Désirs, affectivité, sexualité des jeunes dans les cités

Désirs, affectivité, sexualité des jeunes dans les cités – Adil JAZOULI15 mai 1993

Colloque du 15 mai 1993, Faculté de Sciences Economiques Puget (Marseille)
Animation Adil JAZOULI, sociologue. Association Mémoire des Sexualités
(en collaboration avec la Fédération des Centres sociaux des Bouches du Rhône)
Compte rendu : Christian de Leusse

Cette journée a été préparée par de nombreuses réunions de travail associant divers intervenants sociaux, en particulier des
animateurs sociaux et des éducateurs, mais aussi des sociologues. Des associations concernées par la prévention vis à vis du sida,
comme le GIRAST et AIDES Provence ont participé à la préparation. La Fédération des Centres Sociaux de Provence Alpes Cote
d’Azur, coorganisatrice, s’est associée à plusieurs étapes de la préparation.
• Le 11 décembre 1992, avec Jean-Emile Gaubier et Afida, du GIRAST.
• Le 21 janvier 1993, avec Jean Emile Gaubier, Malika Chafi, sociologue.
• Le 10 février 1993, avec Adil Jazouli, Robert Holzhauer, Kader Atia de la Fédération des Centres Sociaux, Catherine
Flament, sociologue, Jean-Emile Gaubier
• Le 24 février 1993, avec Yamina Bencheni, éducatrice et Zubida Meguenni, animatrice sociale
• Le 2 mars 1993, avec Robert Holzhauer et Jean le Guen, éducateur (ADDAP)
• Le 19 mars 1993, avec Jean le Guen, Zubida Megueni, J-E Gaubier et Florence Soulet
• Le 25 mars 1993, avec Adil Jazouli, Robert Holzhauer, Kader Attia, Catherine Flament et Zubida Megueni
• Le 26 mars 1993, une après-midi de travail a été organisée à la Maison des Familles et des Associations du 14ème arr., à
laquelle de nombreux travailleurs sociaux ont participé, autour de Catherine Flament, de J-E Gaubier, de Yamina
Bencheni et Zubida Megueni : Sylvie Hautcoeur, Martine Chiarappa, Catherine Nevoret et Marie-Josée Dros, entre
autres
• Le 28 avril 1993, avec Fathi Bouaroua de l’AMPIL (association concernée par le logement des jeunes) et Kader Atia
• Le 13 mai, ultime réunion de préparation, avec Catherine Flament, Robert Holzhauer, Jean-Emile Gaubier et Michèle
Benhaim, sociologue
C’est de l’ensemble de ces réunions qui furent très intéressantes, ainsi que de la journée du 15 mai 1993 que sont
collectées les notes suivantes. Il faut noter que cette journée avec Adil Jazouli, fait suite à un débat qui avait été organisé
avec lui, à l’auditorium du Musée d’Histoire de Marseille, le 5 mars 1992, sur le thème « Jeunes des banlieues, violences
et désirs ».
SIX THEMES peuvent être DEGAGES:
• La misère sexuelle des jeunes
• Les causes de cette misère
• Les démarches suivies pour en sortir
• Le désir d’en parler
• Les perspectives d’avenir
• Le problème posé par le sida
• Que faire pour ceux qui souhaitent aider les jeunes ?
Suivent ici les citations des intervenants qui se rapportent à ces différents thèmes, Les initiales renvoient quand c’est possible à l’auteur des propos :
(A.J) Adil Jazouli, (Y.B) Yamina Bencheni, (Z.M) Zubida Megueni (J-E.G) Jean-Emile Gaubier, (S.H) Sylvie Hautcoeur, (C.F) Catherine Flament,
(F.B) Fathi Bouaroua, (K.A) Kader Atia, (N.B) Michèle Benhaïm.
Entre REUNIONS et IDEESDésirs, affectivité, sexualité des jeunes dans les cités – Adil JAZOULI15 mai 1993
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La MISERE SEXUELLE des JEUNES
Les garçons
• Vraie misère sexuelle des garçons (A.J)
• Souffrance des garçons face aux barrières posées par les filles (Y.B)
• Violence des garçons face au désert affectif (Y.B)
• Clichés des garçons sur les filles (Y.B)
• Les mecs se referment sur eux-mêmes (Z.M)
• Les garçons collés à leurs cités (A.J)
• Effet castrateur de la réussite des filles sur les garçons (A.J)
• Difficulté pour le garçon de sortir de la meute pour aller chercher une fille (A.J)
• Prostitution des garçons (Z.M)
• Viol des mecs dans les cités (Z.M). Presque autant de viols de mecs que de filles (C.F)
• Problèmes posés par l’inceste et les violences à l’égard des enfants (Marie-Rose di Vita)
Les filles
• Les filles croient que les garçons sortent beaucoup (Z.M)
• Les filles disent beaucoup de mal des mecs (A.J)
• Viols non déclarés, nombreux rapports sexuels forcés à plusieurs (A.J)
• Jusqu’a 20 à 30 % de filles-mères dans certaines cités (A.J)
• Etat de santé « terrible » des filles qui viennent en PMI (proche de celui des prostituées) (A.J)
• Les permanences sociales reçoivent des femmes « massacrées » (S.H)
• Absence de contraceptifs liée au principe de la virginité avant le mariage (S.H)
• Les conditions du vécu sexuel amènent à l’intégrisme ou à la perversion pour ne pas devenir folle et pour garder la
virginité (Z.H)
• Les filles sont souvent mal conscientes de leur corps, utilisées comme des prostituées (Z.M)
• Les filles-mères sont le défouloir sexuel collectif du quartier, en témoigne le fait que certains quartiers sont parfois
« contaminés » par la même MST (A.J)
• Parfois on se partage entre garçons la même fille, avec le mépris (A.J)
• Demande de dialogue, de rencontre des filles avec les garçons.
• Les filles sont fragiles Les filles les plus malheureuses ne sont pas nécessairement arabes (Pas de spécificité maghrébine)
• Les frères protégent leurs sœurs
• L’avortement est un outil de contraception
• Une fille est homo, sa copine vit dans la famille, on fait comme si l’homosexualité n’existait pas.
• Le tabou hétéro semble dominer le tabou homo : l’interdit le plus fort est celui de la procréation
• Il est plus facile d’avoir un logement pour une fille avec enfant que pour un jeune sans enfant
Les deux sexes
• Perversion des relations garçons/filles, l’affectif mis de coté, seul compte l’acte sexuel (Z.M)
• Pas de sexualité à la maison, la sexualité se fait toujours ailleurs (locaux, caves) (F.B)
• Rapport de sodomie très important (J-E.G)
• Décalage énorme entre garçons et filles (A.D)
• Crise d’identité très forte chez les jeunes maghrébins: drogue, psychiatrisation, tentatives de suicide, prison, sida…. On
flirte avec la mort en permanence. Période de blocage des relations. La revendication d’autonomie des filles est perçue
comme une trahison d’une histoire commune (A.J)
• Les toxicomanes sont très isolés (A.J)
• Les jeunes expriment qu’ils ne peuvent pas s’en sortir tout seuls (A.J)
• Violence des rapports humains, affectifs et sexuels (A.D)
• Sexualité souvent de recours : fantasme, homosexualité, prostitution (J-E.G)
• L’alcool, la drogue sont des dérivatifs de l’homosexualité, même assumée (Z.M)Désirs, affectivité, sexualité des jeunes dans les cités – Adil JAZOULI15 mai 1993
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Les CAUSES de cette MISERE
Les garçons
• Problème du racisme dans les boites de nuit (Z.H)
• Racisme, le look « quartiers nord » ne plait pas (Z.M)
• Affrontement de l’image des garçons chez les filles, on ne danse pas avec eux en boite (Y.B)
• La dévalorisation de l’homme (homme au travail, homme politique, statut du père…) explique la souffrance des mecs (C.F)
• Les fils n’ont pas d’espace dans l’appartement familial
Les filles
• Les filles dont le père est absent, sans frère, sont beaucoup plus fragiles (A.D)
• Décalage entre culture et tradition, attachement aux traditions (S.H)
• Les filles pourraient respirer, si elles pouvaient trouver plus facilement un logement (F.B)
• Les filles ont davantage que les garçons leur espace, leur chambre dans l’appartement familial
Les deux sexes
• Le chômage ne permet pas une stabilité amoureuse. Limites importantes apportées au logement des jeunes dans le centre
ville. On n’apprend pas aux jeunes à être locataires. Sans famille, sans travail, il n’est pas au normes, or avec l’APL et les
fonds de garantie, ça ne devrait pas être un problème (F B.)
• 25 % des logements sont surpeuplés à la Duchère (Lyon) (F.B)
• Idem sur la Castellane (Marseille) (K.A)
• Cohabitation forcée. Les logeurs renforcent le ghetto. On fait des tours par communauté (K.A)
• La sexualité n’est qu’une conséquence des conditions de vie (F.B)
• Les parents nous ont empêché de voir du sexe (par exemple à la télé), même un baiser (F.B)
• Les rapports avec la sexualité ne sont pas clairs, tout ce gui est sexuel est malsain (F.B)
• Les gens seuls ou en couple sans enfants sont à 70 % des rmistes
• Liens étroits entre l’emploi et la question des relations entre les gens, ce n’est pas l’un avant l’autre, mais le mélange est
paroxystique. Dialectique entre les deux
• Les conditions violentes de vie entraînent davantage de difficultés affectives
• Le chômage n’est pas toujours signe de malheur (A.J)
• Manque de lieux de rencontres. Manque de logement pour les individus. Les logeurs n’aiment pas loger des jeunes
(garantie, stabilité)
• Il y avait des fêtes, il y en a beaucoup moins. Difficulté de faire venir des amis à la maison
• Dans le milieu prolétaire, l’homo est tabou, « malade »
• Plus de locaux prêtés pour les fêtes
• Refus de ce qui est différent, ostracisme à tous les niveaux.
• Rapports énormes entre les problèmes socio-urbains et les problèmes personnels des jeunes
• Manque de modèles amoureux. Côté invisible des relations affectives dans les quartiers. Pas d’amoureux dans les quartiers
(A.J)
• Pas de relations directes entre la misère affective sexuelle et les émeutes urbaines, mais cependant dimension psychoaffective
de ces événements (A.J)
• Absence de locaux de jeunes, comment l’amour peut-il s’exprimer dans des locaux minables (K.A)
• L’échec scolaire, le manque de formation, le chômage entraîne des difficultés accrues, écart fort entre désir et vécu
affectif. Le grand nombre de jeunes sans travail crée un ghetto affectif (Z.M)
• Concentration de beaucoup de monde dans les appartements (la polygamie des comoriens) (S.H)
• La relation de la mère avec le père joue beaucoup. On reproduit les schémas familiaux (Z.M)
• Image faussée de chaque sexe pour l’autre sexe, les relations garçons / filles sont très compliquées. Par exemple, on se
« dévoile » en boite et cela complique les relations (Y.B)Désirs, affectivité, sexualité des jeunes dans les cités – Adil JAZOULI15 mai 1993
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Les DEMARCHES suivies pour « EN SORTIR »
Les garçons
• Le garçon sans emploi a une issue : être marié par les parents (Z.H)
• Les mères veulent que leur fils se marient avec quelqu’un « d’origine » : « là-bas, elles sont propres » (A.J)
• Choisir une fille d’origine française est aussi une issue, l’image de la femme est moins abîmée et puis c’est une étrangère
(A.J)
Les filles
• Les filles veulent vivre dehors. Les filles souhaitent davantage sortir du milieu d’appartenance (A.J)
• Les allocations familiales sont un moyen de sortir de la « merde » (A.J)
• Le mariage civil sans le mariage religieux est un moyen d’avoir les allocations familiales, pour les filles mères (Chiarappa)
• Les petites filles ont moins de hargne de s’en sortir que leurs aînées (A.J)
• Les filles qui ont bien réussi veulent aller voir ailleurs (A.J)
• Beaucoup de filles se marient avec des garçons de là-bas
• Faire un enfant pour avoir un statut social, et pas seulement des allocations (A.J)
• Les filles sont mieux préparées à la naissance de la personne (A.J)
Les deux sexes
• Réussir scolairement pour sortir du ghetto, du désert affectif (lycée, etc.: moyen de s’assumer)
• Le travail est un moyen pour rencontrer des gens, échanger, faire des rencontres amoureuses, à l’inverse l’absence de
travail est souvent l’absence d’affection (craquer s’exprime alors par la psychiatrie, la folie ou l’enfermement chez soi)
(Z.M)
• Souffrances réelles non exprimées, l’agressivité, la maladie psy, la drogue sont des conséquences des difficultés vécues
• Sortir du quartier : garçons et filles du quartier ne sortent pas ensemble car les proches se moquent
• La relation ne devient visible que si ça devient durable (A.J)
LE DESIR d’en PARLER
Les garçons
• Les mecs ont besoin de parler, mais ils ont peur que les filles les « embrouillent »
• En groupe, souvent les mecs parlent, les filles ne disent rien et s’en vont (J-E.G)
Les filles
• Les filles parlent plus facilement à quelqu’un qui vient de l’extérieur (A.J)
• Décalage entre discours public et discours confidentiel (Y.B)
• Double discours sur la sexualité (C.F)
• Les filles demandent une médiation
Les deux sexes
• Préoccupation des jeunes de parler de leur sexualité. En même temps le silence sur la vie sexuelle est un symptôme,
problème du lien entre la sexualité et le reste (M.B)
• Le corps est l’expression ultime du silence (impuissance, conduite de destruction) (H.B)
• Les jeunes ne parlent même plus d’eux-mêmesDésirs, affectivité, sexualité des jeunes dans les cités – Adil JAZOULI15 mai 1993
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Les PERSPECTIVES D’AVENIR
Les filles
• Parcours un peu plus réussi des filles (par rapport aux garçons) (A.J)
• Chez les filles, il y a du désir possible, chez les garçons c’est plus dur (C.F)
• Pour les filles, le fait d’avoir un enfant permet d’exister (A.J)
Les deux sexes
• Comment construire un couple avec ce vécu ? (C.N)
• Les mises en couples sont aussi rapides que les séparations (Y.B)
• On croit construire son identité dans le couple, puis dans l’enfant, échapper ainsi au problème du logement ou de l’emploi,
mais le problème c’est qu’il y a absence de maturité et, déjà, le mariage (Y.B)
• Les couples mariés sont obligés de vivre chez leurs parents. La situation difficile en matière de logement est facteur de
promiscuité et de souffrance (Z.M)
• On se marie tardivement, à cause des problèmes de logement. Adolescents tardifs (F.B)
• Les couples vivent une relation sexuelle de procréation seulement, à cause de la promiscuité (F.B)
• Incestes, viols. Mariages loupés pour les adultes (F.B)
• Augmentation inquiétante d’enfants illégitimes non reconnus (A.J)
• Rôle de la mère qui contrôle les choses dans les sociétés méditerranéennes
Le PROBLEME du SIDA
Les deux sexes
• Tout le monde en entend parler mais c’est loin des préoccupations quotidiennes (Z.M)
• Pression infernale d’une maladie dont on sait qu’elle est partout et nulle part à la fois (A.J)
• Fatalisme (« mourir de cela ou d’autre chose ! ») suicidaire, prise de risque énorme, irrationnelle
• Les filles sont davantage présentes, elles sont un relais entre éducateurs et garçons
QUE FAIRE ?
Les deux sexes
• Faire que les jeunes s’approprient la communication sur le sida (A.J)
• Action des logeurs possibles, créer des lieux de rencontre, des locaux sociaux (K.A)
• Identifier les jeunes comme des citoyens comme les autres (F.B)
• Développer des types de logements pour les diverses catégories de la vie. Actuellement des vieux pour conserver leurs
droits habitent dans des logements pourris, à l’inverse des jeunes seraient prêts à vivre dans du collectif (F.B)
• Les jeunes ont à se construire affectivement, cela prend du temps (C.F)
• Que les gens se déplacent pour aller vers les jeunes (M.B)
• La sexualité est symptôme d’autre chose (M.B)
• Il y a besoin de mise en commun entre travailleurs sociaux. Le travail social n’est pas qu’action immédiate (A.J)
• Le chômage, on l’a pour 50 ans. Sortir de la logique infernale chômage = malheur (A.J)
• Manque de lieux de parole, de lieux de circulation du désir (drague)
• Entendre le silence. Absence de prévention militante sur le sida
• Il y a quand même de la séduction. La sexualité est un espace de liberté inviolable

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