François Delor, Ueeh 2002

UEEH Juillet 2002

LA   QUESTION     DE     L’INJURE

François Delor : Depuis son origine le mouvement homosexuel (gay et lesbien) s’inscrit entre l’affirmation fière de la différence, une discrétion respectable dans une visée d’intégration (et même d’assimilation), une provocation politique et le choix de la subversion ou souci d’inscrire dans les cadres institués une revendication d’innovations dans le domaine de l’érotique relationnelle ou, au contraire, une volonté de banaliser, de normaliser des conduites minoritaires. Posant ainsi les bases d’une identité communautaire.

Ce cycle d’ateliers s’occupera de la nature de l’injure, de l’acte injurieux, partant en cela de la célèbre phrase de Didier visibilité : « Au début il y eut l’injure« . L’injure, l’acte injurieux, en effet est un élément d’analyse qu’il convient d’explorer tant ses répercutions sur notre identité sont loin d’être négligeables. Cela comprend aussi bien la valeur de la métaphore comme forme d’injure (sachant que la métaphore est faite pour être entendu par une communauté) que la pulsion sadomasochiste qui en caractérise les fondements.

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Les fondamentaux de l’insulte

L’une des grandes caractéristiques de l’injure, c’est d’être un producteur de frontière. Ainsi, dire qu’untel est pédé c’est délimiter ce dernier dans un champ précis. Mais c’est aussi, et surtout, tracer une frontière, une limite entre lui et l’injurieur. Par exemple, dans le cas d’un élève insulté par un autre, les copains de classe sont pris à partis et doivent se positionner en disant si cela est vrai ou pas. L’insulte est donc une production sociale (et linguistique) qui oblige à prendre position, et qui de fait est une invitation à une catégorisation sociale (comme « espèce de con »), par la limite qu’elle institue autour de la personne injuriée. Dire de quelqu’un que c’est une espèce de con, c’est non seulement le caractériser mais aussi et surtout l’enfermer dans une catégorie précise.

Par ailleurs, autre grande caractéristique, l’injure (relevant du pulsionnel) génère est une violence et une jouissance érotique non exclusivement orale. Une pulsion qui souvent implique le sale. Le gros mot (sale) est souvent court, il agit comme une ponctuation linguistique (« il est noir », « c’est un sale nègre »). Il est d’autant plus court que présentant la saleté, il ne se mâche pas. Après tout, mâcher de la merde donne mauvaise haleine, il faut donc l’expulser, la cracher.

Dans tous les cas, il est impératif de condamner le comportement injurieux. C’est en ne réagissant pas, en disant qu’après tout cela n’est rien, que l’on fabrique les endormis qui accepteront toutes les insultes (et s’en feront, quelque part, les complices). L’injure collectivise, dans la mesure où le collectif n’exige pas une réponse immédiate, mais accueille dignement la honte de l’autre. Face à l’injure il ne faut pas répondre, en écho, par un catalogue d’injures autorisées. C’est pourquoi il ne convient pas de banaliser l’acte injurieux, l’injure, mais au contraire de la prendre en dérision, d’ironiser. Il est tout à fait possible, et même souhaitable de reprendre l’injure dans une optique créatrice et ironique. Par exemple, répondre à l’insulte « Sale pédé » ou « Enculé », répondre que oui on est sale, et pire encore (à en rougir de honte) qu’effectivement on fais la grosse limace pour se faire enculer, que si les gens savait comme cela est bon…… Répondre que si on est un enculé, l’injurieur est notre enculeur. Que l’injurieur voudrait nous nous rabaisser à terre, nous enculer, et par cette violence sadique qu’il souhaite nous infliger il montre à tous son désir profond de devenir un jour un enculé.

En d’autres termes, l’insulte, phénomène pulsionnel, relève d’un acte de jouissance guerrière. Derrière la catégorisation de l’autre (de l’insulté) vient sa stigmatisation tant l’insulte est ce qui réduit la victime à un objet, est ce qu’il faut donc expulser (comme la merde). Mais en évacuant l’injure, l’injurieur, comme sadique, en disant « enculé » à quelqu’un, jouit de se voir dans le rôle de l’enculé, alors qu’il se croit dans le rôle de l’enculeur. L’insulte s’exprime par métaphore, par symbolique. C’est pourquoi il convient, face à l’injure, non seulement de bien en comprendre la nature, les modes de fonctionnement, mais aussi (et surtout) d’y répondre en usant des mêmes armes, afin, notamment, de casser la distance instituée entre soi et l’insulteur.

En ce début de deuxième atelier, l’assemblée est en proie à une certaine agitation. Deux photos géantes décorent le grand amphithéâtre depuis le début de la semaine*. Deux photos représentant (en très grand format) chacune un sexe féminin, l’un fermé, l’autre ouvert. Mais depuis la veille, l’un d’eux est caché par un voile de tulle rose. Les femmes aussi peuvent montrer leur sexualité, même si certains hommes ne la supportent pas. Après tout, nombre de femmes sont dans l’obligation de supporter l’omniprésence phallique masculine. Mais en l’espèce le fait que cette photo de sexe féminin soit voilée a suscité quelques remous. Suite à cela, une bonne volonté masculine décroche le voile (c’est un acte politique de mettre le voile et de l’enlever). Et c’est précisément ce geste qui provoque cette agitation en ce début d’atelier. Cette initiative de dévoiler ce sexe est l’occasion d’entamer tout un débat, en écho au sujet d’hier, sur la dimension masculine de l’injure.

 

 

L’opposition homme/femme

 

Les vaches qui se piquent contre les fils barbelés ignorent que ce sont les hommes qui les ont posés, sinon elles se rebelleraient contre les hommes. Cette image, cet exemple montre que la force du pouvoir est de faire passer le barbelé pour une construction naturelle, pour quelque chose de normal, allant de soi. Et tant que nous dirons, que nous affirmerons que les différences sont quelque chose de normal, nous serons (et resterons) des vaches. C’est ainsi que nous pouvons affirmer que la question des différences (notamment entre hommes et femmes) dans la nature est instrumentalisée. Pourtant, concernant l’être humain il n’y a pas de référence à la nature qui se tienne, il n’y a pas de différences entre hommes et femmes autres que celles socialement construites. Différences construites pour, notamment, bénéficier aux hommes (la différence instituée entre les enfants et les adultes bénéficie aux adultes qui seuls sont considérés comme sujets de droit). La notion de frontières naturelles (autre différence socialement construite) est une construction abstraite qui ne repose sur rien d’avéré. Les frontières n’existent pas, la montagne qui sépare deux pays est un choix politique, ce n’est pas un fait naturel.

 

Cette référence à un quelconque ordre naturel est un instrument (de pouvoir) que l’on retrouve dans de très nombreuses situations. Notamment dans le domaine de l’injure qui (à travers sa capacité initiatrice) sépare ceux qui peuvent jouer de ceux qui ne peuvent pas jouer, et se faisant hiérarchise les catégories. La catégorie « homme », comme la catégorie « femme », est donc socialement définie en fonction d’une échelle hiérarchique basée sur des frontières qui en définissent non seulement la nature mais aussi les contours. C’est en particulier pour cette raison que les femmes habillées en homme ont toujours été condamnées comme des usurpatrices, alors qu’à l’inverse les hommes habillés en femmes font dans la dérision, dans l’humour. A la réserve près que s’ils le font « pour de vrai » ils sont considérés comme des traîtres. Dans ce cas de figure, l’homme ne se moque pas de la femme (bien que cela soit considéré comme ridicule), alors que la femme est accusée de se moquer de l’homme, de se moquer de l’ordre établi. Le travestissement (le vêtement miroir dérisoire), par nature, a une dimension politique car à travers la dérision des codes du genre féminin (et masculin), il ne se moque pas des femmes et/ou des hommes mais invente une fraternité différente où le vêtement serait définitivement transgenre. C’est un phénomène que l’on retrouve dans la masculinisation de l’injure, en ce sens si c’est une femme qui prononce un gros mot elle est qualifiée de grossière, alors que pour un homme c’est quelque chose de tout fait normal. C’est pourquoi lutter contre l’injure sexiste revient de fait à lutter contre cette différence sociale homme/femme artificiellement construite. Lutter contre l’injure, c’est dénoncer le primat phallique.

Le manque, le passif

Cette différence sexuelle entre les hommes et les femmes (entre mâles et femelles) s’est opérée autour de la notion de manque, de l’action et de la passivité. La culture, dans son ensemble, glorifie l’action et au contraire déconsidère la passivité, et attache au genre « homme » les vertus de force (de puissance) et au genre « femme » celle de soumission. L’expérience du manque de sexe externe érectile est vécut comme une honte. Et donc, tout le travail consiste à cultiver cette différence dans le plus grand nombre de champs possible, à entretenir le manque du coté de la femme et la compétition du coté de l’homme, à dire que les femmes sont manquantes alors que les hommes sont les « ayant », à dire que la femme (territoire labourable) est par nature passive. Par définition, la femme est le lieu du manque. A ce titre elle fait horreur. D’autant que les hommes vivent dans l’incertitude de perdre leur supériorité qui fait leur force. Après tout, un homme c’est tellement mal foutu, tellement fragile, tellement exposé aux coups (d’ailleurs, cette fragilité est anxiogène). Mais être un homme n’est qu’une illusion, et il n’y a rien de plus difficile que d’entretenir une illusion. L’homme étant le non-manquant, il ne doit surtout pas s’abandonner dans les territoires du manque. C’est à dire être passif, être celui qui apporte le manque dans le territoire masculin. Si l’homme prend la position passive, il fait ce que seule la femme a le droit de faire, et ce faisant trahi son genre, et par conséquent son rang social (sa fonction sociale). Ce qui est grave car contagieux. L’actif ensemence le manque. On dit toujours à l’enfant qu’il lui faut faire attention à son zizi, on ne lui parle pas de la beauté ou de l’attention qu’il doit à ses oreilles.

L’actif, par nature détenteur de la semence, ensemence le passif (qui, étant le manque, ne peut avoir la semence), et la femme (terre par nature labourable), territoire de l’absence. L’homme passif importe dans le territoire le manque qui n’existe pas normalement dans sa nature. C’est en ce sens que l’on peut affirmer qu’une politique de rétablissement du manque est un enjeu car il permettrait de rétablir un équilibre. S’il n’y pas rétablissement du manque, les rôles distribués sont bouleversés.

Les hommes ont mis en place un système qui vise à cacher le manque. Et la vraie justice serait que chacun reprenne sa part de manque. Etre un humain c’est un travail de justice, mais être un homme c’est se prendre au sérieux. Pourtant il est difficile pour un homme de croire qu’il est un homme, c’est une illusion. Le phallus est une déclinaison du pouvoir, c’est pourquoi l’injure renvoie souvent au passif (« enculé », « trou du cul », « con »…… ) contrairement à l’actif qui est toujours surestimé, valorisé. C’est ainsi que les femmes et les gays sont renvoyés au passif. Dire de quelqu’un qu’il est gay, c’est non seulement le catégoriser, mais le désigner comme tel et donc lui attribuer une valeur sociale, celle du passif. Toutes les classifications (les catégorisations) ont pour vocation à hiérarchiser de bas en haut, le bas de l’échelle étant (bien sûr) toujours dévalorisé. Après tout, chacun doit prendre sa part du manque ! L’injure répond à l’angoisse de la perte, à l’angoisse du manque.

 

Relation entre métaphore et injure

Il convient de s’interroger sur la relation entre injure et métaphore (la reine des figures de style) car l’injure détient la force de la métaphore, et ce faisant convainc en dehors de toute raison. L’injure par essence est une métaphore, une figure de style qui pervertit, qui invente le sens de la chose dite. Cependant il ne faut pas toujours tout prendre pour une injure, ainsi quand Ben Laden attaque l’Amérique, il n’y a pas injure de la part de Ben Laden mais une traduction phallique d’un conflit politique. Le 11 septembre est un crime de guerre (d’une guerre à la puissance des Etats-Unis) mais pas une injure. La traduction en terme d’injure permettait d’en faire quelque chose de phallique (terroriste). « Enculé » c’est la forme passive de la conjugaison.

Il y a une dimension politique des métaphores qui peut être mortifère ou « ressuscitante » (les mots d’esprit), Les mots d’esprit séparent ceux qui peuvent jouer de celles qui ne le peuvent pas. La métaphore ressuscitante peut seule s’opposer à la métaphore mortifiante. Ceci dit, on ne peut pas répondre à la métaphore injurieuse par la raison. Et toute la question est de savoir comment répondre à l’injure sans tomber dans l’injure, sans tomber dans le symétrique.

A l’injurié revient le droit d’user de la métaphore pour se défendre. Et ce d’autant plus qu’il porte en lui-même la responsabilité de l’injure, en ce sens qu’il se sent responsable de ce qu’il a fait pour mériter d’être injurié. Toute la force de l’injurié est donc dans la pertinence de sa réponse métaphorique qui casse la catégorisation dont il est l’objet, à travers la réponse ironique qui est le meilleur moyen, dans le cadre de la relation à l’autre, pour vider la force stigmatisante de l’insulte, en donnant une réponse à ce qui normalement n’en appelle pas.

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Si l’injurié est désigné comme faisant partie d’une classe sociale sans valeur, et si dans un effort de repositionnement social nous avons souvent l’habitude d’user de la dérision face aux oui (même si ce type de réponse ne convainc pas), il importe de prendre conscience de la dimension sadique (et masochiste) dans l’acte injurieux, tant cette dimension est importante.

La pulsion sadique et masochiste de l’injure

Le gros mot, l’injure est expulsée comme une merde mortifère. Pour autant, l’insulte n’est pas un feu d’artifice mais le résultat d’une pulsion sadomasochiste sourde, présente en continue dans l’intime de l’injurieur. Notamment à travers la limite qu’elle institue entre l’injurieur et l’injurié. L’injurieur réduit la personnalité de l’autre à la sexualisation et à l’excrément. C’est ainsi qu’avec l’insulte « enculé » l’injurieur met en place sa pulsion sadique. Bien que « l’enculeur » évacue le problème de la douleur. Après tout, il est toujours plus facile de faire aux autres qu’à soi-même. D’autant plus que l’expérience de la douleur est tentante, en ce sens qu’elle rappelle la maîtrise de l’autre. Le sadique choisit une victime, et la fait souffrir physiquement pour souffrir psychiquement. C’est une duplicité érotique, l’injurieur prend la place de « l’enculé » sans en supporter le coût, il mortifie l’autre. C’est ainsi que le dominateur jouit de cette duplicité érotique.

Il n’est pas inutile, ici, de rappeler la valorisation de l’actif (et donc de la dévalorisation de la passivité) dans notre société. Une société qui affirme que par définition l’homme y est toujours fort, beau et bon, quand la beauté de la femme est par nature éphémère. Une société qui place, de fait, la femme dans l’attente. Ainsi, exemple caractéristique, la publicité véhicule continuellement ce schéma actif/passif basé sur le manque féminin et l’action de l’homme. Pourtant il ne faut pas se penser comme sexué tout le temps puisque nous ne sommes pas que des être sexuels (d’ailleurs durant la journée nous avons des actions non sexuées). Alors que le sexe n’est pas une durée banale, l’injure re-sexualise l’injurieur et surtout la personne injuriée. De fait, l’injure est une re-sexualisation d’un état (« sale gouine », « sale pédé »). C’est ainsi que l’injurieur est sexualisé par l’insulte à travers l’évacuation une pulsion dont il ne veut pas reconnaître l’aspect sexuel qu’il fait porter par un autre. Ce faisant, l’injurieur est en position « d’enculeur verbal », ce qui exprime une pulsion sadique destinée à réduire l’autre à un objet. Ce qui amène à la question de la différence entre douleur psychique et douleur physique. Ceci dit, le sadique ne fait pas mal pour faire du mal, mais pour évacuer sa propre douleur. Pour ce faire il lui faut faire mal à celui qui ne résiste que mal au pouvoir qu’il a sur celui-ci. En cela nous pouvons parler de relation sadomaso, de complicité érotique puisque l’insulteur, de fait, se place à la place de l’enculé. C’est la définition même d’un acte érotique mortifère. D’où l’aspect politique de l’injure.

Conclusion

Nous vivons dans une société, dans une civilisation de la fierté ou de la honte Ceci nous invite à ne pas produire à notre tour des exclus, à ne pas faire de la fierté un impératif. Et ce d’autant plus que la honte n’est pas l’inverse de la fierté. Il ne faut pas que la fierté, le fait d’être fier, enferme dans la honte ceux qui ne manifestent pas de fierté. Cette question de honte et/ou de fierté est le centre du phénomène de l’insulte, de sa force stigmatisante, de sa force d’exclusion. Phénomène dont les homosexuels (notamment à travers l’insulte basique de « pédé ») sont particulièrement sujets. Car à travers leur inclinaison ils entrent en contradiction avec les dogmes de la société pour laquelle la famille est le centre de tout. Une famille où l’homme est l’homme (c’est à dire celui qui a le pouvoir, la

force, l’organe) et où la femme est la femme (celle qui n’a pas). Une société où chaque genre est clairement défini et ordonné (hiérarchisé). Hors de ces chemins balisés, les homosexuels sont donc stigmatisés, insultés par la majorité, puisque n’adhérant pas au mouvement général. Ce qui est étranger (différent) est forcément rejeté. On en revient à l’affirmation de Didier visibilité selon laquelle l’identité homosexuelle se construit à partir de l’injure. C’est pourquoi nous pourrions dire que la question de l’identité gay, de la fierté gay exige non seulement de s’interroger sur ce phénomène qui d’une certaine façon « construit » l’identité homosexuelle, mais aussi (et par contre coup) de faire attention à ne pas enfermer dans son placard le « honteux », celui qui n’affiche pas une identité près définie.

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Débat avec la salle

X : Quels sont les rapports entre Freud et l’homosexualité ?

François Delor : Alors qu’il pensait que le rapport sexuel entre homme et femme n’est pas naturel (quand pour Lacan il n’y a pas de rapport sexuel complémentaire), Freud fut confronté à de profonds troubles lors d’une cure (suivie par une lesbienne) sur la question de l’homosexualité féminine, en ce sens qu’il n’arrivait pas à sortir du cadre d’une sexualité de type phallique. Et c’est en ce sens qu’il lui semblait que le lesbianisme tenait de l’hystérie. Cependant, vis à vis de l’homosexualité masculine, la situation était quelque peu différente puisqu’il fut personnellement confronté à ses propres fantasmes et ses rapports homo-érotiques avec certains de ses patients (il a vécu de très fortes amitiés masculines). Ce qu’il l’a conduit à une réflexion plus poussée. De façon générale, son erreur fut de penser l’homosexualité comme un système de plaisir à répétition. Cependant, il ne voyait pas de problème à ce que quelqu’un soit homo si celui-ci avait suivi une thérapie, tant pour lui l’homosexualité est une perversion, un arrêt à un stade de l’évolution qui interdisait un rapport à l’autre. Quand il a pensé à la clinique de la névrose, il a créé une classification des homos. Pour autant Freud a évolué avec le concept de névrose, c’était un progressiste dans une période rétrograde. C’était plutôt l’Ecole Freudienne qui y voyait problème. De son côté, Lacan, intellectuel parisien narcissique (ce qui fait beaucoup), a beaucoup injurié, dévalorisé les homos, montrant en la matière un certain raffinement (notamment avec la survalorisation du Père).

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X : Quelle connivence existe t-il entre psychologues et anthropologues ?

François Delor : L’alliance entre psychanalystes et anthropologues se situe dans la volonté commune de définir et surtout de maintenir l’ordre moral par quelques raccourcis pseudo scientifiques. Comme l’idée de prescrire avant de décrire (ce qui n’est en rien une approche scientifique). C’est ainsi que, exemple caractéristique, le rappel continu à l’ordre symbolique des choses se retrouve continuellement dans les discours de certains (je pense en particulier à Pierre Legendre ou à Irène Théry). Au nom du respect à l’unité des choses, à l’immuabilité des choses (où les hommes sont des hommes et les femmes demeurent des femmes, chacun avec un rôle social défini, établi). Pourtant l’unité est une création intellectuelle, une chimère. C’est pourquoi contre les mainteneurs de l’ordre public, de l’ordre moral (ces fameux experts que nous avons longuement, trop longuement entendu lors du débat sur la PACS) il nous faut savoir être critiques. Par exemple montrer que Pierre Legendre (sous prétexte de ses études juridiques) établit une relation entre la loi exprimée par Lacan (juriste passionné de droit canon et de droit romain) et la loi sociale afin d’étayer sa propre vision des choses, estimant que le malaise de la société vient justement du manque d’ordre. Ou Irène Théry qui prescrit (notamment à propos de l’homoparentalité) un stricte respect de l’ordre symbolique. C’est ainsi que les gardiens de l’ordre établi s’occupent, de concert, de prescrire le respect des choses, s’occupent de prescrire en mettant de l’ordre. Sans s’occuper un instant d’entreprendre un véritable travail critique de cet ordre établi.

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