ARCADIE 1954-1982
Par Christian de Leusse
1945 :
- le livre de Jean-Louis Bory (1919-1979) Mon village à l’heure allemande lui vaut le Prix Goncourt (le prix lui permettra de racheter la propriété acquise par ses grands parents à Méreville dont sa tante, la comtesse Cally, avait hérité), agrégé de lettres, il poursuivra une carrière de professeur de lycée, écrivain, journaliste, critique cinématographique
- parution des Amitiés particulières de Roger Peyrefitte, sur l’amour chaste de deux adolescents (Georges 14 ans et Alexandre 12 ans) pensionnaires chez les jésuites dans le Sud-Ouest qui s’envoient des poèmes, les pères mènent un combat incessant conte les tentations impures, parmi eux le père de Trennes qui invite les enfants dans son bureau pour ces mises en garde, un autre père oblige Georges à rompre toute relation avec Alexandre, mais Alexandre se suicide, c’est la quintessence des romances à l’école dont on parle souvent à Arcadie (comme le larmoyant L’Elu d’Achille Essebac (1902), ou plus tard, en 1970, Les Garçons de Montherlant) ; Jean-Louis Bory, 26 ans, décroche le prix Goncourt pour son 1er roman Mon village à l’heure allemande
- nostalgique des allemands, Jacques de Ricaumont (1913-1966) se fait nommer correspondant de presse à Berlin après 1945 ; issu de la petite noblesse du sud-ouest Ricaumont avait rencontré du Dognon dans les années 1930 à Paris (Nicolas de Staël a peint un portrait « Mlle de Ricaumont » qui le représente) et avec lequel il a fréquenté des soldats allemands pendant la guerre (que du Dognon évoquera dans son roman Le Monde inversé en 1949) ; il y a été l’objet d’un petit scandale quand un journal français révèle sa liaison avec un descendant de Bismarck, et il n’a pas apprécié de figurer comme personnage principal dans le roman de du Dognon qui le qualifie de Grand Maître de l’Ordre dans la dédicace qu’il inscrit dans la 1ère édition ; Ricaumont est passionné par l’aristocratie, l’Eglise et la défense de « l’amour grec » (un membre d’Arcadie racontera avoir dîné chez lui entouré du prince Jean de Bourbon-Sicile et du prince Ernst-Friedrich de Saxe Altenberg), journaliste et imprésario littéraire, il rencontre de 1952 à 1954 de nombreuses personnalités (dont le prince Youssoupoff, Arletty, Jean Paulhan, Julien Green, Bertolt Brecht, Ernst Jünger, Jean Giono) et présentera dans les années 1960 Rudolf Noureev au vieux sculpteur pronazi Arno Brecker
1951 : mort d’André Gide, Der Kreis qui lui consacre un n° entier écrit « Il est et reste « notre reine », notre chef de file, celui dont l’homosexualité fut relevée dans tous les articles nécrologiques… Personne plus que lui n’a relevé notre mouvement aux yeux du commun des mortels, ne lui a donné son droit à la vie, son sens philosophique et sa portée morale » ; du Dognon félicite Gide d’avoir eu le courage de dire « oui » mais regrette un peu qu’il ait pris soin de « mettre entre ses lecteurs et lui plus de 2 millénaires »
Octobre 1952 : parution en France du journal Futur pour la dénonciation du puritanisme régnant et contre la persécution des homosexuels, « organe de combat et d’information pour la liberté sexuelle et l’égalité » avec son 1er éditorial « Tartuffe, comme le Phénix, se relève de ses cendres », son fondateur Jacques Thibault, est âgé de 22 ans. Il combat l’obsession française de croissance démographique, et ne s’intéresse qu’à l’homosexualité masculine, n’ayant guère de sympathie pour les hommes efféminés, ces « homosexuels d’étalage » pour lesquels « le sac à main est une incorrigible compagne », il se réfère souvent à Gide, célèbre la jeunesse et le culte du corps, avec des photos suggestives d’adolescents, la plupart des articles dénoncent la vague la répression sexuelle qui s’abat sur la France, le MRP est qualifié de Mouvement des refoulés pratiquants, Pierre-Henri Teitgen de « Teitgen le Termite ou Benito Teitgen », et de Menthon « de Menthon-la-prison qui a ramassé dans les poubelles de Vichy son oukase » de 1945. Il est contraint de fermer par la justice. « C’était une vraie révolution… quelque chose d’extraordinaire pour la France » dira un lecteur. Il est interdit aux mineurs dès le 1er numéro et interdit à l’affichage selon les termes de la loi sur la protection de la jeunesse de 1949. En 1953, Thibault et un de ses amis sont condamnés pour avoir eu des relations sexuelles avec des mineurs. Le journal disparaît et reparaîtra de juin à novembre 1955.
1953 : André Baudry tente d’organiser un camp de vacances homosexuel sur la Côte d’Azur
1954 : les inculpations pour « délit d’homosexualité (art.331 al.3) sont passées de 22 en 1945 à 219 en 1954 (245 en 1949 et 222 en 1951), mais ces inculpations mélangent les relations avec les mineurs de moins de 15 ans (« OPP » art.330) et de moins de 21 ans, et ne distinguent pas les relations homo et hétérosexuelles
Janvier 1954 : parution du 1er n° d’Arcadie, Revue littéraire et scientifique, elle est interdite à l’affichage en avril, André Baudry marque et marquera la revue ; annonçant sa fondation Baudry écrit « La France est en Europe, l’un des seuls pays à n’avoir pas encore un tel moyen d’expression », il fait référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, comme le fait le mouvement homophile danois et l’ISCE ; « La personnalité d’André Baudry a dominé tout à fait, absolument… Arcadie a été créée par Baudry, dirigée par Baudry et dissoute par Baudry » dira l’un de ses fondateurs, bras droit de Baudry dès les 1ers jours ; né le 31 août 1922 à Rethondes dans une famille bourgeoise, son père est avocat, il n’a plus eu de famille à l’âge de 8 ans, à la mort de sa mère en 1930 son père – plutôt indifférent – l’a mis au collège Saint François-Xavier de Laval ; sa sœur est décédée en 1934, le collège a été sa famille de substitution, pendant la guerre malade de la tuberculose il s’est retrouvé en sanatorium dans une ambiance qui lui rappelait le collège et lui plaisait, même si les consignes sont draconiennes (mises en garde contre la masturbation, la tuberculose étant susceptible de produire une toxine causant l’homosexualité), en 1943 il entrait au séminaire, mais l’a quitté en 1945 après une tentative malhabile de séduction de la part de son « directeur de conscience » (sous prétexte de bousculer sa timidité, il l’invite à poser sa tête sur sa poitrine après l’avoir fait s’allonger sur son lit), Baudry refuse de « finir comme ça » dans « le mensonge organisé » ; quand il fondera Arcadie il ne sera retenu par aucune pudeur vis-à-vis de sa famille ; il enseigne la philosophie au collège des jésuites Saint Louis de Gonzague, à Paris, et encadre une colonie de vacances des ouvriers des aciéries de Longwy ; né en 1922, il vit sa 1ère expérience homosexuelle en 1948, il a 24 ans, il arpente Paris avec son ami Jean Garnier, ancien séminariste aussi, ils repèrent les visages qui les troublent ; il écrit quelques pièces de théâtre et un texte Exercices spirituels (un jeune séminariste, à peine ordonné subit les avances d’un cardinal à Rome) qu’il fait lire par Roger Peyrefitte (celui-ci en utilisera quelques éléments dans son roman les Clés de St Pierre) et à André du Dognon de Pomerait (1910-1986) qui, originaire de la bourgeoisie du sud-ouest, a vécu la vie homosexuelle effervescente de l’entre-deux guerres à Paris et a publié les Amours buissonnières en 1948, roman autobiographique qui décrit la vie gaie des années 1930 à Montparnasse, avec un riche aristocrate le comte de Pomerait qui lui a donné son nom dans un hôtel, ils tiennent un hôtel où du Dognon regarde les ébats des clients puis ils ouvrent un salon homosexuel (où se côtoient aristocrates et apprentis écrivains) ; Baudry a rencontré dans ce salon le comte de Ricaumont, et grâce à lui il a entendu parler de la revue du mouvement homophile suisse Der Kreis (le Cercle), publié à Zurich, il est séduit, il offre ses services à Georges Welti et lui envoie de nombreux textes (sur la jeunesse, la philosophie, la théologie, etc.) sous le nom de André Romane, fait en 1953 un compte-rendu enthousiaste du livre de Marc Oraison Vie chrétienne et problème de sexualité (il le qualifie de « dernier mot de l’église dans les problèmes de la sexualité et la religion » et d’ « étonnant et remarquable après 20 siècles de silence ou de muette réprobation »), Baudry aide à diffuser Le Cercle (Der Kreis) en France, en 1952 il proposait d’ouvrir une « petite succursale de Zurich à Paris » et organisait une 1ère réunion dans son appartement en octobre, une quarantaine de personnes (amis et abonnés du Kreis), d’autres réunions ont suivi ; Baudry note qu’il est « scandalisé de ces attitudes d’homosexuels qui n’ont plus rien d’humain, de virils, de propre… nous sommes très éloignés dans notre ensemble de Socrate… j’arrive à croire qu’il y a de faux homosexuels, des homosexuels-machines à jouir » ou encore « nous sommes des indifférents pour la plupart. Personnellement je lutte beaucoup contre cet état d’esprit, et chaque fois que je le puis j’affirme la valeur de notre état. Il y a un mot que je déteste par-dessus tout, c’est celui d’anormal… je clame haut (la) tolérance, je réclame le respect… dans la dignité de la personne et dans la certitude de sa vérité come de sa pureté, être sûr de soi et le dire » ; fin 1952, il contacte le Comité international pour l’égalité sexuelle (ISCE) dont il devient le délégué pour la France, il donne ses avis : négatifs à l’égard d’un certain Guy Fourqueux (dirigeant de l’agence de rencontres Paris-Club), de Maurice Rostand (« trop maniéré »), de Jean Thibault (rédacteur à Futur « assez réduit intellectuellement »), ou positif, à l’égard de Jean-Paul Sartre pour le prochain congrès de l’ICSE en 1953 ; Georges Welti (de Der Kreis) écrit à Baudry qu’il est plutôt défavorable à « un congrès de personnes de notre bord… il faut que nous travaillions plutôt « en douce », alors que Baudry pense que « les manifestations publiques… sont parfois nécessaires » ; après avoir dirigé un camp d’été pour jeunes homosexuels dans une villa de Ste-Maxime qui lui laissera un mauvais souvenir (car sympathique et sage au début puis complètement débridé à la fin), Baudry participe au 3èmecongrès de l’ICSE en septembre 1953, il y fait un exposé sur « la formation psychologique et sexuelle de l’adolescent homophile » ; fin 1953, il y a 200 personnes à ses réunions parisiennes, il envisage dès lors la création d’une organisation française indépendante, puis une vraie revue mensuelle ; c’est Roger Peyrefitte suggère le nom d’Arcadie ; le 1er n° comporte 50 pages, sobres, sans illustration, 4 dessins de garçons chastes dont un de Cocteau, avec des textes de Baudry, Cocteau, Roger Peyrefitte, du Dognon, des poèmes de Catulle, Michel-Ange et de Whitmann, et une bibliographie de livres parus depuis 1940 ; Georges Welti se fâche et accuse Baudry de déloyauté ; parmi les 8 signataires de la circulaire annonçant la création d’Arcadie fin 1953, seul le nom du « comte de Ricaumont » est remarqué, et les seuls contributeurs connus du public sont Cocteau, Peyrefitte et du Dognon, tous les autres apparaissent sous pseudonyme, le pédopsychiatre Georges Heuyer répond négativement (« J’ai reçu de nombreux homosexuels, ils venaient me demander un traitement, une aide, un secours pour remédier à la situation anormale dont ils souffraient, ils étaient malheureux et pitoyables »), Marc Oraison refuse (« vous m’embarrassez terriblement !… il y a des imbéciles partout, même dans le clergé… ma situation exige que je sois extrêmement prudent »… « l’homosexualité (terme plus précis et plus exact que l’homophilie) est une anomalie de l’instinct dont les victimes sont les premières à souffrir »), Henri de Montherlant refuse, Carlo Coccioli auteur du roman Fabrizio Lupo (1952) répond à côté (« j’ai horreur de tout prosélytisme fait à travers la littérature… vous êtes, si on vous regarde sous un certain angle, une sorte d’apôtre ; moi non »), Julien Green est d’une réticence extrême – il publie Le Malfaiteur en 1955 roman autocensuré dans lequel le héros devait se suicider sans avoir répondu à l’affection de sa femme (ce n’est qu’en 1973 que l’édition intégrale révèlera la raison du suicide, l’homosexualité) – , un article assez explicite (source de soucis judiciaires pour Baudry) d’Eric Jourdan fils adoptif de Green paraîtra, mais Green n’écrira jamais rien pour Arcadie, Marguerite Yourcenar louvoie (« je me demande si, en dépit du courage et de la volonté de sincérité très louable… Arcadie ne risque pas de desservir plutôt que de servir vos vues… pour lutter contre (la) confusion, trop naturelle après des siècles de « politique de silence » auxquels cette question a été soumise, je préfèrerais quant à moi un bulletin plus scientifique que littéraire, de ton plus contrôlé », Marcel Jouhandeau (1888-1979) répond brutalement (« Je suis on ne peut plus hostile à votre projet, mon père dès mon plus jeune âge m’a fait promettre de n’appartenir à aucune société, à aucun parti, à aucun groupement… c’est en compagnie de ceux qui me ressemblent que je me déplais, que je m’ennuie… la vue des pédérastes en particulier, groupés surtout, me soulève le cœur… aujourd’hui les goûts qui sont devenus es miens, mais que je domine, sont tombés dans une telle promiscuité, une si odieuse vulgarité les entoure… je ne suis pas du tout fier d’en être. J’en ai presque honte… Vous préparez une terrible persécution qui ne tardera pas à sévir contre les non-conformistes en matière d’amour… quand ce qui doit demeurer secret s’étale au grand jour avec insolence, car il y a loin du manque d’hypocrisie dont j’ai toujours donné l’exemple à la boutique ridicule que vous êtes en passe d’ouvrir » ; Arcadie a 1 500 abonnés, un journal critique « Bientôt ils adopteront pour devise : « Homophile de tous les pays unissez-vous ». Ici commence l’abus… Rie an fait ne leur interdit d’être homophiles si tel est leur bon plaisir… Les voilà qui font de l’exhibitionnisme, du prosélytisme…ils veulent être « considérés » et qu’on en fasse une vertu d’Etat » ; Baudry participe à un débat organisé par le club du Faubourg face à Frédéric Hoffet qui allègue que « l’homme parisien s’est féminisé au point qu’il est atteint dans sa virilité même » et que la franc-maçonnerie de la pédérastie rappelle « l’Empire romain dans les derniers siècles de son existence », Baudry est hué et contraint de se déclarer homophile ; la revue du COC salue, en septembre 1954, le courage de Baudry et la jeune organisation française ; en mai 1954, la revue Arcadie est interdite de vente aux mineurs et d’affichage (cf. loi de 1949) et dès lors interdite de bénéficier des tarifs postaux réservés aux périodiques (décret du 26 mars 1954) semant un vent de panique parmi les abonnés, la revue s’en sort en faisant appel au soutien financier et en lançant en octobre une page de petites annonces (750 f les 10 mots) provoquant l’ire de Guy Fourqueux, directeur du club de correspondance Paris-Club, qui le voit comme un concurrent ; l’ISCE souhaite organiser son congrès à Paris (Cor Huisman représente l’ISCE à Paris), Baudry insiste pour rester le seul maître de l’organisation et refuse d’autoriser Futur – qui vient de reparaître – à y participer officiellement, le comité de l’ISCE est d’accord avec le fait que Futur pose un problème avec son attitude équivoque vis-à-vis de la sexualité des jeunes et refusera l’affiliation des rédacteurs de Futur en 1955 ; Baudry refuse d’associer un autre groupe, le Verseau, à l’organisation du congrès et l’ISCE est contrainte de s’incliner compte tenu de ce que représente Arcadie ; le philosophe catholique Gabriel Marcel et l’historien Philippe Ariès ont accepté de participer au congrès, mais Gabriel Marcel est épouvanté par un article de presse qui révèle sa présence à un événement émanant d’une organisation homosexuelle, l’ISCE fait tout pour le faire changer d’avis – décrédibilisant quelque peu Baudry – sans succès, et 10 jours avant le congrès Baudry annule la participation d’Arcadie sous prétexte que l’ISCE a repris les contacts avec le Verseau malgré leur accord, et Ariès ne participe pas non plus ; Gabriel Marcel avait été sollicité par l’ISCE malgré son opinion peu favorable : » les homosexuels ne sont nullement inquiétés, ils constituent une véritable franc-maçonnerie, qui dans certaines branches semble même tenir les leviers de commande » ; Hillairet consacre 3 articles à Freud, il regrette sa position finalement très « décevante » en matière d’homosexualité, et « timide par rapport à celle de Hirschfeld », mais admire « le fondateur génial de la psychologie scientifiques, l’homme courageux qui a osé affronter le tabou qui enveloppait le domaine de la sexualité… le non-conformiste qui a dénoncé la profonde hypocrisie de la vie sociale »
1954 : les 1ers numéros d’Arcadie fournissent une bibliographie: romans parus depuis 1940 (Peyrefitte, Genet, Pierre Herbart, du Dognon, Roger Stéphane), biographies et autobiographies (Gide, Verlaine, Sartre sur Genet), ouvrages scientifiques (Havelock Ellis, Krafft-Ebing, Steckel, Hirschfeld), études diverses (Oraison, Gide, Hirschfeld), livres étrangers traduits en français (Wilde, Mann, Walter Baxter, Coccioli, James Barr, Gore Vidal), romans publiés avant 1940 (Gide, Proust, Yourcenar, Binet-Valmer, Achille Essebac, Rachilde) et romans traitant incidemment de l’homosexualité (Moravia, Roger Martin du Gard)
1955 : depuis la guerre, Daniel Guérin n’a pas arrêté de militer pour de très nombreuses causes. A partir de 1955, il écrira beaucoup sur la sexualité (Kinsey et la Sexualité 1955, Shakespeare et Gide en correctionnelle ? 1959, Eux et lui 1962, Essai sur la révolution sexuelle après Reich et Kinsey 1963, D’une dissidence sexuelle au Socialisme 1972, le Feu et le sang, et, Son Testament 1979, Homosexualité et Révolution 1983). Il salue le rapport Kinsey comme « un message de délivrance qui nous incite involontairement à poursuivre conjointement la révolution sociale et la révolution sexuelle ». Arcadie loue son courage dans un article.
Il a rejoint Arcadie dans les années 1950, il devient le seul intellectuel de gauche à faire partie du mouvement. La revue publiera la lettre de protestation adressée à France-Observateur – et caviardée – à la suite de leur critique du rapport Wolfenden qui recommandera en 1957 la dépénalisation de l’homosexualité en Grande Bretagne. Elle publiera d’autres articles de lui.
André Gaillard, proche d’André Baudry, admirera un texte biographique de Daniel Guérin « Chaque ligne de ces aveux brûlants de larmes, de sperme ou de sang, je l’éprouve, mon ami, comme une libération et une souffrance offerte à la vérité » ou encore « Il y a longtemps que je connaissais la chaleur de votre socialisme, mais pouvais-je me douter que vous étiez à ce point mon frère en exaltation, en sursaut, en révolte »
A la Ciotat, Daniel Guérin – grâce à des revenus d’actions Air Liquide Canada provenant de son père – crée un lieu d’accueil pour écrivains et artistes (petite villa Médicis) qui durera quelques années, Rustique olivette, où viendront résider à titre gracieux (en grande partie autogérée, petit déjeuner gratuit et une cuisinière Mme Reita préparant l’un des repas de la journée) : des écrivains comme André Schwarz-Bart (au seuil de son prix Goncourt 1959 pour le Dernier des Justes), Francis Chaissac (écrivain talentueux, soutenu par J.P. Sartre, qui se disputait volontiers avec André Schwarz-Bart) ou Raphaël Pividal (écrivain et philosophe), des comédiens Pierre Debauche, futur directeur du Théâtre des Amandiers, et son épouse Michelle, des chercheurs comme Anahid Ter Minassian (professeur au Lycée Fénelon puis à la Sorbonne en histoire de la Russie) et Claudine Herzlich (qui écrivait sa thèse sur les représentations de la maladie, et deviendra directrice du CERMES, le centre d’études et de recherche sur la maladie et la santé), des peintres et dessinateurs, le sculpteur Jan, hollandais, etc.
1955 : « Ils forment une confrérie respectable qui dicte ses lois dans tous les mondes, une franc-maçonnerie » (Combat, André Berry), « De jour en jour, Paris se dévirilise… ils ont tout envahi » (Le mal du siècle, Pierre Servez) ; Arcadie se réunit chaque semaine dans un nouveau local (brasserie Zimmer place du Chatelet, galerie d’art, restaurant bd Montmartre ; en 15 ans plus de 200 personnes publieront des articles dans la revue, parmi les plus prolifiques : Michel Duchein (Marc Daniel), fils de chirurgien ex-maire de Sedan, il fait sa carrière aux Archives nationales, il a écrit un article sur Edouard II d’Angleterre dans Futur et rencontré Baudry en janvier 1953, Paul Hillairet (Serge Talbot) enseigne la philosophie dans un lycée de banlieue, il traite de sexologie, biologie et médecine, timide et handicapé par les séquelles d’une tuberculose, André Gaillard (Pierre Nédra) professeur d’histoire à l’étranger puis au lycée Voltaire, personnalité explosive mariée à Albine une professeur de piano excentrique, à partir de 1958 André Lafond (André-Claude Desmon) fait partie de premier cercle, agrégé de philosophie, il écrit sur des sujets de philosophie, Alain Chatelain (Alain) a connu Baudry par Der Kreis, il travaille dans l’édition, il vit avec un ouvrier martiniquais travaillant dans l’automobile,, lecteur acharné il rédige des comptes-rendus de livres, Eugène Dior timide magistrat parisien qui a joué un rôle dans l’épuration du système judiciaire à la Libération, marié, père de 3 enfants, René Dulsoux (Sinclair) employé au contentieux d’une banque, plein d’ironie, principal critique de cinéma, se heurte au refus des autorités de le laisser adopté son amant noir, René-Louis Dubly (Robert Amar), fervent catholique, auteur prolifique, vieille France, écrit des articles historiques, religieux et sur les problèmes des homosexuels mariés, Jacques Caramella (Jacques Remo) normalien fournit des articles sur des sujets littéraires, René Larose (René Soral), chef du personnel, écrit sur des écrivains homosexuels célèbres, Lucien Farre médecin, traite de sujets médicaux, Henri Rupin (Mézieres ou Claude Nérisse) magistrat à Marseille, propose une série d’articles sur le droit et les discriminations dont sont victimes les homosexuels, Yves Cerny fonctionnaire à la Défense nationale publie des nouvelles légèrement érotiques, Raymond Leduc fonctionnaire dans la préfectorale fait des comptes rendus littéraires, Raymond Normand travaille dans une agence de voyages, Robert Dol fait du commerce de livres anciens, André Lavaucourt, dentiste, Henri Studa, ingénieur, seule femme Simone Menez (Simone Marigny), architecte, proche de la SFIO (elle aurait connu une autre lesbienne Brigitte Friang dans la Résistance), divorcée, elle vit avec Claude Brunegarde qui écrit parfois dans Arcadie, elles sont aussi romancières ; il y a aussi Yvon Chabillac (Jean d’Asques) représentant de commerce à Bordeaux, Henri Pérol (Boris Arnold) fonctionnaire de préfecture puis libraire à Lyon (il publiera en 1956 un roman autobiographique sur ses frasques sexuelles avec les Allemands pendant l’occupation), Philippe Leider, Jean Rittié (catholique dévot, délégué d’Arcadie en Lorraine), Aimé Spitz – ancien déporté au Struthof – est délégué en Alsace
1955 : c’est encore le temps du silence assourdissant, l’enfant et l’adolescent n’entend jamais parler de l’homosexualité, un rédacteur d’Arcadie écrit dans son 4ème n°« un jeune homosexuel doit tout découvrir comme s’il naissait le premier de son espèce dans un monde neuf », André du Dognon écrit « N’osant espérer qu’il existait un autre moi-même, je me cherchais au lieu de vivre et ne me retrouvais pas dans les personnages masculins des romans que je lisais », un collaborateur d’Arcadie découvre un n° d’Inversions de nov. 1924, il se demande « Que sont devenus nos précurseurs, quels furent nos aïeux en lecture, quels émois et quels espoirs ressentirent-ils ce jour-là ? »
1955 : Gérald Hervé, futur collaborateur d’Arcadie, se fait radier de la marine à Saigon parce qu’il achète dans une librairie Le chemin des hommes seuls, de Pierre Nédra
Mars 1955 : André Baudry est convoqué à la brigade mondaine pour s’expliquer sur la nature de son organisation, et reçoit en août une sommation à comparaître, Arcadie étant poursuivi pour « outrage aux bonnes mœurs », « comme entièrement consacrée à l’homosexualité masculine, généralement décrite sous le néologisme d’homophilie », 9 articles parus dans 7 n° de janvier 1954 à avril 1955 sont visés par la censure tous signés sous pseudonyme, accusés de « descriptions choquantes », la nouvelle de Roger Véronaise, alias Eric Jourdan (proche de Julien Green), « Un 3è but » est ciblée (« nudité d’adolescents réunis sous les douches » ou « un jeune homme dépose un baiser entre les cuisses, qu’il écarte, de l’un de ses partenaires »), ainsi que d’autres concernant des « émois homosexuels » d’adolescents, une colonie de vacances aux descriptions « constamment suggestives » ou l’homosexualité chez les singes, lors du procès le 3 mars 1956, avec l’avocat Paul Baudet, il défendra : la liberté de la presse, l’absence de distinction dans la loi entre homosexualité et hétérosexualité, le fait que l’homosexualité n’est pas contre nature, pousser les homosexuels à se cacher les pousserait entre les mains de maître chanteurs, les articles d’Arcadie ont une qualité littéraire et une morale élevée, Arcadie n’attaque pas la famille, accuser Arcadie de prosélytisme est absurde, Arcadie n’a rien d’une franc-maçonnerie, la revue n’accorde pas plus d’attention à l’amour adolescent qu’à d’autres formes d’amour homosexuel, la littérature avait parlé auparavant d’amour homosexuel, le problème des adolescents se pose aussi aux hétérosexuels, le traitement de l’homosexualité dans Arcadie ne se limite jamais à l’érotisme ; le tribunal retient le « danger pour la jeunesse », le « prosélytisme », les « inclinations répréhensibles », Baudry sera condamné à 40 000 f d’amende et les exemplaires des n° confisqués sont mis au pilon, Baudry niera toujours avoir été condamné de peur d’effaroucher les futurs abonnés ; Welti estimera que Baudry qui continue à enseigner est « possédé par le sens de sa mission », en février 1955 – critiquant sans la nommer la revue Der Kreis – Baudry écrivait « Le XXème siècle est-il celui des catacombes ? Devons-nous nous cacher ? Nous considérer comme honteux ? L’homophilie n’est pas une conversation de salon », à la fin de 1955 il sera davantage enclin au compromis pour assurer l’avenir de la revue
Avril 1956 : un dernier n° Futur reparaît, puis disparition de la revue, Thibault est inculpé pour outrages aux bonnes mœurs, les éditeurs seront condamnés pour outrage aux bonnes mœurs, Jean Thibault s’enfuit à l’étranger, au total 19 n° de Futur sont parus
22 décembre 1956 : André Baudry organise une projection, dans une salle louée au musée de l’Homme, du film interdit de Jean Genet, Chant d’amour, accompagné de 2 films du cinéaste américain Kenneth Anger (selon Baudry l’employé du Musée qui a loué la salle a été licencié par la suite)
Avril 1957 : Arcadie trouve des locaux permanents à un 4ème étage – 150 m², caché à la vue tout en haut d’un escalier en colimaçon, au fond d’une cour – rue Béranger, 3è arr. de Paris, André Baudry y installe le Club littéraire et scientifique des pays latins (Clespala), non pas sous forme associative jugée vulnérable, mais sous forme de société privée, le capital nécessaire à l’achat des locaux est rassemblé, chaque part valant 200 000 f, permettant un capital social est de 900 000 f (l’un des actionnaires décédera en 1960 après avoir légué ses biens, yc ses actions du Clespala à un ordre religieux… pour éviter cela à l’avenir chaque membre s’engagera à verser ses actions à un autre membre d’Arcadie), les adhérents au club doivent s’abonner à la revue ; le club avec restaurant, petit théâtre, bar avec fresque du caricaturiste Maurice Van Moppès, est ouvert 4 jours/semaine (mercredi, vendredi, samedi, dimanche), à la fin des années 1960 c’est le seul lieu où des hommes peuvent danser ensemble, Baudry cherche à avoir les meilleures relations avec la police, expliquant qu’il n’a rien à cacher mais ce n’est pas sans susciter quelques craintes d’être fiché chez les adhérents, le cheminot Marcel Paturel restera à l’écart d’Arcadie pendant toute se vie professionnelle à cause de cela, et l’idée d’un Baudry « indicateur » de police se répandra parfois, prétendument diffusée par l’ancien préfet de police André Dubois, connu comme homosexuel ; nombreux sont ceux qui raconteront leur arrivée à Arcadie, réfrigérés ou rassurés par le sérieux de André Baudry, puis heureux de leur découverte : Jean-Noël Segresta, le Dr Harter, Raymond Maure, Jean-Paul Biale, André Boissonet (professeur d’italien en lycée à Lyon), « Jean-Claude Vilbert » (professeur d’histoire ancienne à l’université de Paris), André Lafond
1958 : Arcadie lance la rubrique Le combat d’Arcadie pour recenser les actes de violence envers les homosexuels et les discours dépréciatifs tenus sur l’homosexualité
1958 : parution dans le n°49 d’Arcadie d’un article de Daniel Guérin contre Jean Delay, il considère le puritanisme comme une absurdité historique « D’ici un siècle, parions-le, de tels faits laisseront le lecteur incrédule : il lui sera presque impossible d’admettre qu’une société humaine ait pu exister qui a engendré une morale sexuelle aussi invraisemblable et absurde » ; Daniel Guérin avait déjà stigmatisé le stradfordisme qui tente de gommer les facettes libertines (homosexuelles et bisexuelles) du personnage Shakespeare, dans un article Shakespeare à Stradford
14 janvier 1958 : conférences au Cercle Ouvert, à St Germain des Près, où Daniel Guérin donne la répartie à Marcel Eck (pour lequel l’homosexualité est une pathologie) et à Gabriel Marcel (pour lequel la visibilité homosexuelle est une anarchie morale) ; André Lafond, agrégé de philosophie, très seul, vient y assister, entre en contact avec Daniel Guérin, qui a 54 ans : « Il m’a expliqué sa vie d’homosexuel. Il avait choisi plutôt l’homosexualité vénale en quelque sorte, il allait dans les bars et il payait les garçons. Il avait bien senti que ce n’était pas ce qui m’intéressait, il m’a dit : Vous savez, il y a un monsieur qui vient de créer un club, allez le voir. J’ai téléphoné à Baudry, et il m’a donné un 1er rendez-vous, avant même d’aller au club » ; plus tard, André Lafond (André-Claude Desmond) écrira « On ne dira jamais assez qu’il y a un bonheur à être homosexuel pour celui qui s’est libéré des idées reçues… Ce bonheur est fait du sentiment exaltant d’avoir conquis sa liberté sur les préjugés et les tabous, du sens très profond d’une solidarité entre semblables, de l’existence d’amitiés fortes et libres… indépendamment des liaisons affectives et sexuelles » ; Daniel Guérin publie plusieurs articles « La répression de l’homosexualité en Angleterre » (la Nef, 1957), « La répression de l’homosexualité en France » (La Nef, 1958), « Le drame de l’homosexualité » (Arcadie, 1959), « Shakespeare et Gide en correctionnelle ? » (1959) ; dans son article de 1958 il note à partir du Compte général de l’administration de la Justice criminelle (1953-1955) que 61 % des poursuites judiciaires concernent les hommes du peuple ou des manuels, en analysant ces chiffres il constate que l’homosexualité est loin d’être un « vice bourgeois », que la répression est constante sur les classes populaires et qu’un maccarthysme à la française s’abat sur des rapports consentis de part et d’autre
Mai 1959 : lancement de la revue Juventus, papier glacé, photos suggestives, contenu plus léger et humoristique que celui d’Arcadie, dans son 4ème numéro il critique Arcadie « le mot homophile fut inventé par une revue et sa chapelle », interdiction lui est faite de tout affichage public comme pour Futur et Arcadie ; dans son 2ème n° en juin 1959, Juventus a des appréciations proches de celles d’Arcadie ou de Futur : « Va donc un soir à St Germain des Près et ouvre ton œil pour regarder tes semblables. Vois leur allure, vois leurs gestes, entends leurs cris et considère leurs manies. Si tu te révoltes, c’est que tu as compris… Essaie de te montrer tout à fait digne, de te conduire en homme… Tu t’apercevras que partout on t’accepte »; les organisations homophiles étrangères partagent ces positions, Mattachine Review écrivait en 1956 : « Nous sommes responsables pour une grande part du sort qui nous est fait« , Der Kreis avec un point de vue semblable – mais ne le répète pas sans arrêt comme le fait Arcadie – se veut plus fédérateur : « Nous devons admettre parmi nos camarades ces tantouzes si méprisées, leur style de vie a un sens quelque part« , Der Kreis et le COC organisent chaque année un bal des travestis, aux USA ONE conteste la prudence de Mattachine Society : « Si nous devons partir en croisade, que ce soit pour nos droits civiques et l’égalité…Demander à tous les homosexuels de se conduire en parfaits gentlemen bourgeois ne va pas contribuer à me donner les droits en question »; Michel Duchein d’Arcadie s’élève à l’inverse contre les éditoriaux qui proclament que « les folles, les tapettes, les détraqués et les exhibitionnistes font partie de l’homophilie »; déjà en Allemagne, pour les uns Brand, le directeur de la revue Der Eigene – de même que le discours nazi – vantait l’idéal « masculiniste », tandis que Hirschfeld était plus ouvert à tous les styles d’homosexualité, pour les autres, la théorie du « 3ème sexe » fondé sur des explications scientifiques affaiblissait les homosexuels, tandis que Brand leur permettait de s’exprimer par eux-mêmes.
18 juillet 1960 : vote de l’amendement Mirguet qui classe l’homosexualité comme « fléau social », afin de permettre au gouvernement de prendre touts les mesures qu’il juge utile – parmi d’autres fleaux sociaux comme pour le proxénétisme, l’alcoolisme, la toxicomanie ou la tuberculose – en vertu de l’article 38 de la Constitution ; l’amendement 330-2 du Code pénal est défendu par Paul Mirguet, député de Moselle :« Il est inutile d’insister longuement car vous êtes conscient de la gravité de ce fléau qu’est l’homosexualité, fléau contre lequel nous devons protéger nos enfants… Au moment où notre civilisation dangereusement minoritaire dans un monde en pleine évolution devient si vulnérable, nous devons lutter contre tout ce qui peut diminuer son prestige » ; le contexte de déclin du prestige de la France face à l’Algérie – malgré le retour au pouvoir du général de Gaulle – joue un rôle, la recrudescence des maladies vénériennes est le prétexte ultime à son adoption, l’amendement inquiète les homosexuels français davantage que l’ordonnance de 1945 ; le premier ministre Michel Debré se préoccupe de développer les valeurs morales et nationales ; les baby-boomers devenus adolescents suscitent optimisme et méfiance, Françoise Giroud parle de « la nouvelle vague », Alfred Sauvy publie La Montée des jeunes, un ouvrage est paru Nos enfants sont-ils des monstres, un film de Marcel Carné parle des jeunes sans repères Les Tricheurs, la presse parle des blousons noirs après les heurts de 1959 opposants des gangs de jeunes, les pires prophéties de la génération des J-3 semblent se réaliser, les familles éclatées et André Gide sont mis en cause, Détective titre « Le Pr Heuyer, spécialiste de l’enfance, a vu le péril », le Monde titre sur « La délinquance juvénile » sur la Côte d’Azur et souligne « une autre dépravation fréquente est l’homosexualité », le psychanalyste catholique Marcel Eck donne une conférence sur « Parents et éducateurs face au péril homosexuel », il a défini l’homosexualité comme un fléau social plus pernicieux que le cancer, il situe l’homosexualité dans le rapport à la mère, il se targue de déceler bien des névroses cachées dans les articles d’Arcadie et préconise les cures psychanalytiques mais constate aussi : « Le drame de l’homosexualité est que l’inverti ne souffre souvent pas de son état », le directeur de la PJ de Paris fait une conférence sur « L’homosexualité et ses conséquences sur la délinquance » où il s’inquiète du prosélytisme de la plupart des homosexuels et des liens entre criminalité et homosexualité, ce « bouillon de culture où éclosent les virus criminels » ; le gouvernement met en place la commission chargée du contrôle des films pour contrôler la « croissance de la délinquance », puis en 1961 est créée une nouvelle classification des films destinés à protéger les plus jeunes : en 1946 seize films étaient interdits aux mineurs, en 1960 quarante-neuf films sont interdits ; Daniel Guérin tentera de persuader JJSS (Jean-Jacques Servan-Schreiber) de dénoncer dans l’Express l’amendement Mirguet qui décrit l’homosexualité comme un « fléau social », celui-ci lui répond « je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’en parler pour le moment »
Novembre 1960 : le préfet de police de Paris, Maurice Papon déclenche une opération contre les prostituées en rafle 60 prostitués masculins à St Germain-des-Prés ; le journal France-Dimanche diffuse un reportage sur l’invasion du 3ème sexe dans ce quartier qui « gangrène la ville… Paris ne doit pas devenir le Berlin de 1925 ; le nombre de poursuites judiciaires sous le coup de l’article 331.2 du code pénal commence à augmenter, il y aura 3 402 cas de 1959 à 1967, pour seulement 2 325 de 1950 à 1958 ; en Suisse, le chef de la brigade des mœurs de Genève écrit 2 articles et propose une répression accrue des homosexuels visant en particulier Der Kreis et la propagation des mœurs contre nature, à Zurich une campagne de presse contre l’homosexualité déclenche une série de descentes de police dans les bars ; en Italie, une proposition de loi contre l’homosexualité fait son chemin ; l’amendement Mirguet est très général et donne une grande latitude au gouvernement, Daniel Guérin parle de « terrorisme antisexuel », des centaines « d’homophiles » téléphones à André Baudry pour lui demander s’il faut « vendre, tout liquider, préparer sa valise et partir », « on nous demandait même vers où il fallait aller, c’était la débâcle, le délire aussi », Baudry adresse des lettres de protestation à Mirguet et au gouvernement, il leur demande de ne pas confondre homosexualité et prostitution ou corruption des mineurs, au contraire « l’homosexualité désigne une nature, une façon d’aimer, une façon de vivre, une « vocation » au sens le plus impérieux du terme », les mesures de répression seront une cause « d’angoisse, de terreur, de ruine » pour des milliers de simples citoyens, Mirguet lui répond qu’il n’envisage pas « des textes répressifs » et qu’il souhaite voir le gouvernement procéder par des « moyens humains et médicaux »
25 novembre 1960 : le gouvernement de Michel Debré publie une ordonnance (art.330 al.2) qui double les peines encourues en cas d’outrage public à la pudeur (OPP) impliquant des homosexuels, c’est la seconde discrimination à l’encontre des homosexuels depuis l’ordonnance de 1945, et une autre ordonnance définit de façon encore plus restrictive tout ce qui peut relever de « l’excitation à la débauche » ; l’affaire Mirguet met Arcadie sur la défensive pendant plusieurs années, Baudry met fin à l’insertion de photos dans les exemplaires de la revue envoyés aux abonnés, et rappelle à l’ordre : « on doit distinguer l’homosexualité… et les débordements, les scandales, le vice. Qui pourrait dire qu’il n’y a pas abus ?… Plus que jamais ce que nous n’avons cessé de dire, de crier, est d’actualité : Dignité, Dignité. »
1961 : André Baudry informe Welti qu’un photographe homosexuel parisien, P. Furi, a été arrêté et ses papiers confisqués, il lui conseille de ne pas écrire à Furi pour l’instant ; Baudry renonce à diffuser dans Arcadie des petites annonces personnelles et accentue le « caractère scientifique » de la revue, puis il refuse de publier certains passages autobiographiques proposés par Daniel Guérin qu’il juge pourtant « parfaits, excellents », Gaillard tente de consoler Guérin « Vous savez quelle danse sur la corde représente cette situation d’Arcadie depuis bientôt 9 ans ! la meute nous guette » ; fin 1962, le club d’Arcadie sera fermé 2 semaines sans explication, « le club a reçu des menaces… la préfecture de Police a reçu des lettres nous menaçant » fera savoir une circulaire d’Arcadie en janvier 1963, Jean Hautier – pieux catholique qui aime bien donné des dîners de folles ou organiser des orgies privées avec des uniformes – sera suspecté d’avoir diffusé de tels courriers après qu’il ait formulé une liste de reproches à Baudry ; en 1964 Baudry sera convoqué devant un magistrat après publication dans Arcadie de comptes-rendus – par Michel Duchein (Marc Daniel) et Paul Hillairet (Serge Talbot) – de l’ouvrage du belge Raymond de Becker L’Erotisme d’en face, histoire illustrée de l’homosexualité interdite à l’affichage, Baudry contre-attaquera en rappelant que le Figaro et le Monde avaient parlé de l’ouvrage, André Chamson, directeur des Archives nationales, convoquera Marc Daniel, convaincu de l’absurdité de l’affaire il informera son ministre André Malraux, les poursuites sont discrètement abandonnées (sans qu’on sache si Malraux est intervenu ou non) ; au début des années 1960, de nouvelles plumes viennent écrire dans Arcadie : Jacques Rivelaigue (Jacques Valli) (1936-1990), spécialiste de métaphysique allemande, titulaire d’une chaire de philosophie à la Sorbonne, Guy Pomiers (Guy Laurent), spécialiste de la littérature française du XVIIIème, proche de Michel Foucault, Claude Sorey, sociologue qui sera plus tard membre du cabinet du 1er ministre Jacques Chaban-Delmas, Michel Nicolot (Maurice Bercy) qui enseigne la littérature à Dijon, puis à partir de 1965, Pierre Hahn (André Clair) (1936-1981), journaliste autodidacte indépendant, Maurice Chevaly (Jean-Pierre Maurice), né en 1921, instituteur passionné de théâtre, d’histoire de la Provence où il a bien connu Jean Giono, il envoyait auparavant des articles à Der Kreis, la recrue la plus célèbre sera Françoise d’Eaubonne (1920-2005) romancière, poétesse et polémiste, admiratrice fidèle de Simone de Beauvoir, militante des droits des femmes, elle écrit pourtant à Daniel Guérin en 1960 « Lorsque je lis la revue Arcadie, je suis consternée… Si on a l’honneur d’être distinguée par une tare comme le déclassement, l’activité poétique ou l’homosexualité, qu’on ait la nostalgie de l’Ordre me paraît incompréhensible », sa première contribution à Arcadie en 1966 consiste en une attaque contre Marcel Eck – le psychanalyste catholique défenseur de l’amendement Mirguet – sans être lesbienne, elle aime la compagnie des homosexuels par allergie à l’homme « normal » et devient pilier des soirées dansantes d’Arcadie ; mais ce sang neuf ne modifiera pas grand-chose au contenu d’Arcadie
A Marseille, Robert S.P. réunit les abonnés d’Arcadie ; le juge Henri Rupin, président du tribunal de Grande instance, participe à l’animation du groupe, il se fait connaître comme poète sous le nom de Gérard Mézières ; Maurice Chevaly (Jean-Pierre Maurice), Paul-Maxime Donnadieu ou encore Bernard Romieu font partie de ce groupe
A Marseille, les lieux de rencontre pour les homosexuels sont alors (selon René Murat, pour les années 1960-1970) : les bars Chez Clairette (rue Curiol) ou le Paradou (près de l’Opéra), les cinémas X le Roxy (rue Tapis Vert), le Raimu (au bas de la Canebière), les Variétés (rue Vincent Scotto-Canebière ou l’Etoile (Bd Dugommier), le cinéma d’art et d’essai le Festival (sur le Vieux Port), le cinéma Cinéac (angle Canebière-Garibaldi) ou le Belsunce (cours Belsunce), les saunas de la rue Consolat et le Dragon, rue Dragon, le sex-shop de la Canebière près des Variétés, les boites de nuit le Cancan (tenue par Alice Guérini, épouse de Mémé Guérini) ou la Mare aux Diables où son propriétaire a transformé la maison paternelle en night club, avec des « stars » comme Violys et Lady Jane
1961 : Arcadie décrit Corydon de Gide comme « un petit moment d’audace et de lumière », étape décisive dans la voie « de la connaissance de l’homme et de l’homme en société », après avoir jugé en 1959 L’Immoraliste comme « révolutionnaire, bouleversant » ; d’un autre côté traumatisé par le vote de l’amendement Mirguet, Arcadie durçit le ton sur l’effeminement et insiste sur la nécessité de la respectabilité de l’homophile
1962 : André Baudry, à Marseille, dans le cadre de ses « réunions provinciales » annuelles, participe à une soirée privée dans un restaurant, avec 25 personnes, puis 15 personnes à Toulouse, 15 à Clermont-Ferrand, mais les délégations locales n’arrivent pas à vivre de façon autonomes soit à cause de l’atmosphère de clandestinité, soit du fait de leur refus (à 95% d’entre eux en 1970) que Baudry communique leur adresse d’abonné de la revue ; Guérin envoie à Baudry le texte de sa nouvelle autobiographique « L’explosion », celui-ci lui répond « Vos feuillets sont excellents, et pourtant, je ne peux les publier ; vous en savez les raisons : un parquet pointilleux – et surtout un climat actuel vis-à-vis des mœurs – peut être choqué par cette succession d’aventures », Baudry lui suggère d’ajouter « des réflexions morales, des examens de conscience, des aperçus psychologiques ».
1963 : Arcadie reprend un article de The ONE (aux USA) qui rend compte de l’apparition d’une subculture homosexuelle commerciale
1964 : Arcadie lance une enquête sur « Comment devient-on homophile ? », la revue est en accord avec l’avis d’un de ses lecteurs à la question « Acceptez-vous votre homophilie ? » lorsqu’il répond : « Je ne puis dire si je l’accepte totalement dans la mesure où je suis obligé de la cacher » ; la revue accorde une grande importance à l’histoire afin de relativiser la prétention de la science à l’universalité, Michel Duchein écrit que le problème du freudisme, c’est qu’il prend « pour une loi constante de la nature humaine ce qui n’avait de sens que dans le contexte d’une civilisation » ; de nombreux articles soulignent l’emprise du tabou judéo-chétien, ou encore le « fascisme physique et moral de St Paul » ; Lafond note, après lecture du livre de Michel Foucault, l’Histoire de la folie, « l’interdit religieux de la sodomie fait place à une condamnation éthique qui englobe l’homosexualité dans son ensemble… Un grand refoulement collectif s’opère… Une ligne stricte partage désormais le monde de l’amour en une région bonne ou la sexualité est ordonnée e raisonnable et une autre, mauvaise, où elle est insensée, déraisonnable, immorale »
1965 : André Baudry écrit dans Arcadie « Il y a en Arcadie un nombre considérable d’anciens séminaristes… J’ai toujours trouvé chez l’homophile qui a vécu dans l’ambiance très spéciale du séminaire une inaptitude foncière à s’adapter à la vie homophile » ; aux USA, le magazine Life a réalisé en juin 1964 un grand reportage sur « L’homosexualité en Amérique », et lorsqu’en 1965 Le Nouveau Candide, s’inspirant de Life, publie une série d’articles sur l’homosexualité en France, une différence d’analyse importante apparaît : bêtisier grotesque et clichés les plus éculés (sur la « largeur des hanches », les « petits pas légers », leurs goûts ésotériques pour les tableaux de Piero della Francesca et le jazz moderne), interviews de psychiatres anonymes parlant de propagation foudroyante de l’homosexualité en France liée au relâchement des liens familiaux, au déclin de la religion et au manque de scrupules des riches homosexuels profitant de l’ignorance de jeunes gens vulnérables, les traitements médicaux, le témoignage d’un homosexuel repenti, heureux père de 3 enfants, « déçu par son existence frivole », enfin les mises en garde aux parents et les conseils pour qu’ils détectent chez leurs enfants les signes précurseurs (indolence, narcissisme, coiffure, propreté excessive, relation à la mère) ; Arcadie consacre un n° à réfuter Candide, mais France-Dimanche sonne l’alarme à son tour « l’homosexualité est un problème qui inquiète l’opinion du monde entier » ; en mai 1966, Baudry notera combien la France paraît « bêtement retardataire et antidémocratique » comparée à l’Allemagne, la Suède et le Danemark ; en avril 1967, un n° spécial d’Arcadie consacré à la religion est envoyé à chaque évêque de France mais aucun n’accuse réception ; André Baudry expliquera l’effort important qu’il a déployé au nom d’Arcadie auprès de la hiérarchie catholique, 2 évèques étaient particulièrement attentifs, Mgr Lheureux, précédemment prêtre à Marseille (contacté alors grâce à Paul-Maxime Donnadieu), évêque de Perpignan, et Mgr Maury, l’un et l’autre s’étaient engagés à faire avancer l’attitude de l’Eglise sur cette question, par ailleurs de nombreux prêtres se confiaient à André Baudry qu’ils savaient respectueux de leurs confidences (informations données par André Baudry au téléphone le 5 décembre 2012 à Christian de Leusse, alors que, aveugle, il termine ses jours sur la côte Amalfitaine)
1965 : Daniel Guérin prend position dans l’Affaire Ben Barka, assassiné à Paris, il participe à la création du Comité pourt la vérité sur l’affaire Ben Barka
Décembre 1967 : en Suisse, Der Kreis publie son dernier numéro expliquant sa disparition par le changement de contexte « parmi les jeunes homosexuels, le « problème » de l’homosexualité a perdu beaucoup de sa virulence en raison du mode de vie actuel, moins étouffant » ; l’historien Thomas Waugh comparera les collaborateurs de Der Kreis à « des moines moyenâgeux travaillant sans relâche à leurs enluminures afin de préserver un héritage ancien à l’époque terrible des triangles roses »
Décembre 1967 : Daniel Guérin écrit dans Arcadie un article sur les idées de Fourier et rédige L’Anarchisme qui sera beacoup lu au cours des Evénements de Mai 1968
1968 : parution du Dossier homosexualité de Dominique Dallayrac, journaliste, étude la plus sympathisante sur l’homosexualité jamais écrite en France depuis la guerre, le dossier cite beaucoup la revue Arcadie, mais Arcadie regrette qu’il s’appesantisse sur les causes et qu’il traite les homosexuels comme une faune exotique ; un membre d’Arcadie, André Boisssonet, professeur d’italien dans un lycée de Lyon, qui avait dépensé une fortune pour essayer de se guérir par a psychanalyse, découvrira Arcadie grâce à ce livre ; Daniel Guérin publie Essai sur le Révolution sexuelle après Reich et Kinsey
Octobre 1968 : dans Arcadie, André Gaillard célèbre Herbert Marcuse, déjà icône culturelle en France mais peu connue, « philosophe mondial de la jeunesse en ébullition » et son L’Homme unidimensionnel, « le plus grand livre de notre siècle », le philosophe Jacques Rivelaygue et le sociologue Claude Sorey analysent les écrits de Marcuse pour avancer une réflexion plus approfondie sur le développement du consumérisme et de la commercialisation sexuelle : la société tournée vers le consumérisme va libérer de façon relative l’étau qui s’est fermé sur les homosexuels et en même temps si les homosexuels réclamait un type de société trop différente ils seraient d’une autre façon exposés à l’exclusion
Novembre 1968 : Pierre Hahn vient faire une conférence à Arcadie sur Mai-juin 1968 : ce que j’ai vu… Révolution sexuelle et homophilie, il écrira par la suite à Daniel Guérin pour lui dire qu’il constate une évolution vers l’ouverture chez Arcadie ; Duchein affirmera que après Mai 68 « rien n’a tout à fait été comme avant », revenu d’un voyage en août aux USA il en revient enthousiasmé par les bars, bains-douches et magazines, mais aussi par les défilés et parades, il est marqué par les « émeutes de Sheridan Square » (Stonewall) : « la gay society américaine donne l’exemple du courage et de l’audace »
1969 : Arcadie adresse un questionnaire à un large éventail d’écrivains, hommes politiques, membres du clergé, journalistes, médecins pour sonder leur opinion sur l’homosexualité, leurs réponses ne manifeste pas d’évolution des mentalités depuis le début des années 1950 : Robert Escarpit, chroniqueur au Monde, écrit « On peut donner à l’homosexuel un statut de malade, on ne supprimera jamais les répulsions qu’inspirent certaines maladies », Georges Heuyer, psychiatre, renvoie la lettre qu’il avait écrite à Baudry en 1954, d’autres écrivent que les homosexuels français n’ont aucune raison de se plaindre, Philippe Jullian, romancier et homosexuel, écrit qu’il ne lui paraît pas utile de « s’inquiéter », Françoise Giroud juge « relativement libérale » l’opinion française, en tout cas davantage que celle des Anglais ou des Américains, Pierre Mendès-France, seul homme politique qui accuse réception, se dit trop occupé pour répondre, Baudry écrit avec amertume « dans ce pot pourri de jansénisme et d’hypocrisie… nous ne trouvons presque jamais d’interlocuteur » ; c’est l’année où le club Arcadie quittant – au prix d’une perte d’intimité – ses locaux de la rue Béranger, emménage en septembre 1969 dans son nouveau local rue du Château-d’Eau dans les locaux d’un ancien cinéma, Baudry a l’ambition d’y faire aussi un centre d’étude sur l’homosexualité ; on peut y danser 3 fois par semaine, les soirées du mercredi proposent des conférences, débats, lectures, projections, récitals, pièces de théâtre, parmi les intervenants relevés en : François Victor, Henri Studa, J. Laurent, AC Desmon, André Baudry, Roger Peyrefitte, Françoise d’Eaubonne, Jean Perpignan, Louis de Lesseps, Robert Dol, J. Deprun, Pierre Hahn, Bernard Meyer, M. Guelton (de l’Association des homophiles belges), Anne-Marie Fauret, Francis Agry, Claude Sorey, Jean-Noël Ségresta, Jean Martillac, René Larose, le Dr Harter, le dessinateur d’hommes musclés Jean Boullet, la présidente du Planning Familial le Dr Lagroua Weill-Hallé, et certaines personnes ou mythes sont sujets de débats (James Dean, Serge Talbot, Jacques Valli, Pierre Nédra) ; fortement marqué par le voisinage peu amène de la rue Béranger, André Baudry impose la discrétion aux abords de la rue du Château-d’Eau et la retenue dans les locaux, une ambiance de salle d’étude rompue par la danse facteur de rajeunissement ; parmi les personnes qui fréquentent alors Arcadie : Raymond Maure, Jean-Paul Biale, Raymond Chale, un vieux monsieur dénommé la duchesse de Magenta, Françoise d’Eaubonne, l’universitaire « Vilbert », Guy Pomiers, Philippe Leider, Boissonet, Louis Gonnet, Dr Bernard Deleu ; le 1er vendredi du mois vers 21h avant la danse, André Baudry prononçait une harangue d’une heure, le « Mot du mois », prédicateur et comédien, orateur romain, « entre Bossuet et Jaurès » dira Duchein, mais ses exhortations un peu démoralisantes dressent un tableau très sombre de la vie homosexuelle ; les « Lettres Personnelles » d’André Baudry diffusées aux adhérents donnent de nombreuses informations utiles juridiques (sur l’attitude à l’égard de la police en cas d’outrage à la pudeur, le testament, le legs, l’adoption), médicales ( le comportement devant un médecin, le traitement des maladies vénériennes), pratiques (médecins, avocats, prêtres) et des recommandations (« ce qu’il ne faut jamais faire » dans la drague en milieu ouvert)
Février 1969 : Daniel Guérin écrit dans Arcadie un article critique sur Wilhelm Reich ; devant « l’impétuosité formidable de l’appétit charnel », Daniel Guérin prône « l’autodiscipline » la révolution politique et sociale lui apparaissant aussi prioritaire que la révolution sexuelle, « Baisons en même temps que nous faisons la révolution » dit-il en citant un graffiti de Mai 68 « plus je fais la révolution, plus j’ai envie de faire l’amour » ; Daniel Guérin collecte de nombreux documents sur le mouvement américain (des n° de The Militant, Gay Activist, Gay Boys USA, The Advocate, Fag Rag ainsi que des tracts et textes politiques de Gay Activist’s Alliance, etc.) en particulier grâce à David Thorstad – spécialiste de la situation juridique de l’homosexualité aux USA, responsable de The Militant et journaliste à Gay Activist – qui les lui envoie, d’un côté Guérin tentera de convaincre Baudry en lui soumettant l’exemple de Thorstad, de l’autre il tente de convaincre Thorstad que l’homosexualité n’existe pas en soi
1970 : Arcadie recense 400 ouvrages pour ses lecteurs, parmi eux Gore Vidal, Angus Wilson, Cocteau, Capote, Yourcenar, Isherwood, Peyrefitte, Baron Corvo, Francis King, Julien Green, Jouhandeau, John Rechy ou Quentin Crisp, mais aussi Patricia Highsmith, Georges Simenon, Iris Murdoch, James Hardley Chase ou Romain Rolland ; les critiques sont parfois sévères comme tel livre qui « fait autant de bien à notre communauté que Jean Genet peut lui faire du mal », ou ces histoires signées de Pasolini qui ne montrent « que ce que l’homosexualité comprend de plus dégradant », tandis que Dario Belleza est loué pour ses poèmes hardis et explicites
1970 : Françoise d’Eaubonne rompt brutalement avec Arcadie, elle trouve Baudry trop conservateur : « Vous dites que la société doit intégrer les homosexuels, moi je dis que les homosexuels doivent désintégrer la société », Daniel Guérin et Pierre Hahn quittent aussi Arcadie, et plusieurs membres du groupe des jeunes ont été exclus
Octobre 1970 : n° d‘Arcadie sur « Etre homophile dans la France d’aujourd’hui » où Lafond développe « L’homosexualité est ainsi une catégorie ségrégative, une catégorie de rejet : dire que l’autre est homosexuel c’est en même temps proclamer qu’on ne l’est pas soi-même et qu’il est mal de l’être, c’est affirmer sa différence pour renforcer sa propre identité sexuelle… Aussi digne soit-il, aussi éloigné soit-il de l’homosexuel type, il participera toujours, s’il est reconnu homosexuel, à l’opprobre et à la suspicion qui s’attachent à ce mot ».
1971 : parution du livre de Daniel Guérin D’une dissidence sexuelle à la révolution, il évolue vers une connotation gauchiste liant révolution sexuelle et révolution sociale ; « La critique libertaire du régime bourgeois ne va pas sans critique des mœurs, la Révolution ne peut être que politique, elle doit être en même temps, culturelle, sexuelle » disait-il au Monde le 15 novembre 1969 ; dans Lui en 1970 il était présenté come un « infatigable sexologue » ; il s’intéresse à une tentative d’institutionnalisation de la sexologie dans un projet d’Institut national de sexologie avec Françoise d’Eaubonne ; il devient une référence littéraire et théorique dans le cadre du mouvement d’émancipation de la sexualité ; il reprend les réflexions de Fourier (libre jouissance, plaisir sexuel), développe l’idée d’un « service amoureux » que les jeunes rendraient aux plus âgés (Daniel Guérin a alors 67 ans), prône l’éducation sexuelle pour les plus jeunes et la légitimation de la pédérastie ; son engagement au FHAR le ramène au spontanéisme révolutionnaire, à Rosa Luxembourg et à l’anarchisme, il allie discours intellectuel et défilés de rue ; Daniel Guérin est exalté par le jeune mouvement d’autant plus que l’homosexuel, victime sociale, devient sujet révolutionnaire, porteur d’un projet politique visant à rapporter l’ensemble de relations de pouvoir dans une société donnée aux rapports sociaux de sexe, pour ensuite les bouleverser en profondeur : « La révolution sexuelle en cours, l’extension de la pratique bisexuelle, l’exploitation capitaliste de la sexualité, créent justement les conditions de possibilité d’une situation nouvelle », « L’impétuosité formidable de l’appétit charnel est capable de renverser des montagnes », dans un article pour Arcadie intitulée « Pour la révolution sexuelle nippone », il écrit : « Ne sacrifions pas la révolution sociale à la révolution sexuelle, que l’une épaule l’autre, baisons en même temps que nous militons. Car en définitive les deux révolutions ne sont qu’une seule et même, chacune sa façon se propose d’affranchir l’homme. Pendant les journées révolutionnaires de mai 1968 en France, les étudiants écrivaient sur les murs : plus je fais la révolution, plus j’ai envie de faire l’amour »
1971 : à Arcadie constitution de « groupes d’études » autour de thèmes de discussion (vie sociale, couple, famille, travail)
Décembre 1971 : Arcadie organise une table-ronde sur Christianisme et homophilie, c’est aussi l’acte de naissance de David et Jonathan, parmi les fondateurs Gérald de la Mauvinière, grand bourgeois parisien membre des conférences Saint Vincent de Paul, et Max Lionnet, vicaire de paroisse
1972 : Arcadie regroupe 15 000 adhérents
1972 : création de l’association David et Jonathan après de ses fondateurs du sein d’Arcadie, elle se caractérise par : l’importance du sentiment amoureux dans la relation homosexuelle, faire vivre l’homosexualité dans la communauté chrétienne en respectant ses valeurs, la sexualité don de Dieu doit être tournée vers Dieu, en dehors de toute perversion ou de tout abus sexuel, dimension de l’Amour universel telle qu’elle est contenue dans le Nouveau testament, le plaisir n’est pas forcément lié au péché, la sexualité n’est pas forcément lié à la culpabilité, un souci d’ouverture sociale
1973 : Arcadie organise le colloque « L’Homophilie à visage découvert » ; exclusion d’un groupe de jeunes homosexuels radicaux, ceux-ci créent une association avec un manifeste en 7 points
1974 : Arcadie publie le bulletin Arcadie flashes, bulletin de presse et d’information qui paraît au rythme de 10 n° par an, et la couverture de la revue devient colorée et fait apparaître en sous titre Mouvement homophile de France ; parution de livre Rapport sur l’homosexualité de l’homme de Michel Bon et Antoine d’Arc (avec un 1er chapitre sur l’analyse du profil social d’Arcadie)
Septembre 1974 : Baudry se réjouit dans Arcadie que la presse ait relaté le colloque de Besançon, que des entreprises sollicitent Arcadie pour faire des interventions auprès des salariés (comme le Crédit Foncier de France) ou des associations comme le Planning Familial ; mais Arcadie se plaint auprès de l’ORTF de la diffusion du film Un bon patriote qui montre des images de folles et fait de l’homophile le traître parfait, elle se plaint aussi de l’homosexualité du théâtre de boulevard de la Cage aux folles – qui a un grand succès au théâtre alors – et de l’agressivité de certains journaux (de Minute en particulier)
1975 : Arcadie organise le colloque « Être homophile en France »
28 juin 1978 : Monique Pelletier, ministre de Raymond Barre, accepte la proposition du sénateur Henri Caillavet, ancien ministre radical chargé de la Marine dans le gouvernement Mendès-France, de dépénaliser l’homosexualité ; Alain Poher président du Sénat, avait dit à M. Caillavet quelques mois plus tôt : » Maintenant tu t’occupes des pédérastes ? « , il lui a répondu » Je te ferai remarquer qu’il y a aussi les lesbiennes, nous avons le devoir de faire en sorte que rien d’attentatoire à la liberté ne soit mis en œuvre, tu es chrétien, je fais appel à ta conscience, il faut quand même que tu réfléchisses » : c’est le début d’une longue guérilla entre le Sénat et l’Assemblée nationale à propos de la suppression du délit d’homosexualité avec les mineurs (de moins de 21 ans, à vérifier), la majorité UDF-RPR de l’Assemblée y est farouchement opposée
28 juin 1978 : le Sénat vote à son tour le projet de loi qui élargit la notion de viol à l’attentat à la pudeur, mais diminue de moitié les peines encourues : la discrimination entre actes homosexuels et hétérosexuels n’existera plus et l’attentat à la pudeur sans violence à l’égard d’un minreur de moins de 15 ans relèvera désormais de la correctionnelle et non des assises ; sur proposition du sénateur Henri Caillavet, lancement du débat sur l’abrogation des lois discriminatoires
13 mai 1982 : André Baudry annonce la dissolution du club Arcadie et de la revue : « O tous et toutes, soyez heureux par l’exigence d’une vie homophile faite de courage et de dignité » ; à l’échéance du bail d’Arcadie au 61 rue du Château d’Eau, Baudry saisit l’occasion pour dissoudre l’organisation ; Baudry publie alors dans La Condition homosexuelle : « Trop téméraires et trop sûrs ceux qui croiraient que dans un monde un peu en perdition, offrant à qui veut : désordre, immoralité, frivolité, bassesse, sexe et rien que sexe, les jeunes de 1982 ne vont que vers le facile et l’éphémère. Beaucoup de jeunes homophiles ont un grand et pur idéal et leurs conditions de vie se heurte parfois douloureusement et péniblement à ce fatras nauséabond qui leur est offert par certains douteux illustrateurs de l’homosexualité »