Les droits des femmes aujourd’hui

Les droits des femmes aujourd’hui
Conférence–débat du 12 janvier 1992

Maison des Associations (Marseille)

Nicole SAVY, Ligue des Droits de l’Homme
Association Mémoire des Sexualités
(en collaboration avec la Ligue des Droits de l’Homme Marseille Nord-Sud)
Transcription : Anne Guérin – mise en page : Pascal Janvier

Michel Anselme (président de la LDH Marseille Nord-Sud) : Nicole Savy est membre du comité central de la Ligue des Droits de l’Homme, et y a longtemps présidé la commission sur les droits des femmes. Il est important de rappeler que le combat pour les droits de l’homme est lie au combat pour les droits de la femme, ce qui est trop souvent oublié.

Nicole Savy : Les droits des femmes en France se trouvent aujourd’hui dans une situation particulièrement contradictoire : comparée aux autres pays européens, la France est l’un de ceux ou les femmes travaillent le plus, participent le plus à la vie professionnelle. Le taux de natalité se maintient à un niveau relativement élevé (plus de deux enfants par couple) soit beaucoup plus que dans un pays catholique comme l’Italie. Par contre, la participation des Françaises à la vie politique est quasiment nulle, lamentable. Sur ce chapitre, nous sommes en avant-dernière position parmi les pays européens, et la situation ne s’arrange pas vraiment, du coté du Parti socialiste par exemple.
D’énormes progrès ont été accomplis depuis la seconde guerre mondiale dans le domaine juridique. L’existence de la pilule, du travail féminin, semblent être des acquis irréversibles, voire des évidences, à tel point que les combats menés pour ces droits semblent relever, aux yeux des jeunes femmes de moins de 30 ans, d’un féminisme archaïque, comme si ces problèmes étaient définitivement réglés, ce qui est une erreur.
Nous avons donc acquis des droits au cours des cinquante dernières années, mais plus en théorie qu’en réalité, car nous n’avons pas
toujours les moyens de les appliquer. Et surtout on s’aperçoit, en France mais aussi sur la scène internationale, que ces droits peuvent être remis en cause. Aux Etats-Unis, I’avortement est devenu un véritable enjeu électoral et on se bat étape par étape, et juge par juge (à la Cour suprême), pour revenir à des lois rétrogrades. C’est une formidable opération de réaction, de régression en matière de droits des femmes.
Et cette bataille n’est visiblement pas terminée.
De l’autre côté, en Europe de l’Est, la Pologne a tenté une opération analogue avec le soutien du pape. Le syndicat Solidarité s’est prononcé contre l’avortement avec le soutien d’une partie des parlementaires polonais. On a réussi à éviter le pire. La Ligue des Droits de l’Homme, le Planning Familial ont lancé une grande campagne d’envoi de cartes postales pour protester et pour soutenir les partisans de la contraception en Pologne. Je ne sais si cette campagne a influencé les Polonais, mais pour l’instant ce projet réactionnaire est gelé. Dans la confusion qui suit l’effondrement du système soviétique, on entend aussi des femmes russes nous dire que ce qu’elles souhaitent maintenant, c’est le droit de rentrer à la maison et de ne plus travailler. On peut essayer les comprendre, mais c’est pour nous très, très dur à entendre.
Mais il y a pire : une femme irakienne peut être punie de mort en cas d’adultère, et sous le régime des ayatollah toutes sortes de prétextes sont bons pour lapider publiquement des femmes iraniennes. La montée mondiale des intégrismes et des extrêmes droites est un péril pour la démocratie et pour les droits des femmes qui en font partie intégrante. Nos amies algériennes qui subissent la pression du FIS, en savent quelque chose, mais je crois qu’elles n’ont pas l’intention de se laisser faire, même si elles portent le voile.

Que se passe-t-il en France ?
Depuis quelques années on assiste à une montée des oppositions à l’avortement. Au Parlement, des hommes de droite et d’extrême droite déposent des projets de loi visant à supprimer la loi Veil. Ils ne sont pas très nombreux, ni très efficaces, mais depuis un ou deux ans ils s’organisent, avec le soutien financier d’associations américaines notamment. Ils mènent différents types d’actions, dont des actions spectaculaires de commando dans des centres d’lVG. Ces attaques peuvent prendre des formes violentes, traumatisantes pour les femmes qui viennent la subir une IVG, ce qui est toujours quelque chose de dramatique pour les femmes qui font ce choix. Elles subissent en plus ces attaques culpabilisantes, accompagnées de violences physiques dans certains cas, comme à l’hôpital de la Salpétrière dans le service du professeur Friedman. Ces commandos se réclament de « La Trêve de Dieu », de « Clairfontana » ou de « SOS Tout-Petits » qui forment un front commun qui se situe dans la mouvance catholique intégriste et est liée à l’extrême droite. L’organisation de congrès sur la famille ainsi que le noyautage d’associations familiales qui ne s’y attendent pas, sont d’autres formes d’action. Le Pr Leroy-Beaulieu, qui est l’inventeur du RU-480, pilule abortive, est actuellement poursuivi pour avoir critiqué un film épouvantable qui s’appelle « Le cri silencieux » film scientifiquement faux qui présente sur fond de marteaux piqueurs une scène fantasmée d’avortement ou le fœtus ouvre la bouche et crie. Aucune femme normalement constituée ne peut supporter de voir ce film, qui est un tissu de mensonges.
Mais l’une des associations qui luttent contre l’avortement a porté plainte contre le Pr Leroy-Beaulieu.Les droits des femmes aujourd’hui –

Enfin, il y a le discours politique d’un Jean-Marie Le Pen qui « naturalise », qui fait entrer lentement dans les moeurs, le pire des
conformismes et la pire des réactions. Ce discours est très efficace en temps de chômage, parce qu’on imagine pouvoir régler ce problème en renvoyant les immigrés chez eux et les femmes à leur foyer.
On peut s’interroger sur la réponse des pouvoirs publics, qui semble insuffisante. Dans l’ensemble de la France, le nombre d’infirmières et de médecins dans les services d’lVG est insuffisant pour couvrir les besoins qui ont pourtant diminué, contrairement aux prévisions de la droite qui craignait que « toutes les femmes iraient se faire avorter ». De fait, la contraception s’est développée, et le nombre des IVG pratiquées aujourd’hui en France a diminué. Mais les services et les lits hospitaliers ont diminué encore plus vite. Certains services sont fermés. D’autre part, on manque d’information auprès des femmes immigrées, dans les Iycées…, en matière de contraception. On est très démuni dans ce domaine, les associations traversent une période de grande difficulté, de moyens insuffisants, de subventions insuffisantes, etc.
Nos amies du Planning Familial
Elles ont pourtant organisé récemment à Paris des « états généraux » pour défendre l’avortement et la contraception. Ceux-ci ont rencontré un réel succès, peut-être parce qu’ils se sont déroulés à la Sorbonne, lieu sympathique et symbolique. Ils ont été soutenus par Véronique Neïertz, secrétaire d’Etat aux Droits des Femmes, qui ne fait pas, par ailleurs, ce qu’elle veut. Elle n’est pas arrivée, notamment, au remboursement intégral de la pilule, parce qu’elle n’en a pas le pouvoir. Or les pilules les plus modernes et les plus performantes ne sont plus remboursées. Elles sont en vente libre, autant dire qu’elles coûtent extrêmement cher. Ne sont remboursées que les pilules de la première et deuxième génération, les plus anciennes, les moins bien dosées.
Quant à la place faite aux femmes dans les partis politiques, I’alibi du moment est Edith Cresson, femme et Premier Ministre. Mais Edith Cresson a été en butte, parce qu’elle est femme, et quoiqu’on pense de sa politique, à une campagne d’insultes intolérable de la part de la droite, de l’UDF notamment.
Sur l’articulation entre droits de l’homme et droits des femmes, on nous a souvent agressées en les opposant. Ce qui nous permet de les articuler, c’est l’idée de la mixité. Pour moi, la mixité est une espèce de troisième temps historique.
On peut penser, en effet que pendant tout le XIXéme siècle – et peut-être jusqu’en 1945 quand les femmes françaises ont eu le droit de vote – les femmes ont revendiqué les mêmes droits que les hommes. Les « suffragettes », par exemple, ont exigé le droit de vote. C’était le premier temps.
Deuxième temps : le mouvement féministe de ma génération – celui des années 1970 – qui s’est développé aux Etats-Unis, était un
féminisme revendiquant des droits spécifiques pour les femmes : droits liés au corps, à la sexualité, à la vie privée, à la maîtrise du corps et de la fécondité. C’était un féminisme non mixte, et avec raison : c’était la seule manière de se retrouver entre soi, de faire prendre la parole à des femmes qui historiquement ne l’avaient pas. Ce féminisme a eu des pratiques trèsagressives, parfois très exclusives, mais c’était une nécessité. Il a remporté des victoires révolutionnaires, comme la législation concernant la pilule, I’avortement, I’accès à la vie professionnelle dont nous bénéficionsaujourd’hui. Il faut rendre hommage aux féministes de ces années-là.
Nous en sommes maintenant à ce troisième temps que j’appelle celui de la mixité. Celle-ci est née de la non mixité précédente. L’accès partiel des femmes au droit de vote, au droit de travailler et aux droits spécifiques a commencé à transformer l’image et l’usage que nous avons des droits en général, des droits de tous, de « l’homme », au sens d’ « être humain ». Nous sommes toujours dans une société patriarcale, le modèle masculin est encore le modèle dominant, le pouvoir – politique, par exemple – appartient encore aux hommes dans l’écrasante majorité des cas, mais ce modèle masculin, comme le modèle féminin, est en pleine reconstruction, et en grande difficulté.
Femmes, nous sommes obligées de nous battre sur tous les fronts, de faire des doubles journées, d’assumer souvent seules nos cellules monoparentales – puisqu’on ne dit plus « familles » – d’élever seules nos enfants. Difficulté aussi pour les hommes qui sont sommés, au minimum, de partager autrement les difficultés, les tâches domestiques et de reconsidérer intégralement leur modèle propre. Tout le  monde y a gagné en liberté, en responsabilité, mais peut-être qu’on ne sait plus très bien, aujourd’hui, que faire de cette liberté, ni
comment la vivre.
Mixité, qu’est-ce que cela veut dire ?
Le mot n’est plus guère utilisé qu’à propos de l’école. Mais c’est un concept que je voudrais voir développé autant que celui de laïcité.
Mixité veut dire commun, mélange de garçons et de filles à l’école, mais en même temps il implique qu’un tel mélange est égal. Le
rapport de domination des garçons sur les filles en est exclu. Cela permet de penser à la fois la différence sexuelle des femmes et leur
égalité, d’inscrire cette différence dans une perspective rigoureusement égalitaire, et donc d’inscrire le réel et le droit dans un même
mouvement, d’éliminer -au moins intellectuellement, dans un premier temps – toute possibilité d’un système de pouvoir.
Parce que tout ceci peut paraître trop abstrait, je donnerai un exemple, celui du commissariat de police ou arrivent, la nuit, des femmes
battues, qui ont décidé, au bout d’un certain nombre de mois ou d’années, de quitter le domicile conjugal, généralement avec leurs
enfants. Il est clair qu’il vaut mieux qu’elles soient accueillies par une femme: c’est plus facile pour parler. Fallait-il dès lors demander que
des femmes policiers soient présentes dans les commissariats pour recevoir les femmes battues ? Petit à petit nous nous sommes aperçues
que c’était une ânerie. Car on allait probablement se retrouver avec une catégorie de « sous policières » chargées de la santé, des droits
sociaux, des femmes… Alors que ce qu’il fallait demander, c’était la mixité des personnels de police : des femmes qui accompliraient
l’ensemble des travaux de la police, mais des hommes aussi, à condition qu’ils soient formés pour le faire : formation sociale, formation
morale. Cela représente un énorme progrès. C’est en train de se faire. Nous en avons discuté avec Pierre Joxe (ministre de l’Intérieur),
parce qu’au début ils avaient des critères de taille tellement élevés que peu de femmes pouvaient s’y conformer, et beaucoup étaient
exclues d’office.
A partir de là, les discussions sur les droits des femmes peuvent prendre des directions un peu différentes. Les droits des femmes, y
compris les plus spécifiques – comme la contraception – sont liés au droit en général, dans un rapport de dépendance et de progrès
réciproques. Le droit à la contraception est évidemment, et avant tout, une affaire de rapports homme / femme – sinon il n’y aurait même
pas besoin de contraception -, une affaire de liberté, de démocratie. Nous luttons donc contre le système de pouvoirs qui existe encore
aujourd’hui, contre l’inégalité qui est fondée sur la différence sexuelle – notion à laquelle nous sommes radicalement opposées -, car « le
droit à la différence » paraît conduire toujours à des résultats catastrophiques il vaut mieux repenser les droits de tous au moyen de la
mixité.
Notre travail à la Ligue des Droits de l’Homme
Voici maintenant quelques exemples concrets des problèmes que nous rencontrons dans notre travail à la Ligue. Nous avons fait certaines
propositions en matière d’emploi et de travail, d’accès des femmes à la vie politique. D’autres propositions concernent les femmes
étrangères, je veux dire étrangères à la Communauté européenne, dans la France d’aujourd’hui et dans l’Europe de demain. Ce problème
est extrêmement important et encore trop peu connu. Il y a aussi le problème de la violence entre les hommes et les femmes, et le
problème de la vie privée : avoir des enfants mais aussi des libertés et des droits.
– Sur l’emploi
Les emplois féminins augmentent mais en même temps se maintient, d’une façon aussi stable que désespérante, une réelle inégalité
professionnelle. Les femmes représentent aujourd’hui 44 % de la population active. On retrouve donc aujourd’hui le taux d’activité qui
était celui des femmes au moment de la première guerre mondiale, et qui avait subi entre-temps une régression effrayante. On continue,
du moins dans certains milieux, à demander aux femmes pourquoi elles travaillent. Question absurde. Alors qu’on sait que les familles
monoparentales sont de plus en plus nombreuses. Et que personne n’aurait l’idée de demander cela à un homme.
D’ou vient le maintien des inégalités ? Pas tellement des discriminations qui, certes, existent encore mais qui sont combattues par des lois.
Il vient plutôt du fait que les femmes n’ont pas la même formation et ne font pas les mêmes métiers que les hommes. A ce propos,
Véronique Neïertz est en train d’organiser une campagne pour promouvoir l’enseignement technique et les métiers de l’industrie à
l’intention des filles. Alors que celles-ci continuent massivement à faire les trente métiers, toujours les mêmes, qualifiés de féminins
(secrétariat, couture, coiffure, etc.) et se retrouvent évidemmentau chômage.
Les femmes sont exclues, bien entendu, des emplois les plus qualifiés, des secteurs les plus rémunérateurs. Elles sont très exposées aux
restructurations des secteurs secondaire (industriel) et tertiaire, et sont les premières victimes du chômage, en particulier du chômage de
longue durée. Leurs rémunérations sont inférieures d’un tiers, ou presque, à celles des hommes. Certes, elles ont les mêmes salaires que
les hommes quand elles font les mêmes métiers mais, en dehors de la fonction publique elles n’exercent pas souvent ces mêmes métiers.
Tout le problème est là.
On a même réinventé une inégalité professionnelle : le travail àtemps partiel qui est très majoritairement réservé aux femmes. Or, c’est un
travail inférieur, puisque le temps partiel implique des droits partiels, et pas de carrière. En réalité, on s’aperçoit que le temps réduit n’est
pas choisi par les femmes, il est imposé à l’embauche et quand il y a une promotion possible à temps complet ce ne sont pas elles qui en
bénéficient. Donc cette invention moderne restaure de façon efficace la division sexuelle du travail.
Les femmes sont, en Europe, les principales victimes des nouvelles formes de pauvreté qu’on voit se développer d’une part dans les
marges de l’emploi et d’autre part du côté des retraites. Le marché européen risque d’aggraver beaucoup ce type de problème.
– Les lieux d’action où combattre ces inégalités sont, bien sûr, I’école où doivent se transformer les habitudes des filles, leur orientation
professionnelle, ce qui implique la transformation des orientations des parents et des enseignants, lesquels doivent engager les filles à
choisir des carrières scientifiques et techniques.
– Un autre type d’action consisterait à étendre aux hommes certains droits réservés aux femmes ; limiter et contrôler strictement le
travail de nuit pour les hommes comme pour les femmes ; développer des congés paternels, pris réellement (comme en Suède), et pas
seulement sur le papier. Congés longs et entièrement rémunérés, lors de la naissance d’un enfant. Car la maternité, pour une femme, ne
dure que quelques semaines, quelques mois, alors que la parentalité, qui se fait à deux, dure toute la vie. Il faut que les parents partagent
cette responsabilité, car un enfant a besoin de son père autant que de sa mère.
– Pour que les parents puissent accomplir le travail domestique et familial, il faut des équipements sociaux et en particulier des crèches
(vieille revendication) qui coûtent cher et qui ne sont jamais assez nombreuses.
– Il faudrait aussi revoir une fiscalité qui pénalise le travail des femmes mariées et encourage les femmes àrester au foyer.
– Revoir enfin un système de protection sociale qui fait des femmes qui ne travaillent pas de simples ayant droits pour leur donner des
droits propres.
– Remplacer, comme le souhaite Yvette Roudy, toutes les politiques protectionnistes qui visent à protéger en effet les femmes qu’on
suppose être « fragiles » (ce qui n’est pas vrai: très résistantes, elles vivent en moyenne plus longtemps que les hommes), par des mesures
visant à promouvoir une réelle égalités des chances. Les mesures de rattrapage temporaires (formations spéciales pour les femmes ayant
arrêté de travailler) sont à développer parce qu’elles visent à éliminer une discrimination, une inégalité existantes.
– Au plan politique, les femmes ne sont toujours pas des citoyennes à part entière. Elles sont des citoyennes de droit, certes,
puisqu’elles votent et sont éligibles ; mais l’égalité de représentation reste à conquérir. Les chiffres de représentation des femmes dans les
syndicats, les partis politiques, à l’Assemblée nationale, au Sénat (3 %), en tant que maires, sont dérisoires, exception faite de quelques
femmes alibis. Qui fait les lois en matière de défense nucléaire ? En matière d’avortement ? Ce sont les hommes toujours, ce qui n’est tout
de même pas normal dans un cas comme dans l’autre. Les femmes portent leur part de responsabilité, ou plus exactement, elles n’ont pas
très envie de s’intégrer au système tel qu’il fonctionne, elles n’en veulent pas. Elles travaillent comme des folles toute la journée, alors
comment consacrer leurs soirées et leurs nuits à une vie militante. Peut-être sont-elles attachées à une autre forme de vie, à des valeurs
humanistes qu’elles veulent défendre face au système masculin de concurrence et de compétition, aussi difficile que cruel.
De sorte que les femmes sont finalement prêtes à se laisser convaincre qu’elles n’auraient pas le temps ni la compétence, qu’elles
n’arriveraient pas a trouver leur place dans un tel système. Hélène Luc, I’une des rares femmes sénatrices (et par ailleurs communiste),
nous a raconté que le jour où on lui a proposé cette fonction, sa première réaction avait été : « ce n’est pas possible, je n’y arriverai jamais ».
Réaction typiquement féminine, modeste et défaitiste, inculquée par l’environnement socioculturel, et très difficile à surmonter. Les
hommes ne diraient jamais une chose pareille, même si certains d’entre eux le pensent peut-être.
Dans ce domaine aussi, on pourrait imaginer des mesures, des stratégies de rattrapage, sans se faire d’illusion sur la rapidité des effets
espérés. L’école, lieu d’apprentissage de la citoyenneté, est toute désignée pour l’élaboration de ces stratégies. On peut aussi recourir aux
quotas dans les candidatures, même si ce n’est pas très enthousiasmant, à condition qu’on ne réserve pas aux femmes tous les postes de
fin de listes, qui sont perdus d’avance. Le principe du statut de l’élu, que nous réclamons depuis très longtemps, serait extrêmement utile
pour les mères de famille qui voudraient avoir des responsabilités au niveau local ou régional et ne voudraient pas perdre leur statut, leur
emploi.
A l’intérieur de la Ligue, nous avons élaboré une pratique réelle de la mixité. Une femme est présidente de la Ligue et ce pour la première
fois depuis l’affaire Dreyfus : c’est Madeleine Réberioux. Sur les quatre vice-présidents, deux sont des femmes. Les femmes sont présentes
à tous les niveaux de responsabilité et de réflexion. J’espère que cette situation idyllique va durer.
– Le problème suivant est celui des femmes étrangères. Les féministes réclament depuis très longtemps pour elles le droit d’asile lorsque
dans leur propre pays elles sont persécutées en raison de leur sexe. Ce que ne prévoit pas la Convention de Genève. On avu des Iraniennes
fuir leur pays parce qu’elles refusaient de porter le tchador, ou parce qu’elles avaient été emprisonnées, torturées. Elles peuvent parfois
obtenir l’asile politique, mais il serait tout de même normal que, suivant les résolutions 84 et 88 du Parlement Européen, le droit d’asile
tienne compte de ce type de persécution; et au minimum que les autorités publiques mettent au point des programmes d’accueil
spécifiques pour les femmes réfugiées, avec éducation, emploi et culture dans la langue de leur pays.
Pour les femmes immigrées en France aujourd’hui, la situation est extraordinairement compliquée. On l’a vu avec l’affaire du foulard. Ces
femmes reconnaissent volontiers que la société française leur offre des chances importantes de s’en sortir, notamment en allant à l’école ;
en même temps elles subissent ces discriminations sexistes ordinaires, que nous rencontrons toutes un jour ou l’autre sur notre chemin.
Mais en plus, elles subissent les discriminations d’un pays d’accueil qui leur refuse le droit de vote. Enfin elles subissent les discriminations
liées à leur famille d’origine (musulmane, notamment). Ces trois types de discriminations les excluent de la citoyenneté économique
également : elles ne peuvent pas travailler. C’est vrai du moins pour les mères ; pour les filles, la situation change lorsque les pères ne
réussissent pas àles marier de force ni àles réexpédier dans un des pays du Maghreb.
On a vu cette immigration se féminiseràla faveur du regroupement familial, puis se refermer maintenant aux femmes. A charge pour nous
de défendre ces jeunes Maghrébines ou Africaines en leur offrant une société ouverte, une école mixte et laïque où elle peuvent discuter
de tout et mener à bien leurs études. Ce qu’elles font, et mieux que les garçons. Qu’elles ne soient plus des travailleuses sans formation,
sans droits, clandestines dans certains cas ; enfin qu’elles ne soient plus seulement les ayant droits de leur père ou de leur frère.
Nous demandons que toutes les femmes étrangères – issues ou non de la Communauté européenne – aient les mêmes droits que les
citoyennes françaises , y compris le droit de séjour, un permis de travail et une protection sociale autonomes, de sorte que si le mari d’une
immigrée retourne chez lui, la quitte ou l’abandonne, elle ne se retrouve plus dans une situation ingérable et épouvantable, obligée,
souvent, de retourner dans un pays où elle ne vit plus depuis longtemps alors qu’elle a élevé des enfants en France. Ce sont là des
problèmes que rencontrent continuellement les immigrées.
– Evoquons, par ailleurs, le sexisme et la violence exercée par les hommes sur les femmes de la façon la plus brutale, celle qui atteint
la personne humaine dans ses droits les plus fondamentaux. C’est dans ce domaine que les mentalités et même le droit (code pénal) sont
en train d’évoluer de la manière la plus visible. Il y a deux ou trois ans, Michèle André (secrétaire d’Etat aux Droits des femmes)a mené une
campagne à la télévision sur ces violences, sur les femmes battues. Aujourd’hui, on parle beaucoup du harcèlement sexuel et on lance à
propos chiffres absolument effarants.
Tout un travail est fait sur la violence, sur les incestes que subissent des enfants, pas seulement les petites filles, mais des petites filles en
majorité. Dès que les femmes se sentent autorisées à parler de ces choses à l’écoutant(e) d’une permanence téléphonique, on entend des
récits tout à fait bouleversants. Heureusement, nous vivons à une époque ou les gens renoncent au principe de non-ingérence dans les
affaires d’autrui. Les voisins ne se bouchent plus les oreilles quand il se passe quelque chose de l’autre côté de l’escalier. Ils cessent aussi
d’être incrédules, alors qu’ils l’ont été pendant longtemps. Dans ce domaine, la télévision, les médias, jouent un rôle extrêmement
important, fort. On est habitué à les voir valoriser la violence. Mais ce sont eux qui pourraient probablement le mieux la combattre. C’est là
un devoir pour le service public.
Il faut aider les associations qui s’occupent d’accueillir et d’aider les victimes de ces violences, former spécialement des personnels
médicaux, de police, de justice, des personnels sociaux, modifier le code pénal, ce qui est en train de se faire sous la pression de certaines
associations. Il faut inscrire dans la loi l’interdiction des violences sexuelles et conjugales, ainsi que le harcèlement sexuel.
Inscrire aussi notre condamnation radicale des mutilations sexuelles (excisions…) infligées à de petites Africaines, et qui sont parfois
considérées avec une indulgence effarante par des intellectuel(le)s qui prétendent les « comprendre » au nom de la différence entre les
cultures. Nous condamnons ces mutilations comme des atteintes inadmissibles aux droits de la personne humaine, des violences
criminelles. Nous souhaitons que soient mises en œuvre de vastes campagnes sur l’interdiction légale, rigoureuse, de ces pratiques en
France. Ces campagnes peuvent être menées par la télévision qui existe même dans les foyers les plus démunis, et qui peut donc toucher
toutes les communautés concernées. Il faut souligner les dangers très graves que ces pratiques entraînent pour la santé des fillettes sans
pour autant médicaliser le problème. Car cela reviendrait à autoriser ces mutilations si elles étaient pratiquées par des médecins.
– Dernier point la dépénalisation de l’avortement. Sans revenir sur les acquis en matière de contraception, d’espacement des
naissances, d’lVG, soulignons notre opposition absolue àtoute remise en cause de ces droits. Nous aimerions aller plus loin, et améliorer la
législation sur l’IVG. L’article 377 du code pénal, qui assimile l’avortement à un délit n’a jamais été abrogé, sauf dans les conditions
restrictives énonces par la loi. Un autre article, du code de la santé publique, pénalise toute information (même légale) sur l’IVG. Ce qui
explique qu’un certain nombre de procès faits récemmentau Planning familial qui avait donné des adresses…
Dans cette législation, qui a d’excellents côtés, une contradiction effarante subsiste qui consiste d’une part à reconnaître un droit, et d’autre
part àconsidérer comme un délit l’exercice de ce droit, ou l’information qui s’y rapporte. C’est pourquoi nous demandons la dépénalisation
de l’avortement. Nous demandons également la modification du délai légal pour l’IVG, car ce délai de dix semaines est le plus court
d’Europe. Et d’autre part l’élargissement du bénéfice de la loi Veil aux mineures sans autorisation parentale, et aux étrangères même en
situation irrégulière.
Un mot sur les nouvelles techniques de reproduction qui touchent à la bioéthique. Nous vivons maintenant dans un monde ou les femmes
se paient le luxe de prendre la pilule pour ne pas avoir d’enfants, et ont droit à un autre type de traitement médical pour en avoir en dépit
d’une stérilité. Ce n’est pas une contradiction mais une double liberté de choix, un progrès très important. A condition qu’on ne traite pas
le corps des femmes comme un instrument en autorisant des pratiques comme celles des mères porteuses, qui font commerce de leur
ventre.
Qu’on n’en fasse pas tout un battage médiatique, qu’on ne développe pas une espèce de vedettariat des équipes médicales qui
prétendent à des résultats très supérieurs à la réalité. On informe mal les gens sur le pourcentage réel de réussites dans ce domaine. Grâce
aux nouvelles techniques, on arrive en effet à 5 ou 10 % de naissances à terme d’enfants bien portants, par rapport au nombre de
tentatives. Dans des conditions très éprouvantes. Avoir un enfant est un parcours du combattant. En cas d’échec, on observe chez les
couples beaucoup de déceptions et des dommages psychologiques parfois dramatiques. En outre, ces techniques sont horriblement
chères. Il faut gérer ces choses-là de façon plus prudente et délicate, ne pas faire rêver les gens pour les conduire ensuite à des situations de
détresse. Il me paraîtrait plus raisonnable de réorienter la recherche médicale vers la lutte contre la stérilité (recherche aujourd’hui
abandonnée) et de réfléchir àla législation sur l’adoption, àl’allégement de certaines procédures de contrôle.
Le débat
Une avocate : Les droits des femmes n’intéressent plus les femmes parce qu’elles n’ont pas vécu le féminisme de la deuxième période,
qui était tournée vers une revendication de type intimiste. J’apprends aujourd’hui que la contraception, chose que je croyais acquise, est
remise en cause par certains… D’autre part, une femme de 57 ans, vendeuse aux Galeries Lafayette à Marseille depuis 14 ans, a du
démissionner parce que l’un de ses enfants a volé pour 63 francs de jouets dans ce magasin. Dans le rapport de la direction, il y a écrit:
« cette femme, consciente de ses devoirs de mère, a du présenter sa démission ». Je ne pense pas que ce genre de chose arriverait à un
homme.
Un intervenant : Je ne suis pas convaincu que 1 + 1 = 2. Un homme plus une femme, c’est-à-dire un couple, çafait plus de 2.
Nicole Savy : C’est un point de vue structuraliste. Tu veux dire qu’une relation de couple entre un homme et une femme, ça fait une
structure, une relation entre les deux. Ca change tout. De même, dans un commissariat où il y a des femmes policières, I’atmosphère n’est
pas la même. Non pas parce que les femmes seraient meilleures que les hommes – on sait très bien que ce n’est pas vrai – mais parce que
le fait même de la mixité modifie la totalité des rapports sociaux. Ce n’est pas le paradis pour autant ! Mais on l’a vu aussi dans les écoles :
grâce àla mixité, les rapports enseignants / enseignés, ceux des élèves entre eux se sont transformés, dans un sens positif.
Un autre intervenant : Pourquoi dites-vous « les droits de l’homme » et « les droits des femmes » ?
Nicole Savy : Les droits de l’homme sont une invention de la Révolution française. C’est une représentation abstraite et générale,
philosophique, politique. Pour moi, par contre, « la » femme n’existe pas, pas plus que l’homme au singulier. La réalité, ce sont « les »
femmes qui existent dans leur diversité. Il n’y a aucune homogénéité entre les femmes, même au pluriel. Par contre, il peut y avoir des
solidarités entre garçons et filles. Par exemple, une petite beurette de banlieue se sentira plus solidaire de son voisin de classe ou de palier,
que de Christine Ockrent qui gagne des sommes fabuleuses.
Pour moi le féminisme est politique. Il y a un féminisme de droite qui défend l’idée d’une solidarité entre les femmes, qui serait « transpolitique ».
Moi, je crois plutôt à un féminisme de gauche qui tient compte des diversités sociales, politiques entre les gens, entre les
femmes. Donc je mets les femmes au pluriel, à plusieurs pluriels même.
L’intervenant : La femme est forcement inégale à I’homme puisqu’elle a plus de charges que lui (dont celui de mettre les enfants au
monde, de les élever) en plus de son travail professionnel.
Une intervenante : Mais ces charges multiples sont un privilège. Vous dites que les femmes ne sont pas mieux que les hommes. Moi je
dis que dans des situations de précarité, les femmes sont bien plus résistantes.
Nicole Savy : Je suis trop jeune pour avoir connu les Algériennes qui portent aujourd’hui à la fois le voile et leur médaille d’anciennes
combattantes. Mais j’ai été invitée par des femmes de l’OLP dans des camps de réfugiés situés dans les territoires occupés par Israël. J’ai
rencontré quantité de femmes membres d’associations, et c’était extraordinaire. Il n’y avait pratiquement plus que des femmes, puisque
les hommes étaient en prison ou morts, ou déportés, ou handicapés. Je suis témoin du courage de ces femmes, et notamment des grandsmères,
qui descendaient dans la rue et jetaient des pierres. Oui, elles sont capables de déployer des forces inouïes quand il le faut… Mais il
ne s’agit pas de faire un palmarès où les femmes seraient en concurrence avec les hommes.
Une intervenante : Je ne suis pas d’accord avec la notion d’égalité. Les normes sociales attribuent des fonctions différentes aux uns et
aux autres. Dans les familles monoparentales, ce sont, de plus en plus, les femmes qui gardent leurs enfants seules. Elles sont donc moins
disponibles que les hommes pour faire autre chose.
Une autre intervenante : Les femmes qui font des carrières politiques, eh bien ! ce sont des hommes. En politique, il faut se livrer à la
compétition,àla concurrence. Je veux dire que ce ne sont pas des systèmes séduisants pour la plupart des femmes. Ce n’est pas ce qui leur
correspond.
Nicole Savy : Ceci me parait très dangereux. Je me demande alors qu’est-ce qu’une femme et qu’est-ce qu’un homme ? Faudrait-il être
une poupée Barbie pour faire de la politique ?
Une autre intervenante : L’égalité entre hommes et femmes n’existera dans les faits que lorsqu’elle existera dans les esprits, Ce qui est
loin d’être le cas, et on ne fait pas grand-chose pour que cela le soit.
Nicole Savy : L’une de vous a dit que les femmes ne devaient pas être les égales de l’homme mais qu’elles leur seraient
complémentaires. Je pense exactement le contraire. La notion de complémentarité suppose nécessairement que « b » soit relatif à « a ».
Voyez, dans le Larousse, la définition du mot biche: « la biche est la femelle du cerf ». Cherchez maintenant à cerf. Je vous garantie que
Larousse ne définit pas le cerf comme le mâle de la biche. Il y en a un (le cerf) qui détermine, et l’autre qui est relatif au premier.
Michel Anselme : Si on commence à fonder l’égalité sur le biologique, on est perdu. Au cœur de l’égalité, il y a l’égalité politique. Ce qui
est en jeu dans la manière de penser l’égalité, c’est la volonté politique d’y parvenir. La mixité dans les commissariats a changé les
comportements, ainsi que la manière de concevoir les relations entre les sexes. Mais sur le plan politique, je ne vois pas très bien ce qui
peut changer si des mesures d’ordre législatif ne sont pas prises. En effet, le propre du système politique est de se rendre peu attractif pour
les femmes. On ne peut favoriser l’accès des femmes aux fonctions politiques, on ne peut espérer qu’elles joueront le rôle de contrôleur
social, qu’elles parviendront à modifier les comportements des politiques, si les quelques femmes qui entrent dans la vie politique sont
obligées de passer par les codes dominants de la pensée masculine. Au sein de notre section marseillaise de la Ligue des droits de
l’homme, il y a des femmes, beaucoup, quoiqu’elles ne soient pas majoritaires, mais il n’y en a aucune qui ait des responsabilités. On ne
leur interdit pas de prendre des responsabilités, pourtant. Ma solution serait de leur proposer quatre postes et de leur dire: « si vous ne les
prenez pas, ils resteront vacants. Parce qu’il faut que vous preniez vos responsabilités ». Mais pour ce qui est des partis politiques, si l’on
attend que le contrôle social soit exercé par des systèmes complètement verrouillés, je ne vois pas comment la situation de la
représentation féminine pourrait changer.
Une intervenante : Il n’y a rien dans nos codes qui interdise l’incitation à la violence et à la haine en raison du sexe, alors que c’est
interdit si c’est en raison de la race ou de la religion. C’est dans le domaine politique que l’inégalité des femmes est la plus flagrante. A
Marseille, je lis dans le Provençal un article qui commence par ces mots: « La situation est très grave. Le maire de Marseille et le président
du Conseil général se sont réunis autour d’une table ronde avec une dizaine de personnes…  » Pourquoi des « personnes » ? En effet quand
on regarde les noms de ces personnes, on s’aperçoit que ce sont toutes des hommes. Donc au niveau où se situent les vrais enjeux, il n’y a
pas de femmes. Avec un groupe de femmes, je suis en train de proposer une liste de conseillers municipaux où les femmes sont
majoritaires.
Michel Anselme : Geste symbolique,
Une autre intervenante : Concernant les prochaines élections, il y a 55 % d’électrices inscrites à Marseille. La mixité a eu des résultats
très positifs dans les écoles, mais les sociologues Baudelot et Establet viennent de montrer qu’à l’école comme à la section marseillaise de
la Ligue, les femmes n’osent pas aller plus loin. Parce qu’elles manquent de modèles, de femmes qui ont montré la voie. A cet égard le
choix d’un Premier Ministre femme a été une bonne chose, même si elle a pris des coups. La malheureuse Huguette Bouchardeau, quand
elle s’est présentée à l’Assemblée nationale, a reçu en pleine figure des insultes qu’on n’oserait pas lancer à un homme (et qui émanaient
de la droite et de l’extrême droite en l’occurrence).
Dans les manuels scolaires d’histoire contemporaine on ne trouve pas d’information au sujet des femmes. Si ces manuels étaient bien faits,
on y apprendrait depuis quand la femme mariée a le droit de travailler sans demander d’autorisation à son mari. On ne trouve pas ces
informations parce que le pouvoir politique est masculin. Les recteurs d’académie sont des hommes et sont aussi des politiques. Quand
Yvette Roudy était au ministère, on était en train de refaire les manuels, et le bruit a couru parmi les inspecteurs d’académie qu’on
censurerait les manuels qui ne contiendraient pas une ou deux pages sur l’histoire des femmes. Un inspecteur m’a donc téléphoné un soir,
affolé, et c’est moi qui me suis tapée les pages en question. Il faudrait que l’histoire des femmes soit au programme des écoliers.
Nicole Savy : Et il faudrait des départements d’histoire féminine dans les universités, bien sûr.
L’intervenante : A l’Université d’Aix-Marseille il n’en est pas question….
Pourquoi est-ce que les hommes en France s’accrochent au pouvoir politique beaucoup plus qu’ailleurs ? Parce que le pouvoir politique
garde un caractère « sacré ». On a hérité de la conception jacobine qui date du début de la Révolution, selon laquelle le pouvoir politique est
d’essence masculine… Il faudrait pouvoir fait comprendre à nos concitoyens que le pouvoir politique n’est pas sacré ; qu’il est très sérieux;
mais que c’est avant tout une activité de service : être au service des autres. Si cette conception prévalait, je suis persuadée que beaucoup
de femmes se présenteraient sur les listes… Enfin, il faudrait tout de même que la Ligue fasse quelque chose pour que le Panthéon soit
enfin mixte : pourquoi la Patrie ne serait-elle reconnaissante qu’aux grands hommes ?
Un intervenant : Si les femmes françaises décidaient d’aller au Parlement, ce sont elles qui porteront les culottes, et nous les robes,
puisque ce sont elles qui feraient la loi… Autre question : si les femmes algériennes sont contre les intégristes, comment expliquer qu’ils
soient largement majoritaires aux élections
Nicole Savy : Si par miracle les femmes étaient représentées au Parlement au prorata de leur importance numérique dans le corps
électoral français (53 %) vous n’auriez pas d’inquiétude a vous faire. Ce serait simplement un Parlement mixte qui prendrait des décisions
plus justes et plus équitables dans certains domaines… Quant aux Algériennes, elles ont réussi in extremis à empêcher que leur mari vote à
leur place par procuration. Mais pourquoi le peuple algérien, dont les femmes algériennes, a-t-il voté massivement pour une organisation
qui va contre ses intérêts ? Je ne suis pas en mesure de répondre.

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