Années 20

Années 1920-1930 : l’hôtel du Saumon, bastringue pour hommes situé entre les Halles et la rue Réaumur, connait des heures de succès ; Marcel Proust (1871-1922) y venait chercher l’inspiration, Walter Benjamin (1892-1940) fuyant l’Allemagne nazi en 1935 lui consacrera un texte publié à titre posthume (Das Passagen werk), le poète américain Edouard Roditi (1910-1992) écrira un poème intitulé l’Hôtel du Saumon ; à l’Hôtel Marigny le patron Albert Le Cruziat organise pour Proust des séances de voyeurisme, il transpose certaines scènes dans le Temps retrouvé (7ème t. d’A la recherche du temps perdu), Le Cruziat (1881-1936) a commencé comme valet de pied du prince polonais Radziwill, en 1911 il a fait la connaissance de Marcel Proust chez le comte Orloff, il a inspiré à Proust le personnage de Jupien, en 1913 Proust l’a aidé à ouvrir un établissement de bains Les Bains Cruziat (11 rue Godot de Mauroy), puis il a ouvert l’Hôtel Marigny (11 rue de l’Arcade) en 1917 auquel Proust lui donne le nom deTemple de l’impudeur, sur dénonciation parlant de « noce immonde » l’hôtel a subi une descente de police en 1918 (le rapport de police mentionnait 3 noms de clients appréhendés à cette occasion ceux de Marcel Proust, et de 2 soldats Léon Pernet et André Brouillet)

Années 1920-1930 : le music hall est marqué par de très nombreux chanteurs et chanteuses homosexuels, lesbiennes et trans, en particulier le toulonnais Félix Mayol (1872-1941), (Gaston ) Gabaroche ( 1884-1961), (Maryse) Damia (Louise Marie Damien) (1889-1978), Georgius (Georges Auguste Charles Guibourg) (1891-1970), Jean Lumière (Jean Anezin) (1895-1979), la Palma (Marie Dalmazzo) (1896-1979), Yvonne George (1896-1930), Dora Stroeva (…), Suzy Solidor (1900- 1983), Charpini (Jean Emile Charpine) (1901-1987), Jean Tranchant (1904-1972), Réda Caire (1905-1963), Jean Sablon (1906-1994), Agnès Capri (Rose Friedman) (1907-1976), Charles Trenet (1913-2001)

-Félix Mayol a été surtout connu dans les années 1900-1910 (avec Les Bégonias en 1918 ou Je ressemble à Mayol en 1925)

-(Gaston) Gabaroche est engagé à la Lune Rousse, un grand nombre de ses chansons sont chantées par Félix Mayol, Suzanne Valroger, Dranem, Damia, ou Dalbret, en particulier pendant la Grande Guerre : Les Chichis de Guillaume, La Fiancée du soldat, Veillez sentinelles, Le Môme aux poilus, Lettre d’un poilu d’Argonnne ; Gabaroche lui-même chante  Les filles, c’est des garçons en 1927

-(Maryse) Damia (Louise Marie Damien) en 1908 elle se produit sur la scène de café-concerts tels que la Pépinière-Opéra, le Petit Casino et l’Alhambra, elle est adulée pendant l’entre deux guerres (La guinguette a fermé ses volets, 1934) et triomphe à Paris (Olympia, Pleyel) en 1949 et 1954, admirée par Cocteau et Robert Desnos

-Georgius se produit à la Gaité-Montparnasse en 1912, l’un des chansonniers les plus connus en 1923, il a tellement de succès qu’il produit une émeute à l’Alcazar à Marseille du fait du manque de places, très apprécié des surréalistes, il se produit avec Dora Stroeva et Marianne Oswald, plutôt anti-anglais il jouera à la Comédie-Française durant l’Occupation, ce qui lui sera reproché à la Libération où il sera interdit de scène, il jouera dans la Belle de Cadix, avec Luis Mariano, en 1946, et quittera la scène en 1951

-Jean Lumière est d’abord un acteur, puis il connait un énorme succès en 1934, puis à l’étranger après la guerre de 1940-1945, en 1960 il deviendra professeur de chant de Marcel Amont, Gloria Lasso, Cora Vaucaire et Mireille Mathieu

-la Palma est reconnue dans le Midi à partir de 1925, elle passe à l’Empire en 1930-1933, engagée contre l’occupation avec son mari Edouard Jalabert, directeur de l’Appollon, après guerre elle ouvrira un café à Marseille et se retirera peu à peu du spectacle ; elle chante en particulier Je te veux cette nuit à moi en 1933

-Yvonne George se produit à Bruxelles et à l’Olympia à Paris dans les années 1920 (Nous irons à Valparaiso, Toute une histoire, Good bye Farewell) ; Robert Desnos est amoureux d’elle ; elle possède un répertoire de 200 chansons

-Dora Stroeva très connue au Bœuf sur le toit pendant l’entre-deux guerres, obligée de se cacher pendant la guerre, elle interprète après guerre Le Chant des partisans russes et Tu sais…

-le marseillais Njelda artiste lyrique «  phénomène vocal », chanteur travesti, mort près de Banon en 1923 d’un accident de chasse

-Suzy Solidor (Suzanne Rocher du nom de celui qui l’a reconnue alors qu’elle avait 7 ans) figure emblématique des années 1930, garçonne des années 1930 célébrant les amours lesbiennes, elle rencontre en 1918 Yvonne de Bremond d’Ars avec laquelle elle reste 7 ans, puis a des liaisons avec Mme de Vaufreland, avec M. Panhard, avec Jean Mermoz en 1931; elle est liée à Max Jacob ; elle se produit à L’Européen, puis ouvre La Vie parisienne rue Sainte-Anne, cabaret chic et cher, lieu de rencontres homosexuelles où chante Charles Trenet, elle figure en 1936 dans le film La Garçonne adapté du roman de Victor Margueritte, elle est l’égérie des photographes et de peintres célèbres ; durant l’Occupation son établissement sera fréquenté par de nombreux officiers allemands, elle adaptera Lili Marleen, et sera traduite devant une commission d’épuration à la Libération, elle fondera en 1954 le cabaret Chez Suzy Solidor, et se retirera à Cagnes sur Mer en 1960, avec le cabaret Chez Suzy, puis un magasin d’antiquité, elle offrira une quarantaine de ses portraits à la ville où elle mourra en 1983 ; parmi ses succès Mon secret en 1938

-Charpini joue en duo avec Brancato, ils seront très connus dans les années 1940 (avec Je suis chanteur, je suis chanteuse et Idylle), il joue le rôle de la femme, Brancato joue le ténor, ils se produisent à l’ABC bd Poissonnière, au Liberty’s , place Blanche, à la Cloche d’Or, à la Pomponnette, 45 rue Lepic (cantine préférée de Michou), avec des parodies d’opéras et d’opérettes ; ils seront encore connus dans les années 1950 avec La parole et Nous voici réunis

-Jean Tranchant écrit des chansons pour Lucienne Boyer, Marianne Oswald, Marlène Dietrich et Lys Gauty, chante avec son épouse Nane Chollet, s’inscrit dans le renouveau apporté par Mireille, Pills et Tabet ou Jean Sablon

-Reda Caire (Youssef Gandhour, égyptien né au Caire, fils d’un Bey et d’une héritière de la noblesse belge) débute à Lyon, il enregistre en 1934 Je voudrais un petit bateau et Les Beaux dimanches de printemps qui le consacrent roi du music-hall aux côtés de Maurice Chevalier, et au dessus de lui ; il restera populaire jusque dans les années 1950, éblouissant Prince Danilo dans La Veuve joyeuse, créateur de Balalaïka avant guerre et de Destination inconnue au début de la guerre, il donnera un concert à Marseille en 1962, et mourra à Clermont-Ferrand en 1963, il jouera dans une demi-douzaine de films et dans 2 pièces de théâtre

-Jean Sablon sera surtout connu dans les années 1930, Clark Gable à la française, il fait équipe avec Mistinguett au Casino de Paris, il a de nombreuses chansons ambigues à succès (de Couchés dans le foin à Vous qui passez sans me voir), il fait une belle carrière aux USA où pendant la guerre il se mettra au service de la France libre ; il sera enterré aux côtés de son fidèle secrétaire et ami Carl Galm, avec lequel il chantait sur scène

– Agnès Capri ancienne élève de Dullin et de la Schola Cantorum, elle commence en 1936 au Bœuf sur le toit, attirée par les deux sexes, amie de Prévert, elle devient la coqueluche des homosexuels ; elle sera dénoncée comme autrichienne pendant l’Occupation, elle se produira pour les GI à Alger

– Charles Trenet (1913-2001), avec son extraordinaire répertoire

Années 1920-1930 : en Allemagne, Magnus Hirschfeld pratique les 1ères opérations de réassignation sexuelle avec Dorchen Richter, Carla von Crist, Toni Ebel ou Lili Elbe

1920-1933 :  en Allemagne, au cours de la République de Weimar, la couleur de la scène homosexuelle est le mauve, et celui des jeunes filles est bleue plutôt que rose

Années 1920 : selon les uns « début d’un âge d’or » pour les homosexuels français, période de « tolérance accrue » avec une explosion de la scène homosexuelle », selon d’autres si l’apparence est brillante, la réalité est plus sombre ; des quartiers nouveaux sont concernés, Montmartre, Pigalle, Montparnasse et la rue de la Lappe près de la Bastille dont les bals musette sont fréquentés pas des homosexuels en quête de jeunes ouvriers, ou encore les bals annuels de travestis du Mardi gras au Magic City ; des cabarets, des brasseries (comme le Graff), c’est le temps des garçonnes, de Louise Brooks et des gouapes, les grands cinémas (le Gaumont de la place Clichy, le grand Rex) deviennent lieux de rendez-vous, ainsi que les 4 000 vespasiennes de Paris ; la 1ère guerre mondiale a fonctionné comme un opérateur de dédramatisation de l’homosexualité, les militaires ont un grand succès, conjugué à l’absence de femmes et la promiscuité entre camarades

Années 1920 : Jean Weber (1906-1995) sociétaire à la Comédie-Française, deviendra un comédien célèbre des rôles de travestis dans les années 1930 ; il dira avec les Années folles, grâce à la « victoire » « nous étions encore vivants » ! Paris est la « capitale de la Russie blanche » où arrive aussi l’influence des Amériques, mais en même temps, selon lui, le regard sur l’homosexualité (« la chose ») est très négatif (drames dans les familles, peu de boites), cependant il y avait Graff et « ce climat de folie était dans ces prostitué(e)s de tous les âges et de tous les sexes qui venaient des faire offrir un verre par une princesse russe !», il y avait la Petite Chaumière, boite de travestis, rue Gabriel à Montmartre, où certain(e)s imitaient Cécile Sorel, Damia ou Marlène Dietrich, il y avait le Bœuf sur le Toît, où il a rencontré Cocteau, son « gourou », et « cet admirable entourage… de la haute homosexualité intellectuelle » , il constate deux sortes d’élégances masculines (soignée, perlée, raffinée et cambrée, corsetée) qui ne permettait pas de distinguer tellement « l’homosexuel efféminé » de « l’homme à femmes parfumé » ; il se souviendra du Magic City du Mardi gras avec ses 2 000 à 3 000 personnes, après quoi 4 000 personnes se retrouvaient chez Graff, cette brasserie de la place Blanche ; il se méfiait des bars, « minuscules endroits de truqueurs et des Jésus la Caille » ; il se souviendra du « numéro prodigieux » du funambule Barbette qui descendait l’escalier comme Mistinguett, il « faisait le grand écart de face sur un fil de fer », qui se mettait au trapèze volant, avec slip, soutien-gorge en strass et perruque blonde, l’ovation était énorme quand le public comprenait que c’était un homme qui avait une telle virtuosité ; il évoquera les grandes figures féminines qui prônaient une défense de l’homosexualité, Emilienne d’Alençon (qui allait au bar de Magic City), Liane de Pougy et « les lionnes du début du siècle » (les cocottes), il était très ami avec Cecile Sorel, il a vu Colette et noté quelques lieux lesbiens célèbres comme le salon de thé Smith’s, rue de Rivoli, ou celui du Mont Thabor ; il a lu Sodome et Gomorrhe en cachette, il tient Marcel Proust pour « un échotier un peu traître », il a vu des personnes qui « dépassaient Charlus en valeur et en originalité »

 Années 1920 : René Rédon né en 1900 a 18 ans quand il a un camarade au régiment en 1918 « j’ai été amoureux fou de lui » ; c’est l’époque où les flics arrêtent des types dans les pissotières, le principal « lieu » où il allait « il y avait énormément de tasses rue de la Chapelle… elles fonctionnaient de jour comme de nuit. Si vous saviez les gens que j’ai pu emmener chez moi ! » ou à celles du parc Monceau, il a rencontré aussi des garçons dans la rue et dans le métro, il est allé au bal masqué des Troglodytes dans une salle louée une fois par an par une association des Buttes-Chaumont, il a raté une occasion d’aller chez le poète, romancier, dramaturge Maurice Rostand (1891-1968) toujours « entouré de jeunes », il se souvient d’avoir été invité plusieurs fois à Montmorency par le grand musicien, membre de l’Académie des Beaux-Arts, Victor Gille (1884-1964) qui « habillé en évêque faisait toutes les tasses de Clichy »

Années 1920 : décrit par Mathieu Pénet, le music-hall développe le thème du travestissement et de l’androgynie ; depuis l’armistice Fortugé est la coqueluche des music-halls avec un tour de chant comique et loufoque, il mourra en 1923 en pleine gloire avec l’enregistrement très équivoque de Le p’tit rouquin du faubourg Saint-Martin ; en 1920 le fantaisiste Zibor enregistre Femme et z’homme de Gaston Gabaroche, qui fait l’inventaire des combinaisons possible dans les couples, la même année Maurice Chevalier, jeune fantaisiste, choisit d’enregistrer C’était une fille de Gaston Gabaroche aussi, histoire de mariage entre une garçonne et un travesti, il chantera en 1928 Si j’étais demoiselle sur des paroles de Albert Willemetz, « Moi si j’étais demoiselle, c’est fou ce que je serai vicieux » chanson que le jeune premier équivoque Adrien Lamy chantera de façon plus aérienne et moins caricaturale ; en 1923 le chanteur populaire Georgel lance Le garçonne, une chanson reprise peu après la La Régia un fantaisiste portant smoking « La garçonne se donne l’allure d’un garçon/ Elle croit, ça c’est certain/ Etre du sexe masculin la garçonne » ; la même année le chanteur Lyjo écrit la chanson grivoise Si j’étais fille, il l’enregistrera en 1928, et le comique troupier Gaston Ouvrard écrit la chanson Titi… Toto… et Patata croquis d’un trio de jeunes homosexuels et pleine effervescence du Paris des années folles, il l’enregistrera en 1935, en 1930 il chantera Tango casernal où les militaire dansent entre eux dans la chambrée ; en 1925 le comique Dream s’exclamera « Est-ce un homme, est-ce une femme ? » et en 1926 Gesky lancera le refrain du chansonnier Paul Clérouc qui décrit « Mon p’tit jeune homme de femme : Ma femme a l’air d’un p’tit jeune homme », deux autres chansons soulignent la mode vestimentaire pour les femmes, monocle et smoking, constituant l’uniforme des lesbiennes affichées « Elle a mis son smoking » et »Elle portait un smoking » ; en 1926 Dranem crée au Palace Je m’aime, une chanson de Gaston Gabaroche qui aborde l’efféminement sur un mode narcissique et Fournier interprête un refrain satirique de Georgius Si j’étais midinette, fantastique succès public ; en 1929 Dranem est la vedette à la Scala de Louis XIV composé par Pfhilippe Parès et Geaoges Van Parys qui évoque la personnalité de Monsieur, frère du roi, et conservera sa spécialité du chanteur idiot jusqu’à sa mort en 1925 ; ; en mars 1926 le théâtre Fémina affiche La prisonnière d’Edouard Bourdet qui aborde l’homosexualité d’une femme de manière dramatique et en avril 1926 la revue d’Albert Wilmetz Vive la République au théâtre Marugny présente un tableau Le Prisonnier parodie de La Prisonnière, version masculine ; en 1927 Gaston  Gabaroche, créateur de l’opérette Ketty Boxeur, au théâtre de la Potinière, chante avec Paul Asselin « Les filles c’est des garçons » ; la chanson réaliste des années 1910 et 1920 Ma Marloupette qui inverse les rôles de la prostituée et de son marlou sera interprétée pare Sandrey avec ses sous-entendus grivois au début des années 1930, il enregistrera La java des étourdis une caricature de la folle écrite en 1928 dédiée à Maurice Rostand ; les cabarets se multiplient avec leur subculture homosexuelle, la Petite Chaumière rue Berthe en 1922, tenue par Zigouigoui qui apostrophe les invités avec esprit et attire les étrangers en mal de sensation, le restaurant Chez Pamlyre fréquenté avant 1914 par les lesbiennes et devient en 1919 avec l’élégant Liberty’s Bar qui dirigé par le danseur Bob Giguet et le transformiste Jean d’Albret est surnommé Chez Bob et Jean, et l’animateur Bobette ; Jean Cocteau patronne le Bœuf sur le toit fondé en 1921 par Louis Moysès, rue Boissy d’Anglas, près de la madeleine, foyer de création artistique, bar dancing mondain qui changera plusieurs fois d’adresse et devient le tendez-vous des esthètes et des homosexuels élégants de Paris ; en 1925, rue de Penthièvre, le Bœuf sur le toit accueille certaines chanteuses ouvertement lesbiennes qui utilisent la vogue des garçonnes ; Yvonne George débute à l’Olympia en 1920, se produit à New York en 1922 et au Bœuf sur le toit  et Chez Fysher en 1924, sa véhémence, entre tragédie et comédie, mime et chanson, fascine les auteurs homosexuels comme Jean Cocteau et René Crevel, elle passe à l’Empire en 1925, elle est soutenue par Robert Desnos, mais fragilisée par la tuberculose elle disparaît en 1930 ; à partir de 1924 Dora Stroëva avec son veston masculin de velours noir  et sa grande écharpe rouge se produit Chez Fyscher ; le russe Gontcharoff a la voix efféminée et masculine chante l’amour de façon équivoque, il fréquente aussi le Bœuf sur le toit, il a du succès sur les scènes parisiennes et étrangères (Londres, New York, Roumanie, Suisse) ; Violette Morris figure lesbienne revendiquée crée quelques chansons entre 1926 et 1930

Années 1920 : Daniel Guérin (1904-1988)  découvre sa passion pour les jeunes ouvriers « hétérosexuels » (ou supposés tels) à Paris ; en 1919, il a 15 ans, il commençait à vivre ses premières aventures romantiques non consommées ; en 1969 dans son Autobiographie de jeunesse il racontera avec nostalgie l’une de ses 1ères rencontres au milieu des années 1920, alors qu’il a déjà 20 ans  :  » C’est ainsi que, poussé à bout, j’osai solliciter et j’obtins presque aussitôt les faveurs d’un jeune ouvrier. Robert avait d’admirables yeux couleur d’eau de mer, un teint fleuri, éclatant de santé. Nous louâmes ensemble, à la semaine, une petite chambre d’hôtel du côté de Barbès. Et c’est là que je connus, enfin, se qu’Anna de Noailles appelle le long plaisir sans remord… Jeune poulain enfin échappé de l’écurie, cavalant désormais sur ma lancée, je ne songeais qu’à multiplier, entasser, additionner, collectionner, compter sur les doigts les aventures de cette sorte… Mon propos n’était pas seulement d’ordre sentimental : il y entrait un appétit de transgression sociale. Je lançais un défi à ma classe. »

Années 1920 : le poète Max Jacob a 40 ans en 1920, il est comme bien d’autres tiraillé entre la loi morale et ses désirs, et il désire ses semblables autant qu’il se méfie d’eux ; il l’exprime à demi-mots dans sa correspondance, qu’analysera le doctorant Patrick Dubuis en 1994, s’afficher comme homosexuel ne va pas de soi ; il entretient une correspondance  suivie avec le jeune écrivain Louis Emié, en 1926 il lui parle de « ces joies qui ne laissent que l’impression d’avoir embrassé le vide », de l’absence d’entraide dans « le monde hermaphrodite » où les relations finissent « dans la haine », il redoute ceux qui les compromettent par une étiquette infamante » ; en 1928 il écrit à Jacques Maritain pour soutenir le roman de Jean Desbordes J’adore qui fait scandale, appelant à un « changement d’intelligence », il regrette que le roman de Jacques de Lacretelle La Bonifas traite du saphisme d’une façon imparfaite ; il n’emploie jamais le terme d’homosexualité si ce n’est de façon négative, le mot fait partie de la langue interdite, il dira n’avoir découvert le mot homosexuel qu’à l’âge de 50 ans, soit en 1930 ; Proust utilise un langage codé pour désigner les homosexuels (les salaïstes), Henry de Montherlant aussi, dans ses échanges avec Roger Peyrefitte il parlera de « bonapartismes » (non accueillants) et de « boulangismes » (accueillants), pour Max Jacob l’idée même d’homosexualité est trop odieuse pour qu’il l’évoque, mais il se montre dans l’incapacité de se taire complètement, d’autant qu’il craint qu’un jour ses lettres soient diffusées, il est tellement séduit par certains jeunes hommes qu’il ne peut le cacher, en 1926 il parle à Jean Cocteau de son « dévouement », de son « audace inouïe » face au « pouvoir séductionnel » de Robert Delle Donne, et en octobre 1925 il parle à Marcel Jouhandeau de Pierre-Michel Frankel pour lequel il n’a – « par zèle de le couver » ou par une amitié déréglée » – qu’un désir « être avec cet être énigmatique » ; ses lettres à Cocteau témoignent d’une solide affection dans laquelle l’intimité grandissante reste cantonnée dans certaines limites, il écrira que, eux qui ont en commun de jeunes et beaux garçons (Raymond Radiguet, Jean Desbordes, Marcel Khill, Jean Marais, Edouard Dermit) comme amis, « connaissent tous deux passions et désespoirs extrêmes », mais Max Jacob de veux parler que d’intentions esthétiques ; avec Jouhandeau qui a 8 ans de moins que lui il est moins chaleureux et sincère qu’avec Cocteau, mais peu à peu leur relation se fait intime en 1925, Jouhandeau est comme lui empêtrés dans les contradictions morales et religieuses, mais assume son homosexualité (dans Monsieur Godeau intime en 1926 puis dans ses écrits intimes en 1941 et en 1947) et parle à Max Jacob de ses amours contrariés avec le bisexuel André Jullien du Breuil,  puis ils se brouilleront en 1940 ; Max Jacob apprécie beaucoup le couple François de Gouy d’Arsy et Russell Greele , ils lui renvoient une image de l’homosexualité qui tranche avec le discours dominant, il ne se juge pas compromis par leur homosexualité affichée, d’ailleurs admise par la société parisienne, il est ami avec eux qu’il a connus en 1918 jusqu’à la mort de Gouy d’Arsy en 1941 ; dans ses lettres il exprime son amitié-amoureuse à Louis Emié, Nino Frank, Robert Delle Donne, Pierre Colle, Maurice Sachs, Philippe Lavastine, René Dulsou, Pierre Minet, Jean-Jaques Mezure, parfois avec passion, parfois de façon moins prononcée, pour l’essentiel il engage avec eux une relation socratique, il se voit volontiers en éraste, aîné expérimenté et protecteur guidant l’éromène qui ne demande qu’à être accompagné dans la vie, d’autant qu’il a une différence d’âge de 25 à 33 ans avec eux, mais s’il se voit en mentor c’est plutôt pour les mener sur la voie religieuse (il évoque les bienfaits d’une vie chrétienne comme le lui demandaient les parents de Pierre-Michel Frankel, et il tente de les ramener sur le droit chemin, de façon très « mauriacienne », afin de contrer de « mauvaises habitudes » comme avec Louis Emié qui lui manifeste trop d’affection et qu’il incite au mariage) ou littéraire

Années 1920 : Julien Green, romancier catholique, prend conscience à grand-peine de son homosexualité, dans son errance il finit par découvrir un monde de drague nocturne qu’il décrira dans son roman le Malfaiteur

Années 1920 : en Espagne, Federico Garcia Lorca (1898-1936) profondément tiraillé entre son succès comme auteur (sa pièce de théâtre Le Maléfice du papillon 1919-1920, son recueil de poèmes Romancero Gitano 1928) et son homosexualité qu’il cache à sa famille et à ses amis sombre dans la dépression ; ami de Luis Bunuel, Salvador Dali et Sanchez Mazas, directeur de théâtre en 1930, il écrit alors la trilogie rurale de Bodas de sangre Noces de sang »), Yerma et La casa de Bernarda Alba (La Maison de Bernarda Alba) ; il a une relation intense et passionnée non réciproque avec Salvador Dali ; au cours d’un long voyage aux Etats-Unis en 1929- 1930, il aura une aventure avec George Lowex ; il sera fusillé par les rebelles antirépublicains 19 août 1936 ; en 1953 ses œuvres seront censurées, ce ne sera qu’à la mort de Franco en 1975 qu’elle deviendront accessibles largement

Années 1920 : en Allemagne, Berlin ne s’est jamais autant amusée que dans ces années, la République donne naissance à une culture populaire un frémissement de tous les arts, la ville accède au rang de métropole du plaisir, des divertissements, se prend d’une passion pour la danse (évoquant ainsi la frénésie des sarabandes, cinq siècles plus tôt, pour les survivants de la peste noire) ; symbole de cette libéralisation des mœurs, l’homosexualité ne connaît plus la traque, dès 1919 la police allemande relâche l’étau, accordant même des laisser-passer aux travestis, pourtant le paragraphe 175 prussien adopté en 1871 condamnant l »homosexualité à la prison est toujours en vigueur ; Berlin abonde en lieux secrets réservés aux initiés, plus encore l’homosexualité s’exhibe dans des clubs et bars de nuit réservés aux hommes et aux femmes, l »Eldorado ou le Dorian Gray ; une vague de sexualité déferle dans la ville, on autorise des publications pornographiques, avec des revues sans ambiguïté (La femme sans homme, La demi-veuve), la littérature légère fait florès, l’Admiralplatz copie les Folies Bergères ; l’Eglise et la partis de droite protestent sans succès ; Berlin prend le pas sur Paris dans le divertissement populaire, si à Vienne et à Paris l’opérette à la Offenbach bat de l’aile, elle triomphe à Berlin, en 1927 puis en 1929 le Tsarevitch et Le Pays des sourires de Franz Lehar au Metropole Theater, avec le chanteur célèbre Richard Tauber, multiplie les engagements sur scène, et au cinéma Ich küsse Ihr Hand, Madame en 1929 est un grand succès avec Marlène Dietrich ; Marlène Dietrich,  le créateur du théâtre d’avant-garde Bertolt Brecht, le peintre communiste Georg Grosz, l’écrivain de la tolérance Paul Cohen-Portheim, le metteur en scène Fritz Lang, le peintre Otto Dix ou encore le docteur Mabuse (personnage littéraire diabolique créé par l’écrivain Norbert Jacques) sont les symboles de ces années-là, et la censure fait preuve de clémence avec les cuisses de Marlène dans l’Ange Bleu exhibées ; dans le domaine du cinéma l’UFA devient la première socité de production d’Europe, le Romanisches Café croise l’élite intellectuelle et la culture populaire ; la fête sera bientôt finie, Georg Grosz, Fritz Lang et d’autres se réfugieront aux USA ou ailleurs

Années 1920 :  la revue américaine Science du 3 octobre 2014 qui fera état des travaux de Nuno Faria remontant à l’origine de l’épidémie du sida, soulignera la place de Kinshasa (Léopoldville) à partir de ces années par le biais du chemin de fer, un homme contaminé par des chimpanzés au Cameroun qui a voyagé à Kinshasa, fait de cette ville le berceau de l’épidémie, l’industrie minière en fort développement joue un rôle majeur, conjugué à la prostitution et les traitements de MST avec du matériel non stérilisé, Brazzaville sera touché en 1937 ; la voix ferrée Léopoldville-Mbuji Maya-Lubumbashi transporte 300 000 personnes/an en 1922, elle transportera 1 million de personnes en 1948

Années 1920 : il y a à Paris quelques 170 maisons closes, à hétérosexuelles, aux Belles Poules est de celles-là, avec ses mosaïques, rideaux rouges et miroirs, au 32 rue Blondel, qui donne sur la rue Saint-Denis, elle double le nombre de ses chambres en 1925, parmi ceux qui le fréquentent il y a descendent Valéry Larbaud, Henry Miller et Anaïs Nin ; elle fermera en 1948

1920 : Marcel Proust écrit au critique littéraire Paul Souday (qui sera son biographe) : « Au moment où je vais publier Sodome et Gomorrhe, et où, parce que je parlerai de Sodome, personne n’aura le courage de prendre ma défense, d’avance vous frayez le chemin de tous les méchants, en me traitant de féminin. De féminin à efféminé, il n’y a qu’un pas. Ceux qui m’ont servi de témoins en duel vous diront si j’ai la mollesse des efféminés » ; l’année suivante, il écrit à un autre critique littéraire Jacques Boulenger : « Vous savez que j’ai fâché beaucoup d’homosexuels par mon dernier chapitre. J’en ai beaucoup de peine. Mais ce n’est pas ma faute si M. de Charlus est un vieux monsieur, je ne pouvais pas brusquement lui donner l’aspect d’un pâtre sicilien comme dans les gravures de Taormine » ou encore : « Les Guermantes femmes, fort vertueuses, font cercle autour de moi. Ou elles ne comprennent pas ce qu’elles lisent ; ou peut-être elles ont regardé autour d’elles et se disent que la proportion des gens atteints de vices honteux est un tout petit peu plus forte dans le monde que dans mes livres » ; au poète et critique Roger Allard, il écrit : « Pour ce qui est de l’inversion, ma formule serait : l’homosexualité est l’aspect illusoire, esthétique, théorique, sous lequel s’apparaît à elle-même, se plaît à considérer, l’inversion »

1920 : en Allemagneà Munich, agression contre les projections du 1er film pro-homosexuel Différent des autres

1920 : en Allemagne, sortie du film Lulu de Georg Wilhelm Pabst, Lulu, maîtresse du Dr Schön, un patron de presse, est dans son appartement avec Schigolch son vieux « père-souteneur », ils se rappellent l’ancien temps et Lulu esquisse quelques pas de danse, le Dr Schön entre et Schigolch a juste le temps de se cacher dans le balcon, le Dr annonce à Lulu qu’il va se marier avec une femme de son rang, en l’occurrence la fille d’un ministre, et qu’il ne peut plus avoir de relations avec elle ; elle lui rétorque que Si tu veux te libérer de moi tu devras me tuer ; Schigolch sort de sa cachette et Lulu le présente comme étant son père

1920 : en Allemagne, la célèbre travestie britannique Vesta Tilley (née Mathilda Alice Powles, 1864-1952) met fin à sa carrière d’acteur

1920 : en Allemagne, au cours de la république de Weimar, Hans Blüher (1888-1955) qui a écrit en 1912 Le Mouvement Wandervogel comme phénomène érotique : contribution à la compréhension de l’inversion sexuelle, puis  Le Rôle de l’érotique dans la société masculine en 1917 et 1919, jouit d’une immense popularité, il intéresse Thomas Mann, le poète Gottfried Benn ou encore Rainer Maria Rilke, il est en contact avec le philosophe Martin Ruber, l’anarchiste Gustav Landauer, le pacifiste homosexuel Kurt Hiller, ou encore avec Guillaume II, des nazis le commentent favorablement comme Alfred Rosenberg dans Le Mythe du XXè siècle en 1930

1920 : en Espagne, Federico Garcia Lorca (1899-1936) à 20 ans écrit ses tourments : « Je suis un pauvre garçon passionné et silencieux, qui presque, comme le merveilleux Verlaine, a en lui un lys pour ainsi dire impossible à arroser et offre aux yeux niais de ceux qui le regardent une rose très rouge avec une nuance sexuelle de pivoine d’avril, qui n’est pas la vérité de son cœur » (le lys est l’emblème d’Oscar Wilde, et la rose est le symbole de l’amour féminin, décodera Dominique Fernandez) ; il tombera amoureux d’amants fugitifs dont le plus illustre sera Salvador Dali, Luis Buñuel fera des réflexions abjectes et sa famille fera tout pour dissimuler ses mœurs ; il écrira notamment Noces de Sang, le Public, les Sonnets de l’amour obscur et le Poète à New-York

1920 : un article est ajouté au Code Pénal (article 317) qui considère l’avortement comme un crime ; implicitement la loi prohibe toute contraception (pilule, préservatif) et interdit même d’en parler

1920 : parution de L’Indiscipline des mœurs de Paul Bureau, avec les ligues de moralité (Ligue pour la Vie, Ligue de la régénération humaine créée en 1896, Ligue d’éducation morale, Ligue de la licence des rues, Ligue pour le relèvement de la morale publique) il s’inquiète de la banalisation des contraceptifs et des avorteuses ; la Ligue pour le relèvement de la morale publique a fait poursuivre pour obscénité le livre de Paul Bourget Un divorce en 1904, et fera poursuivre celui de Victor Margueritte La garçonne en 1922

1920 : parution de Notre-Dame de Lesbos de Charles Etienne, il parle du bal de la salle Wagram et de ses travestis et des bals musettes de la Montagne-Sainte-Geneviève et de la rue de Lappe, près de la place de la Bastille ; Alec Scouffi dans Au poisse d’or parle du plus riche des estaminets de la rue de Lappe, le Bousca

1920 : le prince Félix Youssoupov (1887-1967), membre de la famille impériale de Russie s’exile en France, il réside à Boulogne-sur-Seine, Sarcelles et à partir de 1940 dans le 16ème arr. à Paris, où il mourra en 1967 ; à la fois ancien amant et instigateur de l’assassinat de Raspoutine le 30 décembre 1916, il ne supportait pas l’ascendant que celui-ci avait sur le couple impérial, de plus Raspoutine avait menacé de révéler les relations intimes que Félix Youssoupov avaient eu avec le grand-duc Dimitri Pavlovitch ; il mènera un grand train de vie à Paris

1920 : en Allemagne, mort du sociologue Max Weber (1864-1920) fondateur de la sociologie moderne, il a placé l’érotisme dans sa réflexion comme source de « réenchantement du monde », nourrie du groupe de femmes qui l’a entouré, il a fréquenté la bohème munichoise du quartier de Schwabing, avant-garde 1900 du naturisme et de l’amour libre, il a appréhendé les relations entre les sexes sur un autre mode que celui de la division du travail

1920 : en Grande Bretagne, Marie Stopes (1880-1958) fait paraître Radiant Motherhood dans lequel elle appelle à la stérilisation des personnes inaptes à être parents, voire à leur stérilisation, elle se lance sur les routes en roulotte pour le contrôle des naissances en insistant sur le plaisir sexuel féminin dans ses livres et ses conférences

8 avril 1920 : mort du compositeur américain Charles Tomlinson Griffes (1884-1920), lorsqu’il fait ses études de piano à Berlin en 1903 l’un de ses camarades Konrad Woickle devient son amant, de retour aux USA il se consacre à la composition et devient professeur, il rencontre le policier Dan C. Marrin qui devient son compagnon ; sa Symphonie in Yellow est dédicacée à Oscar Wilde et des poèmes de Whitman sont les paroles de ses dernières compositions

31 juillet 1920 : vote en France de la loi contre l’avortement et la contraception (assimile la contraception à l’avortement), le crime d’avortement est passible de la cour d’assises, toute propagande et utilisation des moyens de la contraception sont interdits ; en 1923, l’importation d’articles anticonceptionnels sera prohibée et les jurys populaires se montrant trop favorables aux inculpé-e-s, l’avortement sera désormais jugé en correctionnelle ; c’est le point de départ de la « pénalisation pour l’éveil d’une sexologie scientifique en France » dira le sexologue Jacques Waynberg

 

1921 : André Gide relate dans son journal sa rencontre avec Proust qui lui dit « Vous pouvez tout raconter, mais à condition de ne jamais dire Je », Gide répond en son fort intérieur « Ceci ne fait pas mon affaire »

1921 : Louis Aragon (1897-1982), 24 ans, démobilisé en septembre 1919, amateur de boites de nuit, ces « temples de l’instabilité » où la musique syncopée entraine fox-trot et charleston ; son premier roman Anicet ou le panorama est publié ; l’écrivain surréaliste André Thirion dressera de lui un beau portrait « Elégant, dandy, romantique, beau garçon, caustique, fugace, éblouissant, Aragon intriguait les hommes, qui craignaient son intelligence, la vivacité et le mordant de ses réparties, et séduisait les femmes, qui raffolaient de l’aura de mystère dans laquelle il se déplaçait. Pour garder ses distances, il se servait avec maîtrise d’une sorte de politesse glacée, dans le meilleur ton du XVIIIème siècle, ce qui ne l’empêchait pas d’être sensible et fraternel avec ses amis. »

1921 : en Grande-Bretagne, rejet par le parlement du texte Acts of Indecency Between Women confortant la déclaration de la reine Victoria : « It doesn’t exist »

1921 : en Grande-Bretagne, parution du livre The Witch-Cult in Western Europe de Margaret Murray, anthropologue et égyptologue, qui connait un succès phénoménal et controversé, considérant que l’Ancienne Religion était vivante chez les socières des temps modernes

1921 : en Allemagne, le Dr Félix Abraham pratique une orchidectomie – l’amputation des testicules – sur Rudolf Richter, dont le prénom devient Dorchen, elle subira d’autres opérations (pénectomie, construction d’un vagin artificiel), et travaillera plus de 10 ans à l’Institut de sexologie de Hirschfeld

1921 : en Allemagne, le ministre de la Justice socialiste Gustav Radbruch du gouvernement de coalition SPD – Démocrates – Centre, élabore un projet de nouveau Code Pénal, il sera présenté au Conseil du Reich en 1925, puis légèrement modifié par la commission des lois du Reichstag

1921 : en Russie, institution de la journée des femmes, elle sera étendue aux pays de l’Est après la guerre de 1939-1945

5 avril 1921 : mort de la romancière suédoise Sophie Elkan (1853-1921), en 1872 elle a épousé son cousin Nathan Elkan dont elle a eu une fille ; à la mort de son mari elle est devenue traductrice et romancière, son livre John Hall, en historia fran det gamla Göteborg a été un succès ; en 1894 elle est tombée amoureuse de Selma Lagerlöf, voyageant beaucoup elles ne se sont pas quittées

17 septembre 1921 : mort du prince Philippe von Eulenburg (1847-1921), à l’Ecole de guerre il était ami avec Moltke ; en 1907 un scandale a éclaté, Maximilien Harden, rédacteur en chef de Die Zukunft, a accusé Eulenberg, ami d’enfance de Guillaume II, sexagénaire et père de 8 enfants, conseiller intime du Kaiser, d’avoir eu des relations sexuelles contre nature, laissant planer des doutes sur l’Empereur lui-même ; Harden a gagné son procès contre Eulenberg et Moltke a été accusé d’avoir été son amant ; par des procès en chaine on a découvert que de hauts fonctionnaires et des généraux ont eu des soldats pour amants, la presse mondiale en a fait des gorges chaudes et le Kaiser a alors abandonné ses amis pacifistes et francophiles

11 décembre 1921 : mort de Robert de Montesquiou (1855-1921), comte de Montesquiou-Fezansac « esthète, dandy et gentilhomme des lettres », élève brillant, il apprécie la glorification du corps masculin dans l’atelier de Gustave Moreau, sollicité par avec Sarah Bernahardt il a passé une nuit vec elle sans aucun plaisir ; en 1885 il devient amant de l’Argentin Gabriel de Yturri, il lui faut du courage et de l’audace pour imposer peu à pau à son entourage celui qui devient son fidèle secrétaire ; à 26 ans il renontre Verlaine dont il devient le disciple et qu’il aide financièrement, Verlaine lui écrira 66 lettres ; grâce à Alexandre Dumas fils, rencontré chez Madeleine Lemaire, il rencontre Marcel Proust auquel le liera une amitié solide ;  il écrit en 1893 son premier recueil de poésies Les Chauves Souris, ses mémoires Les Pas effacés seront publiés à titre posthume ; insulté par Henri de Régnier et son épouse, il l’affronte en duel, il est blessé à la main ; en 1905 la mort de Gabriel Yturri est le drame de sa vie, il convie le tout Paris à ses obsèques et fait ériger un tombeau pour Gabriel et pour lui ; il aura inspiré bien des personnages de littérature le Des Esseintes de Joris-Karl Huysmans (A rebours 1884), le comte de Muzarett de Jean Lorrain (Monsieur de Phocas 1901), le vicomte Jacques de Serpigny d’Henri de Régnier (le Mariage de Minuit 1903), le coq arrogant d’Edmond Rostand (Chanteclerc 1910), le peu recommandable Robert de Passavant d’André Gide (les Faux-Monnayeurs 1926) ou encore le baron de Charlus de Marcel Proust ; la mort de Montesquiou met un terme aux correspondances qu’il avait avec Marcel Proust qui le considérait comme son « maître », son « professeur de beauté », Proust se voyait  comme « un ver de terre amoureux d’une belle étoile », ils ont échangé près de 300 lettres depuis 1893 ; Montesquiou a rendu un bel hommage à son disciple : « Vous voulez élargir le champ de la littérature et lui ouvrir l’espace immense de l’inversion qui, jusqu’à ce jour, était soumis à l’embargo et peut fournir à la contribution d’arts non pas de simples perversités  (à plus fortes raisons, de seules cochonneries) mais des œuvres périlleuses et belles », mais en 1918 il vit comme une trahison la parution de A l’ombre des jeunes filles en fleurs et en 1920 de Du côté de Guermantes et Sodome et Gomorrhe, il est malade de l’étiquette qui lui est collée à travers le personnage de Charlus ; le secrétaire et ami de Montesquoiu, Gabriel de Yturri, est ami de Marcel Proust

16 décembre 1921 : mort du compositeur Camille Saint-Saëns (1835-1921), ses oeuvres sont multiples, parmi les plus célèbres, l’opéra (Samson et Dalila) et les poèmes symphoniques (La Danse macabre, le Carnaval des animaux, La Symphonie avec orgue), il est le professeur de Reynaldo Hahn ; marié, il perd ses 2 fils en 1978 et se sépare de sa femme pour vivre librement ses amours masculines au cours de tournées à travers le monde « Je ne suis pas homosexuel, je suis pédérastre » dira-t-il, il finit ses jours à Tanger

 

1922 : en Italie, mort d’Alessandro Moreschi (1858-1922), castré en 1865, l’un des castrats les plus célèbres de la fin du XIXème siècle surnommé l’Ange de Rome, nommé soliste de la Chapelle Sixtine par le pape, devenu directeur de chœur en 1898, il chanta jusqu’en 1913

1922 : ouverture du cabaret le Bœuf sur le Toit rue Boissy d’Anglas, dans le 8ème arr. par Louis Moysès en présence de Maurice Sachs, Pablo Picasso, Diaghilev, René Clair et Maurice Chevalier ; il sera déménagé plusieurs fois avant d’arriver rue du Colisée en 1941 ; bar dancing mondain typiquement Années folles, Cocteau y règne en Prince de la Frivolité, avec le groupe des Six (Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Taillefer) la mélodie du Bœuf sur le toit composée par Darius Milhaud, joué à l’origine en compagnie de Georges Auric et Arthur Rubinstein

1922 :  le monde de la Revue s’empare du courant de libération de l’après-guerre qui présente l’homosexualité comme affirmation du refus de la guerre et de la barbarie, au nom du goût de la vie et des plaisirs sans exception, délicatesse et raffinement en opposition au cliché du mâle guerrier de 1914-1918 ; le Casino de Paris le fait dans En douce avec le tableau des Frères Guy, parodie des célèbres acrobates les Soeurs Guy et le danseur Van Buren, les Frères Guy sont en fait quatre avec Mlle Van du Nord – « tellement jolie qu’on dirait un homme » – qui imitait Van Buren, avec un désopilant numéro de strip-tease masculin, parodie efféminée et bouffonnerie franche et moqueuse ; l’auteur dramatique Edouard Bourdet créera en 1926 La Prisonnière  sur les amours saphiques et en 1932 La Fleur des Pois, comédie en 4 actes, qui provoquera une dose de rires et d’indignations autour de thèmes homosexuels, avec une affiche est dessinée par Capiello

1922 : André Gide fait paraître Corydon, prenant ainsi le risque de s’exposer ; il écrit dans la préface : « Certains livres, ceux de Proust en particulier, ont habitué le public à s’effaroucher moins et à oser considérer de sang-froid ce qu’il feignait d’ignorer ou préférait ignorer d’abord. » ; c’est son manifeste, André Gide a travaillé à cet ouvrage depuis le procès Renard, en 1909, qui l’a horrifié, Gide l’avait fait circulé de façon anonyme (par tirage privé en 1911), des amis – comme Roger Martin du Gard – ont tenté de le dissuader de le publier pour éviter de faire des vagues inutiles et « éviter de mettre à mal la « tolérance molle » dont bénéficient les homosexuels, Gide sent le besoin de « dissiper le nuage de mensonge dans lequel il s’abrite depuis l’enfance » et dans lequel « il étouffe », il dira de Corydon : « C’est le plus important de mes livres », il affirme que ce qu’il écrit est « une Défense de la pédérastie… ce fameux instinct sexuel qui précipite un sexe vers l’autre n’existe pas », il émet des doutes quant à la valeur de la théorie du 3ème sexe : « Elle n’explique et ne concerne que certains cas d’homosexualité » ; Gide fait parler Corydon : « Dans notre société, dans nos mœurs, tout prédestine un sexe à l’autre ; tout enseigne l’hétérosexualité, tout y invite, tout y provoque, théâtre, livre, journal. » ; Jean Cocteau critiquera l’approche de André Gide qui fait la part trop belle à l’approche pédérastique de la Grèce antique : « Dans mon cas, je n’admets pas le mot pédérastie… si je tentais d’expliquer ma sexualité, je serais à des années lumières du touche-pipi d’André Gide » ; la mère d’André Gide ayant vu son fils se consacrer à l’écriture lui avait dit « Avec quoi mettras-tu la poule au pot, car on ne vit pas de l’air du temps » ; l’Action française accusera Gide d’être un démoralisateur de la jeunesse et Roland Dorgelès parle de « poison » dans Les Nouvelles littéraires : « Ce ne sont pas les vertus qui l’intéressent, ce sont les tares… Le mal a plus d’attrait que le bien, et c’est pour cela que tant de jeunes vont à Gide » ; l’ordre moral se mobilise avec Henri Béraud et Henri Massis, organisant de violentes campagnes contre Gide et la NRF ; déjà certaines pages de Si le grain ne meurt, paru en 1920, ont fait scandale ; en février 1922, André Gide confie à Roger Martin du Gard : « Je n’en peux plus d’attendre… Il me faut obéir à une nécessité intérieure, plus impérieuse que tout ! Comprenez-moi. J’ai besoin, besoin de dissiper ce nuage de mensonges dans lequel je m’abrite depuis ma jeunesse, depuis mon enfance… J’y étouffe ! » ; dans une lettre à Roger Martin du Gard il s’interroge sur une improbable hérédité, se dit « le premier uraniste de sa lignée », il émet des doutes sur l’éventuelle homosexualité de ses ancêtres « protestants rigides… s’ils ont eu des velléités, ils ont lutté contre et ils les ont étouffées », il ajoute même : « Je suis leur victime… je paye pour eux » ; François Porché dans L’amour qui n’ose pas dire son nom, en 1927, qui consacrera 3 chapitres à son livre, reprochera à Gide d’avoir levé tous les voiles qui entouraient son homosexualité et de s’être insurgé contre la morale : « Cela nuit à l’art » et ajoutera dans une lettre à Gide : « Qu’est-ce que Corydon ? Un tract ! » ; Roger Martin du Gard n’a pas l’optimisme de Gide qui, selon lui, prend « ses désirs pour des réalités », il n’y a pas « d’acceptation de fond » du tabou homosexuel par la société mais « un relâchement superficiel et momentané, issu des bouleversements de la guerre, de la fatigue et de la confusion des esprits : on réagit moins, on s’indigne moins facilement, on montre moins d’agressivité. (Mais) Rien d’essentiel n’est changé ni dans les lois répressives, ni dans le jugement du plus grand nombre de nos contemporains », ce n’est qu’une « apathique tolérance » ; en 1927 Gide écrira « Un jour viendra où l’on trouvera mon Corydon bien timoré » mais en janvier 1946 il le jugera comme « le plus important et le plus serviceable… de plus grande utilité, de plus grand service pour le progrès de l’humanité.  » même s’il regrettera « cette façon d’esquiver le scandale et d’attaquer le problème par feinte procuration »

1922 : parution du premier volume de Les Thibault de Roger Martin du Gard, le Cahier Gris, qui raconte l’amitié, chaste mais excessive, qui unit deux garçons de 14 ans, élèves du même lycée, Jacques Thibault et Daniel de Fontanin, devant la menace d’être renvoyés, Daniel convainc Jacques de s’enfuir avec lui

1922 : Albert Le Cruziat (devenu Albertine, chez Proust) s’installe dans un nouvel établissement, l’hôtel Saint Augustin, 15 rue St Augustin ; il sera l’objet d’une nouvelle descente de police en 1923, 4 couples d’hommes arrêtés dont 2 mineurs ; quelques années plus tard il ouvrira un nouvel établissement rue St-Lazare, il recevra la visite d’une génération fascinée, Maurice Sachs et Marcel Jouhandeau dans le premier, Walter Benjamin, traducteur en allemand des premiers volumes de la Recherche, dans le deuxième ; Le Cruziat dirigera aussi une « maison de danse » rue de Lappe (rebaptisée rue de Lope par Willy), le Bal des Trois Colonnes où se croiseront prostitués et travestis, l’écrivain et critique américain  Wallace Rowlie sera heureux de le rencontrer pour parler de Proust

1922 : parution de La Garçonne de Victor Margueritte, 1er volume de sa trilogie romanesque, qui vaut à son auteur d’être radié de la Légion d’honneur l’année suivante, le livre – qui fait apparaître un couple de femmes enlacées en 4ème de couverture – est qualifié par la presse, par La Croix et l’Action française de roman « pornographique », L’Humanité affiche son dégoût  tout comme le quotidien libertaire le Jounal du Peuple oour lequel la Monique du roman « sent trop le bidet », le livre est mis à l’index par le Vatican et la Ligue des Pères et Mères de Familles nombreuses d’obédience catholique demande sa saisie ; le livre se vend rapidement, à 20 000 exemplaires en 4 jours et à 300 000 au bout de 6 mois ; il ne sera une figure positive que pour les féministes les plus radicales, très minoritaires, et pour les lesbiennes, de plus en plus visibles dans la capitale ; l’image de la femme androgyne, indépendante économiquement et sexuellement, cristallise les fantasmes et les angoisses de la société française des années 1920-1930 sur la dissolution des mœurs et le brouillage des identités, pour autant une nouvelle mode capillaire et vestimentaire se développera (cheveux courts, jupes et robes raccourcies, vêtements moins amples) au delà des artistes et des femmes homosexuelles vers les milieux populaires urbains ; c’est une conséquence de la 1ère guerre mondiale qui a désentravé les corps ; le livre est traduit en anglais et en allemand ; le scandale rebondit quelques mois plus tard lorsqu’une adaptation cinématographique est interdite par la censure mai en 1925 Margeritte adapte le roman au théâtre (avec Renée Falconetti, future Jeanne d’Arc dans le film de Dreyer), mais les manifestations (de camelots du roi et d’étudiants catholiques) mobilisent les forces de l’ordre ; une historienne (Anne-Marie Sohn) calculera que 12 à 25% des adultes français auront lu le livre en 1929 grâce à sa transmission de la main à la main

1922 : en Allemagne, la Deutshe Freundschaft (Amitié allemande) compte 2 500 membres ; la Bund für Menschenrecht (BfM, Union pour les droits de l’homme) regroupoera 12 00 adhérents en 1924, puis 48 000 en 1929 dont 1 500 femmes, extrapolant les chiffres de l’enquête d’Hirschfeld de 1902 le BfM affirmera qsu’il y a 2 millions d’homos en Allemagne, elle revendique l’intégration sociale des homosexuels

Mars 1922 : parution de Sodome et Gomorrhe de Marcel Proust, dont François Porché écrira dans L’amour qui n’ose pas dire son nom, en 1927, qu’il représente « un pavillon planté par un explorateur sur une terre nouvelle » et « l’édit de Nantes des non-conformistes » libérés des réserves où ils étaient parqués ; le livre opère une transformation radicale par rapport à la littérature qui l’a précédé, qui se contentait d’aborder l’homosexualité à pas feutrés, Proust prend le parti d’identifier un personnage qui se croyait anormal parce qu’il était seul, à une minorité, une race dont il trace à grands traits les caractéristiques, les mœurs et l’existence quotidienne (les jeunes gens désirés, les théïères – vespasiennes – fréquentés par les invertis de la Belle Epoque ou des Années Folles), il parle de cette minorité de gens « rassemblés à leurs pareils par l’ostracisme qui les frappe, l’opprobre où ils sont tombés ayant fini par prendre, par une persécution semblable à celle d’Israël, les caractères physiques et moraux d’une race… et allant chercher, comme un médecin l’appendicite, l’inversion dans l’histoire, ayant plaisir à rappeler que Socrate était l’un d’eux, comme les Israélites disent de Jésus qu’il était juif, sans songer qu’il n’y avait pas d’anormaux quand l’homosexualité était la norme, pas d’antichrétiens avant le Christ, que l’opprobre seule fait le crime », il réfute la thèse du « vice aristocratique » à propos des relations entre Charlus et son giletier parlant au contraire de relations naturelles entre homosexuels même s’il y a différence de classe, il évoque un monde où « l’ambassadeur est ami du forçat ; le prince, avec une certaine liberté d’allure que donne l’éducation aristocratique et qu’un petit bourgeois tremblant n’aurait pas, en sortant de chez la duchesse s’en va conférer avec l’apache », un monde qui a « des adhérents partout : dans le peuple, dans l’armée, dans le temple, au bagne, sur le trône »… « Il y a des extrémistes qui laissent passer un bracelet sous leur manchette, parfois un collier dans l’évasement de leur col, forcent par leurs regards insistants, leurs gloussements, leurs rires, leurs caresses entre eux, une bande de collégiens à s’enfuir a plus vite », il affirme « ces êtres d’exception que l’on plaint sont une foule », il reproche aux homosexuels refoulés « de ne pas se rendre compte que le désir physique st à la base des sentiments auxquels ils donnent une autre origine », il décrit le sadomasochisme auquel s’adonne Charlus ; la 1ère édition de Sodome et Gomorrhe est épuisée rapidement ; François Porché écrira 6 ans plus tard que son œuvre est devenue très rapidement « l’Edit de Nantes des non conformistes… il s’était produit dans ce domaine longtemps réservé une sorte de relâchement secret ; on ne s’y affichait pas encore tout à fait, mais on s’y surveillait moins » ; et l’ « homme-femme » Charlus, comme dit Proust, devient une espèce de référent culturel ; dans Ces plaisirs, en 1932 Colette comparera un de ses amis homosexuels au baron Charlus « le puissant dernier venu » qui sert de modèle, même à tous ceux « qui l’ont précédé » ; Maurice Sachs écrira dans Le sabbat que son œuvre « exerçait sur la jeunesse de 1925 une magie directe et sensorielle »

L’entrée de M. de Charlus chez les Verdurin, « avec ses manières efféminées et ses fréquentations » mérite l’attention : « Il marchait sur les pointes… tendait la main en ouvrant la bouche en cœur comme il avait vu sa tante faire et son seul regard inquiet était pour la glace où il semblait vouloir vérifier, bien qu’il fut nu-tête, si son chapeau… n’était pas de travers… c’est en se trémoussant avec mièvrerie et la même ampleur dont un enjuponnement eût élargi et gêné ses dandinements, qu’il se dirigea vers Mme Verdurin avec un air si flatté et si honoré qu’on eût dit qu’être présenté chez elle était une suprême faveur… on aurait cru voir s’avancer Mme de Marsantes, tant ressortait à ce moment la femme qu’une erreur de la nature avait mise dans le corps de M. de Charlus. Certes cette erreur, le baron avait durement peiné pour la dissimuler et prendre une apparence masculine. Mais à peine y était-il parvenu que, ayant pendant le même temps gardé les mêmes goûts, cette habitude de sentir en femme lui donnait une nouvelle apparence féminine née celle-là non de l’hérédité, mais de la vie individuelle. Et comme il arrivait peu à peu à penser, même les choses sociales, au féminin, et cela sans s’en apercevoir, car ce n’est pas qu’à force de mentir aux autres, mais aussi de se mentir à soi-même qu’on cesse de s’apercevoir qu’on ment, bien qu’il eût demandé à son corps de rendre manifeste… toute la courtoisie d’un grand seigneur, ce corps qui avait bien compris ce que M. de Charlus avait cessé d’entendre, déploya, au point que le baron eût mérité l’épithète de lady-like, toutes les séductions d’une grande dame. »

Dans Le Temps retrouvé, le narrateur surprend Charlus en fâcheuse posture :  » ‘Je vous en supplie, grâce, grâce, pitié, détachez-moi, ne me frappez pas si fort, disait une voix. Je vous baise les pieds, je m’humilie, je ne recommencerai pas. Ayez pitié. – Non, crapule, répondit une autre voix, et puisque tu gueules et que tu te traînes à genoux, on va t’attacher sur le lit, pas de pitié’ et j’entendis le bruit du claquement d’un martinet probablement aiguisé de clous car il fut suivi de cris de douleur. »

24 juin 1922 : mort de Walther Rathenau (1867-1922), industriel et ministre allemand, de la Recontruction en 1921 puis des Affaires étrangères ; il meurt assassiné par un militant d’extrême droite

18 novembre 1922 : mort de Marcel Proust (1871-1922), jusqu’à la mort de ses parents il a pris ses distances avec l’homosexualité, ilavait conscience de son homosexualité dès le lycée Condorcet, ses lettres enflammées à Jacques Bizet et Daniel Halévy en témoignent ; en 1893 il a fait la connaissance de Robert de Montesquiou dans le salon de l’aquarelliste Madeleine Lemaire ; d’autres livres paraîtront après sa mort : La Prisonnière (1923), Albertine disparue (1925), Le Temps retrouvé (1927) ; Jean Cocteau écrit peu après dans la NRF que la voix de Proust est « rieuse, chancelante, étalée… n’arrivait pas de la gorge, mais des centres. Elle avait un lointain inouï. Comme la voix des ventriloques sort du torse, on la sentait venir de l’âme » ; homosexuels hypersensibles tous les deux, mondains fréquentant les mêmes salons, à la fois conscients de la vacuité du jeu social et incapable de ne pas y jouer, leur complicité malgré leur 20 ans d’écart s’est peu à peu transformée en rivalité ; Paul Morand qui, à 27 ans, s’est lié d’amitié avec lui fin août 1915 après avoir dit que Du côté de chez Swann était « rudement plus beau que Flaubert » a écrit une ode à Marcel Proust : « Proust, à quels raouts allez-vous  donc la nuit / Pour en revenir si fatigué et si bon ? »

 

1923 : adoption d’une loi très répressive contre l’avortement : l’enfant appartient à la nation

1923 : Barbette né Vander Clyde en 1904, a 19 ans, il est trapéziste, originaire du Texas, est envoyé à Londres par son agent, puis il enflamme Paris l’Empire, l’Alhambra puis le Casino de Paris où il triomphe dans la revue Ya Qu’à Paris, le n° de Barbette déchaîne  l’enthousiasme du public, la mystification sexuelle est parfaite, plus femme que femme Barbette trouble profondément, avec perruque, robes extravagantes et sophistiquées, le public est convaincu de sa féminité lorsqu’il exécute son grand numéro de trapèze et l’achève en arrachant sa perruque, laissant le public pantois ; en 1933 il racontera ses débuts à l’Excelsior : « Une famille avait consenti à me prendre pour élève. La femme qui travaillait était devenue une sorte d’hommasse dépourvue de féminité. J’apportais l’agrément de la beauté au public. De jeune homme je me transformais en jeune fille. »

1923 : parution du livre L’ersatz d’amour de Ménalkas (Suzanne de Callias), la préface de Willy regrette le retard des lettres françaises sur les lettres anglo-saxonnes (les Sonnets de Shakespeare ou l’Edouard II de Marlowe, les pages de Walt Whitman enchanté par les garçons des prairies aux visages hâlés) ; Marc prend conscience de son homosexualité à Hambourg où il rencontre l’officier allemand Karl qui s’étonne de « la réprobation cléricale des Français à l’égard des amitiés entre hommes » auprès de Marc qui « ne veut pas être un pédéraste »

1923 : parution des livres de Jean Cocteau Le grand écart et Thomas l’imposteur à thématiques homosexuelles

1923 : le peintre, Paul Jacoulet, traducteur à l’ambassade de France à Tokyo, connait une grande expérience avec un ami, il découvre la Micronésie, qu’il appelle les iles du Sud, puis se lance dans la gravure sur bois et crée son atelier de gravure, il est le dernier des artistes occidentaux qui font du Japon une terre d’exil créatif

1923 : le jeune écrivain anglais Joe Ackerley a l’impression d’être à Paris dans un paradis homosexuel par rapport à Londres, à Paris prévalent des « lois civilisées et on ne risque pas d’être arrêté ou emprisonné »; à l’inverse Arcadie n’aura plus tard, dans ses écrits, pas la moindre nostalgie pour l’homosexualité flamboyante des années 1920 « le travestisme, les hideurs de Montparnasse d’entre les deux guerres, bals costumés de désaxés », « Heureusement, écrira Arcadie en Janvier 1955 pour fêter son 1er anniversaire, le temps de Magic City est révolu »

1923 : en Autriche, agression anti-homosexuelle avec coups de feu entraînant des blessés à Vienne, Magnus Hirschfeld lui-même est violemment agressé ; en Allemagne, création de la Ligue pour les droits de l’Homme qui assure la cohésion du mouvement homosexuel, elle regroupera 48 000 homosexuels en 1929, à partir de 1923 le Comité Humanitaire et Scientifique de Hirschfeld et la Ligue travaillent ensemble au Comité d’action pour l’abrogation du § 175, mais les contradictions entre les deux organisations sont nombreuses ; les relations entre les 2 organisations se creuseront reflétant une rupture grandissante entre une avant-garde intellectuelle et la majorité des homosexuels ; de 1918 à 1933, plus de 30 périodiques différents touchant aux questions homosexuelles sont imprimés (Der Eigene, Das Blatt, Die Freundschaft, etc.), Adolf Brand et Freidrich Radszuweit en sont les éditeurs les plus célèbres

1923 : en Tchécoslovaquie, mort de Franz Kafka (1883-1923), écrivain juif torturé qui se sentait « sale », son biographe Saul Friedländer (né à Prague en 1932) décrira en 2014 sa honte concrète, chevillée à un corps qui le dégoutait, sa culpabilité provenant de « tentations sexuelles imaginées », poète de cette honte, il s’adonnait dans l’écriture de ce qu’il appelait des « étreintes louches », « les tourments de Kafka faisaient corps avec sa création » ; Max Brod l’exécuteur testamentaire de Kafka expurgera du Journal de Kafka sa partie honteuse afin que n’y subsiste plus aucune tâche, la critique érudite de Kafka considérera longtemps les tourments de Kafka comme une question d’ordre religieux ou métaphysique, alors qu’il vivait dans la honte de son corps et de sa condition, il fréquentait les bordels de Prague avec son ami Max Brod et souffrait de toutes sortes d’obsessions (sentiment d’infériorité, autodestruction, humiliation, sexualité), en fait bon nombre de ses fantasmes se révèlent homosexuels

1923 : le futur chanteur à succès Jean Sablon a 17 ans, il va rapidement découvrir les plaisirs de Paris, le Boeuf-sur- le-Toit où il fait connaissance du « génial propriétaire » Louis Moyses, le Grand-Ecart (appartenant au même propriétaire) puis les Enfants-Terribles, il y rencontre très jeune les noms célèbres de la littérature, du spectacle et des arts, alors « les amourettes d’un jour me paraissent plus tentantes que le grand amour ! » dira-t-il plus tard, sur les Champs-Elysées il aime les terrasses du Fouquet’s, du Select et de Rigollet’s ; il fera bientôt la connaissance de « l’excellent » danseur américain Piddock, apprécie les bals des Quat’zart, de l’Internat (avec les chansons de salles de garde et les chars avec des phallus gigantesques), le Bal Nègre de la rue Blomet, Edmond Roze l’invite au restaurant des Capucines ou chez Graff où se retrouvent les gens de théâtre et de music-hall, avec le « fameux revuiste » Rip il va au Chatham, rue Daunou, avec Claude Menier (fils de la riche famille du chocolat Menier, qui a son âge) il découvrira des hôtels particuliers « somptueux », leur « énorme yacht » au Havre et leur propriété à Cannes ; il dira que dès l’âge de 20 ans il s’est senti « le célibataire » par excellence ; lors d’une grande tournée en Argentine, il aura la belle vie à Buenos-Aires ; il connaitra les grands acteurs (comme Gabin), les grands chanteurs (Trenet) et musiciens (Django Reinhardt), les artistes de cabaret (Reda Caire, Mistinguett), sera engagé par Henri Varna dans une revue au Palace (en 1931) où il y rencontrera le danseur de tango Carlos Gardel ; à Hollywood il rencontrera son amant-secrétaire Carl

8 janvier 1923 : mort de l’écrivaine et poète néo-zelandaise Katherine Mansfield (Kathleen Beauchamp 1888-1923), elle étudie au Queen’s College de Londres où elle se lie avec son aînée Beatrice Hastings, puis avec Ida Constance Baker qui restera toute sa vie son amie et sa servante ; revenue en Nouvelle Zelande en 1906 elle se lie avec la peintre Edith Bendall, ce qui provoque un scandale à Wellington ; en 1908 elle s’établit à Londres grâce à l’aide financière de son père; en 1909 elle épouse George Bowden dont elle se sépare rapidement, ses nouvelles sont publiées dans des magazines britanniques, elle a une liaison avec Francis Carco, puis rencontre le critique littéraire et écrivain John Middleton Murry qu’elle épouse en 1918, tous deux se lient d’amitié avec Frieda, l’épouse de D.H. Lawrence, ses nouvelles de 1920 à 1923 lui donnent une réputation dans les cercles littéraires ; atteinte de tuberculose elle part avec son mari à la recherche d’un climat plus favorable (à Bandol, Menton, puis l’Italie), elle meurt à Fontainebleau ; son Journal et ses Lettres seront édités après sa mort

10 mars 1923 : parution du livre Le Diable au corps de Raymond Radiguet, Bernard Grasset son éditeur fait un coup publicitaire – avec, en plus, un film-réclame –  autour de ce 1er roman d’un jeune homme de 17 ans dont Jean Cocteau est le pygmalion attendri depuis qu’il a 15 ans, c’est l’histoire scandaleuse d’un jeune homme ce 16 ans qui, pendant la Grande guerre, couche avec une femme dont le mari se bat sur le front ; si François Mauriac, Edmond Jaloux, Max Jacob et même Paul Valéry sont élogieux, Louis Aragon, André Billy et Paul Souday sont très critiques, le prix Nouveau-Monde est attribué à ce livre mais avec l’opposition irréductible de Paul Morand, Jean Giraudoux et Valéy Larbaud, et une riche Américaine a mis dans la corbeille 7 000 francs ; les catholiques mettent le livre à l’index, l’association des Ecrivains combattants est outrée et Roland Dorgelès lui reproche un manque de « cœur absolu » pour les combattants de la guerre ; en juillet 1923 Radiguet rédigera la 3ème et ultime version de son dernier livre Le Bal du comte d’Orgel

26 mars 1923 : mort de Sarah Bernardt (Henriette-Rosine Bernard, née en 1844), actrice de grande notoriété, affectionnant les rôles ambigus ; elle rencontre en 1875 Louise Abbéma qu’elle ne quittera plus, ses liaisons saphiques se succèdent, avec Augusta Holmès et d’autres

10 juin 1923 : mort de Pierre Loti (Louis-Marie-Julien Viaud, 1850-1923), il aimait se déguiser en dieu Osiris, en pharaon, en jouer de pelote, en Chinois, en bédouin, en marin breton, ancien officier de marine galonné, immobile dans sa maison de Rochefort, en Charente maritime,  il voyageait toujours, avec des bouts de monde juxtaposés ; il a écrit de nombreux livres de Aziyadé en 1879 à Suprêmes visions d’Orient en 1921, en passant par Pêcheur d’Islande en 1886, et été élu à l’Académie française en 1891 à 42 ans, contre Emile Zola, ; il a exigé que l’on attende 40 ans après sa mort pour publier son Journal intime et son fils, Samuel Loti-Viaud, supprimera certains passages concernant sa bisexualité avant de le faire éditer, mais l’original conservé à la Bibliothèque nationale la révèle ; en 1869 il a rencontré son premier amour, Joseph Bernard, beau blond barbu, à l’Ecole navale, avec lequel il reste 6 ans en relation ; en 1872 il part pour Haïti, où il est surnommé Loti (fleur du pacifique) par la reine Pomaré, il se lie avec la jeune Rarahu, 15 ans, ses amours éphémères seront les sujets de son roman Le Mariage de Loti, il assume sereinement sa bisexualité, lirsque Joseph est nommé au Sénégal il fait jouer ses relations pour y être nommé lui aussi et débarque à Dakar en 1873, il trouve là l’inspiration de son livre Roman d’un spahi, mais ils sont chacun affecté sur des navires différents et Pierre Loti sombre dans la dépression, et il se retrouve seul à Rochefort ; lorsque Joseph rentre en France, il se précipite à Valenciennes mais Joseph lui ferme la porte ; Loti est alors enseigne de vaisseau à Salonique, il est fasciné par l’Orient et en gardera une tenace turcophilie, rentré en France il se consacre à l’écriture, à Lorient il recontre Pierre Le Cor qui avait navigué avec lui dans sa jeunesse, ils deviennent inséparables, il est peint sous les traits d’Yves Kermadec dans Mon frère Yves, certains officiers lui font payer ses liaisons affichées, il est soutenu par l’état-major ; poussé par sa mère, il accepte de se marier mais vit l’évènement comme un cauchemar ; à sa mort on lui fait des funérailles nationales, et la Turquie décrète un jour de deuil obligatoire et une rue (et un café) portera le nom Pier Loti

24 juin 1923 : mort de la poétesse finlandaise Edith Södergran (1892-1923), atteinte de tuberculose adolescente elle séjourne en sanatorium, elle reçoit un enseignement multilingue, écrit des poèmes, correspond avec une admiratrice Hagar Olson, elle lui exprime son amour dans le recueil Rosenaltaret et lui donne un anneau en gage de son amour ; elle laisse pour des générations d’amoureuses des poèmes originaux, en suédois, qui évioquent la passion de deux femmes, et aussi leur hantise de la mort

5 novembre 1923 : mort de Jacques d’Adelsward-Fersen (1880-1923), héritier d’une grande fortune, marié à  Blanche de Maupeou, avant de prendre conscience de son goût pour les garçons et la publication d’Ebauches et Débauches, il a été surpris par la police à l’été 1903 lors d’une gigantesque orgie avec de jeunes garçons et condamné à 6 mois de prison ferme ; il s’est réfugié à Capri puis a rencontré à Rome Nino Cesarini, vendeur de journaux de 15 ans, croisé Wilhelm von Gloden en Sicile, revenu à Paris en 1905 il a lancé la revue Akademos qui a duré un an, première revue du genre à publier des essais relativement militants, avec des signatures importantes (Colette, Laurent Tailhade, Joséphin Péladan, Georges Eekhoud, Anatole France, Jean Moreas) ; il lègue sa fortune à Cesarini, meurt d’une overdose de cocaïne ; Roger Peyrefitte fera de Fersen le héros de son roman l’Exilé de Capri en 1959

12 décembre 1923 : Raymond Radiguet, né en 1903, meurt à 20 ans de fièvre typhoïde, Jean Cocteau qui a fait sa connaissance en 1919, est dévasté, il n’ira pas à ses obsèques, il dira qu’il partageait « avec Rimbaud le terrible privilège d’être un phénomène des lettres françaises » ou encore « Ce gamin était notre école, était notre maître d’école. Il l’a été pour beaucoup, beaucoup d’écrivains, croyez-le », Cocteau avait dit à Max Jacob : « Radiguet, c’est très bien. Tu avais raison, comme toujours », lors de sa mort Cocteau confie au prêtre présent :« C’était pour moi un fils, un frère »  ; Radiguet avec de nombreux amis proches, Marc Allégret, Pierre Reverdy, Max Jacob (« l’ami le plus cher »), Guillaume Apollinaire, Tristan Tzara, André Breton, Jacques Doucet, Louis Aragon (que Radiguet a qualifié de « paon paré des plumes de l’oiseau bleu »), mais aussi Brancusi, Picasso et Modigliani, Georges Auric ou encore Francis Poulenc, grâce à qui il avait obtenu un emploi de chimiste chez Rhône-Poulenc ; parmi ses écrits : Le Diable au corps en 1923 qui provoque un scandale parce qu’il traite de l’adultère avec détachement à l’égard de la morale, Le Bal du comte d’Orgel qui paraîtra en 1924 et de nombreuses lettres à ses amis de 1918 à 1923 (140 seront rassemblées en 2012) ; en portant les dessins de son père au journal l’Intransigeant, Raymond Radiguet renconre le poète André Salmon et lui soumet ses poèmes, le charme et la beauté lui ouvre les portes du monde artistique, Max Jacob, Picasso, Juan Gris, Modigliani fait son portrait, Cocteau le rencontre en 1918 et devine son talent et s’enthousiasme pour les poèmes que Radiguet lui lit, il le conseille et l’encourage, ils écrivent ensemble Le Gendarme incompris que Poulenc met en musique, et fondent la petite revue d’avant-garde Le Coq, leur liaison amoureuse est orageuse, Radiguet ne vet pas « s’appeller Madame Cocteau » et le trompe avec plusieurs femmes, soutenu par Cocteau il se remet à écrire et celui-ci le séquestre pour l’obliger à écrire Le Diable au corps puis Le Bal du comte d’Orgel, œuvre mosthume, son deuxième et dernier roman ; en 1923 Bernard Grasset lance Le Diable au corps par une publicité spectaculaire « le premier livre d’un romancier de 17 ans », 100 000 exemplaires sont vendus en 3 mois ; Radiguet vit très vite, succès mondains, amitiés flatteuses, consécration officielle, amours de toutes sortes, plaisirs, alcool, drogue, il a tout connu lorsqu’il meurt à 20 ans d’une typhoïde ; en 1947 Le Diable au corps sera adapté au cinéma par Claude Autant-Lara avec Gérard Philippe et Micheline Presle, en 1970 Marc Allégret réalise le Bal du comte d’Orgel avec Jean-Claude Brialy ; Radiguet laisse une autre œuvre posthume Les joues en feu ; dans Plain-Chant Cocteau exprimera sa passion pour l’adolescent

 

1924 : le Larousse Médical Illustré publié sous la direction du Dr Galtier Boissière, avec la collaboration de nombreux éminents spécialistes de la médecine donne cette définition : « Homosexualité ou Uraniste : Inversion sexuelle chez un homme ayant des organes sexuels normaux, mais ayant une répulsion partielle ou complète pour les femmes. Le Dr Bérillon l’attribue  à une diminution ou à une perte du sens de l’odorat, par l’effet d’une rhinite atrophique ou hypertrophique, ou d’une dégénérescence héréditaire : ‘En même temps, dit-il, que j’ai constaté cette diminution de la puissance olfactive chez les homosexuels, j’ai acquis la certitude que ces mêmes sujets présentaient une prédominance de l’aptitude visuelle. Par ces caractères, ils se rapprochent de l’état habituel de la femme qui, n’étant jamais une olfactive, se montre, au contraire, lorsqu’on se place au point de vue sexuel, essentiellement visuelle. L’inversion sexuelle ne serait donc, à tout prendre, qu’une inversion sensorielle : d’où l’indication dans le traitement de l’homosexualité de placer la rééducation du sens olfactif à la base de toute intervention thérapeutique.  Ici, la théorie s’est trouvée pleinement confirmée par ma pratique. Les homosexuels chez lesquels nous avons procédé à la rééducation de l’olfaction, tant par l’emploi des agents physiques que par celui de la suggestion dans l’état d’hypnotisme, ont tous bénéficié d’une modification très marquée dans l’orientation de leurs dispositions sexuelles.’ Il va sans dire que cette théorie n’a aucun caractère général et que le fait de ne pas avoir d’odorat n’implique pas l’homosexualité ».

1924 : Pierre Herbart (1903-1974), 24 ans, rencontre Jean Cocteau avec lequel il consomme de l’opium, puis bientôt André Gide qui le fera publier chez Gallimard, il accompagnera Gide en URSS en 1936 ; il s’engagera contre le colonialisme (il écria Le Chancre du Niger en 1939), et sera résistant en Bretagne sous l’Occupation, sous le nom de général Le Vigan il participera à la libération de Rennes le 4 août 1944 ; il publiera L’Age d’or en 1953, La Ligne de force en 1958, Souvenirs imaginaires en 1968 et Histoire confidentielles en 1970 ; libre, par-delà tout sentiment de faute, il suscitera la même adoration chez les hommes et chez les femmes (à l’inverse du Corydon de Gide écrit surtout pour justifier son vice)

1924 : parution de Les Ephèbes de Guy Lévis Mano (1904-1980), 19 ans, illustré par Gaston Poulain (Lucien Lovel), avec sa préface : « Les roses rouges sont de granit sur ta tombe, mon étrange ami, et tes poèmes – quelques uns – sont ici. Ton nom reste ignoré. Ainsi tu l’as voulu… »

1924 : parution de Notre-Dame de Lesbos de Charles-Etienne, dont le 1ère édition était parue en 1919 ; le même auteur fera paraître Le Bal des folles en 1930, ces 2 livres renferment de passionnantes descriptions  des vies homosexuelles parisiennes

1924 : parution de la revue  Inversions (seconde revue ouvertement homosexuelle après Akademos, fondée par Jacques d’Adelwärd-Fersen, qui était plutôt culturelle généraliste) créée par deux jeunes hommes extérieur au monde littéraire, militante et « entièrement consacrée à la défense des homosexuels », elle « proclamera sans cesse que les invertis sont des gens normaux et sains », la revue est retiré de la vente dans les kiosques et en 1925 ses rédacteurs sont condamnés à la prison ; elle devient en avril 1925 Amitié, mais ce 5ème n° est le dernier, les 2 rédacteurs, Gustave Beyria et Gaston Lestrade (tous deux gersois, employés de Poste, passionnés de littérature et décidés à vivre leur sexualité), seront condamnés pour outrage aux bonnes mœurs et pour « propagation de méthode anticonceptionnelle » ; les 2 fondateurs sont activement soutenus par 3 personnes, l’ancien juge alsacien Eugène Wilhelm (connu sous le nom de Numa Praetorius, ancien collaborateur de Fersen et de Magnus Hirschfeld), l’artiste surréaliste Claude Cahun et, à une moindre mesure, par sa compagne Suzanne Malherbe (connue sous le nom de Marcel Moore) graphiste dessinatrice ; la revue bénéficie aussi de la collaboration d’Axiéros et de quelques écrivains comme Henry-Marx  ; Claude Cahun est la nièce de l’écrivain symboliste Marcel Schwob, l’un des fondateurs du Mercure de France – dont la patronne est Rachilde -, il est dirigeant de Phare de la Loire, le grand journal de Nantes ; Claude Cahun suit avec attention des travaux de Havelock Ellis auteur de L’inversion sexuelle

1924 : à Paris, les bars et boites de nuit pour les homosexuels sont à Montmartre, à Montparnasse ou sur les Champs-Elysées, les lesbiennes se retrouvent en garçonnes au Sphinx, au Monocle, bd Edgard-Quinet ou au Fétiche ; la revue Fantasio décrit le Fétiche, à Montmartre : « C’est une ancienne Belle qui, sur le retour, est devenue patroinne de bar, pas loin de la place Pigalle, mais d’un bart un peu particulier par le caractère de sa clientèle : beaucoup de dames, surtout, qui s’habillent volontiers à la façon des messieurs… Cheveux courts – non pas à la garçonne, mais mieux, à la garçon. » ; d’autres bars sont cités, Tonton, rue Norvins à Monmartre, La Taverne Liégeoise, rue Pigalle, le Récamier, le Maurice Bar, le Palmyrium de la Place Blanche, Chez ma Cousine, rue Lepic, d’autres moins connus la Petite Chaumière et le Clair de Lune cités par Willy (Henry Gauthier-Villars 1859-1931, marié de 1893 à 1905 à Colette 1873-1954), le second tenu par Bijou, la matronne et où Michel du Colgay a noté – dans Les Mauvais garçons – le nom de plusieurs travestis (Gina, la Gecque, Donald, la Vamp), du Colgay en cite d’autres encore le dancing select Yeddo à Montmartre, qui disparait après la sombre affaire Dufrenne, du Palace, remplacé par Mon Club, en sous-sol dans une impasse, avenue de Clichy, et parle de restaurants fréquentés par les homosexuels à Montparnasse, près des Champs-Elysées ou de la gare de Lyon, et du restaurant populaire de la porte Saint-Denis, Chez J… avec la grosse Amédée, le gérant, qui pousse des cris aigus et se pâme et défile 2 fois par an au Magic City dans de riches toilettes ; dans Les amours buissonnières André du Dognon parle de Graff, place Blanche, du Colgay qualifie le Graff de « grande et florissante brasserie réputée pour sa grosse clientèle d’homosexuels » avec sa « faune tantousarde » du samedi soir oùil remarque le petit vendeur, l’employé de bureau, le petit-fils d’officier, le jeune homme bien mais aussi le truqueur qui fait l’ingénu et le demi-truqueur affamé ; Willy mentionne aussi Les Troglodytes, rue Lecourbe, des promenoirs de cinémas (du Gaumont, en particulier), de music-hall ou de théâtre, des bains turcs (5 ou 6 établissements, rue Tiquetone ou rue des Ternes) et des lieux de prostitution (Pigalle, bd de Rochechouart)  et de drague extérieurs (Champ-de-Mars, Trocadéro, Tuileries) ; Francis Carco parlait en 1914 de Jésus la Caille, du Dognon et du Coglay témoignent de la prostitution masculine à Pigalle, Alec Scouffi dans Au poisse d’or, hôtel meublé parlera en 1929 du « va et vient continu d’éphèbes à casquettes et de poisse à col relevé » ; du Coglay parle aussi des vespasiennes (il y a alors 1 300 urinoirs publics) appelés théières ou tasses ;

1924 : Daniel Guérin qui a 20 ans, parlera du bal de Magic City, du Luna Park de la rive gauche, du grand bal costumé du Mardi gras mélangeant homosexuels déguisés et gens du spectacle venus s’amuser (comme Maurice Chevalier) c’est pour lui le temps de « l’extrême permissivité… Le nombre de fois où j’ai erré dans Pigalle les jours de fête, les week-ends, il était aisé d’accoster un marin, un cavalier, avec ses grosses bottes et ses éperons… Il y avait une espèce de facilité dans les rapports entre hommes appartenant à des classes sociales très différentes, que je n’ai jamais rencontrée depuis. » (interview de 1980) ; il explique cette liberté par le chômage aiguë, mais aussi par le fait que « les prolos étaient encore des prolos et non les bourgeois qu’ils sont devenus… tout était naturel à l’égard du sexe. », s’appuyant sur les travaux ultérieurs de Kinsey, Guérin considérera que les années 1920 sont marquées par l’enseignement primaire, non encore « paralysés par toutes sortes de considérations culturelles ou morales qui sont artificiellement inculquées » ; « La rue de Lappe était un spectacle inouï pour des gens comme moi qui aimaient les militaires et les gens simples, car on pouvait les cotoyer avec facilité, non pas dans de grands établissements, mais dans de toutes petite boites où il y avait des accordéonistes avec sur un bacon un petit orchestre ; on buvait des diabolos menthe et des diabolos cassis et on dansait entre garçons, entre filles, entre hommes et femmes. » ; il se souvient d’un gars à col roulé blanc qui vers la fin de la soirée lui a demandé : « Alors tu viens pour la Noïé ? » c’était « une péniche amarrée sur le canal Saint-Martin, près de la Bastille, qui servait à faire l’amour » ; Daniel Guérin parle aussi de la « boutique aux allures de café » Gabrielle d’Estrées, « au 1er étage il y avait des chambres » où tout était facile, ainsi que des piscines, à celle de Pontoise il faisait « aisément rentrer quelqu’un dans (sa) cabine pour faire l’amour » et pour la drague à ciel ouvert, un aviateur de 1914-1918, Jean-Michel Renaitour, lui a servi de guide, ancien député de l’Yonne et maire d’Auxerre, « il connaissait des centaines de garçons ! », il l’a beaucoup aidé à rencontrer des garçons (joueurs de water-polo, jeunes paysans de l’Yonne, etc.) « toute mon initiation venait de là » ; il a connu René Crevel à la terrasse du Flore, et le fait que Proust, Gide et Maurice Ravel, soient d’illustres homosexuels était « un encouragement » ; en 1927, François Mauriac – homosexuel « plus ou moins refoulé » – lui racontera que « lorsque les garçons venaient chez lui, vers 1927, pour obtenir des dédicaces, cela se terminait par des attouchements entre l’écrivain et les garçons ! Mauriac était déchiré entre ses convictions catholiques et ses pulsions homosexuelles » ; Léon Blum figurait en tutu dans les journaux, il était selon lui plus ou moins homosexuel :« Il m’a reçu dans sa chambre en 1930, il portait un pyjama violet avec des ornements d’or » ; pour lui André Breton selon sa 1ère femme, rapporte Daniel Guérin, « était un homosexuel refoulé et sublimé, toutes les grandes amitiés de sa vie ayant été masculines » mais « il avait une horreur physique pour la pratique homosexuelle » ; Guérin parle aussi du rôle « du scoutisme et du camping au bord des rivières. Sur la Marne, il y avait de grands camps naturistes », il y rencontre « le capitaine Lhôpital, ancien officier d’ordonnance du maréchal Foch. Il était devenu chef scout. Il sortait toujours avec une cohorte de jeunes scouts, et c’était un spectacle ravissant. »… ou encore « l’école de sado-masochisme représentée par l’ancien secrétaire général du Parti radical-socialiste, Edouard Pfeiffer, qui était porté sur les jeunes adolescents et adorait leur faire très mal » selon un « tribunal pour le châtiment de ceux qui avaient contrevenu à la discipline et aux lois qu’ils avaient érigées pour leur vie communautaire », celui qui avait commis une faute « était attaché à un arbre, on enfonçait des aiguilles dans les fesses des garçons, etc. Tout cela s’est terminé par un procès à la suite de plaintes. » ; en 1980, il citera aussi la cohorte de ceux qui « gravitaient autour de Gide, Roger Martin du Gard, Jean Schlumberger, Max Jacob, plus tard Pierre Herbart et le libraire Roland Saucier », et « Montherlant, bombant le torse, lançant la mode des stades et des athlètes aux cheveux courts (qui) buvait goulûment aux fontaines du désir. Abel Hermant (dit la Belle au Bois d’Hermant) (qui) tentait de séduire en slip rose les juniors de la piscine de l’Automobile-Club de France jouxtant l’hôtel Crillon. Jean Cocteau, ses amis musiciens et ses mignons faisaient les beaux soirs du Bœuf sur le Toit. Près de l’Odéon, Lesbos avait pignon sur rue dans la librairie d’Adrienne Monnier. A la Comédie-Française, le tragédien De Max, Maurice Escande, alors jeune premier, plus tard Jean Weber puis Jean Marchat, à l’Opéra Serge Lifar, puis Michel Renault, donnaient un nouveau lustre à la race d’Ep. La Quai d’Orsay regorgeait de sémillants diplomates en herbe. En pleine Sorbonne, le recteur Paul Lapie (1869-1927), chantre de la morale laïque, hébergeait son rejeton dans une suggestive garçonnière. Au Maroc, le maréchal Lyautey s’était entouré d’un sérail de beaux lieutenants et de non moins appétissants autochtones. A l’aéroport du Bourget, Pierre Weiss, officier d’aviation et futur général, étreignait, sous couleur de le préserver d’une foule délirante, l’archange Lindbergh. Avenue Montaigne, le Tout-Paris de la pédale acclamait la trapéziste américaine Barbette qui, perruque et soutien-gorge enlevés, se révélait un blond Adonis. » ; dans Autobiographie de jeunesse. D’une dissidence sexuelle au socialisme en 1972, Daniel Guérin (1904-1988) décrira l’attrait ressenti dans sa jeunesse pour les ouvriers : « Leur mode de vie simpifié à l’extrême, leur pittoresque et mâle accoutrement, leur vert langage, quelquefois pour moi quelque peu hermétique, leutr teint hâlé par le grand air, leur vigueur musculaire, leur animalité franche et naturelle que ne freinait ou ne tarissait encore à l’époque aucune inhibition, aucun préjugé petit-bourgeois… tout chez eux me surprenait, me métamorphosait, m’enchantait »

: uniformisation des programmes de l’enseignement secondaire et du bac pour les garçons et pour les filles, les filles peuvent enfin passer le même bac que les garçons ; elles peuvent désormais accéder à l’université et en 1939 elles constitueront déjà 1/3 des effectifs universitaires

1924 : mort de Franz Kafka (1883-1924), membre de la bourgeoisie juive germanophone de Prague, auteur de La Métamorphose (1915), Le Procès (1925), Le Château (1926) ; son biographe Saül Friedländer – issu de la même culture que lui – croira trouver le clé de son œuvre dans un sentiment de honte né d’une sexualité difficile, d’une forme pathologique d’homoérotisme et d’une peur panique d’impuissance, marqué par la hantise de l’impureté, la phobie suscitée par la proximité du corps féminin, et un goût prononcé – au moins littéraire – pour le sadomasochisme

1924 : Jean Cocteau (1989-1963) découvre Villefranche-sur-Mer qui deviendra son refuge, avec l’hôtel Welcome ; « Seul le Sud me permet d’accéder au divin » confiera-t-il à Jacques Maritain ; après la mort de Radiguet en 1923 il créera sa longue série d’œuvres théâtrale (Roméo et Juliette, Œdipe Roi, Sophocle, Orphée, Opéra, Opium en 1930, La Machine infernale en 1934), des romans Le Grand Ecart, Thomas l’Imposteur en 1923 et des films, le Sang d’un poète en 1932, l’Eternel Retour en 1943, la Belle et la Bête en 1945 ; il a rencontré Diaghilev en 1910 au moment où le Sacre du Printemps scandalisait le Tout Paris :  « C’était pour moi la révélation d’une forme d’art opposé aux habitudes et anticonformiste » ; en « Prince Frivole » il fréquente Marcel Proust, les Daudet, les Rostand, la comtesse de Noailles ; il a travaillé avec Picasso, Max Jacob, Apollinaire, Satie ; en 1925, Jean Cocteau publie les dessins du Mystère de Jean l’Oiseleur, réalisés dans un état second à Villefranche-sur-Mer (à l’hôtel Welcome) ; il a eu une passion pour Raymond Radiguet rencontré en 1918 grâce à Max Jacob, jusqu’à sa mort en 1923, ils ont voyagé ensemble ; il rencontrera Jean Marais en 1937 lors d’une audition pour Œdipe Roi ; il aura pour fils adoptif, amant et légataire universel Edouard Dermit ; auteur prolifique, il a déjà écrit cinq pièces de théâtre et ballets dont Parades sur une musique de Satie, deux romans le Potomak et Thomas l’imposteur, 10 poèmes, il réalisera par la suite encore trois romans, 18 pièces de théâtre, plus de 40 poèmes et critiques, 11 poésies graphiques, plus de 300 céramiques et bijoux, cinq journaux, une dizaine d’enregistrements discographiques et pour le cinéma une vingtaine de courts et longs métrages du Sang du poète en 1930 au Testament d’Orphée en 1960

1924 : le Dr Nazier publie « L’anti-Corydon, Essai sur l’inversion sexuelle » et affiche sa volonté de détruire la portée corrosive du pamphlet de Gide par le pastiche, il fait s’insurger Verlaine et Rabelais contre le « prosélytisme homosexuel »

1924 : en URSS, des homosexuels sont arrêtés massivement par les bolchéviques au pouvoir ; en 1920 Lénine déclarait que « le dérèglement de la vie sexuelle est bourgeois, c’est une manifestation de décadence »

21 avril 1924 : mort de l’actrice italienne Eleanora Duse (1858-1924), elle a triomphé dans les drames d’Alexandre Dumas fils et Victorien Sardou, qui étaient aussi au répertoire de sa grande rivale Sarah Bernhardt ; en 1881 elle a épousé l’acteur Tebaldo Checchi mais s’en est séparé après la naissance de leur fille Henriette, puis s’est liée avec Arrigo Boito ; elle a fondé sa compagnie pour créer les drames d’Ibsen ; en 1904 elle est devenue la maîtresse de Gabriele d’Annunzio et son interprête dans plusieurs de ses pièces ; après une liaison passagère avec Isadora Duncan, elle s’est liée avec Lina Poletti en 1909, l’une des premières féministes italiennes qui osa se déclarer lesbienne avec des vêtements masculins ; en 1916 elle a tourné dans le film Cenere d’Arturo Ambrosio, tiré d’un roman de Grazia Deledda ; la poétesse américaine Amy Lowell, tombée follement amoureuse d’elle, a composé pour elle ses premiers vers

15 août 1924 : la revue satirique Fantasio raille les zélateurs de l’androgynie : « Quant au troisième sexe, il existe bien, ce n’est pas dans le clan des femmes qu’il va chercher des adhérents, mais dans celui des hommes. Il n’est pas très nombreux, mais il est composé – qu’il dit – d’une élite. Et le proverbe n’affirme-t-il pas, après tout, qu’un homme inverti en vaut deux ? Une propagande se fait aussi en ce moment dans certains milieux, en faveur de ces mœurs. Et les littérateurs s’y mettent. L’un d’eux – celui à propos de qui Henri Béraud disait spirituellement : « La Nature a horreur du Gide » – vient de publier un essai, Corydon (d’après le fameux berger de Virgile) qui est un plaidoyer scientifique pour l’homosexualité. M. Gide a écrit, il y a plus de vingt ans, un roman La porte étroite, c’était déjà une indication »; Fantasio raille aussi le président Gaston Doumergue, 1er président célibataire élu, « Il faut marier Gaston ! »

16 août 1924 : mort de la poètesse russe Polixena Sergeevna Solovieva (1867-1924), de père historien et recteur de l’université de Moscou, son frère Vladimir est membre du mouvement symboliste russe et l’encourage à publier ses poèmes en 1883 ; elle rejojnt à Saint-Petersbourg en 1895 Natalia Manaseina, écrivaine de contes pour enfants qui sera sa compagne toute la vie, elle fréquente les salons de l’aristocratie où les auteurs Viacheslav Ivanov et Aleksander Blok la soutiennent, en 1905 elle obtient le prix Pouchkine avec son recueil Inei ; en 1906 elle crée avec sa compagne The Path, le premier magazine pour enfants qui lui permet de publier Alice au pays des merveilles ; son œuvre la plus originale est Perkerestok un roman en vers qui évoque l’impossibilité de changer sa nature ; elle camoufle ses amours lesbiennes mais ses goûts apparaissent dans ses écrits sous un masque d’homme ; après la mort du mari de Manaseina, les deusx femmes partent dans le Caucase et vivrent en couple, elle oubliera ses derniers poèmes en 1923

15 septembre 1924 : la revue Fantasio affiche à l’égard des amours lesbiennes une tolérance hypocrite : « La plupart des gens, enfin, pour avoir lu dans le temps Les chansons de Bilitis, ne veulent pas voir dans ces tendances féminines que des jeux littéraires d’une grâce élégante et d’une inoffensive perversité »

28 octobre 1924 : mort du comédien Edouard Alexandre De Max (1869-1924), sociétaire de la Comédie-Française, il s’est produit dans Prométhée de Jean Lorrain et Héliogabale d’Antonin Artaud, maquillé à la ville comme à la scène, s’affichant avec des jeunes gens hystériques, sa voix de bronze faisait merveille dans Racine ou comme partenaire de Sarah Bernardt ; il a joué Richelieu dand le film muet Les Trois mousquetaires en 1921

15 novembre 1924 : parution de la 1ère revue homosexuelle publiée en France, Inversions, dans un contexte marqué par la parution du Manifeste du surréalisme et de la Révolution surréaliste d’André Breton qui ont une place décisive dans l’histoire des mouvements d’avant-garde, et de la revue d’Hirschfeld L’amitié (Die Freundschaft) se vend en kiosque hors d’Allemagne aussi ; à la différence de ce qui se passe en Allemagne, les mouvements de gauche et d’avant-garde ne soutiennent pas la publication homosexuelle, bien au contraire, c’est l’indignation ; seule la revue anarchiste L’En-Dehors, favorable à l’amour libre (Amour libre et liberté sexuelle, titre du livre de leur animateur E. Armand) la soutient, et en 1930 paraîtra La camaraderie amoureuse (d’Armand, Vera Livinska et C. de Sainte-Hélène), Armand la liberté inaliénable de chacun à disposer de son corps ; Inversions fera l’objet d’un procès pour outrage aux bonnes mœurs, incitation à la débauche et propagande antinataliste, « natalisme » (la loi contre l’avortement et la contraception est du 31 juillet 1920 et l’hécatombe de la Grande guerre est proche) et « victorianisme » sont plus forts

15 décembre 1924 : parution du n°2 de la revue Inversions, sous-titrée « dans l’art, la littérature, l’histoire, la philosophie et la science », avec en exergue « Là  où vous dites contre nature le mot contre coutume suffirait » d’André Gide (le siège de la revue est 1 rue Bougainville, Paris VIIème), le titre fait allusion à la théorie de Karl Eninrich Ulrichs (1825-1895) reprise par Hirschfeld  sur le 3ème sexe ; la revue est rédigée par Gustave Beyria, 28 ans, et Gaston Lestrade, 26 ans, la revue ne durera que sur 4 numéros (novembre 1924 – mars 1925) ; la revue utilise fréquemment les termes urania et uranien se référant à Ulrichs (plutôt qu’au terme homosexuel de Karoly Maria Kertbeny retenu en 1889)

 

Années 1925 : Daniel Guérin (1904-1988) qui a connu ses 1ers émois homosexuels dans le métro aux côtés des jeunes ouvriers dans les années 1910, a ses premières relations homosexuelles dans le quartier Barbès. Son père, Marcel Guérin, a épousé Juliette d’Eichtal, une famille de banquier qui avait prêté de l’argent à Frédéric de Prusse. Il fait ses études au lycée Louis le Grand. Son grand-père Edmond Guérin était apparenté à la famille Hachette et lié à la banque Lazard. Descendant de Gustave d’Eichtal et neveu de Daniel Halévy – qui font partie des intellectuels fondateurs de l’Ecole libre des Sciences politiques à la fin du XIXème – Daniel est issu d’un milieu aisé et cultivé : négoce avec l’Afrique notamment dans le cacao, collectionneur d’œuvres d’art et critique d’art (auteur d’une brochure sur la collection Raymond Koechlin pour les Musées de France en 1932), avec des cousins fondateurs du groupe Hachette. Il est proche du philosophe Elie Halevy qui l’initie à Nietzshe, Sorel, Péguy et même Maurras, et l’introduit dans les salons parisiens où il rencontre Gabriel Fauré et Anna de Noailles. Colette et Barrès lisent ses premiers textes et le félicitent pour ses qualités littéraires. Il est proche de Raoul de Vitry, qui deviendra PDG de Saint-Gobain. Il s’est lié à François Mauriac dès 1923. Daniel Guérin a habité successivement avec ses parents 19 rue des Saints-Pères, puis 22 Bd Saint-Michel. Daniel voyagera en Grèce, puis en 1927, à 23 ans, il travaillera au Liban pour Hachette, où il prend conscience de l’exploitation coloniale et du racisme, il rencontrera le fils de l’Emir Abd el-Khader et Louis Massignon, et voyagera à Djibouti, en Syrie, au Maroc et en Italie. En 1929 il publiera La vie selon la chair. En 1930 il rompra avec sa famille et fera un voyage en Indochine, il y découvrira l’arrogance des colons et des militaires, il rencontrera à Hué un leader nationaliste. Pendant le voyage il lit beaucoup sur le bateau : Saint-Simon, Fourier, Proudhon, Stirner, Marx, Lénine, Trotski. Il sera expulsé d’Indochine du fait de ses pensées révolutionnaires, de ses fréquentations et de sa tendance à afficher ses opinions politiques. Et sur le voyage du retour il a comme une révélation sur le sens à donner à son orientation sexuelle dominante. Même s’il vit encore son homosexualité de manière refoulée, pour lui l’homosexualité est une énergie créatrice qui doit être mise au service de la lutte pour le prolétariat. Il s’installera dans le quartier populaire de Belleville et s’engagera dans la lutte syndicale. Il fréquente les bals de la rue de la Lappe, attiré par les jeunes ouvriers, il idéalise leur liberté sexuelle émancipée de la morale puritaine qu’il a connue, il couche avec « des quantités de jeunes n’ayant aucun préjugé défavorable vis-à-vis de l’homosexualité, ils étaient bisexuels sans le savoir et sans le dire » racontera-t-il en octobre 1979. Il découvrira « la classe ouvrière au lit ». Ce seront pour lui les plus belles années de sa vie. « Rue de Lappe, déclarera-t-il à François Buot, c’est un spectacle inouï pour des gens comme moi qui aimaient les militaires et les gens simples, car on pouvait les côtoyer evec facilité, non pas dans des grands établissements, mais des petits bars où il y avait des accordéonistes, avec un balcon et un orchestre. On buvait des diabolos menthe ou des diabolos cassis et on dansait entre garçons, entre filles, entre hommes et filles. La permissivité était énorme. Les gens ne s’embrassaient pas cependant, car les mecs tenaient à leur image virile ». Face au puritanisme manifesté aussi par les partis de gauche qui voient dans l’homosexualité un vice bourgeois, il se voit forcé de dissimuler sa sexualité à ses camarades de parti. Il écrira plus tard : « Pendant de longues années je me suis senti comme coupé en deux, exprimant à voix haute mes années de convictions militantes et, par force, me sentant contraint de cacher mes penchants intimes ». Il rencontrera Léon Blum en 1930 et lui exposera son désir de militer, ainsi que le socialisme radical de Marceau Pivert, puis Léon Trotski à Paris, et fondera le CLAJ (centre laïque des Auberges de Jeunesse). Daniel Guérin ira en Allemagne en 1932 et 1933 (il écrira par la suite La peste brune et Fascisme et Grand Capital, en 1936). Il assistera à la chute de la République de Weimar, il fréquentera les bandes de marginaux et les jeunes communistes et étudiera les Hitlerjungen.

De retour en France, Daniel Guérin sera déçu par l’immobilisme du Front Populaire, il participera en 1938 à la fondation du PSOP (Parti Socialiste Ouvrier et Paysan) ramificationde FOI (Front ouvier international). Et il rencontrera à Berlin la psychanalyste Christine Fortwangler celle-ci lui donne un cendrier à ramener à Paris pour sa fille Marie ; il a épousé en 1934 Marie Fortwangler, autrichienne, est née en Styrie (d’un village antinazi situé près de Salzbourg). Sa mère Christine, née à Prague, était disciple de Freud et élève d’Anna Freud à Berlin, elle avait laissé sa fille Marie à la charge de sa sœur Marguerite (future Mme Sichel) qui l’a élevé comme sa fille. Fortwangler était son 1er mari, deux autres suivront M. Mayer et M. Olden. Christine part aux USA au début de la guerre (elle souhaitait suivre son mari M. Olden dont le navire sera coulé par un sous-marin allemand). Daniel et Marie auront une fille, Anne née le 22 août 1936 : « Merde, c’est une fille » dira Daniel qui dès lors souhaitera avoir un autre enfant, mais Marie ne souhaitera pas une 2ème naissance dans un contexte national aussi sombre. Ils feront chambre à part à partir de 1939

Années 1925 : André du Dognon, né en 1912, qui lui-même se permettait de rentrer « dans des tenues inimaginables », se souviendra de Maurice Rostand « notre drapeau national, de Jean Weber, Maurice Escande « nos suffragettes », du maréchal Lyautey dans « ses tenues extraordinaires », avec « un phénomène de cour », d’Arletty, de Michel Simon « et de ses mauvais garçons », « les tantes de Passy allaient à Pigalle », du Graff « où vers une heure du matin on notait les grandes arrivées de la Comédie-Française » (c’est devenu un snack-bar près du Moulin-Rouge regrettera-t-il à la fin des années 1970), il évoquera les restautants à clientèle gay, le Yeddo ou le Clair de Lune, place Pigalle, « il y avait des gens qui crevaient de faim… et pour certains garçons le seul moyen de manger c’était de faire des rencontres et de se faire entretenir », ainsi que la rue de Lappe et Magic City, en 1925 « Paris est une ville de garnison » pour les soldats de la Coloniale et cela joue un rôle dans la liberté des rencontres, il évoquera les tasses (on disait alors les baies), Montparnasse et le Select, de nombreux bars, les Tuileries, l’allée de la « Gaulonqueue » à la Porte Dauphine ou l’allée des Veuves à Marigny, il notera que ceux des homosexuels qui étaient clairement repérables (avec manches à gigot et pendentifs) sans avoir besoin de « faire sa folle » étaient facilement dragués, y compris par les policiers ; il évoque les amitiés particulières qu’il avait eues dans son collège religieux, quand sa mère découvrira une lettre qu’il voulait envoyer à André Gide, il s’est fait tancer « Tu vivras comme si tu étais une fille auprès de nous !» ; il se souviendra des livres qui l’attiraient comme Lucien de Binet-Valmer (inverti, il se suicide), les livres de Hirschfeld, ceux de Gide (très discrets sur le sujet) ; il évoquera Berlin où « la frontière entre les sexes n’existe pas » alors que les Français ont toujours fait des différences très nettes entre les sexes « on était de la pédale ou on n’en était pas », « Paris était la ville de la femme… Berlin au contraire, c’était Sodome et Gomorrhe »

Années 1925 : Hélène Azénor (1910-2010) racontera sa vie scandaleuse, elle racontera son passage à la Source, bar gay de la place de la Sorbonne, c’est l’époque de « l’élégance lesbienne. Nous étions des garçonnes, nous portions toutes des tailleurs, et aussi notre façon de nous coiffer qui avait quelque chose d’indéfinisable pour les autres était un signe de reconnaissance entre nous. » ; elle resituera le contexte, celui du livre de Victor Margueritte (1866-1942) avec La Garçonne, 1922, parlant de l’émancipation des femmes (Monique apprenant que son fiancé la trompe décide de mener à son tour une vie libre, avec des partenaires multiples aussi bien masculins que féminines), à qui on a retiré la Légion d’honneur et dont le livre a été l’objet de poursuites judiciaires, « il y a alors des femmes de tous âges…L’ambiance (n’est alors pas très) intime (mais) c’était plus agréable parce qu’il y avait un côté clandestin qui augmentait le charme des rencontres », elle cite le Fétiche à Montmartre, le Monocle (avec son orchestre de femmes et ses entraîneuses) ou encore Chez Elle et Lui ; elle se souviendra de Raymonde Machard, femme-écrivain qui a lancé les 1ères émissions féministes à la radio, de la très riche Natalie Clifford Barney, amie de Renée Vivien, de Colette « qui a fait les 400 coups dans sa jeunesse » qui évoque Mathilde Morny (La Chevalière dans Ces plaisirs), de la lionne Liane de Pougy « tombée dans la religion » ; elle parlera les bals musettes de la Montagne-Sainte-Geneviève « ouverts plusieurs jours par semaine » avec ses filles aux jupes plissées, bottées et pourvues d’accroche-cœurs « comme les filles de la rue Saint-Denis », c’est dans ces bals qu’elle a rencontré à 17 ans Flavie son 1er amour, elle a alors beaucoup de copains homosexuels, elle les revoyait aux bals du Magic City et leur donnait rendez-vous chez Graff, à Pigalle

Années 1925 : Natalie Clifford Barney tient salon au 22 rue Jacob où elle a créé le temple de l’Amitié (avec son fronton en forme de temple grec), sans se poser de problème « Mon homosexualité n’est pas  un vice, elle n’est pas délibérée et ne fait de mal à personne »

Années 1925 : l’auteur américain Edouard Roditi (1910-1992) collabore à partir de 1928 à de nombreuses revues littéraires ; de retour de ses années de collège en Angleterre il ne fréquentera les lieux homosexuels que vers 1929-1930, mais plutôt que les lieux « art déco de la haute pédale » (le Bœuf sur le Toit ou le Grand Ecart), il préfèrait Montparnasse Le Select et sa terrasse, les bals populaires de Montmartre, de la Bastille ou de la gare de Lyon, les bains de vapeur comme celui de la rue Cambronne où le peintre et scénographe Christian Bérard (1902-1949) et ses amis s’amusaient à répéter des scènes de Phèdre ou de Bérénice, celui du Ballon d’Alsace dans la rue Saint-Lazare tenu par Albert Le Cuziat qui a inspiré Jupien (dans le « Temple de l’Impudeur » de Le temps retrouvé) à Marcel Proust, le bistrot Chez Narcisse près de la gare de Lyon, ou encore la Salle des Fêtes cinéma populaire de la rue aux Ours près des Halles ; il notera les goûts de l’époque, le goût cocardier pour l’uniforme, le fétichisme de l’habillement d’ouvrier (bleus de chauffe, casquette, larges pantalons de velours côtelé, ceintures de flanelle rouge interminables) ou de spahis, de zouaves et de marins (Jean Cocteau était pour l’habit de marin à pompon rouge et le poète américain Hart Crane 1899-1932 cherchait aux bals de la rue de Lappe les marins en permission) , les amateurs d’accoutrements exotiques (comme à Senlis où les goumiers marocains étaient en garnison) et de légionnaires (à l’hôtel du Saumon, chez Saïd, derrière les Halles), au bar du Rugby il a entendu Edith Piaf chanter pour la 1ère fois (follement amoureuse du boxeur Vincent, ancien légionnaire sicilien de Tunis qu’elle immortalisera dans sa chanson Mon légionnaire en 1936), il regardait les vieux bohèmes anarcho ou les vieux philathélistes – présents les jours de Bourse aux Timbres – qui fréquentaient les petits jeunes gens autour des pissotières des Champs-Elysées ; Roditi a fait des traductions que Gide lui confiait chez Gallimard, en collaboration avec Maurice Sachs ; un jour Roditi logeant dans un petit hôtel de Montparnasse a pu voir André Gide sortir de sa chambre avec « un jolie petit mec habillé de façon un peu voyante » façon apache ou marlou, il a revu le jeune mec au Select le soir même ; il rencontrait Max Jacob à la NRF, à la librairie-galerie des Quatre-Chemins dirigé par Raoul Leven, mais aussi chez Ryls, l’un des dancing homosexuels rue Frochot à Montmartre ; à la Libération, Roditi constatetera une certaine libération du milieu homosexuel, « plus ouvert, moins rigidement structuré par des cloisons économiques, sociales et raciales, moins différencié dans ses habitudes vestimentaires » à l’heure où les ouvriers, mieux payés et mieux logés, soignent davantage leur apparence ; il écrira en 1962 un essai De l’homosexualité et dans un récit autobiographique non publié Le haut mal il se présentera comme juif, pédéraste et épileptique

1925-1926 : les « années folles » sont à leur paroxysme à Paris, aux côtés des traditionnels lieux de plaisir, comme Pigalle, de nouveaux quartiers s’imposent pour la vie nocturne parisienne, comme Montparnasse, avec ses cafés (Le Dôme, La Coupole, La Rotonde), ses boites de nuit (le Bar Dingo), ses théâtres de music-hall (comme Bobino, rue de la Gaîté), le quartier attire les artistes ; chaque année le bal de la Horde organisé au Bullier réunit les artistes de Music hall, il constitue un moment important de la vie artistique de Montparnasse, le bal est organisé au profit des oeuvres sociales du monde artistique, les artistes sont vêtus de leurs costumes de scène, ils invitent le public à danser (le shimmy et le charleston arrivé avec les troupes de américaines de Pershing en 1917-1918), les membres de la Revue nègre sont là, des hommes blancs sont maquillés en noir avec perruques, certains dansent entre eux, des femmes noires dénudées portent un pagne, certaines sont habillées « à la gaerçonne »

1925 : le responsable de la revue Inversions sera condamné par la 11ème correctionnelle de la Seine, pour « outrage aux bonnes mœurs » à deux mois de prison ferme, porté en appel à 4 mois, et Edmond B. qui a « commis le délit d’outrage aux bonnes mœurs en offrant et en exposant sur la voie publique des images obscènes » est condamné à 3 mois fermes ; à la même période, « l’attentat à la pudeur » est frappé moins sévèrement, la 13ème chambre condamne pour « outrage public à la pudeur » un homme qui a exhibé ses parties sexuelles dans une vespasienne et « un autre individu » qui a commis sur lui des attouchements, à un mois de prison

1925 : Georges Anquetil dans Satan conduit le bal écrit : « De plus en plus, saphisme et pédérastie s’étalent avec une cynique impudeur dans les lieux publics et penètrent dans les demeures austères et sévèrement gardées des bourgeois d’hier »

1925 : François Mauriac (1885-1970) vit une crise existentielle, si beaucoup plus jeune, il a vécu certaines de ses passions homosexuelles au grand jour, en particulier avec Jean Cocteau, à 40 ans il est pris d’un amour fou pour un jeune écrivain et diplomate suisse, Bernard Barbey ; mais c’est un drame pour lui qui transparaîtra dans Souffrances et bonheur du chrétien (qui paraitra en 1931) ; en 1928, Daniel Guérin, 23 ans, fera la connaissance de Mauriac, 43 ans – chez le peintre Jacques-Emile Blanche qui réalise un portrait de Mauriac – il parlera de leurs échanges sur « nos souffrances homosexuelles » notant qu’il voit en Mauriac quelqu’un de « terriblement coincé, il souffrait beaucoup… Il était très jaloux de la facilité que j’avais de vivre libre.  »

1925 : parution du livre de René Crevel, 25 ans, Mon corps et moi puis de La mort difficile en 1926 ; dans le premier livre il décrit les bals musettes de la périphérie de Paris que fréquentent les jeunes prostitués « Le voyou apprend vite à choisir les plus jolies cravates… », il explore le rapport à son corps lors d’un sajour dans un petit hôtel de montagne « chaque caresse s’imprimera en cercles de douceur… Je vois, je tâte, j’aime mon ventre, mes cuisses, moi en pleine lumière, en pleine solitude, en plein désir » ; dans le 2ème livre il décrit le bal musette Au lapin vengeur de la Porte des Lilas « N’est-il pas magnifique mon danseur ? » ; amant du peintre américain Eugène Mac Cown, 27 ans, ils sont tous les deux très beaux et fréquentent les ateliers d’artistes de la rue Campagne Première, ainsi que les bals populaires de La Coupole et du Bullier ; Crevel est l’écrivain maudit car il choque avec ses textes révolutionnant le concept de masculinité en y ajoutant l’homoérotisme, la tuberculose se déclarera un an plus tard, il se suicidera en 1935 à 35 ans, seuls les poètes Philippe Soupault et  Tristan Tzara le soutiennent, ainsi que Jean Cocteau

1925 : parution de Platoniquement d’Axiéros dédié à « tous ceux que les hommes honnissent pour avoir osé les hérésies d’amour », pastiche du Banquet de Platon avec les dialogues entre Sappho et Platen (Auguste, comte de Platen, grand poète lyrique allemand qui se rentra en Italie après avoir été officier lors de la campagne de 1815 et vivre ses penchants homosexuels)

1925 : parution de l’Amour platonique de Camille Spiess, il voit dans l’androgyne une sorte de surhomme sensible capable de régénérer le monde : « La sagesse est cette sensibilité infinie de l’homme normal lui permettant de contempler l’Eros, l’Eternel-adolescent qui vit dans sa pensée et dans son désir », il écrit aussi « La pédérastie platonicienne qui ne s’exprime pas par l’instinct du coït est la passion brûlant plus haut que le désir, l’amour du genre humain, de l’adolescent, symbole d’Eros qui n’a pas de sexe ! » ; Spiess est aussi violemment anti-homosexuel, la pédérastie intellectuelle lui paraît respctable, parce que « sa noblesse ne doit et ne peut pas se confondre avec le grossesse des hétérosexuels, ni avec la bassesse des homosexuels dont M. André Gide semble avoir fait l’apologie ! » écrivait-il en 1924, en prenant position contre Magnus Hirschfeld avec lequel pourtant il était en correspondance

1925 : parution de Les Faux Monnayeurs d’André Gide

1925 : en Grande Bretagne, le peintre, né à Dublin de parents britanniques, Francis Bacon (1909-1992) a 16 ans, il est chassé de sa maison par son père qui le découvre essayant les dessous de sa mère, il dira plus tard qu’il ne l’aimait pas mais qu’il était « sexuellement attiré par lui quand il était jeune. » ; son père le confie à un précepteur homosexuel, sa mère lui enverra une pension régulière qui lui permettra de vivre à Londres, il mènera une vie de bohème à Berlin et à Paris, et reviendra vivre à Londres en 1928

1925 : en Allemagne, Brand dans Que voulons-nous ? fonde le programme minimum de la Communauté des uniques sur l’idéalisation de l’amour, « la tendance bisexuelle de chacun forme primitive de toutes les variétés de l’amour » conduit au pacifisme « Hommes de toutes les classes, unissez-vous », mais son pacifisme s’accomode de voisinages nationalistes, racistes et antisémites, la place principale est à la camaraderie guerrière et le service de « notre chère patrie » ; ainsi Friedlander en 1908 publiait un article sur le déclin de la race blanche, l’influence juive et le péril jaune, et en 1924-1925 un article de Heimsoth attaque Magnus Hirschfeld en tant que juif, avec seulement quelques réserves de Brand en introduction

Avril 1925 : mort du peintre américain John Singer Sargent (1856-1925), né à Florence, il est attiré par les sculptures masculines du Vatican, il devient rapidement le portraitiste à la mode, ses meilleurs portraits sont à la Tate Gellery de Londres ; ses peintures se caractérisent par leur érotisme, mais il reste très prudent en ce qui concerne sa réputation, il refuse de collaborer avec le peintre Aubrey Vincent Beardsley ; il vit de puis l’âfge de 19 ans avec son valet italien Nicola d’Inverno

Avril 1925 : parution du n° 1 de L’Amitié, art, littérature, histoire, philosophie, science (adresse : 1 rue Bougainville, Paris 4ème), avec l’exergue de Réné Vivien « Le désir est en nous moins fort que la tendresse »

19 mai 1925 : mort de la poétesse américaine Amy Lowell (1874-1925), éduquée dans la haute société bostonniene, elle voyage à l’étranger en 1897-1898, en Egypte en particulier, après le décès de ses parents elle fait fi des conventions, fume le cigare et ne cache plus sa passion pour l’actrice Ada Dwyer Russel, ensemble elles vont en Angleterre, elle rencontre Ezra Pound, puis elle a une liaison avec la femme de lettres Mercedes d’Acosta, elle échangent à propos d’un projet de mémorial pour La Duse ; elle écrit en vers libres « imagistes » fait d’émotion et de force vocale du mot ; en 1912 elle écrit A Dome of Many Coloured Glass, en 1914 Sword  Blades an Poppy Seeds et en 1923 A Critical Fable ; morte d’une hémorragie cérébrale, ce sont ses lettres d »amour chargées d’érotisme à Ada Dwyer Russel qui la tireront de l’oubli, elle reçoit à titre posthume le prix Pulitzer de poésie

1° juillet 1925 : mort du compositeur Erik Satie (1866-1925), pianiste au Chat noir célèbre cabaret montmartrois, il y retrouve sa voisine la peintre Suzanne Valadon avec laquelle il entretient une relation tumultueuse ; il se lie à la la confrérie de Péladan, le Sâr, avec lequel il partage le goût des garçons, sur des textes de Péladan il compose 3 sonneries pour la Rose-Croix et le Fils des étoiles, puis compose des pièces pour pîano Pièces froides, Morceaux en forme de poire, Préludes flasques pour un chien, Les Gymnopédies (orchestrées par Debussy), et Ravel l’introduit dans le cercle des musiciens modernes ; en 1917 Diaghilev lui commande un ballet, ce sera Parade sur un argument de Cocteau et une chorégraphie de Massine, la musique est audacieuse avec ses percussions avec toutes sortes d’objets ; Satie composera 2 ballets surréalistes, Mercure en 1924 avec un décor de Picasso et Relâche en 1925 avec un décor de Picabia ; à partir de 1921 de jeunes musiciens se regroupent autour de Satie pour former l’école d’Arcueil ; Henri Sauguet note que Satie s’affiche avec Suzanne Valadon  pour donner le change et dissimule son homosexualité sous le masque de la camaraderie avec ses jeunes disciples ; après une amitié de 8 ans (1916-1924) Satie et Poulenc se brouillent, Poulenc dira combien Satie l’a influencé dans sa musique ; Henri Sauguet, membre du groue d’Arcueil, témoignera que « Ravel et Satie avaient une vie secrète, ils ont eu beaucoup d’amours masculines qui passaient aux yeux du public pour de simples amitiés »

15 juillet 1925 : parution dans la revue Fantasio d’une rubrique Les bars parallèles avec une gravure de Gerda Wegener, représentant des lesbiennes attablées ; de son côté, Hélène Azenor photographie souvent des lesbiennes habillées en garçonnes ; Raymond Voinquel photographie de nombreux homosexuels ; André du Dognon se fera photogrphier avec un autre marin au bal de Magic City en 1930 ; c’est aussi le temps des publicités pour les Bains Soufflot (hydrothérapie, bains russes, orientaux, alcalins, de vapeur ou de pluie) au 4 rue Neuve des Poirées

Juillet-octobre 1925 : André Gide est en AEF (Afrique équatoriale française), il est passionné par ces pays, mais révolté par la façon dont les hommes enrôlés pour construire le chemin de fer Brazzaville-Océan sont traités, il écrira Voyage au Congo, puis Retour du Tchad ; puis il voyagera en URSS et écrira Retour de l’URSS en novembre 1936, et en Egypte il écrira Carnets d’Egypte en 1939 ; peu à peu il mettra de côté ses analyses économiques et sociales, il écrira « Un pays ne me plaît que si de multiples occasions de fornication se présentent », une fois avec « un très beau garçon » appelé Ali, ce sera, au milieu du fleuve, sur le fond d’une barque , « sous les regards complaisants du rameur et d’un soleil accablant » une étreinte inconfortable, mais « pas un défaut dans ce corps jeune encore », et « rarement pareille réciprocité de caresses » ; plus tard, l’Algérie deviendra sobn pays de prédilection, il fera l’acquisition d’un terrain à Biskra et y construira son Eden, dans son Journal, il écrira Amyntas et les Feuillets, dans lesquels il dit que ses seuls jours de bonheur sont là « Tout repose et sourit dans sa félicité frugale »

28 décembre 1925 : mort du poète russe Sergeï Essenine (1895-1925), auteur de Transfiguration, il a été l’amant du poète Nicolas Kluev ; dans Confession d’un voyou en 1921 il décrivait la liberté de mœurs issue de la révolution d’Octobre ; il a épousé la danseuse Isadora Duncan puis s’est suicidé à 30 ans

 

1926-1943 : la vie commune de Jean Cocteau et Jean Desbordes (1906-1944) dure 7 ans, leur histoire d’amour commence en 1926 alors que Desbordes a 19 ans et Cocteau 36 ans, Jean Cocteau sort avec tristesse d’une belle relation sans sexualité avec Raymond Radiguet (1903-1923) qui est mort peu auparavant, Desbordes lui offre une sexualité amoureuse et une belle amitié littéraire, l’un écrit un essai poétique J’adore lorsque l’autre publie de façon anonyme son Livre Blanc orné de nombreux dessins, ils consomment de l’opium et de la cocaïne, puis leurs chemins divergent, le grand monde que fréquente Cocteau n’est pas celui de Desbordes, celui-ci s’engagera dans la Résistance et finira oublié, torturé et tué après un procès bâclé, celui-là continuera à briller pendant l’Occupation ; Jean Cocteau écrira « Jean-Jean m’a révélé l’amour charnel et je n’en reviens pas. Quand Jean-Jean me pénètre, mon petit être misérable n’existe plus » ; ils fréquentent le Boeuf sur le toît et connaissent ensemble Jean Hugo, l’arrière-petit-fils de Victor Hugo, Jean Bourgoint, Maurice Sachs, Marcel Herrand, Jacques de Maleissye, Dick de Berthier, Christian Bérard, Max Jacob, Isadora Duncan, le couple libre Glenway Wescot – Monroe Wheeler, Joseph Kessel, Barbette, Coco Chanel, Louis Moysès, André Gide, Roger Martin du Gard, Charles et Marie-Laure de Noailles, Georges Auric, Pierre Fresnay, Serge Lifar ou encore Edouard Bourdet ; l’écrivan catholique Jacques Maritain tente vainement de dissuader Cocteau de s’attacher à ce garçon, Paul Eluard et André Breton sont violents à l’égard de lreurs créations « obscènes  »

1926 : Paul Eluard, étonné par l’appartion du sexe à l’écran, écrit à sa femme et sa muse Gala : « Le cinéma obsène quelle splendeur ! C’est exaltant. Une découverte. La vie incroyable des sexes immenses et magnifiques sur l’écran, le sperme qui jaillit. Et la vie de la chair amoureuse, toutes les contorsions. C’est admirable, d’un érotisme fou… Le cinéma m’a fait bander d’une façon exaspérée. Tout juste si je n’ai pas joui rien qu’à ce spectacle. Très pur, sans théâtre, c’est un art muet, un art sauvage, la passion contre la mort et la bêtise. On devrait passer cela dans toutes les salles de spectacle et dans les écoles. »

1926 : la revue Fantasio affiche son sarcasme à l’égard de Gide : « M. Gide est une victime de la libido infantile. Le secret de sa philosophie, on n’en peut douter, c’est le secret banal des lycéens aux yeux cernés. »

1926 : parution de l’Enigme de l’androgyne de Louis Estève, il souligne le mythe « andronomane qui sévit en littérature » à travers L’invocation à Antonoüs de Jean Lorrain, Narcisse de J. Royère ou Le bel éphèbe d’Haraucourt 

1926 : l’auteur dramatique Edouard Bourdet, sensible au mouvement de libération qui se manifeste après guerre sur la question de l’homosexualité, présente avec succès La Prisonnière au théâtre Fémina, drame psychologique moralisateur sur les amours saphiques d’une femme mariée

1926 : parution du livre de Jean Cocteau Le numéro Barbette dédié au trapéziste américain du cirque Barnum qui effectue ses numéros déguisé en femme ; Cocteau écrit à son propos à Valentine Hugo : « Dix minutes inoubliables. Un chef d’œuvre de théâtre. Un ange, une FEERIE, un oiseau. »

1926 : parution de La Danse pieuse de Klaus Mann (1906-1949), c’est son premier roman après sa première comédie A,ja et Esther parue en 1925 et son recueil de nouvelles Vor dem Leben, ce livre à thématique homosexuelle fait scandale ; fraichement débarqué de sa ville natale Lübeck où vit son père Thomas Mann (1875-1955), Klaus séjourne à Berlin, il ira ensuite à Paris où il rencontrera Gide, Cocteau et Crevel dont il deviendra l’ami, puis il partira avec sa soeur Erika (1905-1969) aux USA ; la Danse pieuse sonde le malaise de la jeunesse intellectuelle allemande après la défaite de 1918 et l’avènement de la République de Weimar, le jeune peintre Andreas fréquente les night-clubs équivoques, les travestis et la débauche, il se produit dans ces night-clubs, le Pfütze, le Paradise-gürtlein ou le Sankt-Margaretenkeller, Petit-Paul y danse la Prière vespérale de l’oiseau qui donne son titre à l’ouvrage, Petit-Paul devient peu à peu amoureux d’Andreas, tandis qu’Andreas a les yeux tournés vers Niels et part à sa recherche à Paris ; Andreas qui a toujours beaucoup lu, apprend les poèmes de Walt Whitman et de Stefan George

1926 : en Allemagne, la danseuse Mary Wigman (1886-1973) est la « sorcière dansante » dans la Danse de la sorcière (Hexentanz), elle s’abandonne, selon les spectatrices « au désir maléfique de s’imbiber des puissances qui osent à peine se manifester sous notre façade civilisée » entre extase mystique, état de conscience modifiée et transe chamanique… aux « instincts dénudés, débridés d’une possédée, sauvage et lubrique, fascinante, femme et bête en même temps »

1926 : parution de La mort difficile de René Crevel, il est le seul homosexuel toléré dans le groupe surréaliste, son livre est la transposition de ce qu’il a vécu avec le jeune peintre américain Eugene Mac Cown, il fait fi de l’explication freudienne d l’homosexualité qui se réfère au complexe d’Œdipe dans Le clavecin de Diderot en 1932, il se voit plutôt comme l’avorton, le gringalet, il réagira en 1933 dans Les pieds dans le plat en affirmant son homosexualité avec plus de force, avec l’intuition de la force subversive de la déviance homosexuelle

1926 : en Allemagne, parution du 1er hebdomadaire lesbien Liebende Frauen (Femmes amoureuses), il présente en couverture de jolies femmes très peu vêtues

1926 : l’écrivain américain noir d’origine jamaïcaine, Claude McKay séjourne à Marseille, il y végète sans le sou dans le Quartier Réservé en compagnie de matelots et de clochards de tous les pays du monde, son livre Banjo paraîtra en 1929, puis il publiera en 1933 Romance in Marseille, il parle de sa passion pour la musique et de la troupe d’instumentistes chers à son cœur qui partage avec lui les maigres recettes, il parle de la prostitution, les filles et les maquereaux, qui fait la vie de ce quartier et évoque la prostitution masculine « La concurrence était rude dans la Fosse, entre les filles et les prostitués mâles. « , Michel Fabre qui écrira la postface du Banjo en 2015 parle des travestis postés au seuil des « maisons », qui viennent « acheter leurs dessous chez Charly sur la Canebière », dont « Mimosa, considérablement fardé et tout en minauderies »

1926 : aux USA, à partir de cette année à Harlem, le bal costumé de la Hamilton Lodge est l’occasion de la plus grandes réunion d’homosexuels, hommes et femmes, de New York, attirant des milliers de travestis, pour la plupart d’origine ouvrière, surtout dans les années 1930, avec une présence homosexuelle de plus en plus marquée ; en 1929 il y aura 2 000 danseurs et 3 000 spectateurs, en majorité de jeunes ouvriers noirs ; les participants seront 8 000 en 1937 dont un grand nombre d’hommes habillés en femmes, mais également de femmes costumées en hommes

1926 : en Allemagne, 1er congrès mondial de sexologie organisé par Magnus Hirschfeld

Mars 1926 : parution dans le revue Les Marges d’une enquête sur L’homosexualité en littérature, elle répond à un article du critique littéraire Paul Souday, dans le journal Le Temps, qui s’indignait de l’intrusion croissante de personnages homosexuels en littérature ; l’enquête adressée à de nombreux écrivains leur demandait si  » la préoccupation homosexuelle s’était développée depuis la guerre « , si oui à quelles causes devait-elle être attribuée et l’influence de personnages homosexuels littéraires pouvait-elle nuire « aux mœurs et à l’art en général « ; plusieurs réponses insistent sur la responsabilité personnelle de Proust et de Gide ; certains écrivains attribuent à l’œuvre de Proust les succès et les progrès d’une mouvance homosexuelle ; pour Gérard Bauer : « Marcel Proust a été comme le Messie de ce petit peuple et les a, au prix d’une sorte de génie, libérés de leur esclavage. Ce n’est pas que son œuvre prône l’homosexualité, mais elle lui a donné une noblesse littéraire. Le premier, dans le monde moderne et catholique, il a abordé le problème de front et en a parlé sans gêne ni réticence. Il a ouvert la route à ceux qui n’osaient pas s’y engager. », il évoque en même temps une « tendance latente dans les mœurs… Une mode littéraire a toujours de l’influence »…« Si Sodome et Gomorrhe a pu s’imposer sans scandale, ce n’est pas par la seule force du talent ; ce n’est pas non plus parce que l’auteur s’y montrer un moraliste bien plus qu’un panégyriste, c’est aussi parce que l’homosexualité et singulièrement la pédérastie étaient en croissance dans la société moderne » ; Octave Uzanne souligne l’aspect novateur de Sodome et Gomorrhe et explique que sa publication a constitué un moment de libération : « Avec le Charlus de Marcel Proust et même avec son Albertine masquant, affirme-t-on un délicat Albert, nous avons une large marge devant nous. Les jeunes romanciers la rempliront peut-être avec esprit et talent. »; Henriette Charasson parle de l’abus d’ « homosexualisme » en littérature qui a rebondi nécessairement sur les mœurs :  » le théâtre et le roman font les mœurs  » ; Georges Maurevert pense que  » le théâtre et le roman ne sont que des miroirs de la société « ; François Mauriac considère que la paternité des Gide et de Proust est claire : « Beaucoup qui se cachaient ne se cacheront pas »; Louis-Martin Chauffier considère que la littérature s’est contenté d’avaliser l’existence d’une subculture homosexuelle « les mœurs ici ont précédé l’expression littéraire… la tare secrète commence à s’afficher… il manquait une dernière audace : l’écriture  » ; Rachilde voit dans la guerre le grand responsable de l' »énervement de l’époque… Dans les mœurs, cela déborde parce que la guerre a fait déborder par-dessus les tranchées »; Michel Puy voit plutôt un produit mixte de la Belle Epoque (avec les livres de la période 1890-1900 : Aphrodite, Escal-Vigor et la Nichine) et du symbolisme (la tolérance plutôt que le naturalisme moralisateur), et Drieu La Rochelle pense qu’en l’état des mœurs « les homosexuels peuvent prendre conscience d’eux-mêmes » ; à l’inverse, Charles Henry Hirsh  dénonce « l’épouvantable accroissement de la pédérastie dans toutes les classes » et Henri Barbusse voit l’homosexualité comme un vice bourgeois « perversion… profonde décadence », il oppose le « réalisme socialiste » aux surréalistes, phalange des intellectuels décadents; Pierre Unik écrit que l’homosexualité le « dégoûte à l’égal des excréments »; Queneau, Prévert, Man Ray et surtout Aragon expriment une position plus tolérante; Breton stigmatise « la réclame pédérastique », quelque temps plus tard il s’insurgera contre le propos de l’écrivain soviétique Ilia Erhenbourg qui osera qualifier le surréalisme d’activité pédérastique

Mars 1926 : François Mauriac qui s’apprête à publier le Tourment de Jacques Rivière, dévoile de manière détournée l’origine de son dilemme dans une lettre à Daniel Guérin tout en lui recommandant – comme toujours – de résister à la frénésie la chair : « Votre malheur – et aussi votre joie – ce n’est pas telle ou telle inclination qui vous est propre – mais votre avidité. Et il est vrai que l’avidité est particulière à ces sortes de penchants : la fièvre donne soif et cette fièvre-là donne une soif inapaisable ». La revue Les Marges le sollicite son avis sur « le développement de la préoccupation homosexuelle » en littérature depuis la guerre, Mauriac reste prudent sur cette « préoccupation » telle qu’elle s’est manifestée dans l’œuvre de Proust et de Gide, tout en faisant remarquer que « ceux que de telles peintures troublent, c’est qu’ils étaient à leur insu, atteints du même mal », il ajoute « Je ne vois pas dans une société païenne que nous ayons à « tolérer » ou à « condamner » les invertis plus que les malthusiens ou que les gens qui ont des habitudes solitaires, ou que ceux qui usent mal de leurs femmes. Nous ne saurions en ces matières admettre la compétence d’aucun autre tribunal que la Sainte Inquisition ».

Un jour de 1924, François Mauriac se découvrait passionnément épris de Bernard Barbey, diplomate suisse, il écrit alors à Daniel Guérin « Que faire mon pauvre Daniel ? Voyez-vous, nous appartenons, vous et moi, à la congrégation du Chagrin et nous y avons prononcé des vœux perpétuels… Moi non plus, je ne prie plus ; mon mysticisme m’apparaît comme une forme de ma misère ? J’ai honte de prier comme de crier. J’englobe tout cela dans un dégoût sans nom que j’ai de moi-même. Et je continue de vivre à contre-courant… Voyez Daniel, au lieu de vous parler de vous, je vous parle de moi ? C’est la preuve que je suis malade, n’est-ce pas ? Oui, je le suis ! je le suis ! Pardon. Et de tout mon cœur, votre F. »

En août 1925, François Mauriac s’est rendu aux Décades de l’Abbaye de Pontigny (en Bourgogne où Paul Desjardins invite quelques grands esprits, amis d’André Gide et de la NRF, Nouvelle Revue Française), il parle de « séjour délicieux, émouvant… l’endroit est beau, fait pour la conversation, enchanté par les échanges quotidiens avec Roger Martin du Gard, Paul Valéry, Léon Brunschwig et bien sûr André Gide, arrivé en compagnie de son jeune amant, Marc Allégret. Martin du Gard est un être très noble, très simple, nous causons beaucoup. J’ai fait la conquête du jeune secrétaire de Marc Sangnier !! C’est un normalien catholique. » C’est Henri Guillemin (1903-1992), Mauriac ne lui cache pas que la politique du Sillon lui paraît désormais complètement déraisonnable et même absurde », il a 22 ans, l’esprit mordant et original, Mauriac prendra l’habitude de l’inviter à dîner, chez lui une fois par mois, au lendemain d’une rencontre il lui écrit qu’il est « visité par trop démons pour ne pas ouvrir avec joie ma porte aux anges ». Après son retour de Pontigny, il publie dans Orages 28 poèmes brûlants de passion qui exaltent jusqu’au vertige les voluptés défendues, révélateurs de l’exaspération et de la révolte qui le minent et le rongent chaque jour davantage, écrit son biographe Jean-Luc Barré, en mars 2009 : « La fuite des regards, l’étouffement des pas / Le mensonge charnel que nous enseigne l’âge / J’en commence d’avoir l’humiliant usage / Et rôde autour de corps qui ne le savent pas. / … / Accueille-moi, cœur d’ombre où tout péché s’efface / J’oublierai les prénoms que tu ne peux entendre. » Tous ses textes jusqu’à Thérèse Desqueyroux en 1927 ne cessent de refléter les tourments d’un chrétien aux abois, les désespoirs amoureux d’un homme de 40 ans, ainsi Le Jeune Homme (marqué par l’influence de Gide, « ce qui s’appelle un homme fait s’obtient au prix de quelles mutilations ! »), La Province et Bordeaux ou l’Adolescence, Un homme de lettres, Coups de conteur qui paraissent de juillet à octobre 1926, mais c’est sa correspondance avec Daniel Guérin qui va le plus loin dans la révélation de l’épreuve qu’il traverse, ce qui le fascine et le terrifie à la fois c’est le sort de beaucoup d’hommes qui une fois la jeunesse dépassé «  se retrouvent avec le même cœur, la même avidité, sans qu’il leur reste aucun espoir de rassasiement », il écrit encore « Mais il est là tout de même, ce jeune cœur, tapi dans l’homme de 50 ans… C’est l’homme mûr, l’homme déclinant, le vieillard qui dissimulent dans leur chair une jeune bête insatiable » ; en mars 1926 Jean Guiraud dans La Croix dénonce son immoralisme, « la hantise de la chair » qui contamine toute son œuvre, Mauriac répond qu’il n’a « jamais eu la prétention d’être un maître du renouveau catholique ». Daniel Guérin mis à part, Mauriac compte peu de confidents parmi les jeunes écrivains : Henry de Montherlant pendant un temps, André Malraux mais il a d’autres intérêts, Jean Prévost dont il a été témoin de mariage en 1926, et surtout Julien Green « beau jeune homme sombre ». Julien Green se souviendra de ces discussions avec Mauriac, ils se rappelaient les anathèmes de Pascal contre les passions du monde « Ceux qui croient que le bien de l’homme est en la chair, et le mal en ce qui le détourne des plaisirs des sens, qu’ils s’en saoulent et qu’ils y meurent ». En février 1928, il reprendra contact avec Daniel Guérin : « Je pense à vous souvent et à cet étrange hasard qui vous fait vivre loin de Paris, dans les conditions les plus favorables pour vos deux existences », il lui dit aussi qu’il a hâte de lire son dernier roman La Vie selon la chair. C’est l’année où paraît Destins où le petit séminariste Pierre Gornac s’insurge contre sa mère attirée par un mauvais garçon du même âge que lui, Paul Claudel juge le roman d’une « véritable perversité », d’autres le considèrent comme un brûlot anticatholique et Roger Martin du Gard y voit un livre « à damner les saints », il lui écria « Je rigole, mon cher Mauriac quand on fait de vous un écrivain du catholicisme ». La révélation a plus transparente de son « trouble intérieur » apparaitra dans La vie de Jean Racine en 1928 (Thérèse Desqueyroux comme Phèdre…), peu avant Souffrances d’un chrétien. Jacques Maritain, philosophe thomiste, issu d’une famille protestante, converti au catholicisme sous l’impulsion de Léon Bloy (« chevalier de l’absolu » selon Julien Green) critiquera Le Roman, essai de Mauriac paru en 1928 qui prend le contre-pied d’une réflexion de Jacques Maritain : « Je crains qu’il n’y ait chez Mauriac une espèce de manichéisme, cause première de ses tourments. Il est tout près d’imaginer, comme Gide, que le diable collabore à toute œuvre d’art, et que de soi le roman est en complicité avec le mal ». Jacques Maritain se fait dès lors, en quelque sorte, une spécialité du cas des écrivains homosexuels (André Gide, Jean Cocteau, Maurice Sachs, Julien Green), et ne cessera de s’intéresser à « la question Mauriac » comme dit Charles du Bos qui lui proposera d’y « réfléchir de concert ».

20 mars 1926  : Gustave-Léon Beyria et Gaston Lestrade, fondateurs et rédacteurs de la revue Inversions – qui a existé en 1924-1925 – sont condamnés à 6 mois de prison et 200 francs d’amende pour outrage aux bonnes moeurs et propagation de méthodes anticonceptionnelles ; le 27 octobre 1926 la cour d’appel réduira la peine à 3 mois de prison et 100 francs d’amende ; la revue largement ignorée des milieux intellectuels disparaît dans l’indifférence

23 août 1926 : mort de l’acteur Rudolph Valentino (Rodolfo Guglielmi 1895-1926), tout de virilité, élégance, force physique et grâce féminine, il est apparu en 1921 dans Les Quatre cavaliers de l’Apocalypse et Le Fils du Cheik, il apparaît dans 40 films muets, il épouse successivement Jean Acker et Natacha Rambova, lesbviennes notoires, amies de sa partenaire Adla Nazimova ; il est surnommé Houpette rose ; il meurt d’une crise d’appendicite à 31 ans, lors de ses obsèques ses admiratrices provoquent un émeute

 

1927 : Violette Morris porte lainte contre la Fédération sportive féminine de France pour refus de licence, justifié par le port de vêtements masculins et une mastectomie (officiellement réalisée à cause de la gêne provoquée par une poitrine opulente)

1927 : Sommerset Maugham (1875-1965) s’installe au Cap Ferrat dans la villa mauresque qu’a fait construire l’aumonier du roi des Belges, Felix Charmettant, ancien missionnaire, il y accueillera des célébrités de passage sur la Riviera Winston Churchill, le duc de Windsor et la duchesse, lord Beaverbrook ou l’Aga Khan, ainsi que des écrivains comme T.S. Eliot, H.G Wells, Rudyard Kipling, Ian Fleming, Noël Coward ou encore Virginia Woolf ;  il y vit avec son amant Gérald Haxton jusqu’à sa mort en 1944, puis de nombreux amis ou amants artistes, à sa mort en 1965 Alan Searle son dernier compagnon héritera d’une partie de ses biens et de la villa

1927 : le ministère de la Marine, Georges Leygues, dresse une liste « des bars et des lieux de rencontre des communistes et des homosexuels », la police surveille les ports de Toulon et de Brest, et à Paris, les bars fréquentés par des marins en permission ; le ministère de la Marine envisage de faire voter une loi spécifique pour protéger la Marine et les marins des risques liés à l’homosexualité, le chef de cabinet du ministre s’appelle François Darlan ; entre 1927 et 1934, le préfet de police de Paris Jean Chiappe multiplie les mesures anti-homosexuels, il fait rallumer les promenoirs des cinémas et fait fermer quelques établissements où les hommes peuvent danser ensemble en public ; après la fondation du Parti communiste en 1920, la crainte qu’à la dissidence politique se joigne la dissidence sexuelle se développe

1927 : Willy, Henry Gauthier-Villars (ex-mari de Colette, de 1893 à 1905), décrit complaisamment Le 3ème sexe, prenant ainsi place dans un contexte où le monde littéraire peut s’exprimer sur l’homosexualité

1927 : parution du livre Voyage au Congo d’André Gide ; le Dr Vangeon, alias Henri Ghéon, raconte à propos d’André Gide : « Dès que nous nous sommes connus, je suis parti avec lui en Algérie, plusieurs fois, puis en Italie, en Espagne, en Grèce, et l’année même de la guerre, en Asie mineure. Pendant 2 ans le l’ai accompagné dans tous ses voyages, partout… A Paris, nous sortions ensemble : théâtre, expositions, banquets, sorties qui se prolongeaient souvent la nuit. Jusqu’à 4 ou 6 heures du matin (en attendant mon tramway pour Bray-sur-Seine), nous errions autour des hales, dans des petits cafés louches, au milieu des marlous et des filles, avec des garçons, à qui la jeunesse donnait la beauté, vendeurs de drogue parfois ou repris de justice… Le danger nous excitait. Nous ne nous quittions pas. Je crois que Gide cherchait en moi ce qui lui faisait le plus défaut : un certain allant, bouillonnement, force, santé, franchise et je l’avoue, hardiesse dans la réalisation des désirs. Epoque de dérèglement, de honteuse et folle dissipation ! Nous avons eu des mardis gras mémorables, où nous nous promenions jusqu’à l’aube, costumés en pénitents, masqués par des cagoules ». En 1917-1918, André Gide voyageait avec Marc Allégret en Suisse et en Angleterre, en 1925-1926, il était au Congo, il ira en 1936 en URSS. (Gide par lui-même, Claude Martin, 1970)

1927 : l’écrivain François Porché (1877-1944) fait remarquer que la médecine a fait naître, en nommant certains comportements sexuels, de nouveaux acteurs qui n’avaient jamais eu tant de publicité quelques décennies plus tôt, le nombre des non-conformistes paraissait faible (« sodomites condamnés au feu, puis plus tard professionnels du ‘vagabondage spécial’ ») « mais du jour où la science fixa son attention sur l’anomalie, celle-ci aussitôt sembla pulluler, pour la simple raison qu’on était en mesure de l’observer dans de nombreux cas qui seraient demeurés autefois complètement inconnus »

1927 : parution de L’amour hors-la loi de Charles Etienne, qui a fait paraître en 1924 Les désexués

1927 : Robert Desnos dans La liberté ou l’amour écrit : « Notre pédérastie n’avait rien d’hybride et nous ne montrions, l’un et l’autre, que du mépris ou plutôt une totale ignorance méprisante pour les filles marquées… Nous les défendions d’ordinaire contre le fameux bon sens de la masse normale au nom de la liberté individuelle et du principe que tout est licite en amour »

1927 : à 23 ans, Daniel Guérin fait son coming out auprès de son père, Marcel Guérin, ce qui (paradoxalement) le rapproche davantage de celui-ci qui lui révèle à son tour son homosexualité

1927 : décès de Louise Abbéma (1853-1927), peintre populaire introduite par Robert de Montesquiou dans le monde parisien en 1875, ses portraits de Mme Lucien Guitry et de Sarah Bernhardt lui ont apporté la gloire ; Sarah Bernhardt osait se promener dans Paris au bras de son amante, les deux femmes vivaient ensemble ; Louise Abbéma a été décorée de la Légion d’honneur en 1906

1927 : en Allemagne, Max von Grüber, dans son livre Hygiène sexuelle condamne l’homosexualité et la masturbation : « les rapports sexuels prennent la place du mariage… le but du mariage est la procréation des enfants et leur éducation. La croissance de la nation exige du mariage de produire au moins quatre enfants » ; Victor Norton rapportera que sous l’influence des idées de Max von Grüber 41 centres de recyclage préparaient 215 000 professeurs à la propagation de ses théories, contenues dans son Hygiène sexuelle ; la commission des lois du Reichstag élabore un projet de réforme du § 175 qui condamne « les relations impudiques entre hommes » et sanctionne les relations avec les mineurs en cas de contrainte ou de relation de dépendance, ce que le SPD refuse mais il accepte des peines spécifiques contre la prostitution masculine et l’élévation de l’âge de protection des mineurs de 18 ans à 21 ans, mais la crise économique arrêtera tout projet de réforme, les débats ont vu s’affronter les tenants des théories de la décadence, de la dégénérescence et de la séduction ; le SPD est divisé, Rosenfeld déclare lors du Congrès du parti : « Les relations sexuelles maladives doivent échapper au traitement infligé par un code digne du Moyen Âge. Evidemment nous devons, pour la protection des mineurs… » et Hugo Marx au nom du « socialisme véritable » critique « l’individualisme poussé à l’extrême » et reconnait la suprématie de l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel, mais la recherche d’une explication scientifique et du « sentiment sain du peuple » tend à crédibiliser les théories hygiénistes de Hitler autour de la race pure et de sa logique d’extermination ; le député Frick du NSDAP déclare « De tels vices peuvent conduire le peuple allemand à son déclin »

1927 : en Autriche, parution de La Confusion des sentiments, en allemand (Verwirrung der Gefühle) de Stefan Zweig, la nouvelle paraîtra en France en 1929, belle histoire de la séduction intellectuelle et affective qu’exerce un vieux professeur sur un jeune étudiant avide de savoir et empli du plaisir intense de comprendre intimement la période du théâtre élisabethain en Angleterre, la relation d’amour-haine qui se développe entre le professeur et l’étudiant est incomppréhensible pour le jeune Roland jusqu’à ce que soit expliqué l’ébranlement et le débordement d’attirance qu’il provoque chez le vieux professeur qui a vécu son homosexualité dans un secret dangereux et très vérouillé ; la réclusion qu’a vécu de professeur dans ses jeunes années « la nuit, incognito, le monde souterrain des aventures honteuses dans l’ombre des lanternes vacillantes. Soumis à une toruture incessante, il s’efforce de faire rentrer dans l’ordre, avec le fouet du contrôle de soi, cette passion sortie du chemin habituel ; toujours de nouveau l’instinct l’entraine vers le ténébreux péril » est mis en contraste avec « jamais ce cœur torturé et angoissé n’avait connu la faveur d’une amitié pure et noble, la tendresse d’une amitié virile située au-delà des sens »

1927 : en Italie, de nombreux homosexuels de Venise sont  déportés ; c’est pourtant l’époque où Abrasino, Sandro Penna ou P.-P. Pasolini évoquent la liberté « merveilleuse » des homosexuels

1927 : Daniel Guérin rédige dans La Griffe un article critique sur un livre de Paul Valéry, celui-ci le remercie en le trouvant un peu flatteur

1927 : sortie du film Wings, une ode aux as de l’aviation sur le front français pendant la Grande Guerre où le héros meurt dans les bras de son compagnon d’armes, durant de longues minutes les deux hommes se caressent le visage et s’embrassent sur les lèvres, pleurant à chaudes larmes

1927 : aux USA, le Cour suprême autorise les pratiques eugénistes, ainsi le Bureau d’enregistrement eugénique établira une liste de personnes socialement inaptes, incluant les débiles mentaux, les fous, les criminels, les ivrognes, les aveugles, les sourds, les difformes, etc. ; en 1907 une première loi sur la stérilisation avait été adoptée dans l’Indiana ; à partir de 1927 plus de 60 000 personnes parfois très jeunes seront victimes de ces pratiques jusque dans les années 1950-1960 ; en Caroline du Nord ce sont 7 686 personnes qui seront ainsi stérilisées jusqu’en 1974, à 39% des personnes noires (en 1960 ce seront à 60% des personnes noires), les batailles judiciaires engagées par les victimes feront que cet Etat sera en 2013 le premier à adopter une loi pour indemniser les victimes ; mais de nombreuses victimes seront stérilisées sans suivre la procédure officielle de l’enregistrement, et de ce fait ne seront jamais indemnisées ; dans les années 1990-2000 les stérilisations forcées se pratiqueront encore sur des migrantes placées en centres de détention, en particulier en Californie jusqu’en 2014

Février 1927 : aux USA, l’actrice Mae West est arrêtée pour obscénité à cause de son spectacle Sex, l’histoire d’une amitieuse prostituée, qui est un succès commercial face aux critiques outrées de l’Amérique puritaine, elle est condamnée à 10 jours de prison ; elle creusera son sillon avec Lady Lou, Nuit après nuit, Mon petit poussin chéri de 1932 à 1940

12 mai 1927 : mort de Louise Catherine Breslau (1856-1927), à 26 ans à l’Académie Jullian elle a rencontré sa camarade Madeleine Zillhardt qui a été sa muse, son modèle et sa compagne pendant 40 ans, elle a ouvert son atelier et exposé de nombreuses peintures à l’Exposition universelle de 1889 ; durant la guerre de 1914 elles ont fait des portraits d’infirmières et de soldats ; Madeleine sera enterrée en Suisse auprès de sa compagne

16 mai 1927 : en Allemagne, Wilhelm Koenen, député du KPD (parti communiste) s »exprime au parlement pour un changement de législation à propos du §175, le KPD dans sa presse et parmi ses membres prend des positions plus avancées que le SPD sur cette question ; en 1931 Felix Halle, l’un de ses leaders, publiera La Vie sexuelle et le Droit pénal visant à accepter l’homosexualité « conformément aux avancées scientifiques des temps modernes » ; pour autant le KPD instrumentalise lui aussi les scandales quantd il le juge bon, en 1924 sa presse dénonçait le tueur en série Fritz Haarmann comme homosexuel, en 1932 elle attaquera l’homosexualité comme vice bourgeois au même titre que la postitution, le sadomasochisme et la bestialité, elle se déchainera contre l’homosexualité de Ernst Röhm, chef des SA, opposant les saines moeurs prolétariennes à la décadence fasciste ; après 1933, totalement stalinisé, le KPD se prononcera carrément contre l’homosexualité

28 mai 1927 : mort du chanteur et écrivain américain Francis Grierson (Benjamin Henry Jesse Francis Shepard, 1848-1927), après avoir donné une série de récitals sur le côte atlantique, il est accueilli à Paris comme une diva en 1870 ; en 1880 il rencontre à Londres le tailleur juif allemand Waldemar Tonner, ils seront amants jusqu’à la mort du chanteur, le couple s’intalle alors à Paris ; Grierson publie un grand nombre d’ouvrages (dont Pensées et Essais, Parisian Portraits and Others Essays) ; le couple retourne à New York en 1913 à la veille de la guerre, Grierson meurt en coulisse, à la fin de son dernier concert organisé par Tonner

29 mai 1927 : mort de l’écrivain belge  Georges Eekhoud (1854-1927), son roman Escal Vigor était le 1er récit moderne concernant des amours masculines, il a valu son auteur d’être traduit en 1900 sdevant les assises de Flandre occidentale ; il est toutefois devenu professeur à l’Académie royale de Belgique ; en 1904 il a écrit L’Autre vue dans lequel le héros se fait engager comme surveillant dans une prison pour mineurs afin d’assouvir sa passion des voyous et délinquants ; la correspondance amoureuse d’Eeekhoud et son amant le jeune ouvrier typographe Sander Pierson sera publiée en 1993

26 novembre 1927 : un tribunal indemnise la concubine d’un homme victime d’un accident, pour le préjudice matériel que lui cause cette disparition ; le film sera couronné par un oscar en 1929

 

1928 : Gabriel Dussurget (1904-1996), qui est né en Algérie, a été envoyé en métropole pour cause de paludisme il a recontré à Paris Maurice Escande, Jean Cocteau, Jules Supervielle, et a fréquenté la Comédie française, rencontre Henri Lambert, compagnon avec lequel il fréquentera les grand opéras, fondera pendant la guerre les Concerts de Paris et le théâtre Daunou, puis ils créeront le Festival d’Aix en Provence

1928 : parution du livre le Retour du Tchad dAndré Gide, ses séjours au Congo et au Tchad l’amènent à critiquer les excès du colonialisme

1928 : parution du Livre Blanc de Jean Cocteau, sans nom d’auteur ni d’éditeur, il n’ose pas le signer alors qu’il prépare son élection à l’Académie française, il y évoque Toulon la « charmante sodome » et ses rencontres avec les marins

1928 : parution du livre de Camille Spiess Le sexe androgyne ou divin dans lequel il établit la supériorité de l’androgynat, mâle fondateur de valeurs de civilisation »

1928 : en Grande-Bretagne, Virginia Woolf (née Adeline Virginia Stephen, 1882-1941) fait paraître Orlando, l’un des premiers livres sur la bisexualité, voir l’intersexualité, où un jeune lord comblé d’honneurs est nommé ambassadeur en Turquie, devient femme et rejoint une tribu de bohémiens, puis retourne vivre sous les traits d’une femme de lettres dans l’Angleterre victorienne ; elle est le 1er écrivain à imaginer le changement de sexe de son héroïne, c’est une biographie fantastique dans laquelle le héros éponyme traverse les siècles et change de sexe ; en 1922, Virginia Woolf a rencontré Vita Sackville-West, leur liaison dura tout au long des années 1920, son amie est l’inspiratrice du livre ; en réaction à cette montée des amours féminines de même sexe (marquées par Virginia Woolf et Vita Sackville-West, de Radclyffe Hall, Nathalie Barney et Djuna Barnes),  Marie Stopes publie en 1928 le livre Enduring Passion dans lequel elle met en garde les femmes de rester loin du lesbianisme

1928 : mort de John Francis Bloxam (1873-1928), ami de Lord Douglas, étudiant d’une étrange beauté selon Oscar Wilde, sa publication de 1893 Le Caméleon, avec ses textes ouvertement homosexels, qui ont été cités à charge lors du procès d’Oscar Wilde

1928 : en Grande-Bretagne, parution de Puits de solitude de Radclyffe Hall (1880-1943) qui devient très vite le livre-culte des lesbiennes dans le monde entier, d’autant qu’elle aime s’habiller en homme

1928 : parution du livre de Maryse Choisy (1903-1979) Un mois chez les filles dont le succès est considérable, elle s’est plongée dans le milieu de la prostitution au temps des Années folles, elle décrit les maisons closes et aussi le milieu lesbien, elle s’est inventé pour cela un rôle de prostituée

 

1928 : en Allemagne, parution de Femmes lesbiennes de Berlin (Berlin lesbische fraven) de Ruth Margarete Roelling, journaliste et romancière féministe, préfacé par Magnus Hirschfeld, en fait un guide touristique exceptionnel, elle a déjà publié Soupirs dans l’obscurité (1913), Voyage de rêve : une histoire de Finlande (1919), Lutetia Parisorum (1920) sur le milieu du théâtre et du cirque à Paris ; elle cite de nombreuses revues Die Freundin (1923-1933), Liebende Frauen (1926-1933), FrauenLiebe (1927), Der Scorpion (1920), mais aussi l’antisémite et nazi Der Notschrei en 1933, présente des affiches de Jeanne Mammen (Monbijou 1925, Damenbar et Confusions 1927),  des affiches de concert (La chanson mauve et Tu ressembles à un homme chéri), des affiches publicitaires (Café Dorian Gray, Café Domino, El Dorado, Le Violetta), une peinture de Rudolph Schlichter (Women’s club) 1925 sur le Topkeller, d’Ernst Fritsch (Eldorado) 1928-1932, la peinture de Otto Dix (Edorado) 1927, la photo anonyme d’une Gay Party à l’Eldorado, les photos de l’Eldorado avant et après sa fermeture, le Programme du festival Scala d’octobre 1934, la photo des devantures du Café Monbijou, du Club de Dames Monbijou et de Chez Mali & Igel, la peinture de Dörte Clara Wolff (Sisters) 1928, ou encore les dessins satiriques parus ans Simplicissimus en 1924-1925 ; les lieux répertoriés sont Le Hohenzollern, Le Dorian Gray, le Salon Meyer, l’Auluka, le Café Olala, le Café Topp, le Café Domino, La Taverne, l’Eldorado, Le Club des Amies, le Violetta, le Club Monbijpu de l’Ouest, le Club des joueuses de pipeau du Café Princesse et la Flûte Enchantée

 

1928 : en Allemagne, Hirschfeld fonde avec le sexologue anglais Havelock Ellis et le psychiatre suisse Auguste Forel, la Ligue mondiale pour la Réforme sexuelle (LMRS), la Ligue vante les mérites de la politique sexuelle mise en œuvre en URSS pré-stalinienne, en peu de temps elle rassemble 120 000 membres, à son apogée elle aura près de 190 000 membres ; médecins, intellectuels, militants de la liberté sexuelle (le poète, cofondateur de la société pour l’étude de la psychologie sexuelle Georges Ives), pacifistes (le philosophe et écrivain Bertrand Russell) ou radicaux (le dramaturge Ernst Toller) s’y cotoient, elle sera dissoute en 1935, et parmi bien d’autres Wilhelm Reich exprimera sa déception ; Hirschfeld fera une série de voyages et de conférences en 1930 et 1931 aux USA, au Moyen-Orient, en Asie (Indonésie, Inde), il le racontera en 1933 sous le titre Le tour du monde d’un sexologue ; en 1931, il réalisera la 1ère vaginoplastie pour aider la transition homme vers femme d’une transsexuelle ; tandis que quelques membres du cercle autour de Adolf Brand ont contribué depuis de nombreuses années à développer une vision misogyne de l’homosexualité célébrant l’homo-érotisme des communautés mâles et idéalisant les vertus martiales de Sparte

1928 : en Allemagne, le parti nazi déclare : le peuple allemand « peut seulement conserver sa virilité s’il pratique la discipline, spécialement en matière d’amour. L’amour libre, la déviance, sont indisciplinées… Quiconque est et même pense à l’amour homosexuel, est notre ennemi » ; le journal nazi Völkischer Beobachter (dont Hitler est le rédacteur en chef) lance des appels à la haine des juifs et des homosexuels, et visant Magnus Hirschfeld il écrit « Des homosexuels font des conférences dans les écoles de garçons… Mères allemandes, femmes d’ouvriers, voulez-vous livrer vos enfants à des homosexuels ? » et s’appuie sur les procès Hussmann, à Essen, et Krantz qui « éclairent cruellement les dispositions psychiques et mentales dans lesquelles se trouvent des couches étendues de la jeunesse allemande », il poursuit sur la « preuve de cette collusion inébranlable entre le marxisme, la pédérastie et l’intoxication systématique de la jeunesse », le journal joue un rôle considérable pour conditionner idéologiquement le peuple allemand, en amalgamant toujours : homosexualité – marxisme – traîtrise juive (et de leur côté les partis de gauche font l’amalgame entre homosexualité et corruption des SA)

1er janvier 1928 : mort de la danseuse américaine Loïe Fuller (Mary Louise 1862-1928), aux Folies Bergères à ses débuts, aimant les projections colorées sur ses voiles, sa danse a inspiré des scénographes (Gordon Craig et Adolphe Appia), des peintres (Mucha, Toulouse-Lautrec) et le sculpteur Rodin, elle a eu du succès jusqu’en 1902 lorsque Isadora Duncan l’a éclipsé ; marié un temps avec le colonel William Hayes (1889-1892), mais exclusivement lesbienne, liée pendant 30 ans avec Gabrielle Bloch, avec qui elle a tourné en 1921 Le Lys de la vie, d’après un conte de son ancienne amante  la reine Marie de Roumanie

27-31 janvier 1928 : le n°11 de La Révolution Surréaliste reproduit le dialogue entre Benjamin Péret, André Breton, Raymond Queneau, Pierre Unik, Pierre Naville, Yves Tanguy, Max Morise, Jacques Baron, Louis Aragon, Marcel Duhamel, J.A. Boiffard, Man Ray, Marcel Noll et Jacques Prévert à propos de l’homosexualité ; tandis que plusieurs d’entre eux se déclarent un peu indifférents, Unik et Noll se disent « dégoûtés », Breton déclare : « J’accuse les pédérastes de proposer à la tolérance humaine un déficit mental et moral qui tend à s’ériger en système et à paralyser toutes les entreprises que je respecte. Je fais des exceptions, dont une hors ligne en faveur de Sade et une, plus surprenante pour moi-même, en faveur de Lorrain… Je suis sensible à l’audace remarquable dont Jean Lorrain a fait preuve pour défendre ce qui était de sa part une véritable conviction. ». Etonné par la tolérance que manifeste la plupart de ses interlocuteurs, Breton coupe court à la discussion : « Je m’oppose absolument à ce que la discussion se poursuive sur ce sujet. Si elle doit tourner à la réclame pédérastique, je l’abandonne immédiatement. »

24 mars 1928 : mort de la poétesse britannique Charlotte Mary Mew (1869-1928), elle est très attachée à ses enseignantes, Lucy Harrison et Amy Greener, puis étudie a musique et la littérarutre à l’Université de Londres ; sa première nouvelle rencontre un grand succès en 1894 ; en 1898 elle tomba amoureuse d’Ella d’Arcy qui refuse une relation sexuelle, puis de May Sinclair, écrivaine très active dans le milieu féministe, elle l’aide à se faire connaitre ; mais Charlotte doit attendre 1916 pour avoir un peu de notoriété, avec son recueil The Farmer Bride, qui sera réédité en 1924, et à propos duquel Thomas Hardy dira qu’elle est la meilleure poétesse de son temps ; après la mort de sa sœur Anne, Charlotte se suicide

8 juillet 1928 : mort de l’avocate et journaliste américaine Crystal Catherine Eastman (1881-1928), elle militait avec son frère pour la sécurité et la santé dans les conditions de travail et rédigé un célèbre rapport Les accidents du travail et la loi en 1910 ; en raison de sa combativité elle a été qualifiée de femme la plus dangereuse d’Amérique ; elle a épousé Wallace J. Benedict, mais rapidement divorcée elle a rejoint ses amies Alice Paul, Lucy Burns et d’autres militantes avec lesquelles elle a créé le Parti de la Femme Nationale  ; farouche antimilitariste elle a animé le Bureau national des libertés pour protéger les objecteurs de conscience, en 1920 elles ont obtenu le droit de vote pour les femmes ; en 1916 elle s’est mariée avec Walter Fuller avec qui elle a milité contre la guerre, mais dans les années 1919-1920 elle a été sur la liste noire lors de la lutte anticommuniste et a eu bien des difficultés à retrouver du travail

 

1929 : parution de Au poisse d’or d’Alec Scouffi qui dépeint la vie d’un gigolo parisien

1929 : parution du livre de Daniel Guérin La Vie selon la chair qui entraine une véritable rupture avec l’ensemble de sa famille, il abandonne dès lors ses “fonctions commerciales” dans la groupe d’édition familial, “pour un voyage en Indochine” (c’est là qu’il assistera à ce qu’il appelle l’horreur de la répression coloniale et écrira ses 1ers articles sur la colonisation au Maroc et en Indochine) ; il parlera alors de la “force formidable” que lui a conféré son homosexualité pour se “mettre au service de quelque chose de beaucoup plus grand que la débauche ou l’homosexualité, qui est la lutte pour la libération du prolétariat. J’ai fait la symbiose entre les deux choses, et j’ai compris à ce moment-là, que les deux choses étaient éternellement associées et non plus dissociées dans ma personne.” ; il s’engagera un temps dans les chantiers du bâtiment à Brest et se syndiquera à la CGTU, puis il travaillera comme correcteur d’imprimerie à Paris, il y deviendra l’ami intime d’un jeune coiffeur (qui aurait une parenté avec Louise Michel)

1929 : mariage de Marcel Jouhandeau avec Elise (Elisabeth Toulemon), à Paris, Jean Cocteau, René Crevel, Gaston Gallimard et Marie Laurencin y assistent ; il écrit à Gide “Je ne renie pas mes amours passés” il dit espérer “connaître un équilibre de l’âme et du corps nouveau”, il a détruit des années auparavant tous ses écrits intimes, par dégoût de sa conduite, et il a vécu avec celui qu’il appelle “Bouche d’Ivoire” dans ses livres ; en 1935 dans Algèbre de valeurs morales il soutiendra que le vice peut atteindre à une grandeur qui l’égale à la sainteté, et dans De l’abjection en 1939 il s’abandonnera à l’abjection, orgueilleux et superbe, au fond d’ignominie ; Jean Genet avouera à Jouhandeau en 1943 que l’un de ses livres, Prudence Hautechaume, acheté sur les quais était à l’origine de sa vocation d’écrivain

1929 : en Grande-Bretagne, Christopher Isherwood (1904- 1986) issue d’une province anglaise conservatrice, a fait ses études au Corpus Christi College de Cambridge, il vit une relation avec le violoniste français André Mangeot et poursuit des études de médecine au King’s College où il peine à vivre son homosexualité, à 25 ans il choisit de partir pour Berlin, pour écrire et passer du temps avec le poète Wystan Hugh Auden, il y restera jusqu’en 1933

1929 : en Grande-Bretagne, Virginia Woolf publie A Room of One’s Own (Une chambre à soi) souligne le pouvoir magique des femmes : “Les femmes ont pendant des siècles servi aux hommes de miroirs, elles possédaient le pouvoir magique et délicieux de réfléchir une image de l’homme deux fois plus grande que nature. Sans ce pouvoir la terre serait probablement encore marécage et jungle.”

1929 : en Allemagne, l’abolition du § 175 est votée par la Commission de droit pénal, mais Hitler est nommé chancelier avant que la proposition ne vienne en séance plénière ; dans le Völkischer Beobachter du 2 août 1930, l’idéologue Rosenberg écrira : « Nous félicitons Herr Kahl et Herr Hirschfeld de leur victoire, mais qu’ils soient prévenus que nous, Allemands, pas un seul jour, nous ne tolèrerions de telles lois si nous étions au pouvoir, les rapports sexuels avec les animaux, avec ses frères ou avec ses sœurs, ou avec des personnes de même sexe, toutes ces aberrations issues de l’âme juive et qui offensent même l’idée de la création divine, trouveront le châtiment qu’elles méritent, la corde ou l’interdiction de séjour »

1929 : en Allemagne, sortie du film La boite de Pandore où une comtesse incarne l’une des 1ères images d’une femme homosexuelle à l’écran

1929 : en Grande Bretagne, Stephen Spender tente de faire éditer son roman Le Temple , les éditeurs britanniques le refusent refusèrent à l’époque pour « pornographie », le texte ne fait crier la joie de vivre et la difficulté d’être durant l’entre-deux guerres en Angleterre à Oxford, il a découvert les libertés qu’offre à Hambourg la république de Weimar ; il dédie son livre à ses amis W.H. Auden et Christopher Isherwood ; il reprendra son roman et le complètera en 1986-1987 pour raconter son nouveau séjour à Hambourg en 1932 en pleine montée du nazisme, le texte sera retrouvé à l’université du Texas et publié en 1994 en France

1929 : en Allemagne, dans le film Loulou de Georg Wilhelm Pabst, Loulou, maîtresse du Dr Schön, un patron de presse, est dans son appartement avec Schigolch son vieux « père-souteneur », ils se rappellent l’ancien temps et Loulou esquisse quelques pas de danse, le Dr Schön entre et Schigolch a juste le temps de se cacher dans le balcon ; le Dr annonce à Loulou qu’il va se marier avec une femme de son rang, en l’occurrence la fille d’un ministre, et qu’il ne peut plus avoir de relations avec elle, elle lui rétorque que Si tu veux te libérer de moi tu devras me tuer. Schigolch sort de sa cachette et Loulou le présente comme étant son père

1929 : en Egypte établissement de la loi islamique en matière de mœurs au cours des années 1920

1929 : dans le Var, la partie de l’ile du Levant acquise par Napoléon 1er (3% de l’ile) est cédée par les domaines et devient la 1ère cité naturiste, Héliopolis, créée par les docteurs Gaston et André Durville

29 janvier 1929 : mort de la danseuse de cancan populaire La Goulue (Louise Weber 1866-1929), recueillie par son oncle Georges à Saint-Ouen après le décès de son père ; elle s’installe en 1884 bd d’Ornano avec son ami Charlot, elle est blanchisseuse puis modèle pour peintres et photographes, en 1885 elle rencontre Gaston Chilapane, surnommé Goulu, qui l’entretient un moment dans son hôtel (elle tiendrait son nom de cette liaison ou du fait qu’elle allait vider les verres des spectateurs) ; elle danse dans les petits bals de banlieue et rencontre le journaliste de la revue Gil Blas, Charles Desteuque, qui va la promouvoir ; elle débute dans une revue du cirque Fernando, puis au Moulin de la Galette, à l’Elysée-Montmartre, puis à la Closerie des Lilas ; en 1889 les frères Oller et Charles Zidler ouvrent leur bal au Moulin Rouge, place Blanche, et lancent La Goulue avec le french-cancan, un quadrille osé où les jupes relevées dans un tourbillon, Toulouse-Lautrec l’immortalisera dans une affiche en 1893 ; elle affichait ses liaisons avec ses camarades danseuses dont La Môme Fromage, elle donne naissance à Simon dont elle prétend qu’il est le “fils d’un prince” et épouse en mai 1900 Joseph-Nicolas Droxler avec lequel elle fait des numéros de cirque et manque de se faire dévorer par un puma ; Droxler  meurt durant la guerre de 1914 et son fils Simon meurt en 1923 ; elle apparaîtra par hasard dans un documentaire La Zone de Georges Lacombe en 1925 et c’est en 1992 que son arrière-petit-fils Michel Souvais transfèrera ses cendres au cimetière de Montmartre

13 mars 1929 : mort du peintre britannique Henry Scott Tuke (1858-1929), il a étudié à la Slade School of Art de Londres, est passé 2 années à Paris en 1881-1883 dans l’atelier du peintre Jean-Paul Laurens, son thème récurrent est l’adolescent nu, plongeant, nageant ou se dorant au soleil, évitant d’offusquer le puritanisme britannique, il acquiert la notoriété et est exposé à la Tate Gallery de Londres ; pour la clientèle privée il peint le nu intégral ; reconnu comme le meilleur peintre anglais de la jeunesse, il est élu la Royal Academy en 1914

21 mai 1929 : mort du comte Archibald Philip Primrose, comte de Rosebery (1847-1929), marié à une Rothschild, veuf en 1890, il a 4 enfants, l’ainé, Francis, a pour parrain le prince de Galles, futur Edouard VII ; à 25 ans Francis Douglas – frère d’Alfred Douglas, amant d’Oscar Wilde – est chef du secrétariart intime de lord Rosebery, lorsqu’il est ministre des Affaures étrangères  et bientôt premier ministre de la reine Victoria ; tout Londres murmure que lord Rosebery a pour amant son scecrétaire, le père de Francis Douglas, lord Queensburry, traite publiquement lord Rosebury de pédéraste en le menaçant de la cravache, le prince de Galles intervient personnellement pour étouffer l’affaire ; le 18 octobre 1894 Francis Douglas, vicomte de Drumlanring, meurt au cours d’une partie de chasse ; dès le début du procès d’Oscar Wilde, Rosebery tombe malade, le 28 juin 1895 un mois après la condamnation de Wilde, Rosebury mis en minorité à la Chambre démissionne, sa carrière politique est terminée

28 juin 1929 : mort du poète et philosophe anglais, militant socialiste et libertaire, l’écrivain britannique Edward Carpenter (1844-1929), passionnément attaché à son jeune camarade à Cambridge, il a découvert les poèmes de Walt Whitman, il s’engage pour les droits des femmes à partir des années 1890-1900 et au pire moment (celui de la condamnation d’Oscar Wilde en 1895), en faveur de la reconnaissance des droits des homosexuels avec Homogenic Love en révélant sa liaison avec George Merill (1891-1927), jeune ouvrier un peu efféminé avec lequel il vivra 40 ans ; il a écrit Iolaüs, Anthology of Friendship, puis est parvenu à publier Towards Democracy en 1908 en faveur de la destruction des barrières sociales, puis Intermediate Sex présentant des relations entre un maître et son élève ; sur la fin de sa vie, il vient s’installer avec son compagnon George Merrill à Guilford, il meurt d’une attaque un an après Merrill, ils sont enterrés ensemble au cimetière de Guilford ; il militait pour le socialisme, en 1884 il a contribué à financer Justice, organe de la Democratic Fédération, en 1889 il a représenté les socialistes de Sheffield au congrès de Paris ; il a publié de nombreuses brochures en défense de l »amour entre hommes, ses conférences sur ce thème mais aussi sur le libre pebnsée, le syndicalisme, la réfotrme pénalme, l’anticolonialisme, la crtique de la science, le soutien à la journée de 8h, etc. réunissent jusqu’à un millier d’auditeurs, il mêle intimement homosexualité et promotion de la classe ouvrière

Eté 1929 : dernières vacances des Années Folles, avant le krach boursier, de la liberté des mœurs, des créations et des écrits, Aragon fait circuler son livre Le Con d’Irène et écrit : “La Belle et la bite / Habile, habile, habile / La bête, la grosse bête / La bite et la belle / Dit Bite ah bite habite / Moi vite” ; il y a 1 300 pissotières à Paris ; on se passionne pour le sexe, la révolution et le jazz ; goutant à ses heures aux plaisirs homosexuels, Robert Desnos a publié en 1925-1927 De l’érotisme, considéré sans ses manifestations écrites et du point de vue de l’esprit moderne ; Cole Porter reçoit des garçons dans son appartement couvert de peaux de zèbre ; le bal de Magic City, rue Cognacq-Jay, accueille “des bandes d’ignobles éphèbes aux gestes trop apprêtés, aux manières efféminées, aux déhanchements grotesques” dit un journal ; Natalie Barney s’affiche avec Romaine Brooks, Suzanne Solidor avec Yvonne de Brémond d’Ars, Marcel Jouhandeau est sous le charme de l’étudiant suisse Blaise Alban, Jean Cocteau ne se déplace qu’avec une cour d’éphèbes ; Coco Chanel accompagnée de Misia Sert part en croisière sur la côte dalmate, puis à Venise elles rencontrent Diaghilev, alité à l’Hôtel des Bains ; on dit que Marie-Laure de Noailles  vient d’acquérir le manuscrit de Sodome et Gomorrhe, elle organise avec son mari Charles le bal Proust, le bal Louis XIV, le bal des Tableaux célèbres puis le bal de la Mer

19 août 1929 : mort du danseur et chorégraphe d’origine russe Serge de Diaghilev (1872-1929), , volage et avide de sexe, il a eu auprès de lui son amant dévoué Dimitri Filossofov, puis son secrétaire Alexis Massine, et enfin Vaslav Nijinski, son favori ; ce dernier, bisexuel, a épousé la danseuse Romola, provoquant l’ire de Diaghilev qui s’est tourné vers Massine qui est devenu excellent danseur et chorégraphe, mais s’est à son tour marié, avec Vera Savina ; Boris Cochno, 17 ans, qui a partagé les faveurs des chorégraphes Anton Dolin et Serge Lifar et du compositeur Igor Markevitch a  été recruté en remplacement ; la Révolution russe a contraint Diaghilev à rester à Paris, où il a imposé ses très nombreuses créations ; en 1929 ses derniers amants ont soigné le maître et l’ont accompagné au cimetière