Repères chronologiques sur la question de la déportation des homosexuels

 

Repères chronologiques sur la question de

la déportation des homosexuels

 

Christian de Leusse – juillet 2011

Mémoire des Sexualités

Délégué à Marseille du Mémorial de la Déportation Homosexuelle

  

1940-1944 : les Allemands appliquent le § 175 criminalisant l’homosexualité dans les territoires du Reich, dont les Pays-Bas ; en Alsace-Moselle, annexée au Reich en juin 1940, 70 000 personnes sont expulsées d’Alsace à l’automne 1940, 207 personnes – identifiées comme homosexuelles – sont internées à Schirmeck pour préparer le construction du camp de concentration de Natzweiler-Struthof qui deviendra camp d’extermination en juin 1941, et 95 personnes expulsées en zone libre pour homosexualité ;

Pierre Seel est arrêté à 17 ans, en mai 1941, sans doute grâce aux fichiers de la police de Mulhouse, envoyé à Schirmeck, puis au Struthof, libéré à la fin de l’année après de nombreuses maltraitances, il est enrôlé de force en mai 1942 dans l’armée allemande et envoyé sur le front de l’Est ; dans l’ensemble du Reich, environ 100 000 homosexuels ont été raflés par les nazis, dont 15 000 au moins déportés dans les camps de concentration ; dès juin 1940, les notables francophiles sont expulsés, puis en juillet 1940 les juifs sont expulsés par application des lois raciales du Reich, et en décembre 1940 environ 20 000 personnes sont expulsées, asociaux, indésirables, tous ceux qui risquent de polluer la race aryenne (juifs, gitans, races noires et jaunes, homosexuels repérés par les fichiers de la police) ;

Aimé Spitz a fuit l’Alsace quand il a su les arrestations d’homosexuels, résistant appartenant au groupe alsacien Nacht und Nebel, il est arrêté à sa 31ème mission d’agent de liaison, condamné à mort et déporté arborant un triangle rouge, il est l’objet d’expériences médicales au Struthof, il racontera son groupe homophile d’Alsace d’une dizaine de membres qui se rencontrait dans des restaurants à Strasbourg (le mercredi soir) et à Colmar (le samedi soir) ou dans un café-hôtel à Sélestat jusqu’à la guerre, et les Kapo qui s’adjoignaient des jeunes (russes, belges, français, etc.) dont ils usaient sexuellement (Struthof, bagne nazi en Alsace, mémoire d’un déporté, Aimé Spitz, 1980), il sera arrêté à Dijon par la Gestapo lors de l’un de ses allers-retours en Allemagne pour faire du renseignement, il sera déporté à Dachau et au Struthof, il témoignera des humiliations incessantes et du sadisme des SS (avec leur machine composée d’un manchon en caoutchouc relié à une manivelle, introduit dans l’anus, ils détectaient les homosexuels : ceux qui avaient une érection signaient leur arrêt de mort) ;

Camille Erremann est arrêté à 28 ans, en prison il apprend que la Gestapo a en mains le fichier des homosexuels de la police française – par le commissaire de Colmar qui est resté en poste pendant toute la guerre – sur lequel figure son nom depuis une affaire judiciaire de 1937 impliquant un copain de Cernay, des mineurs qui avaient endommagé sa voiture l’ont dénoncé à la suite de sa plainte, 200 personnes ont été impliquées dans ce procès qui avait fait grand bruit et dura plus d’un an, « ce fut un défilé de honteuses », M. Alapetite secrétaire général du Préfecture du Haut-Rhin y cherchait un succès personnel, la guerre est arrivée avant l’énoncé du jugement, personne n’a été condamné mais le fichier s’était enrichi, à la prison de la rue des Augustins à Colmar, Camille Erremann reconnait des amis, eux aussi fichés, les interrogatoires se passent au siège de la Gestapo à Mulhouse, pendant 15 jours  il est menacé et insulté mais non torturé, il nie et refuse de donner des noms, puis par camions il est transporté à Cernay avec d’autres homosexuels, ils sont jetés dans un train pour Belfort, puis ils arrivent dans un camp de baraques insalubres du Gers, un copain d’Avignon, Joseph (dit Seppi), lui envoie un mandat, il se réfugie chez lui pour Noël, il retrouvera Aimé Spitz à Lyon où celui-ci est secrétaire du Centre d’Accueil des Alsaciens expulsés ; dans L’Alsace dans les griffes nazies, Charles Béné citera l’exemple de 2 travestis homosexuels arrêtés à Berlin, déportés à Sachsenhausen puis au Struthof en juin 1940 pour «amuser » les kapos

 

1940-1944 : en Allemagne, des bordels sont créés sur le front pendant la guerre pour les SS (ce sont des « crédits matrimoniaux » dans l’objectif de faire des enfants), à Stuttgart les prostitués devaient recueillir le sperme, on créa ainsi des fermes d’élevage, véritables haras humains, les « fontaines de vie« , usines à produire de purs aryens (il y en aura 13 en 1944) ; Gertrud Scholtisklik, présidente de l’association des femmes, déclarait : « la femme allemande doit être telle qu’elle fait joyeusement tout ce qu’il lui est demandé de faire » ; les personnes poursuivies pour homosexualité sont envoyées en camp de concentration où elles doivent être « rééduquées par le travail », et de nouvelles instructions de Himmler ajoutent qu’une exception peut être faite pour ceux qui acceptent la castration ; en 1940, le Pr Konrad Lorenz souligne dans un ouvrage les difficultés de détecter les homosexuels «  Par chance, leur élimination est plus facile pour le peuple et moins dangereuse pour la collectivité qu’une opération pratiquée par un chirurgien sur le corps d’un individu »

 

1940 : en Italie, 56 déportés pour homosexualité sont à San Domino delle Tremiti (ile de Tremiti), sur ce nombre 46 ont été envoyés par A. Molina, le commissaire de Catane, de sa propre initiative, il se plaint du « silence de la loi » qui l’empêche « d’intervenir de manière plus énergique et d’attaquer le mal à ses racines », « aujourd’hui il faut noter que cette répugnance naturelle et spontanée (qui conduisait les « pédérastes » à se cacher) est surmontée et il faut constater avec tristesse que plusieurs cafés, salles de bal, lieux de séjour balnéaires ou à la montagne, selon la saison, accueillent beaucoup de ces malades et que des jeunes de toutes les classes sociales recherchent publiquement leur compagnie et préfèrent leur amour amollissant et abêtissant, ce débordement de dégénérescence a attiré l’attention de la police locale qui est intervenue pour extirper, ou tout au moins endiguer ces aberrations sexuelles qui offensent la morale, menacent la santé et l’amélioration de la race », il cite les exemples de Vicenzo, tailleur de profession, originaire de Biscari, qui a un compagnon Giuseppe et s’est lié à Francesco tailleur lui aussi, Vicenzo qui a à son actif de nombreuses aventures, en particulier en battant le trottoir la nuit, a été envoyé en relégation ; plusieurs relégués ont écrit des lettres aux autorités pour implorer leur indulgence : Giovanni 18 ans condamné à 5 ans de relégation rédige une requête pour quitter l’ile où il est l’objet d’humiliations de la part de voyous, Alfredo 39 ans condamné à 2 ans pour relations avec un jeune juif allemand se plaint de la perte de son travail, Orazio relégué pour 5 ans pour avoir vécu un « malheur » en « sortant pour la 1ère fois du collège pour aller en vacances » envoie des demandes de grâce, Francesco analphabète, marié et père de 3 enfants, nie être un « pédéraste passif », Vittorio dit qu’il se mariera « pour faire la preuve qu’il est vraiment un homme », Salvatore 20 ans , serveur, souligne les répercussions terribles pour les familles que provoquent la relégation des jeunes gens et demande à ce que sa peine soit commuée en admonestation ; Giuseppe, surnommé Pepinella a été condamné en 1939, à l’âge de 20 ans, à 5 ans de relégation à l’ile Tremiti, les familles de son village étaient scandalisées par sa liaison avec Roberto, il est accusé de causer « des scandales fréquents » et « de traîner jour et nuit en adoptant une démarche et des gestes féminin, il se maquille et porte des vêtements susceptibles d’attirer l’attention » (il dira 40 ans plus tard qu’il ne s’est déguisé en femme une fois lors du Carnaval), il a tant bien que mal exercé son métier de « couturière » – pour les policiers – à Tremiti, « on essayait de se débrouiller pour vivre bien, on faisait du théâtre », il y avait 2 cousins de Paterno, un sculpteur, un peintre, ils fêtaient l’arrivée des nouveaux arrivants, « je m’entendais bien avec ceux de Catane », il y avait la Chevrière un pédé actif relégué parce qu’il faisait des passes à Catane, l’Etat leur donnait une solde de 5 lires/jour ce qui était insuffisant et « celui qui était plus pauvre était contraint de faire des passes », il y avait aussi des prisonniers de droit commun (dans l’île d’en face) et des prisonniers politiques qui pouvaient louer des maisons et qui « souvent demandaient au directeur l’autorisation de venir s’amuser avec nous », « les fascistes et les policiers se débrouillaient pour venir nous trouver d’une façon ou d’une autre » Pepinella est restés 8 mois à Tremiti « puis il y a eu la guerre et ils nous ont tous renvoyés à la main avec 2 ans d’arrêt à domicile », dans son interview 40 ans plus tard il soulignera que jamais aucune réhabilitation par l’Etat n’interviendra (sources Giovanni Dall’Orto, GPH 23 mai 1987)

 

1940-1944 : les statistiques réalisées par Rüdiger Lautmann, professeur en Sciences Sociales à l’Université de Brême, à partir de récits d’anciens déportés dans une dizaine de camps, donneront une indication sur la composition sociale des triangles roses ils sont à 52 % issus de catégories sociales pauvres (alors que les détenus politiques sont à 75% issus de ces couches sociales pauvres), et sur leur mortalité, 60% d’entre eux sont morts dans des camps (contre 41% pour les politiques et 35% pour les religieux), ils parlera de 10 000 homosexuels déportés, selon lui : « Les homosexuels étaient confrontés dans les camps à des risques au moins égaux à ceux des autres catégories de déportés ; leur situation était plus critique car le triangle rose leur interdisait de s’intégrer dans la « société » du camp ; à l’intérieur de leur catégorie, ils ne pouvaient développer une force de cohésion suffisante ; leur situation, au point de vue de leur intégration sociale, était comparable à celle des « asociaux », ce qui représentait un danger supplémentaire ; en raison de leur mauvaise position sociale, ils ne pouvaient former un groupe d’une certaine cohérence ; ce manque d’organisation laissait les individus isolés ; comme ils ne pouvaient offrir aux autres de quelconque avantage, on ne leur en donnait aucun ; ils restaient à l’écart des circuits d’échange si importants pour rester en vie à l’intérieur des camps ; tandis que les « rouges, verts, violets » tentaient d’être les acteurs d’une stratégie de survie du groupe, les « roses » s’offraient comme victimes ; en outre les contacts avec l’extérieur, avec la famille ou avec les amis étaient rompus pour la majorité des homosexuels ; les statistiques montrent que les échanges avec l’extérieur étaient pour eux à un niveau aussi bas que pour les « asociaux » ; celui qui, dans un camp, ne recevait ni lettre, ni colis, était évidemment plus fragile vis-à-vis des agressions SS » (Lautmann, Séminaire Société et Homosexualité, Francfort sur le Main, 1977).

Dans les années 1960, un rapport de l’église protestante d’Autriche estimera à 220 000 le nombre d’homosexuels exécutés.

Dans le journal Gai Pied n°170/171 du 18 mai 1985 (à l’occasion du 40ème anniversaire de la victoire sur le nazisme), Gudrun Hauer souligne que dans les camps « lorsque les SS apprenaient l’existence d’une liaison homosexuelle, ils infligeaient des punitions d’une violence démentielle ; les contacts sexuels étaient relativement répandus, la discrimination entre déportés ne s’installait qu’à partir du moment où l’un des détenus concernés était reconnu comme homosexuel ; l’identité homosexuelle était encore plus combattue que les pratiques homosexuelles, largement répandues ; paradoxe ! les kapos sodomisant les « triangle roses » en utilisant parfois la force, mais les « triangles roses » n’avaient pas le droit de se toucher » ; en ce qui concerne les lesbiennes Gudrun Hauer écrit que «  malgré l’inexistence de dispositions légales, nombre de lesbiennes furent arrêtées et déportées », elles vivaient en fait elles aussi en permanence dans la peur face au grand arbitraire des tribunaux.

Rudolf Hoess, commandant d’Auschwitz, écrira un journal sur la détention à Cracovie (1945-1947), il expliquera la rafle des vagabonds, des prostituées et des homosexuels avant les JO de Berlin de 1938, expédiés en camps de concentration afin de les « rééduquer et de les adapter à des occupations plus utiles. A Dachau où les homosexuels étaient infiniment moins nombreux qu’à Sachsenhausen, leur présence posait déjà un problème sérieux à l’administration. Le commandant en chef jugeait préférable de les disperser dans les différentes baraques ; moi j’étais d’un avis contraire ; je ne les connaissais que trop bien d’après mes expériences du pénitencier… Effectivement, au bout de peu de temps, les rapports en provenance de tous les blocs venaient signaler que les relations homosexuelles s’établissaient entre les internés… sur ma proposition on les réunit dans un seul bloc… On les fit travailler en les séparant des autres internés, pendant un bon moment ils furent chargés de tirer le rouleau compresseur sur la route… D’un seul coup l’épidémie avait disparu, abstraction faite de cas isolés. Ceux qu’on avait rassemblés dans une seule baraque étaient soumis à une surveillance suffisamment sévère pour leur enlever toute possibilité de se livrer à leur vice » ; il cite le cas d’un prince roumain « noceur » vivant chez sa mère à Munich « on s’était vu obligé de l’interner à Dachau… je reconnus en lui un inverti authentique rien qu’en observant son regard inquiet, ses mouvements efféminés et ondulants, ses sursauts aux moindres bruits… Nous l’envoyâmes travailler avec les autres dans la carrière de sable. Il arrivait à peine à soulever une pelle remplie. Il tomba lorsqu’on lui fit pousser un wagonnet vide… on le mit au lit… on appela le médecin… on lui lia les mains…on le conduisit à la maison d’arrêt. Deux jours plus tard il était mort… Son séjour au camp n’avait pas duré plus de cinq semaines »… « A Sachsenhausen, les homosexuels avaient été dès le début internés dans un seul baraquement. Ils travaillaient séparés des autres, dans une carrière de terre glaise… ce travail pénible destiné à les rendre « normaux » n’exerçait pas la même influence sur les diverses catégories d’homosexuels. Selon leur constitution, leur déchéance physique était plus ou moins rapide… Il n’était pas difficile de prévoir une issue fatale chaque fois que la maladie ou la mort enlevait à l’un de ces hommes son « ami ». Beaucoup d’entre eux se sont suicidés »… « En 1944, le Reichsführer organisa à Ravensbrück des « stages de guérison ». Un certain nombre d’homosexuels qui n’avaient pas donné de preuves définitives de leur renonciation au vice, furent appelés à travailler avec des filles et soumis à une observation très stricte. On avait donné aux filles l’ordre de se rapprocher, sans en avoir l’air, de ces hommes et d’exercer sur eux des charmes sexuels… Après les avoir soumis à cette épreuve, on procéda à une sélection de ceux qui paraissaient mériter la libération. Mais à titre de vérification, on fournit à ces derniers une nouvelle occasion d’entrer en rapport avec des êtres du même sexe. Presque tous la dédaignèrent et se refusèrent farouchement à céder aux provocations de vrais invertis. » (extraits de Rudolf Hoess « Le commandant d’Auschwitz parle »).

Heinz Heger, étudiant autrichien, est déporté à Sachsenhausen, puis à Flossenbourg, parqué dans un bloc spécial, puis dispersé dans d’autres baraquements en 1941, il connait les brimades et les tortures, son récit confirme que les centaines de milliers de victimes du régime nazi mis à l’index par le § 175, arrêtés, jetés dans les camps, marqués du triangle rose et exterminés avec d’autres minorités. Son livre (les Hommes au Triangle Rose, paru en France aux Ed. Persona, 1981) raconte : « Ma joie fut de courte durée. Je n’aurais pas pu imaginer ce qui m’attendait. Ce nouveau commando lui aussi n’était composé que d’homosexuels. Dans ce commando aussi, la vie des déportés ne comptait pas qu’ils soient juifs ou homos… Nous avions des brouettes et nous devions transporter de la terre pour faire une butte destinée à retenir les balles derrière les cibles des stands de tir. Naturellement nous ne voulions pas continuer pendant les exercices, mais les kapos nous y contraignaient en nous menaçant de leurs gourdins ou de leurs fouets. Les balles sifflaient dans nos rangées. Beaucoup de nos camarades tombaient, certains blessés mais d’autres mortellement atteints. Et bientôt nous nous aperçûmes que les SS au lieu de tirer sur les cibles, préféraient nous viser, nous les déportés : ils faisaient la chasse aux conducteurs de brouette. Chaque jour, il y avait des morts et des blessés dans notre commando. Et chaque matin nous partions au travail remplis d’effroi, sachant pertinemment qu’un certain nombre d’entre nous ne reviendraient pas vivants le soir. Nous étions devenus le gibier des SS, ceux-ci se réjouissaient à grands cris lorsque l’un d’entre nous tombait à terre » ; en hiver, il transporte de neige à la main en s’aidant de son manteau 10h par jour, en été carrières d’argile 13h par jour qu’il qualifie de « carrières de la mort, usine d’anéantissement des homosexuels tout au moins jusqu’en 1942 ; le travail dans les carrières était effectué uniquement par des homos, condamnés à mort par la dureté des conditions de travail et l’inhumanité des SS ; les carrières de Sachsenhausen étaient parmi d’autres un élément de la machine d’anéantissement que s’étaient donnés l’Allemagne de Hitler, où des milliers et des milliers d’homosexuels devaient terminer leur existence de martyrs ; on ne peut se représenter ce que les déportés devaient supporter, par tous les temps, en été dans une chaleur suffocante, l’hiver sous la neige et le gel, chaque jour il fallait extraire le compte fixé de bennes d’argile pour les mener au fours qui cuisaient les briques et qui ne devaient jamais s’arrêter ; la carrière s’enfonçait profondément sous la terre sui bien que le chemin sur lequel il fallait pousser les bennes était long et escarpé ; pour les détenus à demi-affamés, exténués, c’était un véritable chemin du Golgotha ; parfois les prisonniers qui poussaient les wagonnets étaient dans un tel état de fatigue qu’ils laissaient redescendre une benne chargée mais, une fois que celle-ci avait pris de la vitesse, ils ne pouvaient plis l’arrêter si bien qu’elle heurtait les wagonnets suivants ; beaucoup de prisonniers étaient tellement hébétés et indifférents qu’ils n’avaient pas la réaction de s’écarter lors de la collision, des corps humains étaient alors projetés en l’air, certains des déportés avaient leurs membres broyés et tous recevaient une avalanche de coups ; dans ma chambrée où dormait à peu près 180 détenus, toutes les professions étaient représentées, jusqu’à leur arrestations ils étaient tous des hommes de valeur et certains avaient ne position importante dans leur cité, jamais ils n’auraient enfreint la loi en quoi que ce soit, leur seul défaut était d’aimer des gens de leur propre sexe ; tous ces hommes, parfois bien placés, on les avait jetés dans ce creuset de la honte et de la douleur, le bloc des homosexuels d’un KZ (camp de concentration) pour les anéantir par le travail, la faim et les tortures » ; « Dès que nous fûmes déchargés sur la place de l’appel, les coups se mirent à pleuvoir… Après l’appel commença : l’un après l’autre, nous étions appelés, nous devions alors avancer d’un pas, répéter notre nom, annoncer le motif de notre détention. Ce fut bientôt mon tour d’être appelé. Je répétai mon nom après avoir avancé d’un pas et je mentionnai le § 175 comme case de mon internement. Immédiatement, je reçus des coups de pieds dans les côtes et, avec les mots : espèce de cochon, ordure de pédé, je fus confié à l’Oberscharfürher qui s’occupait de mon bloc. Pour commencer, ce dernier m’administra deux gifles sur les oreilles, d’une violence telle que je m’écroulai par terre. Je me relevai et restai debout, tremblant de peur. Il m’envoya de toutes ses forces son genou dans les testicules et je me roulai par terre tellement cela me faisait souffrir. Aussitôt, les détenus qui aidaient à l’appel me crièrent de me relever pour l’empêcher de me piétiner. Le visage hagard, je me relevai devant le chef de bloc qui me dit : C’était pour faire connaissance. Ainsi, espèce de merdre, tu sauras qui est ton chef de bloc. Nous nous retrouvâmes une vingtaine de « cochons de pédés» à être rassemblés. Les SS nous firent courir parmi les commandos… Enfin nous fûmes conduits devant notre bloc… Là il fallut se mettre en rang par trois. Puis nous dûmes nous déshabiller complètement… Et puis, il fallut attendre, attendre… On était en janvier, la température devait être de quelques degrés au-dessous de zéro ; un vent glacé s’engouffrait dans la rue du camp, mais ils nous laissèrent nus, les pieds à même le sol. Puis un SS-Scharfürher en manteau d’hiver à col de fourrure allait et venait devant nous et frappait tantôt l’un, tantôt l’autre avec un nerf de bœuf. Il criait « C’est pour ne pas geler, tas de cochons ! ». Et consciencieusement, avec de lourdes bottes, il marchait sur les orteils de tel ou tel détenu qui hurlait de douleur. Ceux qui se plaignaient trop à son gré recevaient immédiatement un coup de bâton dans l’estomac, qui les laissait sans voix. Il transpirait presque de cette distribution de coups et toujours allant et venant devant nous, il criait « Espèces de truies en chaleur, je vais vous faire rester jusqu’à ce que vous soyez froids ! ».

Eugen Kogon qui survivra à 5 années passées à Buchenwald en tant que prisonnier politique, rapportera dans son livre l’Etat SS (le Seuil, 1970) « Leur sort dans les camps ne peut être qualifié autrement qu' »épouvantable ». La plupart d’entre eux ont péri« . Il dira aussi que « les politiques » envoyaient d’abord aux travaux les plus durs les « triangles roses ». »Dans les camps, il suffisait d’un soupçon pour faire taxer un détenu d’homosexuel et le livrer ainsi aux humiliations, à la défiance générale et à des dangers particuliers. A ce sujet, il faut dire que les coutumes homosexuelles étaient très répandues dans les camps, mais les détenus ne tenaient à l’écart que ceux que la SS avait marqués d’un triangle rose. Les homosexuels étaient souvent rassemblés dans des blocks et des commandos de travail spéciaux. Cet isolement même donnait l’occasion à des individus sans scrupules de se livrer à de honteux chantages, à des mauvais traitements et à des violences. A Buchenwald, jusqu’à l’automne de 1938, les homosexuels furent répartis dans les blocks des politiques où ils menaient une vie assez discrète. En octobre 1938, ils furent rassemblés dans la compagnie disciplinaire et durent travailler dans la carrière. Ils appartenaient ainsi dans les années les plus dures, à la basse caste du camp. Pour les transports vers les camps d’extermination tels que ceux vers Nordhausen, Natzweiler et Gross-Rosen, c’étaient eux qui, sur leur nombre total, fournissaient le plus fort pourcentage. En effet, le cap avait cette tendance compréhensible de se séparer des éléments considérés comme moins importants, de peu de valeur ou sans valeur.  »

Karl Gorath racontera son calvaire : « J’avais 26 ans quand je fus arrêté chez moi, en vertu des dispositions du § 17 qui définissait l’homosexualité comme un acte contre nature. Je fus emprisonné dans le camp de concentration de Neuengamme près de Hambourg, où ceux du 175 devaient porter le triangle rose. Comme j’avas une formation d’infirmier, je fus transféré à l’hôpital des prisonniers du camp annexe de Wittenberg pour y travailler. Un jour, un garde m’ordonna de réduire la ration de pain des patients polonais, mais je refusai. En punition, je fus envoyé à Auschwitz et cette fois, au lieu d’être l’un des 175, je dus porter le triangle rouge des prisonniers politiques. A Auschwitz, j’eus un amant qui était polonais ; il s’appelait Zbigniew ».

Richard Plant qui a fuit l’Allemagne nazie en 1933, cite dans The Pink Triangle (Payot, 1987) des cas de prisonniers qui révélaient aux SS qui les questionnaient qu’ils étaient détenus au titre du § 175, l’un – à Dachau – a été immédiatement séparé des autres prisonniers et tabassé par plusieurs SS, idem pour un autre à Natzweiller, un autre – à Sachsenhausen – a reçu un coup de pied entre les jambes après plusieurs coups sur le visage, avec l’apostrophe « c’est ton ticket d’entrée, sale pédale dégueulasse ! » ; dans certains camps (Dachau, Flossenbürg, Sachsenhausen), ils ont été séquestrés dans un baraquement à part pour mieux les contrôler, il rapporte le témoignage d’un survivant de Flossenbürg : il était dans un bloc occupé par des homosexuels, avec près de 250 hommes dans chaque aile du bâtiment, avec interdiction la nuit de dormir sans caleçon et sans chemise de nuit, avec obligation de tenir ses mains hors des couvertures, ceux qui étaient pris en faute étaient traînés à terre, arrosés d’eau froide et laissés dehors au froid plus d’une heure ; Rudolph Hoess commandant à Auschwitz puis à Dachau a développé la théorie du « salut par le travail » qui essayé d’abord sur les homosexuels, faire travailler les déviants sexuels très durement pour les « mettre sur le droit chemin » ou pour les épuiser (dans le travail du ciment notamment) ; Hoess, comme Himmler, était persuadé que les homosexuels possédaient une intelligence supérieure à la moyenne et avaient la capacité de s’allier facilement aux antinazis, ils craignaient aussi la contagion de la maladie, mais il faut noter que les autres prisonniers le pensaient aussi ; l’installation de bordels dans les cas étaient aussi une façon d’éviter ce danger, à Sachsenhausen et à Auschwitz, Hoess contraignait les homosexuels à les fréquenter afin de les guérir ; devant leur sort, les homosexuels – fort différents les uns des autres – n’avaient pas de solidarité, Richard Plant cité Raimund Schnabel « A l’intérieur des baraquements d’homosexuels, ont trouvait des gens exceptionnels dont la déviance fut tragique, mais il y avait aussi des gigolos et des maîtres chanteurs » et Eugen Kogon qui notait le sort « spécialement terrible » des homosexuels à Dachau alors même que « les habitudes homosexuelles étaient en général courantes dans les camps », Kogon indique que c’est à partir d’octobre 1938 que les homosexuels ont été séparés des autres prisonniers politiques et « transférés vers une section pénale, où ils devinrent de vrais esclaves … ils sont alors devenus la caste la plus basse des camps durant les années les plus difficiles de la guerre … au cours des déportations vers les camps d’extermination, tels que Nordhausen, Natzweiler et Gross-Rosen, ils ont formé le plus grands pourcentage de ceux qui étaient envoyés, car ces camps avaient une tendance naturelle à se débarrasser des éléments auxquels ils tenaient le moins » ; le témoignage d’un étudiant en théologie protestante L.W. indique qu’au camp de Sachsenhausen, le responsable des travaux forcés parlait des triangles roses comme des hommes-femmes, et se vantait de tous les exterminer grâce aux travaux forcés ; Richard Plant souligne que le pourcentage d’homosexuels déportés à Dora-Mittelbau – dans des souterrains qui attaquaient les poumons et les prisonniers mourraient de tuberculose et de faim – était plus important que celui de n’importe quel autre groupe ; Richard Plant donne encore le témoignage de L.D. von Classen-Neudegg selon lequel en juin 1942 à Sachsenhausen les maître du camps décidèrent de « s’occuper » des 300 homosexuels rassemblés à l’extérieur et de les affecter le lendemain à une unité de travaux de ciment « là-bas vous aurez un travail honnête, vous êtes une erreur biologique du Créateur, c’est pourquoi nous devons vous rectifier », le lendemain une fois sur place ils ont commencé à les battre avec des fouets et des crosses de fusils, couverts de sang et traînant une vingtaine de déportés ils sont entrés dans les caves, en l’espace de deux mois les 2/3 d’entre eux ont disparus, puis un matin il ne restait plus que 50 survivants ; Eugen Kogon cité par Richard Plant raconte aussi les expériences médicales vers lesquels les homosexuels étaient particulièrement orientés, ainsi les recherches sur les hormones effectuées à Buchenwald – par l’endocrinologue danois Carl Vaernet et le chirurgien allemand Gernard Schiedlausky – destinées à « reconditionner » les homosexuels, elles étaient exclusivement réservées aux homosexuels, ces expériences ont d’autant plus provoqué la mort des prisonniers qu’elles étaient faites sans aucune rigueur scientifique (techniciens de laboratoire non formés, surdosages, etc.) ; à Buchenwald en décembre 1943 on comptait 165 triangles roses, en mars 1945, ils n’étaient plus que 89, dans un camps où les statistiques concernant les différentes catégories de prisonniers étaient particulièrement bien tenues ; dans d’autres camps d’autres expériences pseudo-médicales étaient conduites (Dachau pour les tests sur la malaria, les simulations de haute altitude ou de survie sous-marine, Buchenwald sur la fièvre jaune et les drogues à base de sulfure, Auschwitz sur la stérilisation des femmes), la plupart de ces expériences nécessitaient un très grand nombre de prisonniers.

Jean Boisson se référant aux propos de Himmler qui se vantait d’avoir arrêté la majorité des homosexuels et à divers témoignages avance le chiffre d’un million de victimes, morts de fatigue et de faim, abattus au cours de tentatives d’évasion vraies ou simulées, ou mutilés à vie à la suite d’expériences médicales (Jean Boisson « Le Triangle Rose. La Déportation des homosexuels (1933-1945) » Robert Lafont, 1988), à propos des lesbiennes, Jean Boisson écrira « tous les écrits et les discours de Hitler et de Himmler prouvent que seule l’homosexualité masculine intéressait les nazis, le manque d’hommes, et donc de reproducteurs, se faisant cruellement ressentir par rapport au surnombre de femmes en attente de partenaires » (Gai-Pied hebdo 27 février 1988)

Les homosexuels sont souvent envoyés aux travaux les plus pénibles : gravière à Dachau, argilière et briqueterie à Sachsenhausen, et Neuengamme, usine souterraine d’armement à Dora ; ils sont souvent choisis comme cobayes précise le commandant d’Auschwitz Rudolf Hess ; Pierre Seel racontera pour sa part qu’à Schirmeck, près du Struthof, les infirmiers jouaient sur lui aux fléchettes avec des seringues ; il s’agit aussi d’expériences pour soigner les homosexuels, c’est-à-dire les convertir à l’hétérosexualité, ainsi des triangles roses sont amenés au camp pour femmes de Ravensbrück afin qu’ils succombent aux avances de celles-ci, et en 1943 on leur proposera de se faire castrer en échange de leur libération, et nombre de ceux qui sortir ainsi seront ensuite intégrés à la Wehrmacht sur le front de l’Est ; le Dr Carl Vaernet, d’origine danoise, prétendra avoir mis au point une glande artificielle qui, libérant des hormones masculines, doit guérir les homosexuels, il expérimentera cette glande sur 15 détenus au camp de Buchenwald, ce sera un échec, 2 détenus mourront rapidement

Les Oubliés de l’Histoire parlent de 100 à 150 000 homosexuels arrêtés par les nazis en 1933 et 1945, au titre du § 175, dont 10 000 à 15 000 déportés en camps de concentration.

 

29 février 1940 : Himmler déclare « Dans tous les cas d’homosexualité de SS, ces individus seront officiellement dégradés, exclus de la SS, traduit devant un tribunal. Après avoir expié la peine infligée, ils seront internés sur mon ordre dans un camp de concentration et abattus pendant une tentative de fuite » ; Himmler n’hésitera pas à faire liquider son propre neveu, Hans Himmler, au camp de Dachau

 

1941 : Pierre Seel, jeune alsacien de 17 ans, vivant dans un territoire annexé par le Reich, est arrêté par la Gestapo, son nom st apparu dans les fichiers de la police française, après diverses tortures, il est déporté à Schirmeck, près du Struthof, il y assiste à la mise à mort de son ami Jo livré à une meute de chiens ; en novembre, il est envoyé sur le front de l’Est, il y combattra sur le front de Russie, jusqu’à sa désertion en 1944

 

1er avril 1941 : Rudolf Brazda répond à une convocation de la Kriminalpolizei de Karlsbad dans les Sudètes (en territoire autrichien considéré comme partie intégrante du Reich) : « Le Kriminalsekretär devient de plus en plus inquisitorial et demande à connaître le détail de ce qui se serait passé ce soir-là entre les deux hommes. Rudolf s’exécute : après être entré chez Raimund, il se serait assis pour prendre une tranche de Stollen. C’est à ce moment que Raimund lui aurait caressé la jambe, avant de lui sortir le sexe du pantalon pour le masturber. Il n’y a pas eu éjaculation, précise Rudolf pour les besoins du rapport, et je ne me suis pas non plus déshabillé. Il se serait d’abord laissé faire mais comme il ne trouvait pas Raimund à son goût, il lui aurait enjoint d’arrêter : Tu sais bien que j’ai déjà un ami. J’aime bien ta compagnie, mais pas pour faire ces choses là. Il sait qu’il a affirmé le contraire le matin même, allant jusqu’à parler de rapports avec plusieurs inconnus, mais c’était pour ne pas donner les noms de Toni et Raimund, et ne pas passer pour un délateur. Rudolf, à bout, conclut qu’il fréquentait Erna, pour essayer de me défaire de mon vice. Mais je n’y suis pas arrivé, d’autant que j’aimais beaucoup Toni. Sur tous les points, j’ai dit la vérité et le confirme par ma signature. Comme pour toute déposition écrite, il appose son paraphe avec la mention Lu approuvé et signé… Les aveux de Rudolf Brazda viennent d’entraîner sa chute et celle d’au moins trois autres personnes… » ; Rudolf Brazda transféré à Zwickau purgera les 4 derniers mois de sa peine qui devait s’achever le 5 juin 1942, mais – en vertu d’une directive de Himmler du 12 juillet 1940, concernant les homosexuels ayant séduit plus d’un partenaire – il sera à nouveau inculpé et envoyé à Buchenwald où il sera le n° matricule 7952 avec un triangle rose, il a 29 ans ; il y a alors 75 déportés pour homosexualité, il y en aura 189 fin 1944, entre 1937 et 1945, ils seront environ 500 à porter le triangle rose à Buchenwald (à noter que Buchenwald passe de 8 000 détenus en janvier 1943 à 26 000 en janvier 1945, puis à 48 000 en avril 1945)

 

2 mai 1941 : Pierre Seel, né le 16 août 1923 à Haguenau dans le Bas Rhin, est arrêté à Mulhouse à l’âge de 18 ans; il est le 7ème enfant d’une famille bourgeoise de Mulhouse, ses parents tiennent une confiserie connue, sa mère a près de 40 ans, de 10 ans plus âgée que son père, il est bon élève à l’Ecole des Frères, confession hebdomadaire et communion ; un an avant, dans les WC en sous-sol du square Steinbeck, il « assouvissait un besoin de curiosité », on lui a arraché sa montre, cadeau précieux pour lui de sa maraine deParis, lors de la déclaration du vol, le policier qui le reconnaît lui demande « qu’est-ce que tu as fait ? » puis « on ne dira rien » ; l’armée allemande arrive, très impressionnante, Pierre arrête l’Ecole, son père lui trouve un petit travail de vente de lingerie au magasin Enneka – confisqué par les Allemands à des juifs -, il se fait pas mal de copains, il a en particulier un petoit copain dans son magasin « on s’aimait bien » ; il suit des cours du soir, ce qui lui donne de la liberté pour rentrer chez lui, ils distribuent des tracts antinazis et arrachent des affiches, un soir en rentrant du magasin sa mère lui dit qu’il est convoqué par la Gestapo ; le lendemain il est reçu par les Allemands au milieu des hurlements des soldats et des cris des victimes, une fois assi on lui montre la déclaration de vol, il reconnaît alors 12 homosexuels arrêtés en même temps, dont son copain Jo ; ils subissent des brimades et des coups (à genoux sur une règle, déshabillage, giffles), des cris de haine contre les homosexuels ou de la torture ; Pierre Seel est violé, il y a du sang partout, des cris de douleurs, il hurle mais plus il hurle plus cela les excite ; ni son copain ni lui ne disent quoi que ce soit quand on leur présente la photo d’un prêtre jésuite du lycée de Mulhouse, ce qui l’a protégé ; lorsque le soir même son frère et son père viennent au commissariat demander des nouvelles, il leur est répondu, c’est un shwein hund (un cochon de chien) enculé, lorsque sa mère apprend cela elle s’évanouit ; jeune et maigre dans sa cellule, les autres prisonniers lui réservent le mur suintant où personne ne veut se mettre ; puis il est tranféré au camp de Vorbrück, dans le Bas Rhin, où il trouve des communistes, des tsiganes, des juifs, des homosexuels, des prostituées et des droits communs, pendant 2-3 jours on le fait circuler avec une croix gammée sur la tête, sa coiffure zazoue (cheveux collés) tondue, il a un insigne bleu, tous les regards se portent vers lui, il en gardera longtemps le sentiment que « c’est inscrit sur (son) visage » ; en juin 1941, un matin, il ne voit pas Jo dans les rangs dans la cour pour l’appel où il y a des potences destinées aux pendaisons, il voit Jo arriver encadré par 2 gendarmes, lecture est faite de sa condamnation à mort, ils l’ont fait déhabiller avec on saut en fer blanc sur la tête, et pendant que de la grande musique allemande était diffusée, ils ont lâché les chiens sur lui ; il gardera toute sa vie une bougie allumée auprès de lui en souvenir de Jo, chaque fois qu’il sera seul, et gardera pendant les 28 ans de vie commune avec sa femme le silence sur l’origine de son arrestation, ses frères et sœurs alsaciens le sauront, sa femme et ses enfants n’en sauront rien jusqu’au début des années 1980, à l’occasion de « l’affaire Elchinger » (son histoire ne sera largement connue qu’en 1993 par une émission sur France Inter avec Daniel Mermet « Là-bas si j’y suis » et en 1994 grâce à son livre « Moi Pierre Seel, déporté homosexuel »)

 

Mai-décembre 1941 : les listes de déportés à Auschwitz pour ces 8 mois concernent 9 369 déportés et indiquent 40 triangles roses ; les camps de Frise orientale reçoivent, dans les marais, une proportion importante de triangle rose

 

1942 : en Suisse, l’acteur suisse-allemand Karl Meier, se retrouve éditeur – sous le nom de Rolf – de la revue suisse désormais appelée Der Kreis publiée à Zurich, le mouvement homophile qui publie cette revue avait débuté en 1932 sous la forme d’un magazine lesbien Freundschaftsbanner ; désormais quelques pages françaises paraissent grâce à l’assistant de Rolf, Eugène Laubacher, banquier, connu sous le nom de Charles Welti, les textes y sont très anodins : la camaraderie « homo-érotique » et non le sexe, le culturel et le lien entre les personnes ; un club organise des réunions hebdomadaires et un bal annuel est le rendez-vous des homosexuels d’Europe

 

1942 : en Allemagne, le ministère de la Justice du Reich adopte publiquement la condamnation à mort pour homosexualité

 

6 août 1942 : le maréchal Pétain signe un décret-loi modifiant l’article 334 du Code pénal : amende et peine de prison – jusqu’à 3 ans – à « quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe mineur de 21 ans », alors que les relations hétérosexuelles entre personnes de plus de 13 ans sont légales…(à l’heure où l’environnement créé par les Chantiers de Jeunesse présente quelques risques) ; la qualification d’acte contre-nature est entré pour la 1ère fois dans l’arsenal juridique français, établissant une différence formelle entre actes homo et hétérosexuels ; cette loi est moins issue des services du chef du gouvernement de Pétain, l’amiral Darlan, que d’un rapport d’un magistrat de Toulon confronté à un homme ayant eu des rapports sexuels avec plusieurs jeunes gens, marins et civils, de moins de 21 ans, Darlan parle d’un « important préjudice moral à la Marine » et estime que s’il peut sévir contre les marins, il ne peut sévir contre les civils qui seront dès lors impunis ; le projet de loi est accepté par le ministre de la Justice Joseph Barthélémy ; le texte de loi est signé par Philippe Pétain, chef de l’Etat, Pierre Laval, chef du gouvernement, Joseph Barthélémy, Garde des Sceaux, Abel Bonnard, ministre, et l’Amiral, ministre commissaire général à la famille ; il faut régénérer une population « ravagée d’alcoolisme, pourrie d’érotisme, rongée de dénatalité » (René Gillouin), la loi est présentée comme une « réaction très virilement humaine à une République féminisée, une République de femmes et d’invertis » ; Pierre Drieu la Rochelle invective les « pédérastes » comme les juifs, tous deux symbolisant des politiques de stérilité et de déclin, Robert Brasillach s’exprime dans le même sens, Lucien Rebatet stigmatise la pièce de Jean Cocteau la Machine à écrire qui débute à Paris en 1941, comme le type même du théâtre inverti qui a défiguré la IIIème République.

Henri de Montherlant, Robert Brasillach, Marcel Jouhandeau sont des écrivains célèbres qui se placent du côté de la collaboration et qu’on soupçonne d’être homosexuels. « Pourquoi tant de pédérastes parmi les collaborateurs ? Leur joie est celle des pensionnaires d’un bordel de petite ville quand vient de passer un régiment » écrit Jean Guéhenno le 18 juin et le 7 août 1941.

Avant son procès, Robert Brasillach écrit en février 1944  » Les Français de quelque réflexion, durant ces années, auront plus ou moins couché avec l’Allemagne… et le souvenir leur en restera doux « ;  » Ce bon souvenir… qui n’ose pas dire son nom  » accusera le procureur public.

Historien membre d’Arcadie, Duchein parlera du « néo-puritanisme chrétien de Vichy »