Conférence de Gérard Koskovich Juillet 2019

Gérard Koskovich a fait une conférence de grande qualité sur Magnus Hirschfeld dans le cadre de l’Université de l’ARES (Association de recherche et d’étude sur la Shoah) à Marseille le  9 juillet 2019 dont voici un extrait.

Un pionnier du mouvement homosexuel en exil :

le destin du Dr Magnus Hirschfeld

 

Le 14 mai 1933 aurait dû être marqué d’une pierre blanche pour le Dr Magnus Hirschfeld : après plus de quatre décennies à œuvrer en qualité de médecin, de chercheur sur la sexualité et de pionnier dans la lutte pour la dignité des personnes homosexuelles et transgenres, il fêtait ce jour-là son 65e anniversaire. Mondialement connu pour son engagement à la fois scientifique et militant, Hirschfeld était récemment rentré en Europe après un long périple au cours duquel il avait donné des conférences et effectué des recherches en Amérique du Nord, en Asie, en Indonésie, en Inde et au Moyen-Orient. En outre, il venait juste de boucler le manuscrit de son dernier ouvrage, Le Tour du monde d’un sexologue (1933).

Au moment de la parution en 1932 du reportage de Voilà sur l’Institut pour la Science Sexuelle, Hirschfeld se trouvait déjà de retour en Europe. Cependant, la volatilité de la situation politique dans son pays natal l’incitait à rester hors d’Allemagne. Dix mois plus tard, Adolf Hitler était nommé chancelier du Reich. Le régime nazi ne tarda pas à faire de Hirschfeld, de ses travaux et de ses engagements une cible idéale pour ses actions de propagande symbolique mais également de violence physique. L’agression la plus spectaculaire fut la destruction de l’Institut pour la Science Sexuelle, saccagé le 6 mai 1933 par un groupe organisé d’étudiants membres de la SA. Selon un témoin, Hirschfeld lui-même était également visé par ces paramilitaires du parti nazi :

« Ils ont demandé à plusieurs reprises quand le Dr Hirschfeld serait de retour ; ils voulaient, comme ils l’ont exprimé, être tenus au courant du moment où il serait là. Même avant cette descente, des troupes de la SA avaient visité l’Institut à plusieurs reprises cherchant à voir le Dr Hirschfeld. Quand on leur a dit qu’il se trouvait à l’étranger à cause d’une attaque de paludisme, ils ont répondu, « Alors, espérons qu’il mourra sans notre assistance. Cela nous épargnerait l’effort de le pendre ou le battre à mort. »

 

Pendant son exil en France, Hirschfeld vécut d’abord à Paris avec son compagnon de longue date, Karl Giese, ainsi que son nouveau compagnon, Li Shiu Tong, un étudiant en médecine que Hirschfeld avait rencontré à Shanghai lors de son tour du monde. Dans l’introduction de L’Ame et l’amour (1935), le dernier de ses livres sortis de son vivant et le seul à n’avoir jamais été publié en Allemagne, Hirschfeld évoquait ce qu’il attendait de son exil :

« Et maintenant me voici en France……… Je viens chercher refuge dans ce pays dont les traditions grandioses et le charme présent m’ont déjà donné une apaisante harmonie intérieure. Je serais heureux et reconnaissant de pouvoir vivre encore quelques années de paix et de repos en France et à Paris, et plus heureux encore de reconnaître, par la diffusion des riches enseignements de ma carrière, l’hospitalité qui m’est accordée. »

Afin de pouvoir transmettre son savoir et son expérience, Hirschfeld entretint jusqu’à la fin l’espoir d’ouvrir en France un nouvel Institut pour la Science Sexuelle. Malheureusement, ce rêve ne se réalisa jamais : dans le contexte de la Grande Dépression économique du début des années 1930, les moyens financiers ne furent jamais au rendez-vous, et dans le contexte de la culture française de l’époque, le projet ne suscitait pas suffisamment d’intérêt. Sa santé se détériorant, Hirschfeld se retira sur la Côte d’Azur en novembre 1934. Le 14 mai 1935, l’après-midi même de son 67e anniversaire, dans son appartement donnant sur la Promenade des Anglais, à Nice, il rendit son dernier soupir. Sur sa pierre tombale dans le cimetière niçois de Caucade sont gravés les mots latins de la devise du Comité Scientifique et humanitaire : Per scientiam ad justitiam (Par le savoir vers la justice).