François Delor, Ueeh 2000

UEEH Juillet 2000 débat avec François Delor

 FAMILLES   –     PARENTALITES   –   HOMOPARENTALITES

Jacques FORTIN : Le débat de ce soir porte sur la famille ainsi que sur la question de l’homoparentalité. Au sein des Universités d’Eté Homosexuelles, nous pensons que c’est un sujet d’actualité, et qu’à ce titre il y a des choses à dire. Mais il y a un certain nombre de débats que l’on veut occulter, voire étouffer, et il est bien évident qu’un tel débat par nature problématique mené entre nous, ici, n’aura pas la même figure que s’il était mené à l’extérieur. Pourquoi ?

D’une part, parce que nous sommes confrontés à un combat pour essayer d’obtenir que les droits de la citoyenneté générale qui existent dans ce pays nous soient appliqués, à nous autres gays et lesbiennes. Cela pouvant aller jusqu’au mariage, comme le demandent certains. Ensuite, ces luttes pour ces droits nous amènent en même temps sur des terrains que notre histoire, notre vécu, nos propres luttes contre l’homophobie nous a amenés à mettre en cause.

La famille, au sens général du terme, est un des lieux qu’en tant que gay et/ou lesbiennes nous avons eu à subir. Je dirais même que pour beaucoup d’entre nous ce fut un combat difficile. La famille, ce lieu de fabrication de garçons et de filles bien calibré-e-s, bien nommé-e-s. Il y a aussi le couple dont nous avons tant parlé à l’époque du débat sur le PACS, alors que nous aurions pu simplement parler de reconnaissance de nos relations de couple. Le couple justement est aussi une chose assez curieusement contradictoire à la vie courante, ne serait-ce que des homosexuels masculins. Ces derniers vivant souvent des familles recomposées avec le mari, l’ancien amant du mari, le nouveau qui passe, l’amant occasionnel qui passe… Néanmoins nous sommes confrontés à bien des contradictions du fait de lutter pour des droits liés à une citoyenneté entière, et de l’autre côté une histoire qui est liée à l’oppression du fait de la famille, à l’oppression des femmes, de l’enfance ou plus simplement sexuelle. Ces derniers aspects devraient nous amener à remettre en cause le contenu même des droits pour lesquels nous luttons.

Cette contradiction a été soulevée en son temps, ne serait-ce que par le FHAR. Contradiction qu’il résolvait en disant que demander ou obtenir des droits était en soi une attitude réformiste. Comme les gays et les lesbiennes (d’alors) étaient révolutionnaires, ils décidèrent de faire table rase du passé, c’est à dire plus de couple, de famille et autre. Ensuite, vint l’émergence de la communauté homosexuelle, d’un mouvement homosexuel plus ou moins structuré qui nous a fait rentrer d’abord dans les droits démocratiques, c’est-à-dire la lutte pour le droit d’expression (avec l’abolition des lois condamnant le prosélytisme homosexuel), rentrant ainsi dans une demande de droits positifs, de droits de citoyenneté générale. Et cette question de citoyenneté générale nous entraîne dans les questions liées à la famille, au couple, et à des structures et des idéologies qui peuvent en fait être contradictoires à notre culture comme à notre histoire.

 

Voilà à peu près la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Il est important d’en discuter entre nous, entre gays et lesbiennes, entre jeunes et moins jeunes. Il est également important d’avoir un regard critique sur nos demandes, nos revendications de droits. Non pas pour cesser de demander ces droits, sachant comme Christine Delphy (qui était parmi nous hier soir) nous l’a longuement expliqué, que ces droits peuvent être aussi des pièges, que le PACS peut être une façon de normaliser un certain type de relation, qu’au final le PACS peut être une certaine norme sociale, que nous serions à nouveau enfermés quand nous pensions avoir des droits. Voilà donc la contradiction dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Toutes les discussions que nous pouvons avoir sur la famille, la parentalité (comme ce que nous appelons homoparentalité), doivent nous permettre de non seulement continuer à mener des combats militants en vue d’obtenir ces droits, mais en même temps d’avoir des questionnements entre nous afin que toutes ces questions ne soient pas pour nous tous et toutes un piège, mais bien au contraire un moyen d’avancer et d’évoluer vers d’autres positions tendant vers une libération sociale que sera pour finir un ralliement à l’ordre dominant, à l’ordre hétérosexuel et patriarcal.

Pour développer les différentes questions, le débat de ce soir sera animé par François Delor, Caroline Fourest et Dubreuil. Christine Delphy devait être présente parmi nous ce soir, mais malheureusement pour des raisons personnelles et familiales elle a du s’absenter. Ceci dit, la parole est maintenant à François Delor. Juste une précision, nous avons prévu des interventions dans l’ensemble assez courtes, pour qu’en une demi-heure ceux et celles qui sont présent-e-s à la tribune exposent leurs points de vue et qu’ensuite nous prenions en compte quatre ou cinq interventions de la salle, suivies des éventuelles réponses des intervenants. Pour finalement clôturer cette soirée par un concert d’Equivox qui se produira ici même dans cette salle. Merci.

François DELOR : C’est un peu difficile d’introduire un débat comme celui-ci, d’autant que j’ai l’impression d’une redite par rapport à celui qui a eu lieu cet après-midi.* Ceci dit, je vais essayer de revenir sur certaines informations, sur certains points. Tout d’abord, un point de vue général par rapport au débat lui-même. Ce qui m’a frappé (vu de Belgique) dans le débat français sur le PACS, c’est l’influence massive des experts, des experts en sciences sociales pour donner un avis qui a été repris massivement par les politiques afin de légitimer des positions. A cette occasion nous avons assisté à un basculement de la politique vers l’expertise scientifique. Ce n’est pas la première fois que cela se produit, mais c’est certainement la fois où cela s’est produit de la façon la plus cruciale.

Nous avons notamment vu des anthropologues et des psychanalystes qui, main dans la main, se sont mis à parler de l’ordre symbolique menacé par la parentalité homosexuelle. Tout d’abord, j’aimerais savoir quelle est la légitimité des psychanalystes ou des anthropologues à se prononcer dans un débat politique, surtout lorsqu’ils ne se prononcent pas à partir d’un discours scientifique mais d’opinions (qu’ils habillent d’arguments pseudo-scientifiques). Ensuite, même si on considère que ce qu’ils disent à une réelle valeur scientifique, la question est de savoir quel est le projet civil que l’on peut avoir au regard d’un désordre symbolique. Dans le débat tel qu’il s’est passé, nous avons vu se dessiner deux grandes tendances qu’Irène Thèry a décrites de manière à pouvoir prendre une position qui paraissait être médiane, conciliatrice et neutre, mais en fait terriblement subjective.

La première position est différentialiste. C’est à dire qu’il y a une différence radicale entre un couple hétérosexuel et un couple homosexuel. Cette différence interdit un même ordre de filiation et un même ordre de parenté, à partir de ces deux entités cruciales. C’est aussi une position qui repose sur un argumentaire anthropologique qui voudrait trouver à l’origine de l’humanité l’hétérosexualité comme condition nécessaire à la fois à la procréation (cela peut se comprendre) et surtout de la perpétuation de la culture. C’est la position d’Irène Thèry. Il y a donc dans cet argumentaire l’idée que ce qui fait le propre de l’humain (le fait d’avoir un langage, une histoire, bref d’être culturel) tient à ce petit détail qu’est l’hétérosexualité. Notion fondamentale qui se révèle être une condition nécessaire et incontournable de toute éternité. Et vous retrouvez là l’argumentaire décliné par Irène Thèry. Mais qui, histoire de se démarquer, embrassa d’une main ce qu’elle rejeta de l’autre. Parce qu’en fait, elle est dans le camp d’un certain fondamentalisme différentialiste qui prétend, je le répète, qu’un couple hétérosexuel est fondamentalement différent d’un couple homosexuel. La deuxième position, radicalement différente, prétend que ce qui est essentiel ce n’est pas de constater les faits, mais d’avoir un horizon ludique. Un horizon ludique, c’est l’horizon de l’égalité. On ne s’intéresse pas à l’éventuelle différence entre un couple hétérosexuel et un couple homosexuel, mais on prétend que ces deux couples doivent avoir valeur égale en droit et en morale. Il s‘agit donc véritablement d’une volonté éthique d’établir l’égalité, a priori.

On voit ce qui est inconciliable entre ces deux positions. Dès le moment où on établit que dans les grottes de l’antiquité l’hétérosexualité est une condition du couple procréateur, il est impossible de le considérer de manière égale avec un couple homosexuel. Les deux positions sont donc tout a fait inconciliables, et toutes les tentatives de réconciliation sont des tentatives comme on l’a vu se développer particulièrement au sein de la Gauche. Tentatives qui essayent de réconcilier la famille traditionnelle avec les mutations en cours, et aboutissent systématiquement à réduire l’espace des homosexuel-le-s à un espace inférieur dans lequel il leur serait accordé certains droits, mais en aucune façon ceux qui toucheraient à la parentalité.

Ce que pose la question de l’expertise. Je ne connais pas l’expertise anthropologique, mais ce qui concerne l’expertise psychanalytique les choses sont quelque peu différentes. La psychanalyse est fondée sur la question de la différence des sexes. En fait, le travail de Freud repose sur le travail clinique par rapport aux personnes qui venaient lui raconter leurs problèmes, au départ des problèmes liés à leurs rapports sexuels. La psychanalyse est fondée sur la difficulté de la rencontre sexuelle, sur la différence sexuelle. Pas de psychanalyse sans différence sexuelle.

A partir de là, s’est développé un courant psychanalytique majoritaire qui a voulu maintenir l’hétérosexualité comme horizon normatif auquel il fallait parvenir. Tous les échecs à cet idéal furent ressentis comme autant de formes de pathologie (de la psychose à la perversion, en passant par tout un tas de fixations névrotiques). Ainsi les homosexuels étaient mal barrés. Au sens lacanien du terme, car il s’agissait du sujet qui n’y arrivait pas, et qui pire que les autres y arrivait encore moins. La perspective analytique a toujours été une perspective de réadaptation à l’écoute des homosexuels, dans l’optique de leur rendre la capacité de rencontrer l’autre sexe.

En la matière, Lacan a apporté quelque chose d’un peu nouveau. En affirmant que le rapport sexuel entre deux êtres (de sexes différents ou de même sexe) était impossible, puisqu’il existait une distance entre les êtres humains qui était absolument irréductible quel que soit le type de rencontre. En cela, il a ouvert la voie à une nouvelle réalité de compréhension de l’homosexualité. Ce qui ne veut pas dire que lui-même a pris le parti de mieux comprendre l’homosexualité, il a ouvert la voie mais pas mal de ses disciples l’ont rapidement refermée dans un retour à Freud tout à fait radical. Et on voit maintenant cette alliance entre la psychanalyse et l’anthropologie conférer aux homosexuels (gays ou lesbiennes) un territoire un peu à part qui est un terrain de compassion et d’écoute, mais où en même temps il n’est pas question qu’ils puissent éduquer des enfants. Car d’après la psychanalyse, les homosexuels sont dans l’incapacité d’élever des enfants car il leur manquerait alors, d’une part la possibilité d’un tiers (ou autre sexe) qui viendrait barrer le rapport fusionnel entre le parent et lui-même, et d’autre part la possibilité d’identification ou capacité pour un petit garçon de s’identifier à son propre sexe s’il n’a que deux femmes en face de lui.

 

Ce qui est au cœur de l’affaire, c’est en fait la fonction paternelle dans les deux cas. Pourquoi la fonction paternelle ? Parce que tous les processus d’identification se trouvent dans le puzzle de l’inceste et du mythe d’Œdipe. La relecture freudienne et lacanienne du mythe d’Œdipe est le creuset et en même temps l’apologie de la fonction paternelle. Lacan relisant Freud n’a fait que renouveler le primat de la domination masculine sur les femmes, et surtout de la domination des pères au regard de la loi. Pour Lacan comme pour Freud, le père c’est la loi, et la loi c’est le père. Alors qu’en même temps lorsque l’on fait une lecture attentive et critique des écrits de Lacan et de Freud, il apparaît que cela ne tient pas la route, qu’il y a une différence entre le contexte culturel dans lequel ils ont énoncé cette fonction du père, et le texte de leur récit où cette fonction n’a pas de sexe. Ce que je voudrais dire ici, c’est que le père de Lacan (non pas biologique et encore moins géniteur) perd au rythme de ses écrits, son siège. Le père de Lacan, celui de la fonction paternelle parce qu’il n’est que fonction, n’a pas de sexe. C’est exactement comme un gendarme qui dans l’imaginaire est toujours un homme, mais ce n’est ni un homme ni une femme, c’est une fonction. Et qui va remplir la fonction ? Un homme ou une femme. On pourrait dire que l’évolution de la pensée féministe a veillé à ce que puisse être rempli par des femmes des fonctions qui jusqu’alors étaient l’apanage des hommes. Aujourd’hui, il en est de même de la fonction du père.

 

La question est de savoir si l’on est radicalement d’accord avec le fait que le père ne soit qu’une fonction. Si tel est le cas, toutes ses fonctions peuvent être remplies par un individu quel que soit son sexe. Pour le moment il faut encore un géniteur, la science nous apprendra peut-être un jour qu’il n’est plus nécessaire qu’il y en ait un, peut-être que nous pourrons aussi nous passer du copulateur, mais on ne se passera pas de la fonction du tiers. Celui qui au cœur de la relation entre un parent et un enfant vient induire le social. Ceci revient à dire que l’enfant n’est pas l’enfant d’un père ou d’une mère, il n’est pas une propriété, il est situé quelque part dans du social. Lorsque l’on parle de la fonction du tiers, quand on parle de lois fondatrices de la fonction de tiers, on ne parle de rien d’autre. On parle de la nécessité d’une instance qui rappelle qu’il y a du social. Cette fonction n’a pas de sexe.

 

Il y aurait d’une part les couples hétérosexuels, parentaux par nature parce que procréateurs, et d’autre part les couples homosexuels qui sont confrontés à diverses difficultés, dont la parentalité. Il me parait impératif aujourd’hui de réfléchir autrement à ce que pourra être l’espace parental. Non pas en terme de couple, de nombre (trio, quatuors ou autres) mais simplement d’espaces. Quels sont les espaces sociaux dans lesquels demain les enfants vont être reconnus ? C’est à dire inscrits dans les généalogies à redécouvrir, à réécrire ? Par des pères qui vont les reconnaître comme enfants à part entière, en dehors de cette expérience du couple. Parce que comme l’a dit Jacques tout à l’heure, le modèle du couple hétérosexuel est double, celui de l’appropriation des femmes et des enfants par les hommes du fait de la procréation, et surtout celui (beaucoup plus important) de la continuation de la domination masculine en terme normatif, c’est à dire l’impossibilité à partir de la loi de modifier la loi. Il y a une version de la loi que l’on appelle pourtant aussi l’ordre symbolique, qui consiste à interdire la modification de la loi. Aujourd’hui ce qui me parait important c’est de disqualifier radicalement toute personne qui vous parle de l’ordre symbolique. Il est impossible de concilier l’ordre et le symbolique. Car si on le prend au premier degré, le symbolique (celui où il existe véritablement dans l’usage) est l’usage de la langue qui est toujours une transgression par rapport à l’ordre. Le fait de parler est une transgression par rapport au dictionnaire. “Le dictionnaire est le cimetière des métaphores mortes, la langue doit rester le mouvement vivant des métaphores vives” est une formule que j’aime beaucoup. A nous, quels que soient nos choix, de maintenir la solidité métaphorique. Et c’est là que nos enfants pourront se retrouver en tant qu’êtres vivants. Merci

 

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Caroline FOUREST : J’avais décidé de consacrer une petite partie de mon intervention aux chevaliers de l’ordre symbolique, mais ce qu’en a dit François Delor est très complet. Inutile donc d’y revenir. Lorsque je me suis intéressée aux questions liées à la famille et à homoparentalité, c’était dans une démarche un peu différente et qui rejoint le problème soulevé par Jacques Fortin. A savoir que je ne m’y suis pas intéressée parce qu’il ne s’agissait pas tant de dire que nous avions le désir de fonder une famille (quand bien même on s’aperçoit qu’il existe des barrières), mais plutôt que nous allons tout de même essayer dans un désir individuel de faire changer les choses.

 

Bien que ProChoix se revendique du féminisme radical des années 70, à l’instar de Colette Jovin ou Nicole Claude-Mathieu et d’autres qui ont beaucoup débattu sur la famille et la parentalité (j’en profite pour dire combien j’apprécie les écrits de Christine Delphy dont je regrette l’absence ce soir), il y a une différence fondamentale d’approche entre ProChoix et les féministes des années 70. A aucun moment, je n’ai envie de rentrer dans un débat où il faudrait se demander à titre individuel, si c’est bien, si c’est révolutionnaire ou encore conforme à notre culture de vouloir ou ne pas vouloir fonder une famille, ou de se marier. Personnellement, j’ai un avis sur la question. Nous ne sommes plus tout à fait à l’époque (il y a 30 ans) où il s’agissait de chercher des réponses pour tout le monde, des réponses collectives, du style qu’il faudrait que le modèle soit ceci, plutôt par opposition à un modèle qui nous a opprimés et que nous avons largement déconstruit (et qui reste encore à déconstruire). Ce qui m’intéresse dans ProChoix, c’est de faire sauter les barrières qui empêchent toutes les variétés de choix individuels. C’est à dire que si l’on a envie d’intervenir sur le droit (lien collectif entre nous tous) qui ne permet pas toutes les options de vie souhaitables possibles, à ce moment là, on intervient dans le débat.

 

Et c’est pourquoi nous ne nous sommes pas intéressés au PACS quand certains essayaient de savoir si cette idée de s’unir (à la manière hétérosexuelle) était réellement intéressante. Par contre, lorsque les anti-PACS (qui nagent aussi du côté anti-IVG) s’en sont mêlés, cela nous a paru important de nous en occuper. Ce débat sur le PACS a montré que dans cette société, il y avait des gens qui avaient le choix d’être réactionnaires et des gens (les homosexuels) qui n’avaient pas le choix d’être conformes à un modèle de valeurs hétéros et de profiter de ses attributs. Cette différence nous a semblé insupportable, aussi nous avons voulu répondre à ceux qui nous empêchaient d’avoir ce choix. Quant à la famille, cela s’est passé à peu près pareil puisque les deux débats se sont très vite télescopés, malgré les efforts de la gauche. Mais si on aborde les questions de couple, on aborde très vite celles sur la famille. D’ailleurs c’est étonnant de voir Irène Théry (qui se définit comme féministe) expliquer que le mariage devait être interdit aux homosexuels parce qu’il est l’institution de la filiation. Propos intéressant quand on sait que l’un des apports du féminisme est justement cette dissociation entre couple et filiation, entre sexualité et reproduction. Dissociation qui permettait d’aborder des débats comme celui du PACS.

 

Nous avons entendu des propos assez violents sur homoparentalité. Il n’est pas inintéressant de passer en revue les allégations des adversaires à l’homoparentalité. Comme Renaud Muselier qui, avec 154 de ses camarades, a lancé il y a quelque mois un appel affirmant que de nombreux enfants étaient en danger, paniqué par la perspective que les couples homos puissent élever des enfants. Sans aller jusqu’à expliquer ce qui se passe dans la tête de ceux qui nous promettent au bûcher, il y a chez eux le fantasme (partagé par l’ensemble de la population et souvent associé aux couples gays), de pédophilie. Argument étonnant de la part de militants catholiques traditionalistes vrais chiens de garde d’un ordre moral qui depuis des siècles entretiennent l’hypocrisie sur la question de l’inceste, et qui se gardent bien de remettre en question ce qui se passe dans les familles hétérosexuelles. Si le viol d’un enfant par un adulte relève de la perversion, on ne peut pas l’amalgamer avec une sexualité différente. Il ne faudrait pas, en effet, perdre de vue que 99,99% des cas de pédophilie sont liées à l’inceste, dans un cadre parfaitement hétérosexuel. Ils feraient donc mieux d’enquêter sur leurs prétoires, sur leurs scouts avant de venir nous donner des leçons de morale et de vertu.

 

Il y a aussi le fantasme de la procréation médicalement assistée. On est ici dans “Star Trek le retour”. Des gens se mettent à imaginer que l’on va se mettre à cloner à tout va. Encore une fois, il y a quelque chose d’assez injuste. Quand on nous disait que la seule justification possible qui permettait d’interdire le mariage aux homosexuels était le fait que les couples homos sont par nature inféconds, les moyens culturels que sont les procréations médicalement assistées permettent à des couples stériles de dépasser ce stade (et donc de devenir féconds) leurs sont interdits. Aux couples hétéros inféconds, on ne leur interdit pas le mariage. Alors il est tout de même amusant que sous l’argument d’infécondité, à l’inverse on interdise le mariage aux couples de même sexe qui pour la grande majorité d’entre eux, même s’ils ne le sont pas forcément, sont parfaitement féconds. Ce n’est pas parce que l’Etat refuse à certains ce qu’il accorde à d’autres, que les homos doivent continuer à être exclus des contrats de filiation et d’union.

 

Cette question de l’homoparentalité révèle un certain parallèle avec celle de l’avortement, en terme d’avancée sociale. Derrière la trouille de voir des enfants ne pas profiter de la mixité homme/femme se profile l’argument que cette mixité serait une valeur essentielle pour apporter de l’équilibre à un enfant. L’argument de la différence des sexes est une vieille lune régulièrement entendue. S’il faut que vous mettiez un homme et une femme, du masculin et du féminin, pour faire un enfant parfaitement équilibré, on le saurait. Que l’on ne nous fasse pas le coup des familles hétérosexuelles parfaites ! Il y a comme ça des mythes politiques qui passent dans la société. Comme celui de dire que si les homosexuels font des enfants, ils deviendront eux-mêmes homosexuels. Grande terreur de beaucoup de gens auxquels il faudrait rappeler que pour la plus grande partie d’entre nous, nous avons des parents hétérosexuels.

 

En fait, je crois que nous sommes en train d’ouvrir la voie à différents modèles d’identification, et j’espère quand même que nous allons enfin sortir de l’idée que les parents sont le modèle d’identification absolu d’un enfant. Les homosexuels (hommes et femmes) contrairement à certains hétérosexuels n’élèvent pas leurs enfants complètement dans des placards. Et comme ils ne sont pas enfermés dans des placards, ils sortent, vont à l’école, ont des camarades de classes, des amis, des parents, des cousins, des tantes, bref tout un univers (dans lequel nous évoluons tous) pour s’identifier à untel ou untel. Et c’est de là que vient ce tabou de penser que chacun d’entre nous, sans psychanalyse, ne s’identifie qu’à son papa et/ou sa maman.

 

Je termine sur Irène Théry. C’est pas pour dire, mais depuis deux ans, j’en ai marre et je suis ravie que d’autres s’en soient maintenant chargés. Et je passe la parole à Eric Dubreuil. Merci.

 

Eric DUBREUIL : Bonsoir, je suis président de l’APGL (Association des Parents Gays et Lesbiens), et j’interviens en tant que tel. Mon propos est d’expliquer les positions de l’association vis-à-vis du sujet de ce soir. Je n’ai pas grand chose d’autre à ajouter sur les fondements théoriques, après ce qu’ont dit François et Caroline. Aussi je vais vous parler davantage de la réalité du combat que nous menons au quotidien, en tant que parents homos. Actuellement, nous sommes environ 1000. Le nombre d’adhérents continue de croître, ce qui est pour nous une grande joie et aussi une responsabilité. Nous avons sept antennes en France. Nous sommes financièrement indépendants, point important pour nous parce que nos idées étaient un peu en avance sur l’époque. Elles le sont un peu moins maintenant, comme j’ai pu le constater avec les deux précédentes interventions. Je crois même que nous sommes quelque peu dépassés sur notre aile radicale, ce dont je suis ravi. Je précise que nous sommes une association mixte (il y a même une majorité de femmes). Depuis cette année nous sommes en co-présidence, je suis donc co-président avec Martine Gross.

 

Les deux principes pour lesquels nous militons sont, d’une part l’égalité des citoyens devant la loi et les usages sociaux, et d’autre part l’égalité de la protection des enfants. C’est-à-dire que nous luttons pour que les enfants n’aient pas à subir la forme familiale dans laquelle ils sont arrivés sur cette planète. Plusieurs modèles parentaux peuvent et doivent exister. A l’évidence, il y a un mouvement de libération qui doit se faire, qui est en train de se faire. Evidemment pas aussi rapidement que nous le souhaiterions, mais il se fait. Ce n’est pas un modèle contre un autre, mais plutôt une pluralité de modèles. C’est en cela que je ne me reconnais pas vraiment dans la dichotomie dont on parlait, il y a 20 ans, celle entre réformisme et esprit révolutionnaire. Il s’agit plus simplement d’être soi-même, avec une multitude de possibilités. Et c’est là qu’intervient la notion de droit. Le droit est une fonction d’identification importante dans la société, c’est une reconnaissance sociale qui permet des réalités de vie. Or ce droit est aujourd’hui très limitatif, très limité. Il y a des jurisprudences regrettables en matière de garde d’enfants après un divorce en cas d’homosexualité de l’un des parents, en matière d’adoption par les personnes célibataires qui déclarent ou ne cachent pas leur homosexualité. Des cas sont actuellement instruits auprès des tribunaux, au niveau du Conseil d’Etat et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, en espérant que cette jurisprudence discriminatoire évolue. Et puis il y a la notion de droits positifs. Comme l’adoption par le second parent, le conjoint du père ou la compagne de la mère, lorsque l’enfant a une seule filiation légale, ce qui aujourd’hui encore n’est pas possible. Il y a également la question de l’adoption par un couple de même sexe ou l’égal accès à la procréation médicalement assistée. Et enfin, l’accès au mariage. Sur ce dernier point, l’APGL estime que le mariage est la manière d’assurer une meilleure stabilité de l’enfant, et c’est dans ce sens que nous avons été la première association (en 1993) à demander l’égalité d’accès au mariage pour les couples hétéros comme homos. Parce que nous pensons que l’enfant qui est dans la structure de personnes mariés peut avoir une plus grande stabilité, une plus grande protection pour lui-même en tant qu’individu.

 

Je terminerais en disant que notre projet d’adhérer à l’UNAF peut faire sourire. Nous nous sommes beaucoup interrogés à ce propos. J’entends des applaudissements, et j’en suis content. L’UNAF, c’est l’Union Nationale des Associations Familiales (institution étatique qui date de 1945), c’est donc une fédération d’associations familiales. Or ces associations sont très majoritairement de droite, et même d’extrême droite (catholiques pour la plupart, intégristes pour certaines). A ma connaissance, seulement deux ou trois sont progressistes. Vouloir entrer à l’UNAF, c’est un acte quelque peu révolutionnaire. On s’est dit que c’était là qu’il fallait aller, parce que c’est une reconnaissance sociale, et parce que cela représente des subsides qui sont aujourd’hui presque intégralement versés à des associations de droite. Bien sûr, cela signifie mener un combat difficile, avoir des entretiens non pas refusés (on ne vous refuse jamais un entretien) mais reportés. Donc, nous souhaitons très prochainement rentrer à l’UNAF. En fait, on compte sur tout le monde, sur le mouvement homo (gay et lesbien) dans son ensemble.

 

D’autre part, nous souhaitons beaucoup intervenir l’automne prochain à propos de la réforme des droits relatifs à la famille, puisque cette question devrait alors venir au Parlement. Je ne suis pas vraiment convaincu que ce soit vraiment en automne, mais en tout cas c’est ce que l’on nous a dit. Sachant que nous avons été auditionnés une seule fois, que l’on nous dit que certaines de nos propositions vont beaucoup trop loin et que d’autres sont peut-être acceptables. Enfin pour l’instant nous ne savons pas trop quoi faire, et on attend de votre part un avis. Enfin, c’est la réunion sur la bioéthique qui concerne particulièrement l’accès des couples ou des personnes à la procréation médicalement assistée. C’est un sujet sur lequel il n’est pas toujours très facile, très évident d’ouvrir les portes, au niveau des ministères comme des commissions.

 

Donc, voilà où nous en sommes. Je terminerai par cette histoire de frontière mouvante entre réforme et révolution. Très souvent on parle de subversion, mais les temps ont changé, et aujourd’hui il s’agit de faire dans la “surversion”. C’est à dire vivre sa vie, de se trouver en cohérence avec soi-même, de lutter si cette cohérence n’est pas rendue possible par les pouvoirs publics, car c’est bien une responsabilité de nos députés et responsables politiques de faire que les citoyens se développent et qu’ils apportent aux autres dans un bon échange (je reçois, je donne). Cette “surversion” consiste donc à être soi-même, à vivre sa vie, à ne renoncer à aucun de ses désirs, ni sexuels, ni de responsabilité, ni de transmission de valeur ou de vie. Il me semble que c’est la voie dans laquelle nous devons nous engager. Merci.

 

 

 

DEBAT   AVEC   L’ASSISTANCE

 

 

 

X : Je suis un peu embêté. Irène Théry nous a dit que le couple hétéro est la base culturelle de la société (nous l’avons critiquée sur ce point) et aujourd’hui d’après l’APGL nous avons la famille comme base culturelle de la société. Je ne lui reproche pas cette position, ce que je reproche c’est que dans cette Université il n’y a plus d’alternative à la famille nucléaire. On a l’impression que les modes de vie à plus ou à moins que deux, que la question du comment vivre ensemble quel que soit notre sexe ou notre genre n’apparaît plus. Certes, il est évident que ce débat n’aurait certainement pas pu avoir lieu ailleurs qu’au sein de cette Université, mais pourquoi ne pas s’interroger davantage sur cette question de la famille nucléaire ?

 

François Delor : Quand on parle d’un espace dans lequel l’enfant peut venir s’inscrire, il ne s’agit pas de la famille nucléaire. Il est question de redéfinir les espaces dans lesquels l’enfant pourra s’inscrire, sans partir du principe qu’il faut reproduire la famille nucléaire. Même le mot de famille doit être remis en question. La question est de voir comment un enfant pourra naître de plusieurs affiliations, en tenant compte d’une généalogie qui va devoir être racontée, sans répéter la famille nucléaire. Je crois qu’en effet, il est ridicule de vouloir singer de quelque façon que ce soit le couple hétérosexuel, faire que le couple homosexuel aura pour tâche de faire la preuve qu’il a la même valeur que le couple hétéro. Certainement pas, il faut créer. Et accompagner la création. Là je suis entièrement d’accord.

 

Caroline Fourest : Je ne crois pas qu’il n’y ait pas d’alternative. Evidemment, c’est quelque chose d’important que de mener un combat militant visant à la création relative aux différentes formes d’alliance. Par exemple, on peut dire que l’on peut être en couple et ne pas faire d’enfant, que l’on a pas besoin d’en avoir pour être un homme ou une femme. Je crois que nous sommes d’accord sur ce point, sauf que personne ne nous interdit de ne pas faire d’enfant, personne ne nous empêche de coucher à trois ou à quatre. Là où il se pose des questions de droit, c’est quand il s’agit d’accompagner des choses concrètes comme les questions de droits de visite. Il y a quelque temps au CGL de Paris une femme est intervenue pour expliquer qu’elle avait eu avec une autre femme un projet d’enfant, qu’elles ont réussi à en avoir. Mais lorsqu’elles se sont séparées, l’une en tant que mère biologique a eu la garde des enfants, profitant de son statut. Elle avait la loi pour elle. Que sommes-nous, nous qui pouvons aujourd’hui faire des enfants dans le cadre de la loi de la jungle ? C’est la loi du plus fort qui prime. C’est le parent biologique, et seulement lui qui gagne. L’autre pouvant aller se faire foutre. Et c’est bien contre la loi de la jungle qu’il y a des choses à faire. Par contre, tout ce qui est de l’ordre de la création, ce dont il me semble nous n’en manquons pas. Quand il n’y a pas d’interdiction, nous n’avons qu’à le vivre.

 

X : Je voulais revenir sur cette histoire de la future adhésion à l’UNAF. Personnellement je pense que c’est une stratégie catastrophique. C’est un peu comme si les gays et les lesbiennes allaient monter une commission politique au Front National.

 

Eric Dubreuil : Il y a quand même une grande différence entre le FN et l’UNAF, le Front National est un groupe avec lequel il me semble complètement exclu d’échanger, en revanche l’UNAF est une institution étatique. C’est à dire que c’est le pouvoir politique qui en est responsable, et à ce titre il me semble que c’est un acte de citoyenneté que d’y être présent.

 

 

X : J’ai beaucoup apprécié l’intervention de François Delor, et notamment le passage qui évoquait la psychanalyse. Pour ma part, j’ai même envie d’aller un peu plus loin dans cette analyse. C’est bien de réhabiliter le père, ce que le mouvement psychanalytique a quelque peu oublié face au pouvoir tout puissant de la mère dans la famille classique (c’est à dire la famille hétérosexuelle). Il ne s’agit pas que du patriarcat, mais bien plutôt d’une énorme puissance de la mère. Mais cette critique ne me suffit pas, je crois que nous devons nous interroger très fortement sur le rôle de la fonction maternelle, et pas seulement paternelle. Et ceci à deux points de vue, d’abord au niveau de l’identité féminine (parce quand même on nous met la maternité comme le top du top de la réalisation féminine), ensuite sous l’angle de la relation mère/enfant. Pour ma part, j’ai des enfants et je me suis toujours sentie extrêmement limitée, frustrée dans cette image que l’on me collait, celle de ma fonction maternelle. Aussi, je me demande si ce ne serait pas la parentalité homosexuelle qui ferait réfléchir sur les deux fonctions ?

 

Les différentes formes de parentalités homosexuelles ne vont pas reproduire la famille nucléaire classique, avec une mère porteuse et un tiers (homme ou femme). Il y aura aussi des familles homosexuelles, composées par deux hommes ou deux femmes. Mais dans ce cas, quelle est la femme qui joue le rôle de mère dans le stéréotype classique psychanalytique, et quelle est celle qui va tenir le rôle de tiers ? C’est un schéma qui ne me convient pas. Pour moi un couple homosexuel de femmes, c’est différent d’un couple hétérosexuel parce qu’il a la chance de pouvoir évoluer dans les fonctions parentales. Il a la chance de pouvoir réinventer une relation qui n’est pas une prison où l’un est le masculin et l’autre le féminin. Il y a deux personnes du même sexe qui réinventent une relation avec l’enfant. J’ai envie de dire que si la parentalité est à réinventer, c’est au niveau de ce rôle (père/mère, masculin/féminin) qui tourne, qui évolue en fonction du moment, de la situation, de ce que l’on a envie de faire passer à l’enfant. De l’envie d’être plutôt le porteur d’une relation fusionnelle, d’être plutôt le porteur d’une relation sociale.

 

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X : Bonsoir, je suis moi-même psychiatre et j’avoue être assez étonné que l’on parle des psychanalystes, parce que la psychanalyse n’a rien à voir ici, dans ce débat. En tant que gay, je m’offusque que la psychanalyse ait son mot à dire sur notre devenir quant à la parentalité homosexuelle. A la limite, ce qu’il faudrait faire c’est étudier de façon scientifique des homosexuels ou des couples homosexuels qui ont des enfants. Etudier et voir s’ils sont plus névrosés que d’autres. Examiner si par la suite peuvent survenir des problèmes. Et si oui, lesquels ? Mais en attendant, demander à une théorie ce que les autres doivent faire, c’est gonflé. J’ai des voisines qui ont eu des enfants, l’intérêt est de voir ce que cela va devenir d’ici quelques temps. C’est la preuve que l’on peut avoir des enfants. Mais demander à une théorie un argument afin d’avoir des enfants, ce n’est pas normal. Il faut peut-être y réfléchir.

 

 

Fiametta Venner : J’ai été assez surprise tout à l’heure des propos tenus par Eric Dubreuil sur l’opportunité de rentrer à l’UNAF. Oui, il faut rentrer à l’UNAF. C’est une évidence. Non pas parce qu’ils ont des sous ou pour une quelconque représentativité sociale, mais parce qu’il y a actuellement 500 000 tutelles qui sont gérées par l’UNAF, 500 000 tutelles c’est à dire un nombre important de gays et de lesbiennes qui sont mis en tutelle par l’UNAF. Aussi pour soustraire ces personnes des griffes de l’UNAF, il n’y a pas d’autres solutions que d’être dans la place.

 

D’autre part, il ne faut pas oublier que les gens de l’UNAF sont présents dans tous les secteurs qui concerne l’Education Nationale. Si on leur laisse la totalité de la société, il ne faut pas s’étonner d’une certaine censure, que l’on ne puisse pas aller voir certains films, qu’au niveau des manuels scolaires soit supprimées sans aucun problème les deux heures d’éducation sexuelle. Il ne faut pas s’étonner non plus (nous avons été présents tous les jours à l’Assemblée Nationale) que pendant les débats sur le PACS il a été rajouté en cours de lecture une motion sur les tuteurs précisant que ces derniers ont la possibilité de faire annuler un PACS. Les UNAF représentent le principal danger vis-à-vis de la démocratie et de la liberté de mœurs. Il faut être présent, et les combattre. J’espère que c’est le rôle que va avoir l’APGL, celui de surveiller, de vérifier. A ProChoix, nous avons mené une enquête sur la question des tutelles, et sur les 500 000 qui sont en cours (chiffres énorme), 40% seraient du à l’oisiveté, d’autres sont du à la prodigalité, la sénilité ne représente que 20%, la folie 34%. Il faut également savoir, c’est que l’UNAF se fait un fric fabuleux sur les comptes en banque des gens sous tutelle. Il y a un certain nombre d’homos qui nous appellent pour nous demander ce qu’ils peuvent faire. En fait, on ne peut pas faire grand chose. Mais il faut être présent.

 

 

François Delor : Je voudrais revenir sur la critique de la psychanalyse qui n’est pas une science. Tout à fait d’accord. Cependant, à l’entendre de la part de la psychiatrie, cela me pose un peu plus de problèmes. Surtout du fait de la catégorisation dont l’homosexualité a pu faire au départ les frais de la part de la psychiatrie, et non la psychanalyse. Je crois que simplement il y a des disciplines qui se prétendent plus ou moins scientifiques. Et la modernité c’est d’apprendre que la science n’a pas de modernité. La modernité critique de la modernité, c’est d’apprendre que la science est une volonté de patience, et que de se lancer à la figure la qualité ou la non qualité de scientifique, c’est toujours très limite comme approche scientifique. L’intérêt d’un débat n’est pas de savoir si c’est ou non de la science, l’important est de savoir quel est l’effet d’une parole dans le social, d’en savoir l’impact. Lacan a été utilisé comme argument dans un rapport de force. Donc lorsque j’entends des débats scientifiques, cela me rassure. C’est une chose. L’autre chose, c’est que j’ai pris la précaution justement de dire que ce que je démontrais c’était la capture par le politique du psychanalyste et de l’anthropologue en tant qu’expert et en tant que scientifique, ce qui leur permettait de se désapproprier de leur pouvoir (politique) au nom de la science. Ce n’est quand même pas le rôle du politique que de se déshabiller pour ensuite s’habiller des atours les plus prestigieux. Avant, c’étaient ceux de la religion, aujourd’hui ce sont ceux de la science.

 

En ce qui concerne la réflexion sur la fonction maternelle et paternelle, je suis entièrement d’accord avec ce qui vient d’être dit. Mais pour revenir à l’inceste, je dirais que la question est d’en connaître les fondements. C’est la lecture d’un mythe, celui d’Œdipe. Le jour où Œdipe retrouve sa mère, après avoir tué son père (il a été séparé de son père et de sa mère), il ne la reconnaît pas. Aujourd’hui nous ne sommes pas dans la même situation, nous sommes face à des familles qui durent de plus en plus longtemps de façon nucléaire, où les enfants ne quittent pas leurs parents, où cet oubli (de la mère) n’existe pas. Nous sommes obligés aujourd’hui de relire tous les mythes relatifs à l’inceste à partir de cela. L’oubli n’existe plus. Et toutes les théories de l’inceste sont aujourd’hui marquées de l’effet tronqué du mythe d’Œdipe. Ce qui veut dire aussi que la lecture des fonctions maternelles et des fonctions paternelles est marquée de cela. On nous a raconté l’histoire des mères dévorantes de phallus paternels. Nous n’en sommes aujourd’hui plus tout à fait là. Les mères continuent sans doute à être relativement dévorantes, les pères continuent à être relativement faibles. On a aussi des pères extrêmement phalliques, des mères extrêmement faibles. La question est de savoir comment sortir de cet imaginaire d’un père doté d’un phallus surpuissant et d’une mère dotée d’une mâchoire surpuissante. C’est de cela que nous sommes héritiers, et cet héritage nous vient du mythe d’Œdipe. Il faut donc sortir de cela, non pas en disant que cela nous dépasse, mais en faisant en sorte que les enfants qui dorénavant viendront puissent avoir un univers d’identification, un univers de sécurité qui soit pluriel. C’est à dire qu’il n’y ait pas qu’un seul phallus maintenu par un père, où il n’y aurait pas une seule mâchoire maintenue par une mère, mais pluralité non pas d’identification mais d’appartenance. Et à ce moment là, on pourra relire de manière critique que ce soit la psychiatrie, la psychanalyse ou les grands textes, pour voir ce qu’ils nous apprennent.

 

 

Jacques Fortin : A propos du PACS, je m’interroge sur la question d’un droit ouvert ou d’un droit fermé. Pour justement modifier ces réalités sociales dans lesquelles nous sommes enfermés, quels droits pouvons-nous demander ? Comment pouvons-nous avancer dans nos droits ? Ce qu’il y a d’extrêmement intéressant dans le PACS, c’est qu’il dit qu’à partir de deux ans on peut faire ceci, de trois ans on peut faire ça (ce qui est, de fait, une logique de défiance à l’égard de nos relations de couples). Nous sommes face à un droit fermé qui pose un certain nombre de conditions et de restrictions. Le droit auquel il faudrait que nous réfléchissions (d’autant que nous sommes bien placés pour, car nous avons une histoire derrière nous qui nous a appris des choses), c’est de demander un PACS ouvert.

 

De quoi s’agit-il ? A travers le PACS on retrouve à l’heure actuelle des réalités concrètes. Par exemple les jeunes. Beaucoup de jeunes commencent par vivre ensemble un certain nombre d’années, puis s’établissent ensemble, achètent des choses en commun, finissent par avoir un compte commun, et éventuellement un jour par avoir des enfants. Nous vivons aujourd’hui des réalités qui poussent à ce que les choses évoluent, que les pratiques sociales puissent se diversifier. Il y a une aspiration à la diversité des pratiques sociales dans le domaine des relations, et nous en faisons partie. Il faut que le droit rende compte de cette évolution, non pas en fermant mais en ouvrant. Un PACS (forme de relation reconnue par la loi) qui permettrait à nos relations d’évoluer. C’est à dire qu’à certains moments on vit ensemble et la loi le reconnaît (sécurité sociale commune, bail commun), au bout d’un certain temps les choses évoluent et on achète des choses ensemble, la loi devrait alors permettre que cette étape soit utile. A un autre moment on veut avoir un enfant, il faudrait alors que la loi s’adapte à cette situation. Il faudrait que l’on puisse passer aux impôts communs le jour ou l’on souhaite.

 

Un droit ouvert, c’est un droit qui serait conçu de telle sorte qu’il permette aux pratiques sociales d’évoluer et aussi d’exprimer l’élément supplémentaire que le citoyen met dans sa relation. Un droit ouvert n’est pas une loi qui oblige à se pacser à tel stade de sa vie de couple. Ce n’est pas la loi qui doit imposer ses conditions, mais cela doit être les citoyens qui puissent se saisir d’un élément de plus de la loi, et ce de façon à ouvrir des lois. A l’heure actuelle les lois créent des institutions, elles ne permettent pas aux relations d’évoluer, de vivre, de se diversifier. J’ai le soupçon qu’il y a des lois (qui sont le résultat d’un certain nombre de combats que nous menons) qui en fait sont des lois qui tendent à figer nos combats, à les faire entrer dans des normes. De nouvelles lois qui n’entérinent pas les nouvelles pratiques sociales. Ce n’est pas des lois qui nous permettent d’évoluer dans notre pratique sociale, ce sont des lois qui tentent de nous abaisser. Je dis ceci à propos du PACS, parce que c’est frappant. Mais les lois concernant la famille et la parentalité devraient être complètement revues à la lumière de la réalité sociale que sont les familles monoparentales et les familles recomposées. Des familles où il y a deux papas ou deux mamans existent déjà. C’est une réalité. Il faut que ces nouvelles pratiques sociales nous permettent d’ouvrir de nouvelles possibilités, et donc d’avancer dans les choix de chacun. De même, sur le plan des relations de couple, la loi ne doit pas constater ou figer à un instant donné l’état des relations. La loi doit être ouverte pour que les relations puissent évoluer. Par rapport au PACS, il aurait été intéressant d’avoir un vrai débat d’élaboration et de travail communautaire (d’ailleurs, c’est bien ce que je reproche aux initiateurs du PACS, de ne pas avoir cherché ou voulu qu’il y ait un débat social) afin de voir comment créer une loi qui à la fois nous permette d’exister et par conséquent d’être reconnus, et en même temps de nous permettre d’exister dans la façon dont nous essayons de devenir. Alors qu’en l’état, on nous empêche de devenir.

 

Autre chose, quand l’APGL dit qu’elle veut rentrer (adhérer) à l’UNAF, cela m’apparaît être une excellente chose. Maintenant la question est de savoir quoi y faire. Et aussi de savoir ce à quoi nous nous engageons. Est-ce que c’est l’UNAF qui va nous absorber, ou bien est-ce nous qui allons tenter d’être ce qui va faire exploser l’UNAF ? Personnellement je pense que c’est très bien que l’APGL se batte pour y adhérer. Dans le monde dans lequel nous sommes aujourd’hui, c’est une chose importante. Même si je crains qu’une fois à l’intérieur nous nous fassions dévorer. Aujourd’hui on considère comme progressif beaucoup de choses qui se passent, je ne suis pas convaincu que ce soit toujours le cas. Malheureusement les lois successives sont les enfermements de nos devenirs.

 

 

Caroline Fourest : Je suis très intéressée par la question du droit ouvert. C’est typiquement sur quoi nous nous battons à ProChoix. Cependant, pour moi la notion de droit ouvert est plutôt quelque chose qui n’est pas obligatoire. Par exemple, contrairement à ce que disent les anti-IVG, ce n’est pas parce qu’il y a une loi qui autorise l’avortement que l’on oblige tout le monde à avorter, ce n’est pas parce qu’il y a le PACS que tout le monde est obligé de devenir homosexuel et de se pacser. Ceci dit, pour connaître assez bien le contenu du PACS (du texte de loi), je n’ai pas l’impression qu’il est si figeant que ça. A exemple de cette histoire de convention qui peut à tout moment être changée (même si c’est compliqué parce qu’il vaut mieux le faire avec un notaire ou un avocat).

 

Je fais partie de ces gens qui sont très critiques sur la façon dont a été géré le débat à propos du PACS, mais malgré tout je reconnais que nous avons un instrument, certes imparfait, qui nous permet de faire des choses. Mais je crois quand même que nous n’y avons pas perdu notre identité, notre âme, même si nous y avons gagné un droit supplémentaire. Si nous ne sommes pas satisfaits, essayons de le faire évoluer. Il me semble qu’il a ouvert une voie médiane entre le concubinage qui n’offre rien et le mariage qui est très contraignant. Il permet une certaine garantie au niveau du droit, tout en étant souple. Sur cette question de l’imposition commune, la méthode nous oblige à y être soumis pour des raisons purement fiscales. Mais c’est à nous de faire des choses, avant d’être figés.

 

Oui l’APGL va adhérer à l’UNAF. J’en suis absolument ravie parce que cela fait un an et demi que nous attendions une telle chose. A la limite, nous avions fini par imaginer de monter nous-mêmes une association familiale pour y aller à leur place, tellement il nous était pénible de voir ce qui se passe au sein de cette institution prise d’assaut par les traditionalistes. Une fois adhérents, au pire ils seront dans la place ce qui permettra d’avoir des informations très précieuses pour dénoncer ce qui s’y passe (nous en avons déjà un aperçu assez effrayant, mais nous avons besoin de plus d’informations). Sans compter qu’il sera toujours temps de claquer la porte avec beaucoup d’éclats si l’APGL pensait qu’elle y perdait son âme. Au mieux, nous pouvons ainsi attaquer à la hache le rocher sur lequel toutes ces associations sont assises tranquillement en n’imaginant pas un instant que les associations de parents pédés et gouines viennent revendiquer une vie de famille, au même titre qu’eux. C’est de cette façon que l’on fait avancer la société. Je voulais juste ajouter en conclusion, que ce qui me paraît être révolutionnaire dans l’homosexualité, ce n’est pas de se contenter éternellement d’être une minorité (comme de prendre un plaisir un peu masochiste d’être à la marge de la société), non ce qui me plaît dans le fait d’être homo, c’est de coloniser l’hétérosexualité. Et je trouve que l’on est plutôt pas mal en la matière.

 

 

Eric Dubreuil : Je voudrais répondre à ceux qui se demandent si l’UNAF changerait de politique dans le cas ou l’APGL y entrait. Au final, il me semble que oui. En fait, c’est presque obligatoire dans le sens où l’UNAF est le reflet des associations qui la compose, puisqu’il s’agit de l’Union Nationale des Associations Familiales. Bien sûr, nous nous sommes posé la question de savoir qui allait changer l’autre. En tout cas, notre programme de propositions qui comprend tout ce que je vous ai dit tout à l’heure, a été adressé aux députés ainsi qu’aux ministères et autres intervenants concernés. De la sorte les quelques 1000 personnes qui aujourd’hui en France s’occupent de ces questions sont au courant de nos propositions et de notre point de vue. Et nous n’allons pas changer de direction. D’autre part, à propos de la question de l’adoption par des couples séropositifs ou sérodiscordants, il faut savoir que le statut sérologique est un élément qui n’est ni demandé, ni à fournir lors d’une enquête d’agrément. C’est un élément à déclaration non obligatoire. C’est à vous de voir si vous souhaitez ou pas en parler. J’ajoute qu’au sein de notre association, on se rend compte depuis un certain temps que des séropositifs ne font plus le deuil d’être parent biologique. Il existe des protocoles dans certains hôpitaux qui laissent espérer que le risque de transmission à l’enfant est minime. Nous sommes en train de mettre en place un groupe de réflexion sur cette question à laquelle certains sont aujourd’hui confrontés.

 

Pour finir, j’aurais voulu intervenir sur la créativité des familles de type homoparental et mettre en relation deux questions tout à fait intéressantes, bien que plus ou moins déjà abordées. D’abord la difficulté de s’échapper du modèle de la famille nucléaire, puis de cette question de la redéfinition de la fonction maternelle. J’appelle de mes vœux un maximum d’invention de la part de tous et de toutes en matière de famille. La famille a ses qualités et ses défauts (c’est, il me semble, une évidence), elle ne correspond pas forcément à ce que nous avons envie de vivre. Le fait d’être créateur c’est quelque chose de très lourd à porter, c’est une très grande responsabilité. Il faut être capable de faire face à des critiques, à des incertitudes. Et aujourd’hui la famille est un lieu de création.

 

 

X : Depuis un petit moment je me demande dans quel débat nous sommes. Parce qu’il y a un débat semble-t-il entre une partie de la salle et une partie de la tribune sur quelque chose qui à mon avis n’est pas tout à fait ce qui était annoncé. Nous devions parler des aspects de la parentalité concernant le fait que les gays et les lesbiennes puissent ou non s’occuper d’enfants, élever des enfants, fonder ce qu’ils ont envie de fonder. On peut mettre tous les noms que l’on veut dessus, famille, groupe, duo …. peu importe, mais au moins qu’ils aient cette possibilité si ça leur chante. A la limite c’est de cela que l’on devrait parler, pas d’autre chose. Qu’est-ce que ça peut nous faire que telle ou telle association ait envie de rentrer dans un machin gouvernemental ? On verra. S’ils se plantent, ils seront redevables auprès de leurs adhérents de la folie qu’ils auront commise. Si au contraire cela marche bien, nous aurons l’occasion de nous apercevoir que l’on peut faire avancer un certain nombre de choses, et qu’ils auront servi de bélier pour rentrer dans un domaine qui effectivement est aujourd’hui fermé. Mais ce n’est pas le débat de ce soir.

 

La question est de savoir comment des homos (les gays et les lesbiennes) peuvent s’occuper d’enfants. Et c’est justement qu’ils s’occupent d’enfants qui leur est reproché. On ne se demande pas si des hétéros sont capables d’avoir des enfants puisque c’est déjà le cas. Donc le problème ne se pose pas. Le problème n‘est donc pas de savoir s’il y a des homos (hommes ou femmes) qui ont des enfants, mais de prouver qu’ils sont capables de les élever, de leur offrir un rôle social, de leur transmettre un certain nombre de valeurs. Et quelles valeurs ? Comment ? C’est ça qui inquiète tant les réactionnaires. Est-ce que les enfants d’homos vont être eux aussi homos ? Ils ne se demandent pas s’ils pourraient être hétéros. Après tout, nous-mêmes nous avons bien des parents hétéros. Ils ont raté. Alors, est-ce que les homos vont réussir ou rater ? Et quel modèle ont-ils en tête pour s’occuper des enfants ? Et là, les rôles d’homme et de femme ayant été très largement défrichés par les femmes justement, la question est de savoir quelles difficultés les homos vont rencontrer. Existe-t-il un modèle, des recettes pour élever des enfants ? En ce moment il y a des tas de gens qui écrivent des tas de bouquins pour essayer de donner un modèle, c’est se foutre du monde. Il n’y a pas de modèle.

 

 

X : On nous a parlé des Etats Généraux de la Psychanalyse, et de l’extrait du discours d’ouverture d’Elisabeth Roudinesco (paru dans le Monde) qui portait sur certaines questions liées à ce colloque. La troisième concernait l’homosexualité, il s’agissait de savoir s’il n’était pas sain de s’interroger sur le fait que l’homosexualité n’était peut-être pas une perversion. Ensuite elle posait la question de l’homoparentalité. Je n’ai plus le texte en mémoire, mais toujours est-il qu’il y eut des interventions concernant l’homosexualité, l’homoparentalité, la perversion. J’espère que l’on en parlera jeudi soir.*

 

 

François Delor : Au-delà du fait de savoir si la psychanalyse est ou non une science, l’important c’est que sur la question de l’homosexualité cela évolue. Lentement, c’est le problème. L’idée que l’enfant doit être né d’un modèle parental spécifique où il faut sans cesse réadapter la famille pour faire le bien de l’enfant est très présente. De là viennent toutes les questions des déviances. L’homosexualité a été conçue dès le départ comme une déviance. Aujourd’hui la question est de savoir comment faire passer quelque chose qui été conçu comme déviant comme quelque chose qui ne l’est pas. Faire cela revient à c’est remettre en question la notion même de normalité, alors que la psychanalyse met en cause l’idée qu’il y aurait une normalité. Dans les textes fondateurs de la psychanalyse, que ce soit Freud ou Lacan, ce qui est le plus fondamental c’est la mise en cause de la normalité. Le postulat est qu’il n’y a pas de normalité. C’est ainsi qu’il y a un paradoxe, à la fois de parler de déviance, de perversion, de pathologie, et en même temps de remettre en cause l’idée même de normalité. La tendance la plus pathologique est de vouloir être normal. En cela, les homosexuels ont quelque chose à apporter. A condition qu’ils résistent à l’envie d’être normaux.

 

 

 

 

Jacques Fortin : Je pense que nous avons largement rempli le temps qui nous avions à remplir. L’année prochaine nous allons continuer sur cette lancée, en serrant un peu plus les questions abordées cette année. Nous allons maintenant laisser la place à Equivox.

   FAMILLES    ET     HOMOPARENTALITE

 Jacques Fortin : Nous allons, principalement en compagnie de François Delor, nous intéresser aux questions tournant autour de la famille et de l’enfant. Discussion que viendra par la suite compléter le forum sur le thème de la famille et de son rapport à l’enfant, et donc l’homoparentalité.* Tout au long de la semaine, des séminaires et autres débats auront pour objet d’approfondir nos interrogations en la matière. La question de l’homoparentalité est une question qui au sein du CA a suscité une très forte interrogation, pris que nous sommes entre l’exigence d’accéder aux droits citoyens de ce pays (même s’il s’agit de droits stupides). Si les hétéros peuvent se marier en robe blanche, je ne vois pas pourquoi on interdirait aux homosexuels de faire de même (avec une choucroute sur la tête). Nous avons toutes les raisons pour que l’on se batte pour ce droit, ce qui ne veut pas dire que nous le légitimons.

 

Nous sommes dans une situation sociale qui nous place en position d’être critiques vis-à-vis de cette société. Nous sommes pris entre cette exigence d’accéder aux droits, ce qui signifie de rentrer en pleine citoyenneté (pour le pire comme pour le meilleur), et en même temps l’exigence de réactiver un regard critique envers les institutions et aussi envers nos propres désirs de couples, nos désirs de légitimation de nos couples, et autres désirs d’enfant (ce dernier point nous menant à nous interroger sur notre propre enfance). Bref une critique sur notre propre cheminement. Ce n’est pas parce que nous réclamons des droits que nous avons raisons d’exercer ces droits. Mais il faut que nous puissions les exercer. Pour autant, faut-il se faire bouffer par l’exercice de ces droits ? A l’heure actuelle c’est un problème qui est posé un peu partout, mais de façon bien moins virulente qu’il y a 30 ans au sein des GLH. Au sein des Groupes Homosexuels des années 70, parce qu’ils ne voulaient pas rentrer dans le conformisme de loi, les gens se foutaient de la loi. Et dans la foulée fondèrent le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR), dont le propos était de révolutionner la famille, le droit, la société, tout en affirmant ne pas vouloir de famille et de droits. Ceci a eu comme grande qualité (et comme avantage), de lancer de façon saisissante la visibilité ainsi que l’affirmation homosexuelle. Ce qui a permis par la suite de faire bouger les choses. Je vous invite à relire le petit texte fondateur du FHAR, on y trouve des choses assez fabuleuses.

 

Ce débat, en fait, n’est pas propre aux seuls homosexuel-le-s. Actuellement il y a une perte de critique à l’égard de la famille et du mariage, il y a une perte de solidarité à l’égard des luttes féministes (pour ne pas dire quelque fois une incompréhension assez radicale chez les gays de ces luttes féministes). Il me semble que règne aujourd’hui un certain conformisme, tranquille et sans mauvaise conscience. Il n’est pas mauvais qu’il soit quelque peu secoué. On sait que la misogynie chez les gays est quelque chose d’assez naturel, et on est étonné quand les filles nous le font remarquer. A propos du PACS, j’étais désolé de lire des textes disant que l’on voulait que soient reconnus nos couples (alors que l’on aurait pu parler de nos relations, ce qui aurait eu une autre signification surtout pour nous les hommes) quand la critique de la famille était totalement absente. Je le redis, ce n’est parce que l’on demande à bénéficier d’un droit que l’on ne doit pas être critique à l’égard de ce qu’il véhicule.

 

L’utilité des Universités est justement de se réapproprier toutes ces questions. Que l’on reprenne tous ces débats, et que l’on en crée de nouveaux. Voilà pourquoi ce cycle a commencé cette année. Il continuera l’an prochain, pour finalement continuer sous des angles différents durant les prochaines années. Mais pour l’instant la parole est à François Delor, qui va nous proposer quelques éléments de réflexion. Ensuite, nous passerons à un dialogue entre la salle et la tribune. Sachant que le forum sur les questions relatives à la parentalité sera l’occasion d’un exposé plus complet et plus divers (du fait de la présence d’autres orateurs, comme Eric Dubreuil et Caroline Fourest).

 

François Delor : Sur cette question de la parentalité homosexuelle, il y a beaucoup de communications mais peu de retours. C’est pourquoi cet espace que sont les Universités devrait être surtout investi par les questions. Ceci dit, je vais reprendre un certain nombre de points qui me semblent être cruciaux dans le débat sur l’homoparentalité, et voir avec vous comment réagir. Pour ma part, c’est à partir des questions que je m’interroge, et non pas à partir des réponses. Je précise que je travaille à Bruxelles comme sociologue aux facultés universitaires St Louis, dans des programmes de recherche sur le sida et sur la discrimination en matière d’orientation sexuelle, et je suis psychanalyste (dans le cadre d’une pratique privée). Aussi j’essaie de cumuler, de façon critique, ces deux éclairages. Je commencerai par dire que le terme “homoparentalité” comme définition et comme concept, me gêne. Il comprend 2 notions qui me posent chacune problème.

 

D’abord le vocable “homo” créé pour faire pendant à l’hétérosexualité (qui se pose comme seul ayant-droit à la parentalité). Nous aurions pu parler tout simplement de la parentalité et de l’accroissement de l’espace de la parentalité, sans y adjoindre ce petit préfixe “homo” qui dérange et fait la gorge chaude de pas mal de psychanalystes. J’éprouve quelques problèmes vis-à-vis de ce préfixe “homo”, me demandant s’il ne va pas falloir prévoir un accroissement des modes de parentalités systématiquement précisés dans leur définition par un préfixe (la “négro-parentalité”, la “mono-parentalité” et bien d’autres). La gêne que représentent ces préfixes peut s’illustrer par le vocable de “mère-célibataire”. Nous sommes d’accord sur le terme de “mère”, mais sur celui de célibataire ? Le célibat est le fait de ne pas être marié, mais je ne connais pas de mères célibataires qui ne sont pas célibataires de fait. Et que cela signifie-t-il lorsque l’on emploie ces mots ? On voit bien qu’à chaque fois que ces mots sont employés pour désigner des situations, ils comportent des manières d’exclure. La désignation “d’homoparentalité” va dans ce sens. En employant ce terme on crée une catégorie à la suite d’autres, alors qu’en fait le terme de “parentalité” se suffit à lui-même.

 

Le terme de “parentalité” me pose également problème. La parentalité est une réalité, c’est une manière de désigner le statut de parent. Mais la question est bien de savoir s’il est possible de former un couple parental quand on est gay et/ou lesbienne. De fait, il convient de repenser à la fonction parentale avant ou en même temps que l’on pense à la revendication de la parentalité. Ce qui pose aussi la question fondamentale de la nature de la fonction éducative. On sait plus ou moins ce que c’est que d’avoir des enfants, on sait comment il est possible d’en avoir (quoique cela devient de plus en plus complexe avec les nouvelles technologies), mais c’est quoi être parent ? Du côté de la critique psychanalytique, tout ce qu’on peut en dire c’est qu’une des conséquences d’être parent est l’apparition de pas mal de pathologies chez l’enfant. Revendiquer le fait d’être parent ce n’est pas rien, c’est revendiquer une position particulière par rapport à des enfants dont rien ne permet de dire à l’avance qu’elle sera une bonne position. Chez l’espèce humaine, le rapport entre parents et enfants est hautement problématique. Il y a quand même quelque chose dans la parentalité qui mérite d’être remis en question, avant ou en tout cas en même temps que de faire l’objet d’une revendication. Avant de dire que nous sommes d’accord de revendiquer le droit à l’homoparentalité, il me semble important de bien faire attention aux termes utilisés et de voir tout ce qu’il y a derrière, comme répétition de choses déjà entendues.

 

Quant à l’enfant, je me souviens d’un débat quelque peu houleux organisé en Belgique par Ecolo (le parti écologiste belge est spécialiste de l’organisation de débat). Ce débat s’est structuré autour de la question de savoir si on a le droit à l’enfant ou si c’est l’enfant qui a un droit. La plupart des intervenants affirmèrent que nous avions absolument aucun droit à l’enfant, mais que c’est bien l’enfant qui a des droits. Seulement l’apparition historique de la notion des droits de l’enfant n’est pas très éloignée de l’apparition des droits des animaux. Je veux bien que l’on parle des droits de l’enfant, si on dit que les droits de l’enfant c’est d’avoir des parents. Et comment va-t-on faire pour ceux qui n’en ont pas ? On va leur en imposer ? Lorsque l’on pose la question en terme droit, le débat est vraiment biaisé. Nous sommes d’accord sur le fait que les enfants ont des droits, mais nous savons qu’à partir du moment où les enfants ont effectivement des droits ce seront les adultes qui s’en occuperont, ce qui de fait enlève à l’enfant le droit de s’exprimer lui-même quant à ses droits. Ce qui en soi n’est complètement fou, on imagine mal un bébé de deux ans plaider lui-même sa cause auprès d’un tribunal. Un certain nombre de mécanismes sont mis en place afin de garantir un minimum de droit, sans pour autant dire que l’enfant est pleinement sujet de droit. Il est sujet si un ensemble de personnes prend cette subjectivité en charge.

 

Maintenant, l’autre question est de savoir si les gays et les lesbiennes ont effectivement le droit d’avoir des enfants. Non, l’enfant n’est pas un droit. En fait la question n’est pas là, il importe plutôt de savoir si l’on a le droit d’interdire à des homosexuels d’avoir des enfants. La question doit être posée à l’envers.

 

 

X : Il me semble que si nous posons les choses dans l’absolu nous aurons des gens qui resteront muets, alors que si on relativise notre réflexion nous pourrons avoir quelques avis. En tant que sociologue ou chercheur on peut se servir de grands schémas, mais il y a la réalité des vécus. Peut être parce que je ne suis pas parent (et totalement coupé de ma famille), mais il me semble qu’il est préférable de s’intéresser au concret plutôt qu’aux seules grandes théories.

 

François Delor : Je veux bien, mais si on légifère à partir du seul vécu on arrive à une situation où une femme députée en Belgique affirme qu’il vaut mieux qu’il y ait un père et une mère, puisqu’elle est elle-même une mère. Ce n’est pas de la politique. Il n’est pas possible de faire de la sociologie de cette façon. Ce que j’essaie de faire ici, c’est de poser un certain nombre de questions qui me semble absentes du débat. Le côté revendicatif à partir de situations particulières fait qu’on a l’impression que les principes sont du côté de l’oppression. Il faut des principes aussi pour des logiques de libération. Maintenant, il y a un tas de choses qui se disent, des situations particulières (qui ne sont pas des principes). Il ne faut pas faire des principes des particularités, et ne pas faire des particularités des principes. Il faut essayer d’articuler les deux.

 

X : Je voudrais revenir à cette question du droit. Il me semble que le droit renvoi davantage aux problèmes de la cité. Cela renvoi à la façon dont des individus (qu’ils soient ou non homosexuels) sont dans la cité. Effectivement, il est nécessaire qu’il existe des règles (respectées par chacun) mises en place de façon collective afin que chacun puisse vivre dans la cité. Ceci fait parti des droits et des devoirs. Il faut au moins se mettre d’accord là-dessus, sinon je ne sais pas trop bien de quoi nous allons parler. Notre propos n’est pas l’être dans la cité, mais davantage ceux qui ont des droits dans la cité. Cette distinction permet de dire qu’il y a depuis toujours des parents homosexuels qui ont des enfants, même si actuellement on semble découvrir que des homosexuels pourraient avoir des enfants. Et l’on s’interroge sur le fait de savoir s’ils en ont le droit. C’est totalement stupide, ils en ont.

 

François Delor : Je me fais l’avocat du Diable, mais le droit est toujours dans une distance par rapport aux faits. Il y a des gens qui volent (le vol est quotidien) alors arrêtons de dire que l’on n’a pas le droit de voler. Pourtant le droit a quelque chose à dire sur le vol. C’est un fait qu’il y a des gays et des lesbiennes qui ont des enfants, et aujourd’hui le droit est interpellé. Il lui est demandé de dire quelque chose. Mais il est dans une situation qui jusqu’à présent lui semblait être une situation de transgression par rapport à la norme. Et toute la question que le droit se pose alors est de savoir s’il lui est possible de modifier la norme. La norme n’est pas questionnée sur le fait que des gays et/ou des lesbiennes soient des individus. Qu’un individu soit parent ne pose pas trop de problème (sauf s’il est trop vieux ou handicapé, car dans ce cas sous couvert de certains droits on les stérilise). En général on n’interdit pas aux gens d’avoir des enfants. Mais le problème est la reconnaissance, au-delà du fait d’être parent, qu’une entité en plus d’une personne puisse avoir le droit d’avoir l’autorité parentale. C’est une question hautement politique, hautement juridique. Jusqu’à présent le fait que les homos aient des enfants n’a pas dérangé grand monde, quand tout cela se faisait dans le cadre des institutions parentales habituelles. Puisqu’il restait une famille hétérosexuelle, même mono-décomposée. Alors qu’aujourd’hui on demande qu’il y ait une autre institution sociale qui ait l’autorité parentale. Que cela ne soit plus un couple hétérosexuel, une femme seule, un homme seul, mais une nouvelle entité sociale comme un couple homosexuel. Et c’est bien ceci qui pose question.

 

 

X : Je crois que le problème il est double. Il y a celui de l’autorité parentale, et celui de la conception de l’enfant. Il n’y pas seulement le problème de l’autorité parentale, il y a aussi le problème de la possibilité physique d’être parent.

 

François Delor : C’est toute l’histoire des arguments logiques, du style “ la nature n’est pas faite pour cela, alors on ne voit pas pourquoi il faudrait aller contre ”. En Belgique la procréation médicalement assistée pour les lesbiennes est quelque chose de tolérée (et de largement pratiquée), et donc les femmes belges peuvent avoir assez couramment des enfants. Bien évidemment les femmes peuvent avoir des enfants autrement (je n’ai pas trop besoin de le rappeler) et c’est ce qui fait une très grande différence par rapport aux gays qui doivent nécessairement à un moment ou un autre passer par une femme. Ce qui n’est pas rien comme situation différente, parce que lorsque l’on parle d’homoparentalité et que l’on met les gays et les lesbiennes ensemble on oublie notamment que cette différence pousse un certain nombre de gays (vivant en couple) à des solutions ou des tentatives de solution qui sont parfois problématique et se révéler particulièrement difficiles dans la durée. Par exemple on fait appel à un couple de lesbiennes parce que se sont de bonnes copines, mais quand la mère met au monde l’enfant, celui-ci n’est plus tout à fait l’enfant du couple de copains. Il y a une histoire qui s’est passée, qui a modifie la femme dans son identité. Nous avons des témoignages de mères porteuses en ce sens.

 

Nous sommes ici dans une espèce de bricolage auquel la technologie participe. Il me semble qu’il faut déjà réfléchir au jour où se seront les pères gays qui seront porteurs, ce qui en soi n’est pas du tout inimaginable. Pour autant il est important de s’interroger sur ce que peut induire cette histoire de mère porteuse. Je pense plus particulièrement au cas de figure (déjà existant) de gays friqués allant aux Philippines et payant plus ou moins cher des mères qui porterons leurs enfants. Situation qui participe à la domination masculine sur les femmes.

 

X : Personnellement je ne suis pas trop favorable à certains progrès relatifs à la procréation médicalement assistée. Surtout par rapport à cette question de l’argent. Cette histoire d’acheter la vie me gêne vraiment. Toutes ces manipulations me semblent contraires à l’ordre naturel, à une certaine éthique, à une certaine déontologie. Les enfants c’est un peu comme le pain que l’on jette à la poubelle, il y a beaucoup d’enfants des rues, et si les couples homos ou hétéros (ou autres) veulent avoir des enfants, en tant qu’écologiste il me semble que l’on pourrait recycler ceux qui existent déjà. Je suis pour le tri sélectif des déchets. Je parle aussi de la vie humaine, ce qui peut paraître choquant. Il y a des enfants qui ont besoin de notre affection, je souhaiterais que par des projets de loi ou par un travail de pression intelligent que l’on arrive à recycler des gosses qui sont perdus (je l’ai été aussi). Ce sont des vies en potentiel qui ont besoin d‘amour. L’amour n’est pas l’apanage des hétéros ou des homos, il est l’apanage des personnes humaines.

 

X : A propos de cette histoire sur les droits des enfants et les droits des animaux, il y a effectivement une concordance dans le temps. A l’inverse il n’existe pas de concordance (en tout cas directe) sur le contenu. Et ceci interroge sur la place de l’enfant et la façon dont il se construit. Il y a eu énormément de progrès de fait dans les 50 voir 70 dernières années sur la connaissance de la façon dont l’enfant se construit lui-même et la façon dont il revendique dès le début de sa conception la place qu’il aura à l’intérieur du futur couple, groupe ou autre cas de figure dans lequel il arrivera. C’est une question qu’il ne faut pas oublier, sinon nous allons avoir un autre débat sur le fait qu’il faille ou non que les homosexuels aient pour enfant la chair de leur chair, sur l’aspect nécessaire de la chose, quand il pourrait exister d’autres possibilités relatives aux questions d’adoption (ce qui permet, dans un premier temps de répondre à certaines demandes). Il faudra que tout le monde s’interroge sur la façon dont les enfants qui vont venir, qui sont déjà là, qui sont dans une “fabrication” tout à fait particulière et inattendue que l’humanité n’avait pas encore envisagé, vont revendiquer leur place. Ce qui est tout à fait normal. Comment allons-nous nous situer par rapport à cela ? D’ailleurs, les gays ont quelque chose à dire à ce propos, dans leur marginalité, dans leur difficulté à être.

 

François Delor : Sur tous ces sujets, j’avoue que les choses à mon goût vont trop vite pour que l’on puisse avoir des opinions tranchées. Laissons les opinions à ceux qui en ont, il y en a suffisamment dans les hémicycles politiques. Sur la place de l’enfant, on voit que dans les sociétés industrialisées et urbanisées les personnes seules (pas toutes, mais beaucoup) ont des animaux domestiques. On retrouve le même phénomène dans les milieux marginalisés et pauvres, c’est à dire dans lesquels l’isolement social est très grand. On peut dire, de façon quelque peu simplifié (parce qu’il y a d’autres mobiles) que l’animal domestique à l’exception du Pitbull (réel complément phallique) vient combler quelque chose qui est de l’ordre de la solitude de plus en plus importante dans nos sociétés. Et la question de la place de l’enfant se pose ici. Je suis personnellement critique par rapport aux discours qui font de plus en plus de place à l’enfant. J’ai l’impression que ce discours proliférant ne produit pas nécessairement dans les faits une reconnaissance accrue des droits de l’enfant. De plus en plus on nous dit qu’il faut respecter les enfants, mais dans la pratique l’enfant n’a pas plus de voix qu’avant. Il est là sans pour autant être davantage pris en compte, si ce n’est qu’il est devenu (phénomène également massif) un magnifique objet mercantile. Lorsque l’on voit les publicités pour la nourriture animale suivies de pubs pour les couches culottes, on se demande qu’elle est cette place de l’enfant. Quand on me dit que la place de l’enfant est aujourd’hui dans nos sociétés meilleure que jamais, je n’en suis pas certain. Ce dont je suis sûr, c’est que l’affectivité, l’attachement à l’enfant, tout ce que l’on pourrait nommer logique d’appropriation de l’enfant est de plus en plus grande. C’est quelque chose qu’il faudrait interroger. C’est peut-être de l’affection, c’est surtout des logiques d’assujettissement, d’appropriation réciproque des rôles parentaux et d’enfants qui n’arrivent pas à se décoller. Certes il faut faire place à l’enfant, mais à un moment il faut pouvoir faire place à l’enfant en dehors de l’espace familial. Et donc rompre avec l’idée que l’enfant et la famille ne font qu’un, qu’une famille sans enfant n’est pas une famille, qu’un enfant sans famille n’est pas un véritable enfant. Il y a quelque chose qui procède de l’autonomie de l’individu qui ne peut être garantie que par une intervention de l’Etat. Quand aujourd’hui l’Etat intervient dans la sphère familiale à coups de psychologues, de thérapeutes, de conseils et autres pour réparer les familles et les rendre encore plus adéquate à s’occuper d’un enfant, quand en parallèle le même Etat ferme à coup de coupes budgétaires les institutions qui auparavant prenaient en charge les enfants, cela pose question.

 

Je crois que d’une certaine façon nous assistons à une nouvelle privatisation du lien parental, soi-disant pour le bien de l’enfant. Je ne suis pas certain que pour un jeune de 25 ans de se retrouver plus ou moins captif d’une famille extrêmement possessive soit bénéfique. Ce sont les modalités d’affection qui se jouent très tôt, qui peuvent se jouer avec le soutien des parents. Françoise Dolto en faisant de l’enfant un enfant-roi, obligea la famille a être à l’écoute de l’enfant. Mais alors, quand est-ce que l’enfant va pouvoir quitter sa famille ? Et donc, à quel moment l’enfant devient-il citoyen ? Par exemple, en Belgique le service militaire à été supprimé et tout le monde en fut très content (moi le premier), mais le fait que tous les garçons soient obligés de quitter le milieu familial me semblait être quelque chose de pas mauvais. Je ne dis pas que c’était juste ou bon, mais utile. Certes il y a l’université, mais avec les téléphones portables le cordon avec maman n’est toujours pas coupé. On croit qu’il y a eu une révolution sexuelle (elle a été très courte), on croit qu’il y a eu une modalité d’autominosation et d’individualisation, mais dans les faits, la révolution bourgeoise (révolution capitaliste) est encore en cours. C’est dur d’imaginer que le capitalisme soit florissant quand la bourgeoisie est en perte de vitesse. Non, les valeurs bourgeoises continuent leur chemin, un chemin puissant. Le téléphone portable et la famille vont très bien ensemble.

 

 

X : Pour en revenir à la place de l’enfant au sein de la famille, loin de moi l’idée que l’enfant-roi est quelque chose de très bien. Cela existe, et il a été remarquablement expliqué les raisons économiques de cette situation, sur la façon dont est exploité ce magnifique filon, ce magnifique marché. Et où cela devient étonnant c’est qu’il y a eu une prise de conscience de la façon dont lui-même (je parle de l’individu et non pas de sa place dans la société en tant que petit tyran domestique) il a quelque chose à dire sur la relation qu’il a avec les adultes qui sont autour de lui. Les adultes renvoient une certaine image, une image de stabilisation, de compréhension (genre il ne faut pas le brusquer). On voit bien qu’il y a une compréhension sans doute bien meilleure sur la façon dont se construisent les petits hommes, et en même temps le désarroi des hommes de façon assez générale, et à plus forte raison de la société, devant ce qui se met en place. Devant justement cette absence de compréhension. On a de la connaissance, et en même temps de la difficulté de compréhension.

 

François Delor : On avance dans la connaissance de la façon dont se construit ce petit homme, mais avec les critères de cette société et avec les outils que l’on lui donne. En temps qu’homos, nous savons ce que c’est que d’avoir été élevés par un couple hétéro, de ce fait nous ne pouvons pas ne pas nous interroger de façon critique sur toutes ces questions relatives à l’enfant et à la parentalité. Sinon nous allons être des singes, des clones d’hétéros sans même nous en rendre compte. Quand je vois les photos (surtout américaines) qui représentent des couples gays avec leurs enfants, j’éprouve un sentiment d’horreur, j’ai le sentiment d’étouffer. Cette appropriation, cette façon de faire de l’enfant une image idéale, est finalement une bonne partie de ce que nous avons souffert durant notre enfance. Nous n’avons pas le droit, par rapport à notre histoire et à ce que nous vécu et à ce que des générations ont vécu avant nous, de ne pas nous interroger de façon approfondie et critique sur les modalités de la parentalité. En général, et de l’exercice de la notre après. C’est bien pour cette raison que ce débat est important, extrêmement important.

 

X : Je crois que tout le monde devrait avoir cette réflexion critique. Nous devrions tenir le même discours aux hétérosexuels. La famille, la parentalité n’est pas et ne doit pas être un débat exclusivement homosexuel.

 

Jacques Fortin : Tout à fait d’accord. Moi-même j’ai un fils, je suis même grand-père. Je me suis donc promené dans toutes ces histoires de parentalité et de famille avec les heurts et les malheurs que l’on peut connaître dans ce genre de choses. Ce qui me révulse, c’est l’absence de critique mais aussi l’absence de souvenir de nous-mêmes (de ce que nous avons vécu en terme de famille). Je prends le cas de l’APGL (même si ce sont des gens épatants), au niveau du discours il faut vraiment qu’on les secoue. Ils vont jusqu’à proposer d’être suivi par un psychologue. D’accord, mais alors toutes les familles (homos et hétéros) doivent être suivies par un psychologue. Avec ce genre de propos, nous risquons d’être entraînés encore plus loin que la famille existante. Il est évident que nous devons avoir une réflexion de fond sur cette histoire de famille, et dans le même temps mener un combat pour l’égalité de droit.

 

X : Tout à fait, mais en même temps je me demande si ce n’est pour faire accepter par la société nos désirs et notre façon d’être que l’on essaie d’être les gentils homosexuels qui ne dérangent pas. Notamment en ce qui concerne la parentalité.

 

Jacques Fortin : Effectivement, pour autant je ne dis pas de mal de l’APGL. Ce sont des gens qui se battent. Je dis simplement qu’il faut faire attention au niveau du discours. A propos du PACS que nous ayons eu l’irresponsabilité de mettre cette notion de couple tout le temps cela me parait invraisemblable par rapport à notre histoire, et pas par rapport à des valeurs morales. Il est évident que nous autres les garçons, nous vivons quelque chose qui tout sauf de l’ordre d’un couple. Il faut reconnaître que nos relations sont assez souvent pas vraiment traditionnelles. Combien parmi nous ont un mari actuel, l’amant d’hier, l’amant du mari, l’amant des deux ?

 

 

X : On s’interroge toujours sur cette notion d’enfant-roi, sur le rôle de l’enfant. C’est un discours qui me hérisse. Il faut poser toutes les questions au niveau des parents, car dès que l’on a fait ou adopté un enfant (à certains égards l’adoption me semble être préférable du fait d’une différence entre l’enfant et les parents) cette production de l’enfant fait que le parent le restera toujours. C’est pénible de voir des parents courir sans cesse derrière la culpabilité d’être des bons ou mauvais parents, et qui ne se sortent jamais du fait d’être un père ou une mère. Dans le cas du divorce de mes parents (dont je suis partiellement le résultat), j’ai toujours regretté que mon père ne réussisse pas à rattraper sa culpabilité d’avoir été juridiquement viré pour homosexualité. C’est très important qu’un enfant voit grandir ses parents, et qu’ils aient une vie après les enfants. Et même pendant.

 

 

X : Je suis trois fois père. J’ai attendu pour faire le premier parce qu’en étant homosexuel je me disais que rencontrer une femme sans lui dire mon homosexualité me semblait impossible. Rencontrer une femme qui des années plus tard n’accepterait plus mon homosexualité reviendrait à courir le risque de me faire évincer de tous les droits liés à ma paternité. Ce fut donc une lente et longue réflexion. Mais à posteriori, j’ai trouvé tout ce travail de réflexion extrêmement important. Et si j’avais fait des enfants à 23 ans (j’ai failli me marier à cet âge là), cela aurait été catastrophique. C’est vrai qu’il y a comme un paradoxe à être physiquement capable d’avoir des enfants dès l’âge de 12 ans alors que nous ne sommes pas capables, psychologiquement parlant, de s’occuper d’un être sans avoir fait tout un travail de réflexion. Face à la demande des couples gays et/ou lesbiens qui se sentent prêts à accueillir un enfant, il y a le fait de se dire que d’être parent ce n’est pas rien. On ne prend pas un enfant comme on prend un chien, histoire de meubler sa solitude. J’ai une copine qui s’est fait faire un enfant en mai 68, par un américain de passage, et la gamine n’est pas vraiment bien dans sa peau. Je n’ai pas de solution à proposer, je n’ai que des questions auxquelles je crois qu’il n’y a en fait aucune solution. Mais finalement pourquoi est-ce que l’on interdirait à un couple homo de faire les mêmes choses qu’un couple hétéro, c’est à dire de faire un enfant au hasard ?

 

 

François Delor : Par rapport à la question (récurrente) d’être ou non de bons parents, je dirais tout simplement qu’il faut éviter les mauvais traitements et les mauvais comportements. Il y a des choses à ne pas faire. Quant à savoir ce qu’il faut faire, personne n’en sait rien. Vraiment personne. On a un certain nombre de conseils à donner sur ce qui va être a priori nocif, parce qu‘on le sait. On sait que frapper un enfant ou le séparer de ses parents sans explication, c’est nocif. Par contre personne ne sait ce qui est bon pour l’enfant. Parce qu’en fait, l’enfant lui-même n’en sait rien. Et c’est évident, car lorsqu’on laisse un enfant (un nourrisson) seul, Il hurle mais n’identifie pas sa peur. A ce moment s’installe le mythe du bon parent qui doit trouver la réponse. Position intenable puisqu’il n’y a pas de bonnes réponses. Il ne peut y avoir de réponses à ce qui n’est pas une question. Il faut faire son possible, ce qui en général réussit pas trop mal. Vouloir toujours faire le bien est souvent le pire.

 

 

X : Il y a le droit à l’éducation, il y a le droit à l’autonomie, à un père, à une mère, à la parole. Mais derrière tout cela il y a l’enfant qui pleure et les réponses que l’on doit y apporter. On ne pleure jamais par hasard, même à 10 ans. Les parents doivent avoir un grand rôle d’écoute.

 

François Delor : Certes, mais il est important (indispensable même) de se dégager d’un idéal du bien faire. Quand je lis des bouquins genre “bien éduquer son enfant”, je suis quelque peu dubitatif. Donner une éducation à ses enfants est évident (leur refuser l’accès à l’école fait parti des mauvais traitements), mais par nature je me méfie viscéralement des discours au nom du bien. Je pense plus particulièrement à la génération de ceux qui avaient connu 68, ils étaient convaincus de faire pour le mieux avec énormément d’interventions directives habillées des meilleurs sentiments.

 

 

X : De la même façon que la critique du modèle bourgeois faite par les gays, le débat sur la qualité de l’éducation doit être universel et pas seulement réservé aux seuls homosexuels. Dans le cadre de mon propre projet de parentalité, et aussi dans mon entourage, je crois percevoir une sorte de complexe et de surinvestissement de la démarche des gays pour avoir un enfant. Comme si nous devions avoir réglé le problème du modèle familial et de bon éducateur avant d’être nous-mêmes parents, un peu comme si nous devions passer des diplômes. C’est quelque chose qui me gêne beaucoup. Et pourquoi une lesbienne ne ferait pas à la va-vite un enfant avec un américain de passage, comme d’autres hétéros l’ont fait avec d’autres américains ? Il n’y a pas de modèle à donner.

X : Autour de l’homoparentalité il y a des enjeux politiques. Et avant tout, la parentalité est quelque chose qui relève du désir personnel, intime. Résoudre collectivement la question de la parentalité me parait compliqué. Les grilles politiques sont importantes à intégrer, mais si on ne se pose pas intimement la question de ce que l’on fait, on agit en fonction d’une norme extérieure.

 

François Delor : Le gros problème avec la parentalité c’est la connivence possible entre les désirs individuels (désirs qui ne sont plus tout à fait individuels puisqu’ils se fondent à un moment donné à deux, le désir d’un couple) et la reconnaissance par un Etat de ce désir, dans ce qu’il a produit. Le statut de l’enfant est assez particulier. Est-ce que c’est l’enfant d’un couple ou de l’Etat ? Ce n’est pas si simple. Les politiques sur la natalité sont-elles aussi une forme de désir collectif ? Mais dans ce cas on veut de bons petits français bien sages, bien polis. Il y a vraiment connivence entre multiplicité de désirs. Et ce qui m’intéresse, c’est de voir la place qui historiquement est celle de chacun de ces désirs. On voit bien que dans un couple lorsqu’il y a le désir d’un qui n’est pas accompagné par le désir de l’autre cela pose problème. Si le désir arrive à poser une temporalité commune, les deux parents se reconnaissant un désir simultané d’enfant, et quand en plus ce désir peut être reconnu par un Etat (qui lui reconnaît une valeur) en disant qu’il y a quelque chose de légitime et qu’au-delà de ça nous sommes prêts à assumer une responsabilité, nous sommes alors dans une situation qui a des chances de fournir à l’enfant un environnement pas forcément bon mais relativement sécurisé. Ce qui demande de dépasser la notion du couple, de voir quelles sont les multiplicités de désirs qui sont à l’œuvre, et les temporalités par lesquelles les désirs vont pouvoir s’exprimer. A l’intérieur des couples gays comme des couples lesbiens, j’entends une surenchère du côté du désir et du côté de la conviction d’être de bons parents. Arrêtons, il n’existe pas de preuve, de diplôme ou de garantie. Calmons-nous, et travaillons sur la question de notre désir d’être parent.

 

 

Jacques Fortin : Je viens de finir d’écrire un bouquin et toute l’argumentation que j’y développe sur la parentalité, sur le droit d’être parent comme les autres, sur l’égalité des droits, est très proche de ce que je viens d’entendre. J’avais envie d’exprimer des critiques sur notre désir d’être parent ou notre façon de nous exprimer, mais je ne l’ai pas fait. Je sais bien que si je j’écrivais le moindre mot critique sur ce sujet, il serait utilisé contre notre désir d’être parent. Mais ici aux UEEH, je suis pour que nous ayons un tel débat. D’autant que nous sommes pris entre deux feux, d’une part l’exigence d’une citoyenneté à part entière (dans le cadre de l’Etat tel qu’il est) et celui de savoir porter un regard critique au nom de notre histoire (compte tenu de notre spécificité).

 

Ma génération (j’ai 50 ans) a fabriqué des enfants qui à la limite ne savent pas trop ce qui se passe hors de chez eux, qui sont dénoués de toute critique à l’égard des parents. Je m’interroge sur la capacité à être autonome que nous leur avons donné, sur ce que l’histoire entre eux et nous a produit. Je prends l’exemple d’une copine (ex-soixantuitar) dont le gamin (qui a 21 ans) connaît actuellement quelques difficultés qui se demande ce qu’elle n’a pas fait. C’est lui qui a fait, depuis 21 ans. L’acteur principal c’est lui, contrairement à ce que notre génération a pensé, professant que l’acteur principal de l’élevage de l’enfant était bien le couple parental. Position qui est une négation profonde de l’enfant. L’idée que l’enfant soit lui-même (et ce dès le premier jour) doit être au cœur de notre réflexion. Il faut savoir que l’on à faire à quelqu’un de radicalement autre, de radicalement différent, même s’il sort de votre ventre ou de vos couilles. Il est loin de vous, et on essaie de s’en approcher quand on peut ou quand on croit que c’est opportun. Ce qui n’est pas du tout ce qui a été développé depuis 30 ans.

 

 

X : Quand on a parlé de pédophilie (en Belgique ou en France), on a oublié que certains pédophilies ne sont pas si pervers, si tueurs ou violeurs mais que se sont des gens qui considèrent l’enfant non pas comme simple objet de consommation mais davantage comme une personne à part entière. Les pédophilies ne sont pas simplement des détourneurs de gosses. Ceci dit, à propos de la mainmise des parents sur leurs gosses, je me rappelle d’avoir un jour demandé dans un Mac-do quelconque une part de ketchup à quelqu’un qui avait 12/13 ans, alors que sa mère était présente. Celle-ci m’a répondu de me débrouiller moi-même, que c’était son gosse, et surtout que je devais le laisser tranquille. Ce à quoi je lui ai répondu qu’il n’était pas sa propriété. Je pense avoir eu raison.

 

François Delor : Je suis tout à fait d’accord avec cette dernière remarque.

 

 

X : A propos de la grande interrogation d’être père, d’être mère ou de se sentir prêt à être un bon parent, je rencontre quotidiennement (du fait de mon travail) des gens qui viennent me consulter inquiets qu’ils sont quant à leur qualité de parent, cherchant des recettes pour élever leurs enfants, me demandant si je pensais qu’ils avaient vraiment tout fait comme il faut. Ces gens viennent me voir parce qu’ils ne sont pas bien, surtout par rapport à ceux qui leur posent un certain nombre de questions, par rapport à des structures qui elles-mêmes ne se sentent pas bien face à ces enfants ou ces adultes qui leur posent également des problèmes. D’une manière générale cela a toujours existé, ce n’est pas nouveau, ce n’est pas quelque chose qui vient de se déclencher. Nous avons peut-être tout simplement réfléchi davantage à la place qu’occupe cet individu très particulier qu’est l’enfant, à la façon dont il se développe et dont il se construit sa propre autonomie, et de la façon dont on peut y répondre. Jacques a très bien expliqué la situation en montrant qu’a un moment donné (je dirais à tous les moments) l’enfant à sa part de responsabilité qui est loin d’être négligeable. Effectivement, quand un psychologue ou un psychanalyste s’adresse à un enfant, il s’adresse à un individu. On parle à l’enfant, on parle au nouveau-né, on lui dit quelque chose de lui-même, on lui dit ce que l’on ressent. Françoise Dolto a été extraordinaire parce qu’elle fut la première à dire un telle chose, elle nous a ainsi montré d’un point de vue clinique quelque chose de vrai, que l’enfant se construit par lui-même. Que l’enfant soit né avec des parents gays (ou lesbiens) ou pas, il fera avec. Nous devons nous faire à cette idée, nous allons faire avec. Et effectivement, attention à la surenchère. Nous sommes dans une société qui ne reconnaît pas ou très difficilement les homosexuels (hommes et femmes), nous sommes dans une société qui se pose bien des questions sur le couple et la famille, dans une société qui se remet en cause à propos de grandes valeurs générales (la religion, Dieu, notre devenir….), nous sommes maintenant face à une technique éblouissante, extraordinaire qui permet de faire des choses inimaginables il y a encore 10 ans, 6 mois (à la limite nous allons devenir Dieu). Cette perspective signifie que les homosexuels (les gays comme les lesbiennes) se posent de la même façon la question de savoir s’ils doivent être non pas de bons parents, mais de parfaits parents. La société est ravie de nous dire d’être tout spécialement des parents parfaits, absolument parfaits (justement parce que nous sommes homosexuels, donc a priori incapable d’être parents). Tellement parfaits, qu’à la limite nous ne le soyons pas. Je dis non, nous avons à revendiquer le fait d’être parent comme les autres, comme les hétéros. Avec les mêmes bêtises, les mêmes excès, les mêmes manques. Il faut que les gays et les lesbiennes puissent revendiquer le fait d’être des parents absolument comme les autres, y compris au niveau des erreurs. Maintenant, nous connaissons les choses mauvaises (en tous cas nous en avons repéré un certain nombre), mais nous ne savons pas du tout comment élever correctement des enfants. C’est plus qu’évident.

 

X : Un jour ma fille m’a fait toute une série de récriminations. Je lui aie répondu qu’elle avait raison mais qu’il fallait qu’elle fasse avec, que j’avais essayé de faire le mieux que je pouvais, qu’il lui fallait donc faire le reste. Elle a compris, et a donc pris la situation en main. En tant qu’homosexuels, en tant que parents homosexuels, nous sommes des cibles auxquelles de toute façon on va chercher des noises, auxquelles on reprochera de ne pas êtres parfaits. Mais en fait, nous n’avons pas à être parfaits puisque la perfection est quelque chose qui n’existe pas. Cependant d’un autre côté, il me semble important que nous réfléchissions ensemble (gays et lesbiennes) sur ce que c’est qu’être un bon parent. Même si nous sommes conscients que de toute façon la perfection est impossible à atteindre, on peut quand même se poser des questions. Lorsque tu sors de la clinique et que tu te retrouves avec ton bébé dans les bras, que tu sois homo ou hétéro tu n’as pas de mode d’emploi. Ces “recettes” manquent au niveau de l’accompagnement des mères et des pères (et d’autant plus des pères qui sont souvent absents dans ce genre de recherche) des premiers mois de l’enfant.

 

X : D’accord on a peur, on n’a pas de mode d’emploi (de « recettes »), mais malgré tout on y va. Il faut se dire Banco.

 

 

X : L’enfant a sa place, le parent a sa place, tout comme le lien de filiation. Dans un couple d’individus de même sexe il y en a un pour qui ce lien n’existe pas. C’est un point qui me semble important, et dont j’aimerais que l’on débatte.

 

François Delor : C’est une question que je comptais aborder ce soir pendant le forum, aussi je ne rentrerai donc pas trop dans les détails. Je dirais tout de même que ce débat sur la filiation est complètement pourri par les interventions de Legendre et de toute cette clique, interventions qui ont fait de la filiation et de la généalogie un principe naturel. C’est à dire qu’ils ont voulu que l’histoire de la filiation soit rattachée biologiquement (on pourrait presque dire d’une façon historico-chromosomique) afin que l’on puisse aller rechercher l’arrière-arrière-arrière petit pour retrouver Adam, la côte d’Adam et éventuellement le cracha de Jésus. Legendre contribue à dire qu’il faut que nous racontions aux enfants l’histoire de leur généalogie, que cette histoire soit vraie et qu’il soit possible de la prouver. Ce qui me parait être une dérive complète par rapport à ce que l’on peut considérer comme étant une filiation. La filiation est un discours essentiel, c’est clair qu’un enfant (comme un adulte) ne peut pas se passer d’une inscription dans une histoire (et pas seulement son histoire à lui tout seul), mélange d’événements qui se sont passés et d’éléments de fiction. L’américain de passage est devenu un superbe GI aux cheveux blonds (ou bruns) qui fumait des Malboros, alors que c’était un horrible petit nabot. Il faut bien que l’on s’invente quelque chose, et cela fait partie de l’histoire, de cette histoire. Toutes les histoires généalogiques sont bourrées de trous, les arbres généalogiques sont bourrés de cases vides et de légendes. C’est avec tous ces éléments que l’enfant construit son propre mythe. Sa généalogie est une manière de s’inscrire comme mythe à l’intérieur d’un mythe. Ce qui en soit ne pose pas de problèmes si les parents (homos comme hétéros) continuent d’inventer des mythes. La filiation est une histoire, mais l’ennui (le problème) est que les filiations modernes ont été codifiées, notées, inscrites, articulées, et que l’on prétend aujourd’hui que l’on ne peut pas s’en passer. A travers la planète il y a des tas d’endroits où ce n’est pas inscrit, où cela se raconte, s’invente, se modifie. On raconte une histoire qui de générations en générations change, et comme la génération précédente n’est pas là pour vérifier la copie cela continue ainsi. Et je crois qu’il va falloir faire ainsi, inventer de nouvelles généalogies, faire exister ou ne pas faire exister des géniteurs, et faire en sorte que des cases vides aient du sens. Une case vide a du sens, du moment qu’elle est là. Une enquête menée en Belgique a montré que dans les couples lesbiens et les couples hétérosexuels ayant eu recours à l’insémination artificielle (avec donneur anonyme), il y a plus de problèmes chez les couples hétéros que lesbiens en terme de généalogie. Ce qui est logique puisque les couples hétéros ne parlent pas de cette histoire d’insémination artificielle et font croire à un processus naturel, ce qui à terme ne tient pas. Le secret fini toujours par faire surface. Alors que dans les couples lesbiens les parents parlent de case vide (le père est une éprouvette) et cela marche. Si nous sommes capables d’inventer et si nous ne demandons pas à la science d’inventer à notre place.

 

Et par rapport à cette histoire d’être de bons parents, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il est meilleur pour un enfant d’avoir des parents pas trop mauvais (qui sont donc de bons parents). Le désaccord est sur cette imposition normative de plus en plus généralisé d’être un bon parent qui conduit à la culpabilisation des parents. La culpabilité est le prix qu’il faut payer pour être puissant. Je lis des choses dans les revues pour parent qui me laisse pantois, je me dis que si les parents les lisent avec sérieux (surtout au sein des classes sociales pas trop favorisées où le niveau de critique est moins grand) cela risque d’être assez grave. Indépendamment du fait que cela coûté très cher d’acheter tout ce qui est conseillé, que dire du tors que l’on peut causer à un enfant en lui laissant un pampers anti-fuite durant une journée ? Sérieusement, arrêtons de culpabiliser en lisant de telles choses. Personnellement je trouve que les parents sont de manière générale assez sérieux. Quand je vois dans un village de 95 habitants (où l’école communale est distante de moins de 100 mètres de toutes les habitations) que tous les parents conduisent leurs enfants à l’école en voiture par crainte qu’il leur arrive quelque chose, je me demande où nous sommes. Quelle culpabilité ! Durant tout le trajet les enfants sont seuls avec les parents, ils ne rencontrent donc plus les copains et ne font plus de conneries dans le village. Il faut diminuer la pression du côté des parents afin que l’enfant puisse trouver un peu plus d’espace (et faire ses conneries, ses apprentissages). On peut faire l’hypothèse que la Belgique est traumatisée par l’affaire Dutroux, mais il me semble plutôt qu’elle est tombée à un moment clef. Lorsqu’une affaire comme celle-ci connaît un tel retentissement, c’est qu’elle est survenue au moment favorable pour mettre en place quelque chose qui était déjà plus ou moins en place, comme la peur pour nos enfants. L‘affaire Dutroux a touché la zone de pouvoir tout à fait légitime, en dehors de la sphère de l’affaire de l’intervention de l’Etat dans lequel on peut jouer la toute puissance, qu’est la famille. Dutroux est venu dire que la famille est menacée dans cette sphère d’autonomie et de toute puissance.

 

 

X : Je pense être le plus âgé dans cette salle, ce qui me fait dire au regard de mon expérience que la parentalité a toujours été un acte de foi. On sait que l’enfant est bien sorti du ventre de la mère, mais en ce qui concerne le père l’incertitude demeure. Mais actuellement, du fait de ces nouvelles techniques on peut être sûr de sa paternité, ce qui change les données du problème. Avant on racontait une histoire, on inventait une filiation. Est-ce que cette possibilité d’être sûr ne va-t-elle pas bouleverser les choses ?

 

François Delor : Le mythe est toujours quelque chose qui se construit à l’égard du savoir. Le mythe est un savoir particulier qui vient combler une absence de savoir, que l’on pourrait appeler savoir scientifique quand on parle du mythe des origines. Du côté de la paternité, il est vrai que c’est un acte de foi qui n’en sera plus un. Le problème c’est que cela reste un acte de foi. Un spermatozoïde n’est pas un père, un père est éventuellement une personne (quand il y en a une), c’est éventuellement une fonction (quand il n’y a pas de personne), cela peut être aussi une fonction remplie par une personne. On s’en rend très bien compte avec les enfants adoptés, car s’il y a alors secret sur le fait de l’adoption il y a une recherche des origines qui va s’inscrire de manière très violente. S’il n’y a pas eu de secret, cette recherche des origines va pouvoir être parlée, exprimée et cela se passe alors de façon radicalement différente puisque les parents sont partenaires (ils comprennent, ils aident). L’enfant auquel dès le départ on lui apprend qu’il a été adopté comprend très bien, plus ou moins rapidement, que le père est celui qui en a rempli la fonction, que la mère est celle qui en a rempli la fonction. La parole remplace la biologie la plus part du temps. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas de biologie, puisque jusqu’à preuve du contraire la parole ne guéri pas le cancer. Mais il faut qu’il y ait une parole qui permette de donner du sens à quelque chose qui au départ n’en a pas forcément.

 

X : L’important il me semble est que les deux parents (adoptifs ou non) soient capables de mettre les mots sur la situation de l’enfant. Les problèmes pour l’enfant peuvent émerger à partir du moment où il fait la découverte que son père n’est pas son père, et c’est bien ici qu’il y a des dégâts. Souvent un adulte va mentir à l’enfant en s’imaginant que la révélation de l’adoption va le traumatiser. Il me semble qu’il y nettement plus de dégâts quand la vérité est cachée, dissimulée et immanquablement révélée. Lorsque l’enfant fait la découverte de son adoption et du mensonge parental, il perd alors tous ses repères, tout ce qui lui permettait de se construire en tant que personne. Je prends un exemple dont j’ai eu connaissance dernièrement, celui d’un jeune garçon (5, 6 ans) qui est venu consulter avec ses deux parents alors qu’il souffrait de différents troubles (eczéma, asthme…) quand jusqu’à présent il jouissait d’une très bonne santé. L’analyste au cours de la première séance a passé du temps à discuter avec les parents, leur demandant ce qu’il se passe, si eux-mêmes allaient bien. A la deuxième séance il n’a vu que les parents et apprend qu’un cancer du sein est diagnostiqué chez la mère, ce qui génère une grande inquiétude chez les deux parents. Durant toute la séance le sujet est discuté pour finalement décider les parents d’informer leur enfant de la situation. A la troisième séance, l’enfant qui était venu avec ses parents se portait très bien. L’analyste n’allait pas guérir le cancer, mais la parole. Le secret à terme n’est jamais secret, il y a toujours quelque chose qui transparaît. Il est nécessaire de dire les choses, sans verser dans la brutalité brute de la révélation, il faut trouver les mots. Etre un bon parent, c’est dire plutôt que de cacher.

X : Il me semble qu’en matière d’adoption la grosse difficulté tient au fait que le désir d’enfant est quelque chose qui vient des tripes. Le couple homosexuel qui désire avoir un enfant n’a pas forcément comme objectif de revaloriser son image sociale, de correspondre à ce que demandaient les parents et tout ce que l’on ne pouvait pas leur donner du fait de notre homosexualité.

 

François Delor : La distinction entre le désir individuel qui vient des tripes et le désir de reconnaissance sociale est quelque chose qui me semble de plus en plus difficile à faire. Est-ce que l’envie de rencontrer quelqu’un est une construction sociale ? N’est-ce pas un besoin de reconnaissance sociale ? Je suis frappé par ce besoin, quand on est amoureux, de téléphoner à quelqu’un pour le dire. Etre amoureux est un besoin de reconnaissance sociale, sur le mode du “je ne suis plus seul, j’existe”. Ce qui n’est pas fondamentalement indissociable. Le sentiment amoureux nous saisi profondément, en parti du fait de notre besoin de reconnaissance sociale, de notre désir d’être citoyen à part entière.

 

 

X : Le fait d’être parent est quelque chose que l’on est obligé de ramener (en tant qu’homo) à la question de la culpabilité, à quelque chose d’intériorisé du côté d’une désignation sociale. Il y a forcément une inquiétude quant aux risques et aux conséquences que cela signifie d’être parent. On a intériorisé tout un modèle qui nous désigne comme des dégénérés qui ne peuvent prétendre à avoir des enfants. Ce besoin d’avoir des recettes est vraiment en balance avec toute cette intériorisation.

 

François Delor : Il est intéressant de voir que l’enjeu de la procréation (qui est un enjeu individuel animé par un désir personnel) est porté par une communauté, par un groupe social, par une société, par une nation avec en filigrane l’idée que la génération que l’on est en train de produire soit de bonne qualité. On pourrait presque parler d’un désir eugénique quasi-permanent. Et c’est à partir de là que se joue la question de la sexualité (jusqu’à maintenant procréation et sexualité allaient de pair). Aujourd’hui la situation des homosexuels est très proche de celle des handicapés mentaux. Dans les débats sur la parentalité et la filiation des handicapés mentaux on retrouve le même style de propos à l’égard de ce que l’on a entendu (et entend encore) au sujet de l’homoparentalité. Un trisomique peut-il avoir un enfant ? Un traumatisé crânien ? En Belgique dans les institutions spécialisées on procède à des stérilisations massives (de sorte qu’ils puissent continuer à baiser sans se reproduire) et à des pseudo-marriages histoire de donner le change. Et dans le cas de mises en autonomie, on veille à ce que les traitements de stérilité ne soient pas interrompus, parce qu’on a tout fait pour qu’ils aillent bien mais pas jusqu’au point où ils se reproduisent. Les handicapés ont donc droit à la sexualité, mais pas aux enfants. En ce qui concerne les vieux, les choses sont quelque peu différentes. Ils n’ont plus la possibilité biologique d’avoir des enfants et n’ont pas le droit à la sexualité. Il suffit de rentrer dans un hospice pour constater que les portes des chambres (à 1 ou 4 lits) sont ouvertes, rendant toute intimité impossible. Il semblerait donc quelque peu scandaleux que des vieux continuent d’avoir une sexualité. Les homosexuels cumulent, c’est scandaleux qu’ils aient une sexualité et c’est scandaleux qu’ils puissent en plus avoir des enfants.

 

 

X : Toute la question est de savoir pourquoi on intériorise le fait que les homosexuels ne devraient pas avoir d’enfants. Qu’est ce qui fait que nous avons le sentiment que nous pourrions être de mauvais parents sous prétexte que nous sommes homosexuels ? C’est pourquoi je pense qu’il est extrêmement important que l’on s’interroge sur cet aspect de la parentalité homosexuelle. Quels outils pourrions nous construire (de façon collective) pour ce faire ?

 

X : On peut être homosexuel, avoir des enfants, et être tout à fait équilibrés. C’est je crois une question de problématique strictement personnelle.

 

François Delor : Bien sûr. Pour moi la parentalité n’est pas le fait d’avoir un enfant, cela relève de la filiation. La parentalité est le fait qu’une entité puisse être reconnue comme parentale. On peut aller vers une individualisation ou vers une pluralité du rapport parental, mais il est important de procéder à une individualisation au niveau des droits. Il faut éviter que les droits soient dépendants d’une situation de couple, et en même temps qu’une personne puisse avoir une fonction parentale par rapport à un enfant me paraît quelque chose de tout à fait légitime. A condition que l’Etat participe de cette reconnaissance. Car dans le cas contraire on demeure dans les parentalités clandestines, c’est à dire des parentalités qui ne tiennent que le temps où les partenaires sont présents.

 

 

X : Il me semble que seul un petit groupe de personnes revendique le fait d’être parent, et de la sorte singer les hétéros. Je ne suis vraiment pas persuadé qu’il existe une majorité de personnes homosexuelles qui désirent avoir des enfants.

 

 

François Delor : Le droit et le besoin ne sont pas du même ordre. Ce que le droit doit garantir dans un Etat démocratique c’est l’accès de tous les citoyens aux droits existants. Si une seule personne dit qu’il n’y a pas accès, il faut réviser le droit. Il n’a pas à représenter une majorité, il se représente seul parce qu’il est citoyen à part entière. Par contre on peut faire des analyses sociologiques pour voir quelle est l’importance de la demande sociale, voir si cela vaut la peine de réviser l’ensemble de la constitution pour une seule personne. On peut prendre la décision politique d’attendre qu’elle meure, mais on ne peut en aucun cas dire que sa demande n’est pas fondée en droit. Et ce qui me frappe dans le débat (surtout français) sur l’accès au mariage, c’est que l’on mélange tout. On se demande pourquoi les homosexuels veulent se marier quand plus personne ne souhaite le faire. J’ai envie de pouvoir prendre le bus, et du fait que l’on me l’interdit je dis que je veux pouvoir prendre le bus (malgré que je possède une voiture et un vélo, et que je ne prends jamais le bus), mais je ne peux pas accepter que l’on m’interdise l’accès aux bus.

 

Il y a deux types de discriminations. Une discrimination sociale qui consiste à établir une différence entre les catégories de population et à leur infliger un traitement inégal. La discrimination en droit relève du fait d’infliger un traitement inégal quand les situations sociales des populations sont inégales. Il y a en droit une analyse de la situation de base, et en droit on dit (jusqu’à présent) qu’un couple hétérosexuel et un couple homosexuel sont suffisamment différents pour légitimer un traitement inégal. La discrimination est ici non pas positive, elle est simplement légitime. En droit la discrimination légitime existe, alors qu’au niveau de l’analyse sociale, d’une critique sociale, la discrimination est une description d’une situation donnée où on voit non pas la légitimité mais les effets sociaux de cette discrimination. Il y a en l’espèce un parti pris qui est de se dire si oui ou non la situation d’un couple homosexuel et d’un couple hétérosexuel est différente. Mon sentiment personnel est de dire que la situation entre les deux types de couples est différente, mais pas au point de justifier d’un traitement inégal. Jusqu’à présent les législateurs ont dit que c’est différent et que cette différence légitime un traitement inégal. Quant à la discrimination positive, c’est le constat que pour lutter contre les effets sociaux d’une discrimination (les jeunes dans les banlieues qui n’ont pas accès à l’instruction) il faut donner des moyens supplémentaires (créer des zones d’éducation prioritaires) afin de réduire les discriminations existantes. La justification politique de la discrimination positive est de lutter contre les effets des discriminations. Et en ce qui concerne l’accès au mariage des homosexuels, ou bien on dit qu’il s’agit d’une discrimination ou on dit qu’il ne s’agit pas d’une discrimination. On dit que c’est une discrimination illégitime parce que non fondée sur une différence suffisante, ou bien on dit que c’est une discrimination non illégitime parce qu’en fait les situations de base sont trop différentes.

 

X : Il y a 50 ans, le terme de discrimination positive n’était pas employé. Le concept même n’existait pas vraiment. A cette époque on parlait davantage de solidarité. Cette différence de terminologie fait que l’on ne voit pas les choses de la même façon, que l’on ne parle pas des mêmes choses. Parler de discrimination positive revient à mélanger 2 termes contraires.

 

X : Pour en revenir à cette question de la parentalité, le terme de désir (que l’on a beaucoup employé ici) me gêne. Désir pris dans le sens de l’expression de la parentalité. Dans mon projet personnel de parentalité, ce n’est pas la question du désir qui est rentrée en fonction mais bien plutôt celle d’engagement. Au niveau de la responsabilité vis-à-vis de l’enfant, au niveau du relationnel que je vais avoir avec lui. Dans cette société plutôt libérale et consommatrice, le “désir d’enfant” est quelque chose qui en soi me gêne. Le fait de désirer quelque chose justifie à lui seul le fait de l’obtenir, un peu comme le désir d’un objet qu’un simple crédit permet d’acquérir. De cela je ne veux pas dans ma réflexion sur le fait d’être parent. Ce qui compte pour moi c’est de savoir si mon engagement fait suffisamment le poids pour passer à l’acte. Je crains que parfois le discours de certaines filles sur la notion de désir d’enfant ne soit pas exprimé clairement par rapport au désir de faire un enfant, d’élever un enfant. Je crois qu’il n’existe pas dans le discours des hommes le désir de faire un enfant pour faire un enfant.

 

X: Certes, mais l’intérêt d’être homosexuel c’est justement d’aller plus loin sur la question de l’engagement vis-à-vis de l’enfant. Je pense que si j’avais été hétérosexuelle, comme tout le monde à 27 ans j’aurais fait un enfant et c’est seulement après que j’y aurais réfléchi.

 

 

X : Je suis père de trois filles, et jusqu’à présent j’étais considéré comme une sorte de beaux-parents, plutôt que de parent. Mon homosexualité n’était pas dite. Depuis que j’ai dit mon homosexualité je suis confronté quotidiennement à des difficultés. Ma famille ne considère plus que je suis le beau-parent que j’étais jusqu’alors. Pour moi rien n’a changé, mes filles sont toujours les mêmes. Il ne faut perdre de vue qu’il existe une version pessimiste de l’homoparentalité. Il faut que nous soyons solidaires face aux difficultés que nous pouvons rencontrer. Il ne faut pas nier qu’il peut exister des difficultés. J’ai pu être un bon parent, on verra par la suite, mais il y a aussi l’image que l’on renvoie. Image qui n’est pas toujours facile à vivre.

 

François Delor : Je suis très content de cette intervention parce qu’en arrière fond de cette réflexion sur l’homoparentalité il y a toujours la question de la représentation sociale. On est passé d’une modalité de reconnaissance sociale en droit à une reconnaissance sociale de l’ordre moral (non seulement nous sommes tous des citoyens mais en plus nous partageons les mêmes valeurs). Maintenant nous sommes dans une demande de reconnaissance sociale relevant de la sphère affective. C’est particulièrement visible dans le monde du travail. On ne demande plus seulement le droit au travail ainsi qu’une reconnaissance en tant que bon travailleur, on demande en plus d’avoir le droit d’être estimé. Mais si donner le droit est possible, en revanche la reconnaissance égale au niveau moral est déjà plus problématique. Reconnaître que des homosexuels (gays et/ou lesbiennes) sont capables de donner autant à leurs enfants que les hétéros sera très problématique. Je ne suis pas du tout d’accord avec cette histoire de suivi thérapeutique des couples gays et lesbiens, mais je suis impatient que se mettent en place des mécanismes d’observations (par les gays et les lesbiennes eux-mêmes) afin d’engranger des informations non pas sur la manière dont eux-mêmes fonctionnent en tant que parents, mais sur la façon dont la société fonctionne par rapport à eux. Il faut que toutes ces expériences de discrimination au quotidien puissent faire partie d’une mémoire qui permette à d’autres (et notamment à ses enfants) de s’y retrouver dans l’histoire qui a été la leur. Il faut engranger pour sortir des simples discours de discriminations en droit. On se bat pour des droits, mais quels droits ? Le droit d’être reconnus comme des citoyens capables d’aimer. C’est quand même quelque chose d’assez nouveau dans l’histoire, et il faut que l’on y participe.

 

 

X : J’aimerais savoir ce qu’il en est de la réflexion sur la façon dont les enfants assumeront par la suite l’homosexualité de leurs parents (je pense surtout aux parents qui ne vivent leur homosexualité dans le non-dit ou la culpabilité). De quelle façon les enfants d’homosexuel-le-s arriveront à parler de l’homosexualité de leurs parents ? Non pas vis-à-vis de la famille, mais vis-à-vis de la société ?

 

X : Et comment, dans le genre, des parents homosexuels vont intégrer le fait que leurs enfants soient eux-mêmes homosexuel, puisqu’après tout ce cas de figure est tout à fait possible ?

 

X : Peut importe que nos enfants soient homos ou hétéros, puisque cela sera leur choix de vie. Je suis homosexuel et père d’une fille qui m’a demandé s’il existait un lieu où les enfants dans sa situation pouvaient s’exprimer et rencontrer d’autres personnes dans la même situation.

 

François Delor : Pourquoi pas, c’est à eux de le faire. Si j’étais africain du sud (il y a 30 ans) devrais-je me demander si je peux mettre au monde un enfant alors que je risque de lui faire subir l’apartheid dont moi-même j’ai été victime ? C’est effectivement important de se poser cette question, mais n’apportons pas à cette question la réponse que nous impose le discours dominant qui est de dire qu’il ne faut surtout pas faire courir un tel risque à l’enfant. Dire une telle chose revient à dire que les choses ne changerons pas, alors qu’en faisant courir ce risque à l’enfant (tout en l’accompagnant) les choses bougent. Tous les discours politique de la Gauche tiède nous disent d’être prudent, d’être audacieux, mais prudent. Non, il faut parfois oser.

 

Toute petite dernière chose sur cette histoire que nous avons le droit de demander des droits. Habitant sous un régime d’apartheid, d’une couleur particulière (disons que je suis bleu) je revendique de prendre le bus. Mais je vais prendre le bus pour les blancs ou celui pour les noirs ? Si je prends le bus pour les noirs je suis discriminé par rapport aux blancs, et je ne peux pas oublier en entrant dans le bus réservé aux blancs qu’il est interdit aux noirs. Lorsque nous revendiquons des droits, nous oublions les personnes qui sont exclues des droits que nous obtenons. Le droit universel n’existe pas. Avons-nous une vision au-delà de nos frontières des droits que nous revendiquons ? La citoyenneté et le droit ne s’arrêtent pas à nos frontières. Nous sommes dans un particularisme revendicateur qui oublie les gens qui n’auront pas accès à ces droits. Nous allons beaucoup avancer mais en laissant derrière nous des gens qui n’auront pas bénéficier de nos luttes.

 

X : Certes, mais qu’un certain nombre de gens revendiquent un certain type de droit permet de monter à d’autres le chemin. C’est tout un travail politique à mener, vers non pas un droit de la cité mais vers un droit que l’on pourrait qualifier d’universel. Dans ce cas là nous sommes en pleine solidarité politique et militante, et on peut alors parler plus qu’une revendication de droit, d’une revendication politique.

 

 

 

 

Jacques Fortin : Bien, sûr ce je propose de clôturer ce séminaire. Merci à tous et à toutes.