpital ; plusieurs amis de Guy apparaissent en filigrane dans le livre (M. Cressole, J.D. Seince, G. Châtelet, J.P. Mignard ou Doug Ireland)  avec de nombreux éléments biographiques et la maladie du sida ; les critiques sont nombreuses et enthousiastes, il est cité pour le Goncourt, il recevra en mars 1988 le prix littéraire des grandes écoles et universités

Octobre 1987 : Jean-Paul Aron témoigne dans le Nouvel Observateur « Mon sida » ; Guy désapprouve cela, il ne veut pas parler de son sida

Novembre-décembre 1987 : Guy séjourne, affaibli, en Tunisie (Nefta, Djerba), avec Roland Surzur

 

14 décembre 1987 : mort du sida de Copi

 

1988 : Guy déclare « je n’ai jamais été vraiment marxiste, j’ai été anarchiste gauchiste », il insistera sur la « dimension individualiste » de Mai 68 ; il accuse situationnistes, anarchistes et surréalistes d’avoir en commun d’être « anti-homosexuels », seul Alain Krivine trouve grâce à ses yeux dans sa « fidélité à 68 »

1988: à 41 ans, il soutient sa thèse de doctorat de philosophie au centre universitaire de Vincennes, mais meurt quelques mois après avant de devenir maître de conférences

Mars 1988 : la parution des nouvelles de Oiseau de la nuit est annulée, trop marqué par l’homosexualité et le ghetto dit son éditeur « nous compromettrions à tout jamais tes chances d’un Goncourt », le livre ne paraîtra que 10 ans plus tard sur l’insistance de G. Matzneff

Juin 1988 : Matzneff parle du « spectacle déchirant » d’un « vieillard grabataire » avec « infection au pied », « demi-paralysie de la main » et « difficultés d’élocution »

Juillet 1988 : Les Voyages et aventures extraordinaires du Frère Angelo, un jeune homme de Florence au XVIème siècle rejoint les frères de Saint François d’Assise, enthousiasmé pour la mystique angoissée des grands théologiens franciscains, il va en Amérique du sud former un fils du prince Aztèque Moctezuma

 

28 août 1988 : mort de Guy Hocquenghem d’une encéphalite, à 41 ans, quelques jours après Jean-Paul Aron ; les témoignages sont nombreux, plusieurs centaines de personnes se retrouveront le 2 septembre à l’église ND des Champs puis au colombarium du cimetière du Père Lachaise

 

1994 : parution à titre posthume de l’Amphithéâtre des morts largement autobiographique dont il s’était lancé le défi alors qu’il était à bout, d’une tristesse désespérée, il célèbre le grand rire de Copi qui vient de décéder

 

René Schérer, spécialiste à l’origine de Husserl et de la phénoménologie, exprimera sa reconnaissance à l’égard de Guy : «  Par lui, je me suis trouvé en prise directe avec le mouvement de Mai 68. Il m’a apporté toute cette nouveauté et a orienté beaucoup mes idées »