Solidarité et SIDA

Solidarité et SIDA – Willy ROSENBAUM 14 mars 1994
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SOLIDARITE ET SIDA
Conférence-débat du 15 mars 1994
Maison des Associations (Marseille)
WILLY ROSENBAUM, médecin à l’Hôpital Rothschild, Professeur de médecine
Association Mémoire des SexualitésSolidarité et SIDA – Willy ROSENBAUM 14 mars 1994
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(en collaboration avec AIDES-Provence)
Transcription : Anne Guérin – mise en page : Pascal Janvier
Introduction : Le Professeur Willy ROSEMBAUM est engagé depuis de nombreuses années dans l’accompagnement
thérapeutique des malades du sida.
Praticien de réputation internationale exerçant à l’Hôpital ROTHSCHILD à Paris et Professeur d’Université, il met sa notoriété au service des malades du
sida et de lalutte contre le sida.
Il considère que les associations et l’entourage des malades jouent un rôle majeur auprès de ceux-ci renforçant leur capacité de faire face à une
maladie qui exige une forte mobilisation psychologique du malade lui-même.
Willy Rosenbaum : Depuis treize ans que je suis confronté à cette épidémie, le plus difficile à vivre ce n’est pas tant la
souffrance physique des patients, leur mort potentielle, c’est – souvent – la gestion de leur vie au quotidien. Et aussi l’institutionnalisation du
problème, sa politisation… et sa médiatisation. Cependant celle-ci est rentrée, ces derniers mois dans le domaine de l’information générale, avec ses
travers le sensationnalisme, le dérapage, la surenchère, les fluctuations de l’information transmise, entre l’espoir démesuré qui est mis en avant, puis
remplacé par un désespoir tout aussi démesuré. Les médias ont été un instrument de l’information, à ce titre ils ont eu un rôle majeur en santé
publique. Mais ce problème n’est plus àl’ordre du jour. Il faut encore se méfier du pouvoir – parfois pervers – de cet instrument, mais il convient de
trouver d’autres voies, de mettre en place d’autres systèmes.
Le système associatif est aujourd’hui un élément majeur de la réponse apportée à cette maladie en termes de santé publique. Cette réponse est la
lutte contre l’exclusion et pour la solidarité à apporter aux patients, en matière de traitements et de prévention. Je revendique totalement le qualificatif
de clinicien, et je partirai de la clinique pour dire comment, à quel point, cette lutte associative représente un travail de santé publique. La solidarité
peut être considérée comme une valeur ou une idéologie. Mais en matière de sida elle est, en plus, une condition technique incontournable de la
gestion de l’épidémie.
Revenons à des choses très concrètes, à mon travail de clinicien et éventuellement de chercheur. Si l’on situe ces treize années
d’épidémie dans le cadre de l’histoire de la médecine, on s’aperçoit que jamais la médecine n’a progressé aussi vite. Nous avons
une stratégie thérapeutique dont les concepts sont aujourd’hui bien établis. On connaît le virus, on sait qu’il détruit le système
immunitaire. En réponse, on a élaboré une stratégie essentielle : la lutte contre les complications dues à la destruction de
l’immunité. On a élaboré une sorte de météorologie : un système prédictif capable d’anticiper sur les risques de complications. Une
fois les prévisions faites, intervient le système du parapluie, c’est à dire la capacité d’éviter que ces complications ne surviennent.
On sait théoriquement éviter la pneumocystose et la toxoplasmose, qui sont les principales complications de l’infection à VIH à un
stade tardif de la maladie. Et ce, avec des réussites de l’ordre de 90 à 95 %. Ce qui est considéré en médecine comme un très grand
succès. On sait éviter les mycobactéries dans 50 % des cas environ. Des essais sont en cours avec des médicaments qui devraient
permettre d’éviter l’infection à cytomégalovirus. Dans les deux ou trois ans qui viennent, on pourra prévenir 80 à 95 % des infections
liées au VIH. Qu’est-ce que nous attendons d’un traitement d’une maladie chronique, sinon qu’il diminue la fréquence des
complications ? On ne guérit pas le sida, pas plus que le diabète, mais on les traite ainsi. Avec une amélioration constante des
méthodes diagnostiques, jusqu’au médicament.
Dans les FAITS
La pneumocystose est l’infection opportuniste la plus fréquente, avec 50 % des manifestations initiales du sida. En France, depuis 1988, la stratégie
contre la pneumocystose est mise en place ; la fréquence des pneumocystoses a diminué. On est passé de 40% à 30 %, peut-être même à 28 % ces
derniers temps. Mais certaines personnes font des pneumocystoses « illégitimes ». Pourquoi ? Ce sont, dans moins de 10% des cas, des échecs de la
prévention. Il y a aussi des personnes – pas la majorité – qui ne se sont pas fait tester parce qu’elles n’imaginaient pas pouvoir être concernées par cette
maladie. Mais curieusement,
dans 70 % des cas, elles ne se sont pas fait tester quoiqu’elles aient eu des comportements à risques caractérisés, parfaitement indentifiables, ou se
soient trouvées dans des situations à risques : ainsi des personnes transfusées entre 1980 et 1985, d’autres qui ont des relations homosexuelles,
d’autres encore des injections par voie intraveineuse, ou qui ont vécu dans des pays endémiques….. Dans toutes ces circonstances, et quoique les
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facteurs de risques soient parfaitement identifiables, ces personnes n’ont jamais voulu se faire tester. D’autres se sont fait tester mais, par incrédulité,
ne se sont jamais fait suivre : en effet beaucoup pensent qu’une fois qu’on a cette maladie, il n’y a plus qu’à attendre la mort. D’autres se sont fait
suivre mal, ou incomplètement, ou par des médecins qui ignoraient qu’il y avait quelque chose à faire, mais c’est rare.
Ne pas se SOIGNER ? Quels sont les mécanismes qui font que finalement certains individus ne s’inscrivent pas dans une démarche thérapeutique ? Pour
que cette démarche ait lieu, il faut que l’individu en perçoive clairement les bénéfices, et que ceux-ci l’emportent sur les
inconvénients. Or le bénéfice n’est pas, ou mal, identifié. L’information qu’on glane à ce sujet est qu’il n’y a pas de traitements, ou
alors des cautères sur des jambes de bois. Il est possible que ceux qui annoncent que les traitements du sida sont inefficaces ou
inexistants cherchent à punir encore une fois ceux qui sont touchés par cette maladie.
Or il se passe la même chose avec le diabète, l’hypertension, l’infarctus du myocarde. Mais personne ne refuse les traitements,
même si ceux-ci sont imparfaits, même si on ne guérit pas de ces affections. Si les bénéfices paraissent bien légers, quels sont les
inconvénients ? On les identifie : ce sont l’incertitude, l’inquiétude, l’angoisse. Et elles sont ingérables, ou plutôt sans réponse. Ce
sont les problèmes relationnels avec l’entourage, le rejet familial, amical, professionnel. Dans notre vécu quotidien de cliniciens, il
n’y a pas de jour où nous ne rencontrions ces problèmes. Comment emprunter de l’argent, acheter un appartement ? On connaît
l’extrême difficulté à emprunter ne serait-ce que 100.000 F. Il est vrai qu’on ne vous oblige pas à faire le test pour un emprunt de
moins d’un million de F. Mais si vous avez fait le test, vous êtes bien obligé de fournir le résultat à l’assureur, lequel, dans la plupart
des cas, ne vous assurera pas, ou augmentera la prime de risque. C’est le lot commun. L’exclusion, elle est là. On connaît aussi
l’exclusion dans les relations amoureuses et sexuelles.
Alors comment voulez-vous ne pas fuir le test, la confrontation à la maladie, les visites répétitives en milieu médical et hospitalier, la
surveillance médicale ? Tout cela est avant tout la conséquence de ce qu’on appelle globalement l’exclusion de la part de la société.
On ne peut construire une vie familiale, aspirer à acquérir des biens. Ces aspirations légitimes sont compromises par le sida. La pire
exclusion est celle du monde des vivants.

L’ANNONCE de « sa » SEROPOSITIVITE
Annoncer qu’on est victime du VIH, c’est accepter que le regard qu’on va porter sur vous soit un regard de mort. C’est ce que les patients et malades
supportent le moins. Aujourd’hui s’annoncer comme séropositif, cela veut dire affronter la compassion peut-être mais jamais un regard de vie. Vous
savez tout cela, et vous-mêmes sans doute vous avez du mal à porter un autre regard sur les personnes atteintes. Dans tous les registres du sentiment,
de la vie sociale, de la vie tout court, nous avons à combattre l’exclusion pour faire en sorte que les progrès réalisés dans le domaine médical profitent
réellement à ces patients. C’est seulement lorsqu’ils cesseront de percevoir tous ces aspects éminemment négatifs du sida qu’ils pourront
entreprendre une démarche thérapeutique et en mieux percevoir l’intérêt ; c’est alors seulement qu’ils pourront s’inscrire dans une démarche de vie,
de combat contre la maladie. Même si la lutte contre l’exclusion et les préjugés me semble prioritaire, nous avons aussi à préserver de la
contamination les personnes séronégatives. On parle des vaccins, et de manière déraisonnable, car même si on en avait un qui soit efficace, le temps
et l’énergie à déployer pour qu’il soit effectivement disponible pour ceux qui en ont besoin serait infiniment plus lourd et plus long que le temps de la
découverte de ce vaccin.
Le « VACCIN » de la PREVENTION
Mais avant de faire reposer tous les espoirs de prévention sur un vaccin chimérique, on peut dès aujourd’hui faire de la prévention.
Le vaccin mécanique existe. La très grande majorité de la population française sait comment se protéger du VIH, toutes les enquêtes
le montrent. Il faut maintenir la pression de l’information, mais c’est devenu moins un problème de connaissance que de passage à
l’acte. Pourquoi n’utilise-t-on pas le préservatif aujourd’hui ? On connaît les réponses : « ce n’est pas agréable », « ça coupe le
plaisir, »…… C’est une partie de la réalité. Dans mon expérience personnelle, le plaisir n’est ni freiné, ni entaché par le préservatif.
Par contre, ce qui est difficile, c’est l’anticipation de la culpabilité que le préservatif introduit dans la relation amoureuse. C’est
comme si on suspectait son partenaire d’être contaminé, ou comme s’il pouvait suspecter qu’on est infecté. Voilà l’entrave à l’amour
ou au plaisir.
On disait, bien avant le sida, que la syphilis n’est pas plus grave qu’un rhume et plus agréable à attraper. Le sida est différent de la
syphilis, et il vaut mieux l’éviter. C’est contre la culpabilité, contre la honte – principaux obstacles à l’emploi du préservatif – que l’on
doit se battre, c’est la lutte contre ces préjugés qui doit l’emporter si l’on veut que l’acte sexuel reste un acte naturel. Il ne s’agit pas
seulement de promouvoir le préservatif, il s’agit de lutter pour que la sexualité ne soit plus un sujet de honte ou de culpabilité.
On sait comment éviter la contamination des toxicomanes. Et pourtant nous avons, pendant des années, admis la prohibition des
seringues. On sait, depuis 1984 ou 85, que l’accès facile aux seringues stériles entraîne une diminution très significative de la
contamination des usagers de drogue, mais il a fallu attendre 1987 pour que les seringues soient, en principe, en vente libre dans
les pharmacies, et sans doute jusqu’en 1991 pour qu’elle le soient effectivement, car les pharmaciens ont souvent eu d’énormes Solidarité et SIDA – Willy ROSENBAUM 14 mars 1994
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réticences à ce sujet. Il a fallu attendre 1994 pour que des programmes d’échange de seringues apparaissent en France, en dehors
de ceux qu’on lancés lesassociations humanitaires à la limite de la légalité.
Il faut attendre encore pour que se mette en place un réelle politique de réduction des risques, avec les fameux programmes
méthadone, qui ne sont pas une solution miracle mais qui ont fait la preuve de leur incontournable efficacité dans d’autres pays du
monde.
Pourquoi a-t-on tant attendu ? Parce qu’on est incrédule ? Parce qu’on n’a pas les moyens ? Non. C’est parce qu’on a des préjugés,
parce qu’on considère qu’il y a parmi les personnes contaminées des victimes, d’une part, et des coupables, d’autre part. C’est là,
finalement, que le frein à la prévention est le plus important. Je le vois tous les jours. C’est pour cela que je dis que la lutte contre
l’exclusion et les préjugés est sans aucun doute la meilleure arme que nous ayons pour vaincre cette épidémie, pour appliquer les
traitements disponibles et rendre la prévention plus efficace.

Question : Ne faudrait-il pas que les scientifiques, les gens de votre milieu, l’ANRS (Agence Nationale de Recherche sur le SIDA) crient un peu
plus fort ?
Willy Rosenbaum : Ne nous faites pas d’illusions. Ce n’est pas parce qu’on passe àla télé, même à 20 heures, qu’on a le moindre
pouvoir politique. Même si on est professeur. On n’a que le pouvoir de ses convictions. Et si on se met à crier trop fort, ça énerve les politiques. Si on a
eu raison avant les autres, ça ne vous rend pas sympathique aux yeux des politiques. On peut crier autant qu’on veut, je l’ai fait, et je ne suis pas sûr
que cela n’ait pas eu des effets négatifs. Comptez sur vos propres forces, pas sur la mienne, car je n’ai aucun pouvoir. Le seul pouvoir, c’est vous. Par
votre vote, votre voix, votre masse.
Question : Que pensez-vous du combat associatif en France ? Est-il à la hauteur ?
Willy Rosenbaum : Je ne serai pas manichéen. Le combat associatif a du bon, et du mauvais. Il est indispensable. Sans un
mouvement associatif fort en France, aucune décision significative ne sera prise. Ce n’est pas du lobbying qu’il faut, c’est un vrai mouvement
« populaire », de la base, issu des gens. Des malades, de leur entourage, tous ceux qui se mobilisent autour du sida. Eux seuls peuvent faire bouger les
choses. C’est incontournable. Et il y a peut-être derrière ces gens des valeurs à défendre. Le milieu associatif a ses dérapages et ses perversions, ses
conflits d’intérêts et de personnes, de sensibilités, parfois ses enjeux de pouvoirs, et ceux-ci augmentent avec l’institutionnalisation du milieu
associatif. Ce n’est pas grave. C’est l’histoire de la vie associative, ça vit, ça meurt, mais il y a d’autres choses qui naissent derrière, et donc malgré les
dérapages, parfois, plus il y a d’associations et plus je suis content.
Question : Quels sont les rapports entre associations et services publics ?
Willy Rosenbaum : Avec l’institutionnalisation, s’introduisent dans la vie associative des enjeux de pouvoirs. L’essentiel, pour les
associations, est de définir leurs objectifs. Ensuite viennent les moyens. Si les associations ont besoin d’argent, il faut le prendre là où il est, entre
autres dans le secteur public. Le secteur public a aussi besoin de vous, associatifs, dans certains domaines, et vous « utilise », lui aussi. Act-Up, par
exemple, a ses propres objectifs, son propre mode de fonctionnement. Il cessera de fonctionner ainsi le jour où il s’institutionnalisera. Il est certain que
cette institutionnalisation diminue un peu la marge de manœuvre des associations, mais ce n’est pas si grave : la complémentarité est possible entre
elles et les services publics.
Question : L’Etat joue-t-il pleinement son rôle ?
Willy Rosenbaum : L’Etat a un rôle majeur, mais s’il ne le remplit pas, il ne suffit pas de gueuler, il faut le faire bouger, et pour
cela il faut bouger de son côté. Donc bougeons.
Question : II y a tout un travail des associations qui n’est pas médiatisé.
Willy Rosenbaum : C’est un travail en profondeur, moins spectaculaire, moins valorisant, mais ce travail de militant est peut-être
le plus efficace.
Question : Quel est le rôle des préjugés ?
Willy Rosenbaum : C’est à cause des préjugés que la publicité sur la capote a été interdite en France jusqu’en 1991. Même si ce
n’est pas la recette-miracle contre le sida, pas plus que la méthadone, cela fait partie de la politique de réduction des risques, aussi faut-il s’en servir,
puis l’évaluer – c’est ainsi qu’on avance – au lieu d’en discuter pendant des années. Discussions qui proviennent d’ailleurs des préjugés ; les préjugés
moraux sont ce dont les patients souffrent le plus, ils sont dans l’indicible. Je veux dire par là qu’aujourd’hui encore, le VIH est quelque chose qu’on
garde pour soi la plupart du temps, on ne peut pas en parler, même quand on ne craint pas le rejet. Ce qu’on craint le plus, encore une fois, c’est le
regard de l’autre : « tu as le sida, mon pauvre vieux, et vlan ! tu es un mort ». Alors qu’il faudrait faire du sida un combat pour la vie.Solidarité et SIDA – Willy ROSENBAUM 14 mars 1994
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Question : Si les associations étaient davantage médiatisées, est-ce que cela n’aiderait pas les séropositifs à les rejoindre ?
Willy Rosenbaum : AIDES n’est pas sous-médiatisée, que je sache. Si sur votre lieu de travail, sur votre lieu de vie, vous mobilisez
les gens, celaaura plus d’impact qu’une émission de télévision.
Question : Si, comme vous dites, on ne parle pas du VIH, n’est-ce pas aussi à cause du secret médical, de la déontologie de AIDES, selon
laquelle il ne faut surtout pas dire publiquement qu’une personne est atteinte du VIH ?
Willy Rosenbaum : C’est à la personne elle-même de décider.
Question : Je rencontre des jeunes contaminés qui me déclarent depuis 1983, et encore en 1993, qu’on leur a dit de ne pas le dire.
Willy Rosenbaum : En tant que médecin, je ne réponds pas aux patients de manière péremptoire. Mais je leur dis que ce regard
de l’autre, il va falloir qu’ils le supportent. Mieux vaut le savoir avant qu’après. Il serait irresponsable de ma part, en tant que médecin, de dire à
chaque malade : « allez-y, dites-le, c’est très bien, les petits gars ». Mais je leur dis qu’il faut qu’ils en parlent à leur famille, leur entourage, leur amant.
Je me propose même moi, de servir d’intermédiaire pour pouvoir le dire. Parce qu’il y a le médical, il y a le social et il y a aussi l’affectif, qui est
fondamental. L’entourage joue un rôle majeur dans le traitement de la maladie, qui est une mobilisation des ressources de chacun. Pour lutter contre
cette maladie qui va durer des années, comment ne pas mobiliser les ressources familiales ? En tant que médecin, comment refuserai-je que mes
patients soient entourés, « cocoonés » si je puis dire, par leurs proches ? Tout cela passe par la parole. Je passe beaucoup de temps à expliquer ça à
mes patients. Mais beaucoup ne veulent pas le dire autour d’eux.
Question : En 1985, j’ai téléphoné pour demander le résultat du test VIH pour un patient qui avait peur de le demander lui-même. Cela a fait
un gros scandale à la DDASS.
Willy Rosenbaum :II faut faire attention à la préservation du secret médical. Si le patient dit clairement et ouvertement : « donnez
le résultat à mon copain », çava. Sinon…
Question : Que pensez-vous des traitements proposés aux séropositifsasymptomatiques : AZT, Bactrim…
Willy Rosenbaum : II a été largement démontré que le Bactrim est un élément du « parapluie ». C’est une stratégie majeure. Les
antirétroviraux ont montré une certaine efficacité. L’an dernier il y a eu un débat – médiatiquement épouvantable – sur l’efficacité au long cours des
antirétroviraux. On sait depuis 1987 ou 1988 que l’effet des antirétroviraux est limité dans le temps, pas pour tout le monde, mais statistiquement
parlant. Ces produits n’auraient plus d’activité au bout de deux ans pour 50 % des patients.
En général, notre réponse a été, jusqu’à il y a deux ou trois ans, de traiter tardivement avec un seul antiviral. Il valait mieux, pensions-nous, attendre
que la cible se rapproche pour tirer le coup de fusil. Mais aujourd’hui les choses changent. Notre fusil n’est plus un fusil à un coup. On en a au moins
cinq : AZT, DDi, DDc, 3TC….. Il y en a cent autres derrière. Dont l’effet est limité, certes, mais ils peuvent être remplacés par d’autres le moment venu,
ce qui n’est pas si mal.
Il faut essayer de comprendre pourquoi l’effet est limité. Le bénéfice du produit n’est pas mis en cause. Cet effet existe. Il vaut mieux prendre de l’AZT
que de ne pas en prendre. Qu’on en prenne tôt ou tard, le bénéfice est à peu près le même. Alors autant le prendre tard, mais sans attendre la maladie
: juste avant. Mais pourquoi l’effet est-il limité ? Moi, je travaille beaucoup sur le problème des résistances. Je ne vais pas crier que j’ai raison avant de
l’avoir démontré – même si d’autres ne s’en privent pas, surtout dans le sud de la France – mais je crois que les résistances expliquent en partie
pourquoi l’effet est limité. Or, on peut contourner ces résistances. Je ne vais pas crier victoire. Mais je donnerai un exemple, qui est celui de la
tuberculose.
Si on s’était amusé à traiter la tuberculose de la même façon qu’on traite le VIH, on n’utiliserait plus le Rimifon, l’un des produits majeurs qu’on utilise
dans la lutte contre cette infection. Pourquoi ? Le traitement de la tuberculose consiste à prescrire quatre antituberculeux pendant deux mois, puis
deux autres pendant deux autres mois. Ceci parce que la tuberculose résiste au traitement si on n’utilise qu’un seul médicament. En matière de VIH, il
se peut qu’un jour, peut-être, la solution vienne non pas d’un nouvel antiviral, mais d’un test qui permettra d’identifier, en peu de temps, la résistance
et donc de changer immédiatement l’antirétroviral initialement prescrit.
Ce qu’il faut dire pourtant, même si c’est douloureux, c’est que la guérison – si l’on entend par guérison la disparition du virus – n’est pas à l’ordre du
jour. Les gens n’aiment pas entendre cela, mais je dois le dire quand même. Ce virus est intégré dans les cellules. Or on ne sait pas faire les
manipulations génétiques nécessaires pour l’en extirper. Il faudrait bloquer le fonctionnement du gène, faire de la chirurgie génétique. Or dans ce
domaine, nous n’en sommes qu’aux balbutiements. On n’aura rien qui guérisse cette maladie avant quelques décennies. Aujourd’hui on n’a même
pas les bons concepts. Et entre les concepts et la réalisation, des dizaines d’années vont s’écouler. Par contre un traitement efficace, au long cours, pour
tous les séropositifs, pouvant leur éviter le passage à la maladie, est un objectif qui, à mon avis personnel, pourrait être atteint dans un délai de cinq à
dix ans.Solidarité et SIDA – Willy ROSENBAUM 14 mars 1994
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Question : Et la psychothérapie ?
Willy Rosenbaum : La psychothérapie, c’est vous qui allez la faire, ce sont les associations ! Mais il faut surtout changer le regard
sur cette maladie. Cela est bien plus efficace que dix mille psychothérapies.
Question : Est-ce que la guerre entre les instituts de recherche, avec leurs enjeux financiers, ne bloque pas la recherche, justement ?
Willy Rosenbaum : Comme je le disais tout à l’heure à propos des associations, il est bon qu’elles existent, Même si elles se
tapent sur la gueule, elles avancent C’est la vie des personnes et des groupes humains. Les chercheurs ne sont ni meilleurs ni pires, ils sont comme
tout le monde, comme ils sont des professionnels, de temps en temps ils font bien leur métier, ce qui n’est déjà pas si mal. Quand on est chercheur,
on est payé pour chercher, pas pour trouver. Ce qui est dommage, d’ailleurs. Ce qui bloque, ce ne sont pas les conflits entre chercheurs. Ceux-ci
existent, mais globalement, les choses avancent quand même, des gens travaillent même si on n’en parle pas.
Question : Que pensez-vous du « Sidaction » qui va mobiliser toutes les télévisions le 7 avril ?
Willy Rosenbaum : Au début, j’y étais plutôt favorable. Aujourd’hui je suis inquiet. C’est peut-être trop. On est passé d’un extrême
à l’autre. Cette émission étant diffusée par toutes les chaînes, le public sera captif, il n’aura plus le choix. Sinon d’aller au restaurant sur la Canebière !
J’ai prévu de ne pas regarder cette émission. Il y a une impréparation majeure de la part des chaînes. Une telle émission aurait demandé des semaines
de préparation. La moitié de l’argent ira aux associations, l’autre à la recherche. Il y aura des conflits pour les parts du gâteau. Parmi les associations,
AIDES a une légitimité consistante, mais les autres, les petites vont réclamer aussi, vont s’entredéchirer, ça va être l’horreur.
Au niveau de la recherche, il y a une véritable OPA sur ces fonds, de la part de l’association du Pr Montagnier. Que restera-t-il pour les autres ? Je ne
veux pas paraître aigri. On a fait sans beaucoup d’argent, on continuera de même. Mais l’argent est un problème majeur pour nous aussi.
La recherche en France ne se limite pas à Luc Montagnier, heureusement. Il n’a fait qu’émettre des hypothèses qui, depuis quatre ou cinq ans, ne sont
toujours pas démontrées, ce qui est quand même embêtant. C’est gênant que tout l’argent aille au même endroit, alors que d’autres en ont besoin
aussi.

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