2013 : Europride et Eurolesbopride

2013 Europride et Eurolesbopride

 1er trimestre 2013 : à Marseille, la préparation de l’Europride s’engage mal, l’EPOA (association internationale organisatrice des Europride) a attribué à la fin 2015 le label Europride à l’ancienne équipe de la LGP sur la base d’une expérience datée et l’Interpride a suivi l’EPOA en retirant le label Pride à l’association Tousego dès 2016, en engageant la LGP à faire ses preuves dès 2012, celle-ci a dès lors organisé une marche concurrente en 2012, semant ainsi une zizanie dangereuse à Marseille, peu apte à préfigurer une unité associative nécessaire à l’organisation du grand événement de juillet 2013 ; la LGP animée par Suzanne Ketchian a les pires difficultés à construire une coordination associative ; de plus en février 2013, une tension grave apparait entre la présidente et le vice-président, Gilles Dumoulin, conduisant celui-ci à la démission, or Gilles Dumoulin très lié au groupe SOS (entre prise d’économie sociale et solidaire dirigé par Jean-Marc Borello) assurait un adossement financier bien nécessaire dans ce contexte de fragilité

 Février 2013 : à Marseille, Jean-Claude Gaudin fait voter par le conseil municipal une subvention pour l’Europride, en plein cœur de la polémique sur le « mariage pour tous » ; il dira à propos de la façon dont ce vote a été accueilli : « J’ai redécouvert l’homophobie. J’ai reçu des lettres très violentes de grenouilles de bénitier. J’en suis une, mais eux, c’est pire… Je leur ai fait savoir mon avis : ‘Quand je finance la rénovation de vos églises, je ne vous entends pas me remercier’. »

 9-21 juillet 2013 : à Marseille, l’Europride se déroule dans de mauvaises conditions, Suzanne Ketchian présidente de la LGP (Lesbian & Gay Parade) n’est pas arrivée à faire l’unité associative derrière elle, et pour la grande parade du 20 juillet, là où elle avait annoncé 400 000 personnes, il n’y a pas plus de 8 000 personnes ; largement seule, forte du label donné par l’EPOA, avec Hans de Meyer, et du soutien de l’Interpride, avec Stéphane Corbin, Suzanne – qui jusque là avait animé des bar et des fêtes commerciales – a saisi le flambeau de l’Europride, après avoir « pris le contrôle » de la LGP (animée de longue date par Eric Séroul et Jean-Marc Astor, lesquels avaient déposé quelques années auparavant un dossier auprès de l’EPOA pour donner à Marseille l’Europride) ; mais elle n’a pu rassembler qu’une petite équipe autour d’elle, de personnes de bonnes volonté mais peu au fait de la réalité associatives locales, elle a été incapable de rallier les organisateurs de la Marche des Fiertés en 2011 et 2012  (autour de Christophe Lopez et son association Tous&Go) et de construire une coordination associative solide ; le retrait inexpliqué en février 2013 du président de la LGP, Gilles  Dumoulin – jusque-là inconnu sur la place de Marseille – (qui laissait entendre qu’il aurait des garanties financières du côté du Groupe SOS), les divisions associatives (qu’elle avait elle-même suscitées en 2012) et les projets trop ambitieux qu’elle a affichés (avec un budget prévisionnel de 600 000 € !), ont peu à peu entamé sa crédibilité, du côté des associations, comme du côté des financeurs institutionnels ; les subventions – hormis celle de la ville qui s’est convertie en contrat de 100 000 €, destiné à la communication, avec SC Conseils, société crée pour l’occasion par un élu UMP de Beauvais, Sébastien Chenu (cofondateur de GayLib, futur responsable du Front National) – se sont transformées en promesse de subvention au vu des résultats ; les grands projets se sont effondrés les uns après les autres, disparition de la grande campagne de communication annoncée, renonciation aux engagements concernant la grande cérémonie d’ouverture avec Fatboy Slim, à la venue de Boy George, à celle de Sheila, à celle de Laurent Kérusoré (de Plus Belle la Vie, décrochée par SC Conseils), à plusieurs conférences, etc. ; les Docks des Sud censés être un point de ralliement important avec ses nombreux stands commerciaux est plutôt déserté tout au long de la semaine et la grande parade du 20 juillet au départ du Vieux-Port est plutôt faible au regard des chiffres annoncés depuis des mois à la police et aux autorités municipales, et les podiums d’arrivée sur la plage du Prado sont bien peu fréquentés ; et pour finir, la grande exposition de peintures et d’œuvres d’arts, avec Julien Blaine – écrivain-poète connu à Marseille – comme commissaire d’exposition, bien peu visitée, donnera lieu à un contentieux interminable (avec plainte pour escroquerie et vol, annoncée !) car les œuvres seront difficiles à récupérer par leurs auteurs, Suzanne Ketchian épuisée, étant devenu injoignable ; elle ne se rendra pas à Vilnius en septembre pour présenter son bilan comme elle devait le faire ;  l’un des membres de l’équipe d’organisation expliquera simplement « nous sommes des amateurs »

Toutefois,  l’Europride donne lieu à quelques initiatives fortes qui marquent l’évènement, les compétitions sportives organisées par les Front Runners et de MUST, Aides PACA sera satisfait d’avoir pu être présent malgré la dispersion des lieux ;  le Forum euroméditerranéen organisé par le regroupement des associations du Collectif IDEM, et l’Eurolesbopride, non mixte, organisée par les CEL et la Coordination Lesbienne en France

Le Collectif IDEM sous la coprésidence de Philippe Murcia et de Sarah Saby, qui regroupe plusieurs associations (Amnesty International, Planning Familial, SOS Homophobie, Mémoire des Sexualités, les 3G, Boucle Rouge, Observatoire des Tranisdentités, Sawa United, UEEH et la Cie de danse la Zouze) organise son 1er Forum Euromédierranéen : conférence de Eric Fassin dans le tout nouveau Mucem, débat dur le vieillissement avec Thérèse Clerc (fondatrice de la Maison des Babayagas), séances de cinéma, réunion du réseau francophone LGBT, carte blanche aux UEEH, débat sur 30 ans de sida (avec Bruno Spire et Michel Bourelly), rencontres sur les dynamiques organisationnelles des collectifs queer arabes, sur transféminismes et transnationalismes, débat sur les LGBTphobies et les luttes contre les discriminations en Europe, sur musulmans et féminismes, sur la globalisation des dynamiques LGBT, sur l’Agenda européen des LGBT pour 2014-2019 ; deux rencontres se tiennent dans les locaux des Archives départementales, l’une en forme de bilan des connaissances sur la déportation homosexuelle et l’autre qui permet de faire le point sur de nombreux centres de documentation et d’archives homosexuels existants

 Le CEL et la Coordination Lesbienne en France organisent l’Eurolesbopride, sous le nom de la Fierté lesbienne européenne, Anita Freudiger et Isabelle Moulins, infatigables responsables du CEL (centre évolutif Lilith) à Marseille, expliquent le projet dans Têtu : le choix de la non-mixité « discrimination positive indispensable » dans un contexte où on parle si rarement de lesbophobie, la marche de nuit « pour se réapproprier l’espace public » ; elle évoquent aussi les difficultés rencontrées (un budget de 50 000 € réduit à 35 000 € par manque de subvention et du fait de l’incapacité de la Lesbian & Gay Parade de distribuer l’argent promis)

L’Eurolesbopride, sous le nom de la Fierté lesbienne européenne, donne lieu à de nombreuses interventions, en particulier sur  : la Littérature lesbienne avec Marion Page autour de l’œuvre de Michèle Causse, la poétesse Renée Vivien par Lucie d’Ervée, Sexisme et homophobie par Suzette Robichon, Les effets nocifs de l’homophobie et de la lesbophobie sur la santé mentale par Ingeborg Kraus, Le choix de la culture comme action de visibilité lesbienne et/ou action militante, Europe du Sud-Grèce et Balkans… des lesbiennes s’organisent, La transmission : quels supports ? quels projets communs ?, Migrations, réfugiées, quelles solidarités ?, Lesbienne aujourd’hui, quels enjeux, quelles perspectives militantes, quelles alliances ?, Montée de l’extrême droite en Euroméditerranée, impact, riposte de l’activisme lesbien, Solidarité lesbiennes of color : activisme de lesbiennes d’Algérie et des Caraïbes. Parmi elles, deux intervenantes ressortent :

– Bernadette Doleux explique la nécessité de la non mixité : « Exiger un espace non mixte ne concerne en rien les relations individuelles ou collectives que l’on entretient dans une immense majorité du temps avec des hommes homos ou hétéros, la qualité des relations amicales ne dépend pas du sexe ou de l’orientation sexuelle… Les femmes on le sait, doutent souvent de leur légitimité et ont des difficultés à s’imposer, à trouver leur place dans la sphère politique, à intégrer des postes de responsabilité… La société s’est construite et organisée dans un système de domination masculine fondant un ordre sexué et même si nous constatons des évolutions, nous sommes loin d’une égalité réelle entre femmes et hommes… Parce que le sexisme est un outil du système patriarcal il engendre homophobie, lesbophobie et transphobie… Les associations LGBT mixtes ne font pas exception, le sexisme et la lesbophobie y sont bien présents et beaucoup de femmes ont des difficultés à trouver réellement leur place… Il est étonnant que le rejet du ‘féminin’ et tout son cortège de stéréotypes sexistes qui touche également les gays, ne les interrogent pas davantage. En effet remarquons que les classiques insultes proférées envers les gays concernent en grande partie les gays ‘efféminés’. Enculés est l’insulte classique, pas enculeurs !!!… Comme le démontre Claire Michard, la notion d’homme est pleinement déterminée en tant qu’humain tandis que la notion de femme est pleinement déterminée en tant que femelle… Il n’est pas anecdotique de vouloir imposer ce terme de lesbophobie, et il n’est sans doute pas anodin qu’il y ait tant de résistances pour la reconnaissance de ce terme auquel lui est préféré homophobie, prétendument neutre. L’affirmation de ce neutre justifie ainsi l’exclusion de femmes. La lesbophobie comprend une dimension sexiste qui fait qu’elle n’est pas soluble dans l’homophobie… La mixité est encore loin de d’être l’égalité… Certaines femmes semblent se satisfaire (de la dynamique égalitaire législative en cours, mais) les jeux de pouvoir se réaménagent entre opposition et collusion mais l’hégémonie masculine demeure… Déconstruire l’ordre sexué fondé sur une hiérarchie sexualisée passe par la conscientisation d’abord par les femmes de ce mécanisme de différenciation et de hiérarchisation… N’oublions pas que tout a été initié par les femmes, qu’une immense majorité des avancées sociales politiques pour les femmes ont été arrachées par les féministes, et que dire de l’immense contribution des lesbiennes à tous ces combats. Approprions-nous nos luttes, définissons notre langage, partageons nos idées, nos richesses, organisons nos fêtes, trouvons-nous, retrouvons-nous… alors il sera temps de bâtir une nouvelle mixité en toute liberté dans l’égalité. »

– Christine Le Doaré, après avoir été présidente du CGL Ile de France, explique son choix de la non-mixité : « Il semble qu’ils ont déjà fini d’interroger leur propre misogynie ? Le mouvement n’a-t-il de LGBT que le sigle ? En matière de discrimination et de violences, d’égalité des droits (mariage et adoption), on peut considérer qu’il y a bien une transversalité des luttes. Mais déjà, en matière de GPA, c’est moins évident, comme à chaque fois qu’il est question de l’appropriation du corps (des vies en réalité), des femmes. Toutes les autres revendications ne se recoupent pas et les problématiques spécifiques des lesbiennes, en général n’intéressent pas les gays… Comment faire comprendre à un gay que de ne pas combattre un système revient à le conforter ? » Elle regrette que « beaucoup de lesbiennes par identification, tentent de s’affranchir des contraintes sociales et culturelles liées à leur genre… J’en ai rencontré, notamment engagées aux côtés des gays dans la lutte contre le sida, qui niaient leur double oppression de femmes et de lesbiennes… Les Trans quant à eux se sont à juste titre, plaints du manque d’intérêt et de solidarité des gays à leur égard, lais elles-eux non plus, ne sont pas intéressés à la déconstruction du système patriarcal… la plupart des personnes trans se fondent dans la masse pour une nouvelle vie et participent moins aux luttes féministes et LGBT… Les revendications des personnes trans sont maintenant instrumentalisées par les politiques : assimiler opportunément les questions de genre aux archi minoritaires droits des trans pour mieux freiner les droits des femmes et surtout ne pas avancer trop vite en matière d’égalité Femmes-Hommes, beaucoup de politiciens européens sont déjà rompus à l’exercice. » Elle passe en revue d’autres revendications, celles des bisexuel-les : « La question de l’acceptation de la bisexualité est une question intéressante question culturelle mais elle est difficile à traduire en termes politiques », les théories queer : « Chez nous, elles ont été utilisées pour diluer les luttes et masquer les véritables enjeux de pouvoir. ». Elle se désole : « C’est un peu comme si le système patriarcal s’adaptait et engendrait de nouvelles générations d’adeptes au sein même des mouvements qui théoriquement pourraient le mettre en échec. En effet, les groupuscules radicaux qui prospèrent à la marge des mouvements LGBT se prétendent subversifs mais en réalité, s’avèrent être de redoutables alliés du système patriarcal… Complices des industries du sexe, pornographies et prostitution notamment, dont ils prétendent se réapproprier les scénarios, ils glorifient sans ciller la marchandisation et l’aliénation des êtres humains…L’influence de ceux que l’on appelle à tort ‘pro-sexe’, ‘trans-activiste’ en tête, s’est même révélée être l’une des menaces les plus virulentes à l’encontre des féministes ou des groupes féministes (annulation conférence Rad-Fem, harcèlement de militantes, etc.). Curieusement, ce sont les associations de santé communautaires, financées par la lutte contre le sida, qui s’en font les meilleurs relais dans le mouvement LGBT. ». Elle tire des leçons – négatives – de son expérience : « Je pensais que s’exclure dans la non-mixité, n’était pas efficace pour combattre la domination masculine. Aujourd’hui, je n’affirmerais plus rien de tel. L’effort à produire pour surnager et assurer un minimum de visibilité lesbienne et féministe au sein du mouvement LGBT est démesuré. Pour que cet investissement soit viable et productif, il faudrait conjuguer deux facteurs, le premier : plus de lesbiennes féministes investies en même temps, et le deuxième : plus de gays concernés par l’abolition du patriarcat. Autant dire une belle utopie ! »

Dans le cadre de l’Eurolesbopride, l’animatrice de Bagdam Espace Lesbien, à Toulouse, Jacqueline Julien explique le combat que les lesbiennes ont dû créer pour mettre en place une « ligne de démarcation » : « il nous a fallu élever un rempart de légitimité forcenée pour la tenir, dira en 2013, impavides, sourdes aux sirènes de l’entrisme des bons-gays, des gentils copains, des sympas-frangins, on a maintenu ce périmèrtre de sécurité et d’autonomie depuis des années » face à ce qu’elle appellera alors le « fratriarcat » ; elle fait état des 410 invitées reçues par Bagdam depuis 1989 lors des rencontres, débats, événements et des 6 colloques internationaux (2000-2009) et des 16 Printemps lesbiens, avec 131 événements ; mais Jacqueline Julien s’attriste du fait que « depuis 20 ans, de manière exponentielle une entreprise de sabotage et de déconsidération des objectifs de lutte du féminisme et du lesbianisme radical est à l’œuvre » comme c’est encore le cas lors de l’Eurolesbopride à cause de « notre initiative de visibilité 100% lesbienne »

 Les organisateurs de l’Europride devront faire face une assignation faite par l’antenne Paca de la Manif pour Tous auprès de  la justice administrative à propos de la subvention de 100 000 € accordée à la LGP par la municipalité en mars 2013, pour sa communication, mettant en cause l’engagement de la ville  dans le débat politique national, la LGP ayant annoncé que l’un de ses objectifs principaux était « l’obtention du mariage homosexuel » à un moment où la loi n’était « pas encore votée », la subvention destinée à la communication de la LGP a été confiée par la ville à Sébastien Chenu, adhérent de l’UMP (futur député Front national), dont la société SC Conseils a facturé ses services 7 000 € (pour avoir « apporté des témoignages sur le site internet de l’Europride et obtenu le parrainage de Laurent Kérusoré, acteur de Plus belle la vie »), c’est en mars 2018 que le tribunal administratif de Toulon en délibèrera et déboutera la Manif pour Tous